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JARDIN - I  "UN TOUR AU JARDIN ? Où VEUT-IL NOUS CONDUIRE ?"

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

JARDIN - I "UN TOUR AU JARDIN ? Où VEUT-IL NOUS CONDUIRE ?"

Connaissance & Partage

JARDIN

I

Il y avait un jardin

C'est une chanson pour les enfants qui naissent et qui vivent
Entre l'acier et le bitume, entre le béton et l'asphalte,
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin…

Georges Moustaki

En ces temps de confinement, l’appartement urbain apparaît comme un lieu carcéral où l’on est physiquement coupé des autres, voisins, amis, passants inconnus mais qui par la magie d’un regard, d’un geste, pourraient participer au cercle de sociabilité que chacun s’efforce de construire. Et aussi coupé de la “Nature”, assimilée à l’espace fondamental de la liberté, où l’on peut muser, courir, nager, pédaler, grimper, en ces lieux fascinants que sont la mer, les plages, les forêts, les montagnes.

Aussi cette sensation de réclusion a-t-elle été très atténuée par la possession d’un jardin, espace intermédiaire entre le tout minéral de l’immeuble et l’espace ouvert des prés, des champs, des eaux et des bois, de la “Nature”, en somme. Mais un grand nombre d’entre nous ne bénéficie pas même d’un balcon. Alors un jardin !

Je vous propose donc, puisque nous voilà de nouveau astreint au confinement, de faire avec moi un tour au jardin en compagnie d’artistes, avant de vous proposer de découvrir, dans mes interventions suivantes, quelques jardins où j’ai aimé me balader, en France et dans le monde.

Maitre du « Livre des prières » Oisiveté guide l’Amant au Jardin (miniature du ROMAN DE LA ROSE; vers 1500) ; British Library, LONDRES.

Maitre du « Livre des prières » Oisiveté guide l’Amant au Jardin (miniature du ROMAN DE LA ROSE; vers 1500) ; British Library, LONDRES.

Et maintenant suivez le guide…

UN TOUR AU JARDIN ? Où VEUT-IL NOUS CONDUIRE ?

Le jardin a l'ambition d'être une image du monde mis en ordre à l’échelle de l’homme par un acte de création qui distingue nettement un dedans, le jardin, et un dehors, l’espace de la nature ou de l’urbain. Cette création suppose une domestication des plantes et la maitrise des techniques agricoles – dont la clé de voûte est la maitrise du cycle de l’eau – pour imposer, obtenir le développement et l’abondance végétale que l’environnement naturel n’assure pas toujours.

Selon les recherches archéologiques, il est probable que le « jardin » est né en Mésopotamie, plus de trois mille ans avant notre ère, comme corolaire de la domestication du palmier, permettant par son ombre de ménager des strates basses de végétation dans une ambiance semi désertique. Mais la spécificité du jardin est de ne pas être associé à la production agricole vivrière : pour cela il y a la campagne et ses paysans, libres ou le plus souvent soumis au pouvoir. Sa finalité est le luxe et le plaisir de ces mêmes détenteurs du pouvoir avec l’alibi du sacré de leur position. Considérés comme une des 7 merveilles du monde antique, les « jardins suspendus de BABYLONE » ont fait couler beaucoup de sueur chez les archéologue sans qu’ils en trouvent l’amorce d’un vestige. Mais des découvertes archéologiques réalisées dans les années 1990 – avant que le Moyen Orient ne sombre dans les horreurs de la guerre engagée par les Etats Unis – ont changé la donne : ces jardins suspendus ont bien existé mais à NINIVE, plusieurs siècles avant l’apogée de BABYLONE. La confusion viendrait de la vision grecque, plutôt confuse quant aux subtilités de la longue histoire de la Mésopotamie.

