PETROGLYPHES 3ème ETAPE : AMERIQUES
Connaissance & Partage
PETROGLYPHES 3ème ETAPE : AMERIQUES
A l’occasion de plusieurs voyages en divers pays du continent américain, jai rencontrés plusieurs sites de pétroglyphes ce qui témoigne de l’universalité de ce type d’expression des communautés humaines. Au cours de cette étape je vais vous proposer 3 haltes :
* Aux Etats Unis, dans l’Utah, pour découvrir News Paper Rock ;
* Dans les Caraïbes, en Guadeloupe, pour découvrir l’ensemble des 3 Rivières ;
* Au Pérou, à Cajamarca pour découvrir le site de Cumbemayo ;
1 – NEWSPAPER ROCK
Il s’agit d’un site très facile d’accès du parc des Canyonlands dans sa section du Needle district. C’est une partie de l’immense plateau du Colorado constitué par une accumulation de roches sédimentaires subhorizontales profondément entaillées par le canyon du Colorado. La roche dominante dans le site est un grés fin, fortement cuirassé en surface par une patine ésertique mêlant fer et manganèse. C’est cette patine qui a servi de tableau noir aux autochtones dans un abri sous roche pour y exprimer, par la technique du piquetage du vernis, leur culture et leurs pratiques, bien difficiles à déchiffrer et encore plus à dater dans l’absolu.
Dénommé aujourd’hui dans la terminologie du parc « News Paper », il était baptisé par les Navajos comme « Tse Hane » .. le rocher qui raconte une histoire.
La première datation proposée remonte au 2ème millénaire avant notre ère, attribuant les premières gravures à des chasseurs-cueilleurs nomades ayant fréquenté la région sans y avoir laissé vraiment de sites d’habitat qui permettrait de confirmer cette proposition. On peut cependant remarquer que certains dessins sont assez fortement patinés, ce qui atteste de leur ancienneté. Comme ils sont surchargés par des tracés beaucoup plus clairs, on peut conclure que ce sont les plus anciennes figures du site.
Vers la fin du 1er millénaire avant notre ère, un nouveau peuple s’installe dans la région, les Anasazis (ce terme de la langue navajo signifie “les anciens”). A partir du début de notre ère, ils se sédentarisent laissant beaucoup de traces dans la région des Needles, mais sans jamais abandonner complètement la chasse et la cueillette pratiquées par leurs ancêtres. Cette sédentarisation témoigne de l’importance croissante de l’agriculture dans leur mode de vie. Cultivant des champs proches de leurs habitations, ils récoltent le maïs, base de leur alimentation, des haricots, des courges, des calebasses et du tabac. Une partie du grain était entreposée en prévision des mauvaises récoltes dans des greniers soigneusement camouflés dans des entrées de grottes. La présence de tels greniers, atteste de leur pratique de l’agriculture
Certaines de leurs maisons, en pierres et en adobe, comparables à ceux de Mesa Verde, sont bien conservées, mais les éléments de vie quotidienne (maitrise de la céramique et du tissage) et les outils utilisés ont été en grande partie emportés par des pillards, la protection des sites archéologiques des “Natives” étant très récente. Ce site n’est classé que depuis 1976 ce qui explique les nombreux graffitis du 20e siècle qui ont endommagé le panneau.
Parmi les figures que l’on peut observer sur l’ensemble du panneau, les empreintes de pieds (à 4 ou 5 doigts) ainsi que les tracés de piste (2 tirets parallèles suivis de 2 points) doivent être dans les premiers réalisés car ils sont souvent surchargés. La faune évoquée comporte des mouflons, des cerfs, des bisons (2 styles : corps plein clair ou corps en silhouette, l’intérieur comportant simplement quelques piquetages de points sur la patine à mon avis plus récents), un écureuil volant et un probablement un lézard. Les figures humaines sont de petites dimensions, filiformes, souvent groupées : famille ? Des signes circulaires emboités ou en spirales dont certaines atteignent 75 centimètres de diamètre, évoquent, selon les notices, le mouvement du soleil ou le temps qui passe.
