CHATOUILLIS PHILOSOPHIQUE ET LITTÉRAIRE. SOPHIA ALAMI.
Connaissance & Partage
Par: SOPHIA ALAMI.
Bruno Latour (sociologue, et philosophe des sciences français, né en 1947) est porteur d’un message optimiste malgré la « rudesse » des temps qui courent et nous redonne l’énergie de l’action en tant que citoyen.nes. Lanceur d’alerte, il pointe la difficulté de la situation face à la crise mondiale actuelle, mais détricote la vision défaitiste qui mène à l’inaction et nous aide à identifier des leviers d’action.
A travers un questionnaire d’introspection, il nous invite à « imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise[1] ». Il invoque Gaïa afin que la catastrophe écologique ne s’aggrave pas. Au-delà du nom mythologique, Gaïa est pour Latour un concept bien construit qui propose un cadre pour penser sans la dichotomie nature/culture. Elle serait la cause de notre inaction (« Face à Gaïa », La Découverte 2015). Dans « Où atterrir » (La Découverte 2017), B. Latour met le doigt sur le malaise lié à aux problèmes de l’habitabilité de la terre face à la globalisation effrénée, qui ne tient pas compte des limites des ressources naturelles. « Est-ce que nous continuons à nourrir des rêves d’escapade ou est-ce que nous nous mettons en route pour chercher un territoire habitable pour nous et pour nos enfants ? » « S’il n’y a plus de planète, de terre, de sol, de territoire pour y loger le Globe de la globalisation vers lequel tous les pays prétendaient se diriger, alors plus personne n’a, comme on dit de « chez soi » assuré ». Il donne l’image du tapis qu’on nous tire sous les pieds. Il indique que les ex pays coloniaux « modernisateurs » qui avaient privé certaines populations de leurs territoires, sont en train de perdre à leur tour leur territoire. Il ajoute avec malice, et un brin de cynisme, qu’un nouveau sens émerge pour le « post-colonial » avec un nouveau lien qui se crée et qui déplace le conflit classique colonisés/ colonisateurs : « Comment avez-vous fait pour résister et survivre ? voilà ce que nous avons besoin d’apprendre de vous nous aussi » et une réponse ironique en sourdine : « Welcome to the club !». Il ajoute que la crise migratoire s’est généralisée, avec l’apparition de « migrants de l’intérieur » qui subissent en restant sur place le drame non pas de devoir quitter leur pays, mais de se voir « quittés » par leur pays !
Quelles actions possibles ? Le concept de territoire, est convoqué. Il est indissociable de celui du développement durable, car il offre l’opportunité d’intégrer les objectifs environnementaux, sociaux et économiques. Peut-il nous aider dans notre lutte contre les méfaits de la globalisation alors même que ces deux concepts sont inextricables ? Nous avons aujourd’hui des dépendances vis-à-vis du global même si on essaie de se rattacher de plus en plus au local, est-ce qu’en se rattachant à ce local, au-delà du risque de repli et de dérives sectaires, (avec par exemple la peur des migrants , et la définition d’une identité « statique » voire dangereusement et artificiellement ethnique de notre territoire), nous défendons indirectement notre planète des méfaits d’une globalisation totalement ancrée dans des logiques capitalistes et court-termistes ? Force est de constater qu’on ne peut séparer ce qui relève purement du territoire, ni nier les inter-dépendances avec l’international et le global qui prévalent aujourd’hui. Il est plus juste de considérer le territoire dans ses limites « virtuelles » et évolutives, et non dans une vision close et provinciale. B. Latour établit une distinction entre un « local-plus », ouvert sur le progrès et sur les autres cultures et un « local -moins » sur la défensive et le repli. Parallèlement, il défend l’idée qu’il existe une « mondialisation-plus » d’ouverture, de brassage culturels, et d’accueil de l’autre par opposition à la « mondialisation-moins » uniformisante, clivante et discriminante. B. Latour propose alors de revendiquer le besoin d’ « atterrissage sur un sol ». Il appelle à parler plutôt de « terrestre » que de « local », car, alors que le local dans sa conception courante est appelé à se différencier en se refermant, le Terrestre est fait pour se différencier en s’ouvrant et en cela il est novateur et contemporain. Le Terrestre est mondial en ce sens qu’il ne cadre avec aucune frontière, qu’il déborde toutes les identités.