L'OMS EN CRISE AIGÜE OU CHRONIQUE? PAR VINCENT FAUVEAU
Connaissance & Partage
Par Vincent Fauveau - Médecin, enseignant en santé publique, conseiller des Nations Unies pour la santé maternelle et génésique, collectionneur d’art.
L'OMS EN CRISE AIGÜE OU CHRONIQUE?
QUELQUES RÉFLEXIONS À L'OCCASION DE LA DÉCISION DE M. TRUMP DE SUSPENDRE SA CONTRIBUTION.
Pendant trente ans j'ai travaillé aux côtés de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et pendant les quinze dernières années j'en ai été un observateur quasi quotidien. La récente décision de M. Trump de suspendre la contribution américaine à cette agence spécialisée ne m'a surpris qu'à moitié: la crise couvait déjà depuis plusieurs années, le besoin de réforme structurelle s'amplifiait, et l'anxiété de l'exécutif américain vis à vis des effets économiques et sociaux désastreux du coronavirus n'ont fait que précipiter cette décision. Mais il s'est trompé de cible!...
L'OMS a été créée en 1948 pour succéder au Bureau International d'Hygiène et joindre le nouveau système des Nations Unies qui s'organisait peu à peu à l'issue de la Deuxième Guerre Mondiale en testant le multilatéralisme positif, lequel devait succéder aux relations de pouvoir et d'agressivité qui avaient causé les deux guerres. L'objectif du système des Nations Unies était triple: --Surveiller et si possible prévenir les risques de conflits, --promouvoir le développement économique et social, et --garantir les droits humains.
Dès sa création, cependant, l'OMS s'est individualisée comme une agence technique des Nations Unies (comme la FAO et l'UNESCO) dotée d'une gouvernance propre, par opposition aux fonds et programmes comme le PNUD ou l'UNICEF qui dépendaient du Secrétaire Général.
Les deux caractéristiques essentielles qui différencient les agences techniques comme l'OMS sont 1) l'élection par les pays membres du Directeur Général (alors que les Directeurs des fonds et programmes sont nommés par le Secrétaire Général) et 2) l'éclatement de l'organisation en six régions à la gouvernance très autonome, dirigées par les tout-puissants Directeurs Régionaux. On voit immédiatement, et de nombreux observateurs ne se sont pas gênés pour le faire remarquer et demander des changements, que ces deux caractéristiques portent en elles les germes d'un dysfonctionnement profond. Et pourtant elles sont encore là!… Personne n'a eu le courage de réformer profondément l'institution.
Elles sont, entre autres, les sources de l'irritation du président américain, qui sent bien que depuis plusieurs années le contrôle de l'OMS échappe à son pays, lequel reste pourtant le bailleur le plus important (et de loin).
Le rôle primordial de l'OMS est le rôle "normatif": c'est à dire qu'elle fixe pour le monde entier le règlement sanitaire international, les normes des traitements médicaux, la validation des nouveaux médicaments, les règles de la recherche en santé, la classification des maladies, le statut des personnels de santé (c'est l'Année Internationale des Infirmières et Sages-femmes en 2020), et les protocoles de réponse aux crises et épidémies. Les états s'appuient sur ces normes pour mettre en place leurs programmes nationaux, et en contrepartie doivent faire leur déclaration des maladies transmissibles ou autres. L'OMS n'avait pas à son début de programmes d'action, si ce n'est de formation et de conseil. Petit à petit, elle s'est lancée dans des programmes de plus en plus vastes er de plus en plus coûteux, comme le programme mondial de vaccinations (en vue de l'éradication des maladies contagieuses), le programme de santé mère-enfants, le programme du Sida, les programmes de recherche vaccinales, les programmes des maladies non-transmissibles (diabète, cardio-vasculaires, cancer), etc… Ces programmes demandent de gros moyens.
Un coup d'œil sur les finances de l'organisation n'est pas inutile. Le budget est présenté pour deux ans tous les deux ans. Pour les deux années 2020 2021, le budget présenté sera voté en mai prochain à l'occasion de l'Assemblée Mondiale de la Santé (évènement annuel). Le budget demandé sera de 5,8 milliards de dollars US, ce qui est relativement modeste au regard du mandat et des besoins. Il n'augmente que peu par rapport aux années précédentes car la somme a du mal à être rassemblée par les nations et les bailleurs. Ce budget est fait pour 20% de contributions obligatoires des nations, calculé en fonction de leur population et de leur PIB, et pour 80% de contributions volontaires, offertes par les coopérations bilatérales (les états riches) et les sponsors et mécènes (par exemple la Fondation Bill et Melinda Gates, ou le Rotary). Si les contributions obligatoires peinent à couvrir les frais de fonctionnement et les salaires des fonctionnaires fixes, les contributions volontaires permettent de couvrir les programmes et les frais. Bien entendu, les plus gros contributeurs demandent en général à ce que leurs idées soient respectées, leurs ressources soient exploitées, leurs pays cibles soient privilégiés.