Un grand personnage fait penser à un chamane : le bâton qu’il tient à la main évoque les nombreux bâtons de prière en bois, retrouvés par les archéologues, qui étaient offerts aux « esprits ». Les lignes ondulées qui en émane (il y en a d’autres sur le panneau) pourrait indiquer son rôle dans la maitrise de l’eau, élément essentiel dans cet espace semi-aride. Beaucoup de suppositions qui révèlent la puissance de ces images à introduire à l’espace du rêve que fréquente le chamane …
Par contre les scènes de chasses avec des cavaliers sont faciles à dater. Le cheval ayant été introduit sur le continent par les Espagnols, qui n’arrivent dans cette région qu’au 16e siècle, ces scènes sont donc postérieures à cette période. Elles accompagnent l’arrivée, sur ce territoire, du peuple Navajo.
Déjà, depuis le 9e siècle d'autres peuples indiens, les Utes et les Paiutes s’étaient installés dans la région poussant les Anasazis, jusque là dispersés en petits villages, à se regrouper dans des cités difficiles d’accès et fortifiées (cas de Mesa Verde). Mais pour une raison inconnue, au 13e siècle, les Anasazis disparaissent, abandonnant leurs cités. On considère aujourd’hui que les Zuñis et les Hopis de l'Arizona et du Nouveau-Mexique sont leurs descendants, perpétuant certaines de leurs traditions.
Migrant depuis les plaines canadiennes, faisant parti du grand groupe de la nation Apache, les Navajos se taillent une place dans la région en attaquant Utes et Paiutes, se faisant une réputation de pillards. Car ils ne pratiquent pas alors l’agricultures. Devenus un peuple pastoral, avec une économie fondée en grande partie sur l'élevage et la chasse, ils héritent des Espagnols les chevaux, les moutons et les chèvres qui vont constituer la base de leurs ressources.
Deux silhouettes de chamanes peuvent leur être rattachées. Les personnages ont un corps épais, portant l’un des cornes de bison, l’autre des cornes de cerf, intercesseur nécessaire à pour une bonne chasse. Vu la position dans le haut du panneau et le dessin de la tête du cheval, je pense que c’est un des dessins les plus récents du panneau. Remarquons la présence insolite d’une roue (rayons et moyeux central), inconnue des “Natives” et à ma connaissance jamais utilisée par les Navajos jusqu’au 19e siècle au moins (aujourd’hui, dans leur réserve, le 4x4 leur est familier…).
De nombreux autres sites à pétroglyphes se trouvent en quantité dans l’Ouest, y compris dans la Vallée de la Mort, les Etats Unis en comptant un total de 42, reconnus et classés.
NOTE : comme les premiers chevaux capturés par les Indiens étaient le plus souvent des bêtes échappées et en état de liberté, les Indiens ont appris à les monter à cru, ce qui suppose un accord total entre l’homme et la monture pour que la charge du cavalier se distribue au mieux et sans à-coup, en l’absence d’une selle. [Merci, Lise !]
2 – LES 3 RIVIERES
S’ils les pétroglyphes sont présents dans toutes les iles des Antilles, leur inventaire est loin d’être achevé comme l’a montré en 2016 la découverte de pétroglyphes sur l’ile de Montserrat (voir mon chapitre 2 sur les volcans) qui ne semblait pas en être dotée. Pour l’heure, la Guadeloupe en offrent la plus forte concentration de tout l’arc caraïbe. Plus de 1200 gravures sont recensées sur 27 sites. La commune de Trois-Rivières en comprend cinq : l'Anse des Galets, la Vallée d'Or, l'Anse Duquery, la rivière du Petit Carbet et l'embouchure de la rivière la Coulisse. En 1975, un Parc archéologique a été créé, géré depuis la loi de décentralisation par le conseil général de la Guadeloupe. Il présente, sur un hectare, une vingtaine de roches présentant au total plus de 230 gravures et des polissoirs. Dégradé par un éboulement lié au tremblement de terre de 2004, il a été l’objet d’une importante rénovation.