Ces deux fresques assyriennes datées du 9e-8e siècles avant notre ère nous présentent le don du palmier aux hommes par les divinités (MET, NEW YORK) et la tenue d’un banquet impériale dans un jardin, sous une treille (British Museum, LONDRES)

Ces deux fresques assyriennes datées du 9e-8e siècles avant notre ère nous présentent le don du palmier aux hommes par les divinités (MET, NEW YORK) et la tenue d’un banquet impériale dans un jardin, sous une treille (British Museum, LONDRES)

Le sacré de l’espace du jardin s’affirme par la clôture (comme le posera quelques millénaires plus tard Romulus lors de la création de Rome). La miniature illustrant le Roman de la Rose est sans ambigüité. Le dedans, protégé par un mur crénelé et à la porte verrouillée, le jardin, réunit et résume ce que la nature peut offrir de meilleur mais à l’état dispersé et désordonné : arbres fruitiers, fleurs sur tiges, prairie fleurie, eaux abondantes, oiseaux. Cet environnement exprime aussi la finalité de sa création : par les rencontres, il assure la socialisation du bonheur de vivre de l’humanité. Même seul dans un jardin, on reste redevable à d’autres de la création de cet espace, de son organisation, parterres, cheminements, de leurs choix des végétaux et du soin à lui apporter, car un jardin c’est de la vie proliférante qui peut vite devenir envahissante et obstacle à la présence humaine.

Dans l’imaginaire chrétien médiéval, ce sacré est aussi promesse d’un retour au jardin d’Eden dont l’humanité, à peine créée, fut chassée par la faute d’Eve. Ce retour passe par l’intercession salvatrice d’une autre femme, pure de tout péché, la Vierge Marie.

Maitre du Haut Rhin Jardin de Paradis (Tableau ; vers 1410) – Städel Museum, FRANCFORT SUR LE MAIN.

Maitre du Haut Rhin Jardin de Paradis (Tableau ; vers 1410) – Städel Museum, FRANCFORT SUR LE MAIN.

Pour moi, la clé de cette œuvre est donnée par les trois personnages à droite. Derrière eux, les lys évoque sans doute possible le jardin « hortus conclusus » de la Vierge. Les regards de l’archange et du personnage debout, derrière l’arbre sont tournés vers le 3e, assis, qui contemple fasciné l’espace du jardin qui se déploie à gauche. C’est une vision, la promesse que lui font l’ange et probablement un saint, grâce à la victoire remportée sur le démon : singe au pied de l’ange et “serpent” mort sur le dos (le serpent est ici figuré comme un lézard dragon selon une iconographie courante dans le gothique international finissant). Mais au delà du sacré de ce jardin clos, on peut aussi y voir évoqué une allégorie des 5 sens. Ils nous ouvrent à la connaissance du monde réel, évoqué par la minutie de la représentation des plantes, des oiseaux et des insectes, mais dont il faut reconnaitre la signification symbolique, signification qui doit guider le croyant vers cette promesse.

La conclusion s’impose : le jardin est un espace privé (du prince, de Dieu) permettant une déambulation dans des allées, jalonnées d’aires de repos et de méditations (dans des pavillons, gloriettes, bancs) et un lieu d’accueil ostentatoire pour manifester sa puissance, sa fortune ou son goût dans la maitrise de la “Nature” qui s’y manifeste.

« GRAND JARDIN », « PETIT JARDIN » : UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

A son origine, c’est un grand jardin (je reviendrai dans un autre texte sur la notion de parc). Associé au palais, il exprime la puissance du prince et sert de modèle pour l’aristocratie proche du pouvoir. Le modèle le plus célèbre pour nous est VERSAILLES qui, pendant plus d’un siècle, devient la référence absolue des cours européennes. Il inspire les grands jardins du sud au nord – de NAPLES (Caserte) à SAINT PETERSBURG (Petrodvorets) – et de l’ouest à l’est – de LONDRES (Hampton Court) à ISTAMBUL (Dolmabhaçe) – et même pour une partie des jardins du Palais d’été à PEKIN !

Mais je pense qui faut remonter un peu plus tôt dans le temps pour en voir s’affirmer la conception. A la fin du 15e siècle le château fort, instrument principalement militaire, se trouve déclassé par les progrès de l’artillerie et l’affirmation d’un autre style de vie aristocratique, lié à l’urbanisation qui s’amplifie et, culturellement, à la Renaissance. Un nouveau style de jardin nait en Italie, associé aux loggias et aux larges ouvertures des fenêtres qui donnent à voir le dehors. Tandis que le gothique international importe le jardin dans l’espace intérieur du château, par les tapisseries dites des « millefleurs », le jardin renaissant « à l’italienne » est traité comme un espace prolongeant le pavage des sols intérieurs par des tapis par le pavage des parterres en damier ou en broderies plus complexes (VILLANDRY par exemple).