Petit tableau indicatif des contributeurs:
A noter que la France ne brille pas par l'ampleur de ses contributions, d'autant que son "candidat" pour la Direction Générale à l'occasion de la campagne 2017, Philippe Douste-Blazy, a été sèchement éliminé dès le premier tour.
On voit que les Etats-Unis sont les plus gros contributeurs dans les deux catégories, mais c'est seulement la contribution volontaire que le Président va suspendre. L'autre n'est pas touchable (à ce stade). Malgré l'ampleur de la somme (environ 400 millions de dollars), elle peut être relativement vite compensée par les augmentations des autres contributeurs. Ce n'est pas la mort de l'OMS. Par contre le symbole est important.
Quels sont les griefs faits par M. Trump à l'OMS? Il faut d'abord préciser que ce sont des griefs formulés par les Républicains, principaux conseillers du Président, et connus pour leur haine du multilatéralisme.
--D'abord justement le multilatéralisme. Ce n'est pas nouveau. Depuis l'accession de M.Trump à la présidence, il s'agit de la cinquième suspension de contribution à des agences onusiennes, après l'UNESCO, l'UNFPA, L'UNWRA, l'ONUDI, sans compter le retrait de traités internationaux comme la COP21, l'AIEA pour l'Iran. Il y en aura d'autres car comme beaucoup de populistes, le Président privilégie le repli sur soi-même, la concentration de ses ressources sur sa population (ses électeurs prochains), la relance de son économie. Donc pas de surprise. La Chine en contrepartie favorise le multilatéralisme à sa manière, en prenant progressivement la tête de plusieurs agences onusiennes et en se servant de ces agences pour pousser ses nouvelles Routes de la Soie. Sujet d'irritation pour son grand rival économique.
--La mauvaise gestion de l'institution. Il est bien connu que le système même d'élection du Directeur Général de l'OMS est porteur de corruption, d'achats de votes par les grands, et de pressions énormes assorties de grosses enveloppes de coopération promises aux pays qui auront cédé aux pressions. C'est ce qui s'est passé avec l'élection du Dr Tedros en 2017, premier Africain élu à ce poste, très soutenu par la Chine. Rappelons que l'OMS a été dirigée de main de maîtresse par la Chinoise Margaret Chan de 2007 à 2017, qui recevait ses ordres du gouvernement chinois. Rien de nouveau donc. Et sujet d'irritation pour les Américains.
--Retard à la déclaration de statut de pandémie pour le Covid-19: En effet il y a eu du retard, mais pas plus de 7 ou 8 jours, entre la mise à disposition de la communauté scientifique mondiale des premiers éléments inquiétants et la proclamation du statut de pandémie en janvier 2020. L'OMS réunissait tous les jours son comité de vigilance international et s'inquiétait mais manquait de données précises puisque la Chine ne les publiait pas. On n'a pas besoin de rappeler ici les atermoiements et dissimulations avant que le monde entier réalise la gravité de l'épidémie en Chine. L'OMS n'a pas vraiment failli même si elle aurait pu réagir quelques jours plus tôt. Mais M. Trump avait besoin de désigner un "fautif" et n'en a pas trouvé d'autres. D'ailleurs M. Trump lui-même dans son briefing quotidien et ses tweets multi-quotidiens avait encensé l'OMS quelques semaines plus tôt (c'est documenté).
--Inutilité de l'OMS: Argument particulièrement mal venu de la part du pays qui dispose des universités les plus prestigieuses, les chercheurs et les laboratoires les plus performants, des budgets les plus importants. Il est clair que l'OMS n'a pas été créée pour soutenir ni éduquer ni conseiller les Etats-Unis (ni la Chine d'ailleurs). Encore une cible ratée.
En conclusion, aucun des griefs faits par M. Trump à l'OMS n'est vraiment convaincant, mais la mainmise de la Chine sur l'institution et le besoin de plus en plus crucial de réformer son mode de gouvernance devraient porter à réfléchir. En tous cas c'était le plus mauvais moment, au plus aigu de la pandémie, de décrier une institution indispensable, au service des pays les plus vulnérables. Il y aura un temps pour l'analyse des faiblesses des uns et des autres, et de tout le monde d'ailleurs, mais la coopération est en ce moment la ressource la plus cruciale. On ferait mieux de renforcer les institutions internationales plutôt que de les dénigrer. Comme l'a dit le Secrétaire Général de l'ONU, Antonio Gutierrez: "Un signal d'unité et de détermination signifierait beaucoup en cette période d'anxiété généralisée".
Vincent Fauveau