La technique la plus fréquemment utilisée est la gravure par incision assez profonde (probablement amorcée par piquetage), car dans les conditions subtropicales de l’ile il n’y a pas eu formation de patine sur les roches utilisées comme support. La conséquence en est une moins bonne lisibilité : c’est en éclairage rasant que l’on peut le mieux voir les figures gravées.
A la différence de la situation des pétroglyphes de l’Amérique du nord, on dispose pour la Caraïbe d’un document fondamental qui nous éclaire sur le sens des représentations réalisées. Il s’agit de la relation du moine Ramon Pane réalisée à la demande de Colomb en 1493 sur l’ile d’Hispaniola, concernant la religion des indigènes rencontrés et du lien qu’ils entretenaient avec les grottes peintes. Ses remarques nous imposent une attention particulière au site : les roches gravées sont des œuvres « in situ » qui dialoguent avec le paysage et les éléments qui le constitue, grotte, source, végétation, etc.
Un 3e préalable est de tenir compte de la chronologie du peuplement des iles. Là encore l’ile de Monserrat peut nous fournir un pivot. Lorsque Colomb l’explore, l’ile est inhabitée. Or les trouvailles archéologiques au 20e siècle ont montré qu’elle avait été habitée auparavant. La première culture insulaire est celles des Taino dont les premiers vestiges datent d’au moins 150 av. JC. (“arawak saladoïde” pour les archéologues). Cette culture se développe jusque vers 1100 de notre ère, période où une population provenant de la cote du continent, entre les fleuves Maroni et Orénoque, les Kalina (= caraïbes) lance des incursions sur les iles et occupent, au cours des 3 siècles suivant, les iles des petites Antilles. Malgré des raids sur les grandes Antilles, ils ne parviennent pas à y prendre pied, et la culture taino s’y conserve (c’est elle que découvre Colomb). A la limite entre ces 2 espaces en conflit, entre Taino et Kalina, une forme de no mans land va s’établir, se vidant de sa population soit vers le nord soit vers le sud. Les pétroglyphes de la Guadeloupe sont rattachés à la culture taino et datée, à partir d’un tesson de poterie proche du site central, du 4e ou 5e siècles de notre ère.
La majeure partie d’entre eux sont anthropomorphe. Mais l’expression peut en être extrêmement schématique : une paire d’yeux, cerclés ou non
Sur un autre rocher on retrouve ces yeux sur certaines gravures mais aussi la représentation plus complète des visages. Les yeux et la bouche sont toujours indiqués par des cupules bien creusées. Sur ce rocher on peut aussi repérer des figures un peu plus complexes, comportant une ébauche de corps. Il ne s’agit pas de "bébé emmailloté" comme cela avait été suggéré parfois, mais bien du corps d’un défunt enveloppé dans un linceul hamac. Sur la tête d’un personnage on remarque une coiffe probablement de plumes indiquant un statut élevé dans la
société. Symboliquement, il s’agit ici d’honorer des ancêtres dont on cherche à se concilier la bienveillance. Une autre gravure avance dans la représentation plus réaliste du visage : le visage est rond, les yeux sont cerclés (selon certains archéologues, corrélant cette figuration avec des poteries, il s’agirait d’évoquer le crane d’un défunt, aux orbites creuses cernées par un gros bourrelet circulaire) la bouche et le nez sont placés et les oreilles sont représentées. Mais le corps emmailloté indique bien qu’il s’agit là encore d’un fardeau funéraire.