La vie seigneuriale (ensemble de 6 tapisseries ; vers 1500-1525) La promenade. Musée de Cluny, PARIS

La vie seigneuriale (ensemble de 6 tapisseries ; vers 1500-1525) La promenade. Musée de Cluny, PARIS

Jardin de la villa médicéenne de Castello - FLORENCE (création en 1536) Les parterres restent une strate basse permettant au regard d’embrasser la totalité du jardin.

Jardin de la villa médicéenne de Castello - FLORENCE (création en 1536) Les parterres restent une strate basse permettant au regard d’embrasser la totalité du jardin.

Ce modèle, importé d’Italie principalement par François Ier va connaître une évolution majeure au fur et à mesure que s’impose l’absolutisme royal à partir du règne de Louis XI et qui culmine avec Louis XIV. Le jardin « à la française » adopte un style plus formel et de plus en plus grandiose : une vaste allée centrale organise la vision jusqu’à l’horizon. Aux parterres s’ajoutent des bosquets, de vastes bassins et leurs fontaines, des plans d’eaux entrecoupés de cascades selon la topographie.

P. PATEL – Vue cavalière du Château de Versailles (1668 ; détail)

P. PATEL – Vue cavalière du Château de Versailles (1668 ; détail)

Le château n’a pas encore la forme qu’il va acquérir mais déjà la structure du jardin est en place. Aux yeux de Louis XIV, il comptait plus que le château au point de rédiger lui-même un guide de visite « Manière de montrer les jardins de Versailles » vers 1701. Ce guide, suivi à la lettre par D. Podalydès dans sa visite, a donné lieu à un film « Versailles, les jardins du pouvoir » dont je vous recommande vivement la vision.

J. COTELLE – Le bosquet des 3 fontaines (1688)

J. COTELLE – Le bosquet des 3 fontaines (1688)

Sur ce tableau, 20 ans ont passé depuis celui de Patel. La façade du château a pris l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui. Et Cotelle travaille alors à la décoration du Grand Trianon dont le chantier est lancé.

Ces grands jardins deviennent le lieu privilégié de fêtes somptueuses et de fastueux banquets. D’avoir voulu traiter royalement Louis XIV dans son château de Vaux-le-Vicomte – mais probablement aussi de lui « en mettre plein la vue » – Fouquet en paiera le prix fort.

Si le monarque s’en réserve en principe l’usage, en France le bon peuple des sujets peut accéder sans véritable restrictions aux demeures et aux jardins royaux, à la seule condition d’être convenablement vêtu : « tenue correcte exigée » en somme. Clause que les gardes pouvaient monnayer en louant des vêtements aux visiteurs imprévoyants ou en tenue “limite”. Les seules interdictions catégoriques d’accès, placardées aux grilles du château de Versailles concernaient les prostituées, les moines mendiants et les personnes affectées de la petite vérole…

Dès l’antiquité romaine, à coté des immenses créations impériales de Néron à Hadrien, commence à apparaître un autre modèle, le petit jardin. Il apparaît dans l’espace urbain ou périurbain, associé à la montée d’une nouvelle couche sociale, celle des patriciens possesseurs de “villas” qui, par mimétisme avec les couches dominantes du pouvoir, veut affirmer sa position nouvelle par la création d’un jardin couplé à la demeure, soit en atrium, soit en espace ouvert le plus souvent précédé par un péristyle qui sert d’espace de transition. POMPEI nous en livre quelques beaux exemples. Et la Gaule romanisée n’en manque pas.

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Villa de Vénus à la coquille – POMPEI

Pour ouvrir l’espace du petit jardin, les propriétaires ont fait réaliser sur le mur du fond du jardin une fresque marine illustrant la naissance de Vénus. La transition entre l’espace réel et celui suggéré par la fresque s’organise par la représentation sur les panneaux latéraux d’éléments courants de la décoration des grands jardins : statue, bassin, masques et tintinnabulums, végétation arborée et oiseaux.