Sur cet autre rocher, la partie supérieure comporte une tête bien dessinée accompagnée de visages schématiques. En dessous, l’axe central est occupé par un grand personnages souriant doté d’une coiffe de plumes incurvées. A gauche et à droite figurent aussi des personnages coiffés. Celui de gauche (j’ai éliminé celui de droite peu visible su mon cliché en raison de l’ombre) présente un corps d’un dessin complexe : le centre du corps est un carré dans lequel s’inscrit une croix diagonale qui se prolonge aux extrémités basses par une volute. Dans le document pédagogique du parc il est indiqué comme étant un cacique (?). Mais si la description du rocher est bien menée (on apprend en outre que la partie supérieure du rocher voisin a été emporté aux Etats Unis en 1901 et se trouve désormais au Musée d’histoire naturelle de New-York), aucune explication n’est proposée. La proximité́ entre deux gravures n’implique pas qu’il existe une relation de sens entre elles, car elles ont pu être exécutées à des époques différentes. Mais ici la parenté de style et l’organisation du panneau plaide plutôt pour une réalisation en un seul épisode. Alors je me lance : le grand ancêtre central serait en connexion avec le cacique, source d’inspiration pour conduire la communauté des vivants.
Une autre figure m’a intriguée : il ne s’agit vraisemblablement pas d’un visage car les “yeux” et la “bouche” ne sont pas creusés et le long appendice qui surmonte la figure ne semble pas évoquer une coiffe. Ce pétroglyphe m’a fait pense aux « idoles violons » qui sont parmi les plus archaïques de l’archipel des Cyclades en Méditerranée (3ème millénaire avant notre ère). Ces idoles sont en fait la représentation totalement épurée d’un corps féminin.
Rassurez vous : je ne vais pas vous proposer la découverte de l’Amérique par les Egéens en ces temps reculés. Mais j’y vois une convergence de représentation (fait que j’ai pu constater entre diverses civilisations sur la planète) du corps humain qui est le même quel que soit le continent. Si je retiens cette hypothèse, le long appendice serait un cou, le premier élargissement arrondi avec les 2 cercles un buste avec des seins et après l’étrécissement d’une taille, le nouvel arrondi et son cercle serait un bassin et un nombril ? ou un sexe ? Cette figuration aurait donc à voir avec la maternité et avec la continuation de la vie pour le groupe concerné.
Un autre rocher, près d’une source présente une figure plus explicite de la continuité des générations.
Ce rocher est le plus souvent à moitié immergé. Mais en très basses eaux la scène se dévoile dans sa totalité : il s’agit d’un accouchement. La femme bras levé, buste évoqué par le carré à mi-corps, jambes pliées et relevées, expulse de son sexe un bébé (le visage est renversé par rapport à celui de la mère). Le rapport à la source semble à priori évident, la naissance s’annonçant par la perte des eaux. Je vais revenir sur la signification symbolique de ceci. Mais il faut encore préciser qu’un rocher toujours hors d’eau porte la gravure d’un corps masculin.
J’ai pu voir ce type de représentation d’un accouchement en Colombie, sur le site archéologique de San Agustin : une immense dalle gravée – près de 4 m de haut - comporte dans sa partie basse (coloration ocre due à l’oxyde de fer) la représentation de la parturiente tête renversée ; dans la moitié haute l’accoucheur a récupéré le bébé qu’il tient tête en bas. Sa bouche muni de crocs pourrait faire penser qu’il va dévorer le nouveau né. Mais il s’agit en fait d’un chamane ou d’un dieu jaguar protecteur accueillant le nouveau né dans le monde des vivants.
L’interprétation de toutes ces figures renvoient aux mythes qui structurent la pensée des Tainos dans leur rapport au monde. Les hommes y sont associés aux chauve-souris et les femmes aux grenouilles (notez dans la scène d’accouchement les jambes repliées en “grenouille”). Le monde de la femme est l’humide, l’intériorité, le calme de la grotte. Celui des hommes est le sec, l’extérieur, l’agitation des éléments au grand air. Cette dichotomie se retrouve dans les pratiques : la poterie et sa décoration symétrique et méticuleuse est le champ de la femme ; la gravure de la pierre, aléatoire, supposant l’affrontement avec une matière qui résiste dans la percussion puis l’incision, est le champ des hommes. Les pétroglyphes sont donc l’expression symbolique du macrocosme mais en cherchant à en éviter les excès. Leur positionnement est point de rencontre des contraires : à proximité des points d’eau, ou aux marges de deux mondes la forêt humide et la plage sèche, la montagne phallique et riche en grottes et la mer vaste étendue stérile où naissent les cyclones révèlent le souci premier de ces populations entre le pas assez et le trop d’eau. Le pas assez, c’est la sècheresse, c’est la disparition des vivres et du gibier, c’est la famine et le triomphe de la mort. Mais le trop, c’est le cyclone, des pluies ravageuses, l’inondation destructrice et la menace toujours présente d’un déluge anéantissant les iles.
Les pétroglyphes ont donc pour fonction de faire appel à l’intercession des ancêtres pour protéger la communauté des excès du macrocosme.
Me reste une interrogation : les mythes tainos ont été enregistrés à Hispaniola, qui comme l’ensemble des Grandes Antilles est sismique mais non volcanique. Par contre les Petites Antilles sont toutes nées du volcanisme. Or je n’ai rien trouvé concernant l’expression de l’intense activité de ce “macrocosme” dans les mythes ou les pétroglyphes. Et si la représentation de l’arc-en-ciel (pétroglyphe de Yanbou sur l’ile de St Vincent) était plutôt à associer à une éruption ? Car j’ai retrouvé un glyphe très similaire en Colombie (site de Chaquira, en face de l’extrémité d’une vaste coulée pyroclastique qui est franchie en cascade par le fleuve Magdalena, à proximité de son origine). Rien dans la définition de l’arc-en-ciel dans le mythe n’interdit cette assimilation : « un grand serpent qui porte toutes les couleurs du monde sur sa peau » qui « vu à terre, c’est un chemeen maléfique qui cherche à tuer quelqu’un où à le rendre malade » (Henry Petitjean Roget)
POUR CEUX QUI VOUDRAIENT EN SAVOIR PLUS : Une excellente entrée en matière téléchargeable en pdf : Henry PETITJEAN ROGET - Contribution à l’étude de l'art rupestre des Antilles. Vers une tentative d'identification des représentations gravées Pour les plus ambitieux : Henry PETITJEAN ROGET - Archéologie des Petites Antilles
3 – CUMBE MAYO
Le dernier site que je veux vous présenter est situé au Pérou, à environ 20 km de la ville de Cajamarca.
La ville est célèbre car elle est le lieu de la capture de l’Inca Atahualpa par Pizarre au terme d’une embuscade qui extermine plusieurs milliers d’Indiens formant l’escorte de l’Inca (nov. 1532) Malgré le paiement d’une énorme rançon (plus de 12 tonnes d’or et d’argent !) et d’une conversion au christianisme imposé par la violence, Atahualpa est exécuté en août 1533.
Combe Mayo se trouve sur un haut plateau, à environ 3500 mètres d'altitude, dans un environnement isolé où pousse seulement une végétation basse, principalement formée d'ichus (une graminée typique des hauts plateaux andins). Le site s’inscrit dans un massif rocheux résultant du démantèlement d’un ancien volcan ce qui a créé une forêt de chicots de plusieurs dizaines de mètres de haut, les “Frailones” (“les grands moines”). Sa datation estimée – autour de 1000 av.JC – précède donc de plus de 2 millénaires l’instauration de l’empire Inca. L’élément le plus ancien du site est un canal aqueduc long de 9 kilomètres, de 35 à 50 cm de large et de 30 à 65 cm de profondeur avec des parois parfaitement planes. Il capte l'eau de la montagne pour alimenter la vallée de Cajamarca qui ne semble pourtant pas en manquer. Les archéologues pensent que la construction de cet aqueduc a plus un rôle religieux que pratique. La maitrise de l’ouvrage est impressionnante : souvent taillé directement dans la roche en place en utilisant des pierres plus dures que la roche présente sur le site, il est par endroit construit et franchit un vallon sur un pont canal. La pente n’est que de 2 mm par mètre en moyenne et de loin en loin, le chenal franchit un système de chicanes en zig-zag qui sert à ralentir la vitesse d’écoulement de l’eau pour limiter l’érosion des parois du canal. Le captage permet de faire passer de l’eau qui aurait dû s’écouler vers le Pacifique sur le versant qui fait partie du bassin atlantique.