A l’effondrement de l’Empire romain, la ruine du réseau urbain et l’émergence de la société féodale font disparaître le petit jardin. Sa tradition se perpétue d’une certaine façon dans les cloitres des monastères mais avec une spécificité nouvelle : le jardin des “simples”, base de la pharmacopée médiévale. La Renaissance amorce son renouveau dans les villas italiennes au fur et à mesure de la reconstitution d’un système urbain. Mais hormis les élites, jusqu’au 17e siècle peu de gens disposent d’un jardin. Il faut se souvenir que près de 80 à 90 % de la population est rurale. A proximité des habitations, les paysans disposent souvent d’un potager, alimentant une production vivrière, mais qui n’est pas perçu comme un jardin, lieu de détente et de socialisation. De même, autour des villes, les ceintures maraichères qui se développent n’ont qu’une vocation productive, d’autant que les engrais les plus utilisés alors sont les eaux “grasses” et les déjections humaines ou animales : « … je ne vous parle pas de l’odeur ! »…

La bourgeoisie, en pleine expansion dans l’Europe occidentale, cherche dans un premier temps à imiter le goût aristocratique (songeons au « Bourgeois gentilhomme » de Molière), avant d’élaborer son propre modèle en réactivant la création de petits jardins. L’organisation de son espace est plus composite : l’espace de loisir, qui est le véritable marqueur social, en est la finalité principale. Mais le souci économique n’est pas négligé : le petit jardin reste en prise avec une production vivrière (quelques légumes, des baies et petits fruits) qui voisine avec les fleurs dans des massifs réduits et quelque arbres fruitiers. L’allée et le banc en restent des éléments forts.

P.P RUBENS – Rubens dans son jardin avec Hélène Fourment (1631)

P.P RUBENS – Rubens dans son jardin avec Hélène Fourment (1631)

En Flandre catholique, la richesse du peintre s’illustre dans son jardin, digne d’un domaine aristocratique en particulier par la présence des paons.

P. de HOOCH : Femme au panier de haricot (1661)

P. de HOOCH : Femme au panier de haricot (1661)

H. van der BURCH – Femme avec un enfant faisant des bulles dans un jardin (vers 1660)

H. van der BURCH – Femme avec un enfant faisant des bulles dans un jardin (vers 1660)

Aux Pays Bas, calvinistes et fortement urbanisés, la modestie est de mise dans le petit jardin, qui doit pourvoir, outre aux fleurs, à la fourniture de quelques légumes.

MUTATION DU GOUT ET DIVERSIFICATION DES JARDINS.

La « Glorieuse Révolution » en Grande Bretagne mettant un terme à l’absolutisme royal modifie la perception de l’espaces et de la Nature, lieu d’expression de la liberté. Au début du 18e siècle, le jardin « à l’anglaise » prend son essor. La géométrie rigoureuse, nivellements et tracés, du jardin « à la française » fait place à une structure plus souple de l’espace où la courbe domine. Plutôt que de corriger les accidents du site, les dénivelés du terrain sont exploités et mis en valeur (belvédère, grotte, ruisseau) mais en atténuant la brutalité des contrastes naturels par des raccords en pente douce. Les allées sinuent entre prairies fleuries, lacs et bosquets dont les houppiers s’épanouissent librement. Une attention nouvelle est accordée à la diversité des espèces végétales et à la façon de les faire voisiner, en jouant sur les contrastes de port et de coloris des feuillages, pour obtenir aux détours de la déambulation des points de vue sans cesse renouvelés. Cette pluralité des points de vue offerts est dans l’art des jardins la manifestation du passage politique du pouvoir absolu du monarque, « l’œil du maitre », à une amorce de démocratie, l’acceptation de la diversité étant la grande leçon à retenir de la Nature. La violence faite jusqu’alors à la Nature, poussée à son extrême par l’art topiaire, s’atténue. Le grand jardin, qui se veut microcosme, reste une création humaine mais aimable et sensible en effaçant les outrances et les violences du macrocosme.