La signification religieuse de l’aqueduc s’exprime par des rochers taillés avec des formes particulières. Près du captage, un cylindre massif est considéré comme un autel de sacrifices réalisés pour assurer la pérennité de la source. Plus en aval, c’est un rocher taillé en forme de siège, à l’endroit où un ruisseau rejoint le canal, qui est peut-être un lieu de contrôle des écoulement où un lieu d’énonciation d’oracles à partir des débits respectifs constatés. On remarque que le “dossier” comporte un certain nombre de pétroglyphes.
Ceux-ci sont présents tout au long du canal, le plus souvent très dégradés. Les chicanes semblent un site privilégié de gravure mais sans exclusive. Même sur les endroits où ils sont les mieux conservés, il est impossible d’y repérer des signes qui pourraient permettre des identifications. Mais on peut aisément repérer 2 styles de gravures : les plus érodées sont constituées des signes divers qui ne semblent pas organisés sur le panneau. Sur d’autres, les incisions sont moins altérées et dessinent un véritable entrelacs qui surcharge des gravures moins profondes du premier style. Il y a là un indice de datation relative pour l’utilisation du site. Mais impossible, pour le visiteur que je suis, d’y discerner une ou des figures identifiables.
Mais le lieu le plus important du site est l’endroit baptisé El Santuaro. Il est en général considéré par les archéologues comme plus récent que l’aqueduc, d’environ ½ millénaire. L’âge retenu se situe autour de 600 av. JC, correspondant à l’apogée de la culture Chavin, considérée comme la matrice de toutes les cultures andines postérieures (équivalent de la culture Olmèque pour l’espace méso-américain)
Un des rochers, entaillé dans du matériel volcanique (probablement déposé dans une coulée pyroclastique) évoque le profil d’un visage humain. A l’emplacement de la “bouche”, un bassin circulaire de 3 m de diamètre a été excavé, venant renforcer l’illusion d’un profil humain. Les parois et le fond plat de ce bassin sont abondamment pourvus de pétroglyphes dont la gravure profonde les rattache au style de la seconde période rencontrée au long du canal. Mais ils sont tout aussi énigmatiques. En tous cas, cela n’a aucun rapport avec des glyphes d’écriture . A la différence des civilisations de l’espace mexicain – au sens très large – des Mayas aux Aztèques, l’Amérique du sud, même lors de l’empire Inca, n’a jamais connu d’écriture gravée ou tracé sur un support plan.
Dans cet empire la communication se faisait par des « quipus » un ingénieux système de communication faisant appel à des dispositifs mnémoniques. Sur un cordon principal, de nombreuses cordelettes pendantes de différentes couleurs comportent toute une série de nœuds, aux formes différentes, assurant le stockage de l’information. Seule une élite, les “quipukamayuq” ("maitres du quipu") était capables d’interpréter ces ligatures, qu’ils égrainaient entre leurs doigts à la façon d’un chapelet. Les quelques transcriptions effectuées par des moines au milieu du 16e siècle ont été systématiquement détruites par les conquistadors qui craignaient la diffusion par ce biais de messages incitant à la révolte.
En guise de conclusion provisoire, je retiendrai que « les glyphes n’étant pas un langage normé et codifié sémantiquement comme visuellement, leurs interprétations et lectures doivent se faire en tenant compte de élément du contexte pétroglyphique, environnemental et culturel » de chaque lieu.
Pour ceux, hispanisant, qui voudrait en savoir plus sur Cumbemayo, peuvent télécharger au format pdf la brochure
https://jaimedezar.files.wordpress.com/2016/10/cumbemayo.pdf
Mais sans surprise : « Querer interpretar su lectura hoy no es posible »
Jean BARROT