Le Bosquet du Théâtre d’eau dans les jardins de Versailles (anonyme, début 18e siècle)

Le Bosquet du Théâtre d’eau dans les jardins de Versailles (anonyme, début 18e siècle)

P. Wallaert – Le hameau du petit Trianon (1786-1788)

P. WallaertLe hameau du petit Trianon (1786-1788)

Même les jardins de Versailles connaissent une adoption partielle du nouveau style « à l’anglaise » avec la création du jardin du petit Trianon en 1777, où Marie Antoinette fait édifier le “hameau de la Reine” à partir de 1785. Le contraste est maximum entre le tableau précédent et celui-ci.

La découverte de nouveaux horizons climatiques du globe enrichit le répertoire botanique connu : les premiers jardins botaniques se créent à la toute fin du 16e siècle (celui de Montpellier fondé en 1593, est un des tous premiers en Europe) avec une finalité scientifique mais vus aussi comme des « cabinets de curiosités » : à Versailles la création de l’Orangerie témoigne de ce goût pour l’exotisme. Cependant les plantes y vivent en pots que l’on range à l’abri pour l’hiver. Il faut attendre le 19e siècle pour voir se développer à grande échelle les serres où les plantes sont en pleine terre, grâce à d’immenses structures métalliques supportant des verrières. Entretemps un intense travail d'acclimatation et de sélection agronomique, permet à de nouvelles espèces de s’adapter aux environnements si divers de l’Europe occidentale. Elles contribuent à la beauté et à l’intérêt du jardin.

L’essor colonial est aussi générateur d’idées nouvelles pour l’organisation du grand jardin : le rapport microcosme/macrocosme qu’exprime le jardin s’inspire de la philosophie mise en œuvre dans le jardin chinois (je reviendrai sur ce point dans un autre texte). A partir du milieu du 18e siècle, on en trouve des manifestations dans les fabriques qui viennent orner les jardins « à l’anglaise » comme la pagode du Kew Garden (1762 - ANGLETERRE), le pavillon chinois de Sans-Souci (PRUSSE), les 3 petits pavillons du jardin des margraves de Bade à Karlsruhe (ALLEMAGNE), et bien d’autres encore. Les fabriques exotiques deviennent de plus en plus fréquentes – l’insertion de “ruines” est particulièrement en vogue – et ne sont plus seulement dérivées du goût classique et de la mythologie gréco-romain.

J.H SCHÜTZ - A view in Kew Gardens of the Alhambra & Pagoda (gravure de 1798 ; British Library)

J.H SCHÜTZ - A view in Kew Gardens of the Alhambra & Pagoda (gravure de 1798 ; British Library)

Haute de 50 m la Grande Pagode est la reconstruction la plus précise d'un bâtiment chinois en Europe à cette époque. Mais avec ses 10 étages elle déroge, par la méconnaissance de sa signification religieuse, à la règle impérative d’un nombre impair d’étages. Elle était à l'origine flanquée d'un Alhambra mauresque et d'une mosquée turque, des fabriques qui faisaient fureur dans les grands jardins de l'époque mais disparues de nos jours..

J. CONSTABLE – The Quarters behind Alresford Hall (tableau, 1816 ; N.G. Victoria – AUSTRALIE)

J. CONSTABLE – The Quarters behind Alresford Hall (tableau, 1816 ; N.G. Victoria – AUSTRALIE)

Dans les jardins chinois un pavillon est très souvent disposé en porte à faux au dessus d’une pièce d’eau pour permettre la contemplation des carpes. Dans son interprétation anglaise d’Alresford Hall cette fabrique « chinoise », construite dans les années 1770, est utilisée (hérésie !) comme pavillon de pêche.

Cette nouvelle organisation du grand jardin accompagne une mutation du regard qui s’est opérée dans le domaine pictural. A la perspective optique dite « légitime » construite par une géométrie rigoureuse tracée à partir d’un point focal, mise en œuvre depuis la Renaissance, se substitue une perspective dite « atmosphérique » dans laquelle les effets de profondeur sont créés par le dégradé progressif des couleurs et l'adoucissement des contours, par des effets de brume qui noient les lointains. Léonard de Vinci en amorce la naissance avec le “sfumato” avec l’œuvre emblématique qu’est la Joconde. Claude Gellée, dit « le Lorrain », dans ses paysages en est un des maitres au « siècle de Louis XIV ». Mais c’est au 18e siècle que ce regard sensible s’impose, illustré par Watteau puis Fragonard en France, Gainsborough puis Constable et Turner au tournant du 19e siècle en Grande Bretagne, avant d’exploser à la fin du siècle dans l’impressionnisme..

T.GAINSBOROUGH – Conversation dans un parc (tableau, 1747 ; Louvre Lens – FRANCE)

T.GAINSBOROUGH – Conversation dans un parc (tableau, 1747 ; Louvre Lens – FRANCE)

Le thème de la conversation, né en France dans les années 1720 autour de Watteau, Lancret etc., est vite adopté en Angleterre, car il permet d'établir un portrait informel d'un couple ou d’un groupe de personnes dans sa spontanéité.

J.H FRAGONARD – Le jeu de la main chaude (tableau, 1775-80 : N.G.A. Washington – USA )

J.H FRAGONARD – Le jeu de la main chaude (tableau, 1775-80 : N.G.A. Washington – USA )

Peintre par excellence des « fêtes galantes », un thème en plein déclin à la date de réalisation de ce tableau, il attache de plus en plus d’importance au cadre du jardin ou du parc dans ses grands panneaux décoratifs.

L’espace restreint du petit jardin ne peut pas vraiment suivre le mouvement. Alors que le grand jardin « à l’anglaise » vise par ses vues sans cesse renouvelées à nous faire accéder au sublime, le petit jardin affirme de plus en plus la personnalité de son propriétaire jardinier : c’est un jardin selon son désir dans lequel les intervention ne sont jamais déléguées. Le plus souvent, il s’orne d’une treille ou d’une tonnelle, d’un bassin parfois et de fabriques à sa mesure, cabane à outils, modèle réduit de bâtiments, de statues, dont le nain de jardin constitue encore de nos jours un marqueur décisif. Dès 1797, dans « Hermann et Dorothée », vaste récit épique en vers, Goethe évoque un jardin magnifique que les passants admirent pour ses nains colorés…

E.VALLET – Le jardin en mai (tableau, 1907)

E.VALLET – Le jardin en mai (tableau, 1907)

Bien que très postérieure à la période étudiée, cette œuvre est la seule représentation picturale du petit jardin tel que je l’évoque ici. Signe que tout au long du 19e siècle son existence ne répond pas à une préoccupation des peintres.

A une énorme exception près : les impressionnistes (mais ce sera un autre chapitre…)

La Révolution française introduit une coupure majeure dans la conception des jardins. Par le séquestre des biens de la monarchie et de l’aristocratie, devenus « Biens Nationaux », elle invente le concept de « jardin public » accessible à tous, sans contraintes, pour ceux que conserve l’Etat, les autres étant vendus au privé en garantie des assignats – ou parfois détruits en raison de leur coût d’entretien.

Le cas des jardins de la Folie Titon au faubourg Saint Antoine, où eut lieu le premier vol de montgolfière en 1783, est emblématique de cette dernière situation. La demeure et les jardins sont totalement saccagés lors d’une émeute en avril 1789 qui amorce l’insurrection parisienne de la Révolution, 10 jours avant la réunion des Etats Généraux. Ruine squattée, tout l’espace est rasé à la fin du 19e siècle pour y édifier un ensemble de logements populaires et d'ateliers, la cité Prost. Rasée à son tour en ce début de siècle, la friche résultante, de 7 800 m2, est convertie en un ensemble d'habitations autour d’un jardin public de plus de 4000 m2, constitué d'une pelouse centrale agrémentée d’une mare et de jardins partagés, inauguré en 2007.

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Le jardin public devient alors avec le parc urbain, le lieu principal de la sociabilité citoyenne au cœur des « villes tentaculaires » qui explosent avec la première révolution industrielle dans la seconde moitié du 19e siècle.

Pour en savoir plus, il va vous falloir patienter jusqu’au prochain chapitr

ANNEXE

Un site remarquable avec une documentation élaborée pendant le premier confinement sur le thème « un jour, un jardin » :

Parmi mes sources, je vous signale en priorité mes « incontournables »:

Anne CAUQUELIN – Petit traité du jardin ordinaire [col. Manuels Payot - 2003]

Michel BARIDON – Les Jardins . Paysagistes, Jardiniers, Poètes. [col. Bouquins - 1998]

Jean Barrot