Association CONNAISSANCE & PARTAGE

10 rue des pensées
34170 Castelnau le lez
Italia

T 06 29 16 36 12
E connaissanceetpartage@gmail.com

Moulin Navitau, 3 chemin des Hirondelles
Castelnau-le-Lez, Languedoc-Roussillon, 34170
France

Connaissance & Partage a pour objet d’organiser des journées, des soirées et des stages thématiques avec les méthodes pédagogiques fondées sur les valeurs de l’éducation populaire.
L'association favorise la rencontre avec des professionnels, des spécialistes, des passionnés, sur la base du partage des connaissances.

Les feuilles d'inscription et de don sont à remplir et à renvoyer à l'adresse du siège social de Connaissance & partage

Adhesion

Feuilles d'inscription en téléchargement ICI

devenez membre bienfaiteur

Faites un don pour aider Connaissance & Partage
Feuille de don en téléchargement ICI

Connaissance & Partage

Moulin Navitau, 3 chemin des Hirondelles
Castelnau-le-Lez, Languedoc-Roussillon, 34170
France

 50 ANS APRÈS LE COUP D’ETAT DE PINOCHET ET L’ASSASSINAT D’ALLENDE AU CHILI : LE CONTEXTE GEOPOLITIQUE ET L’OPERATION CONDOR

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

50 ANS APRÈS LE COUP D’ETAT DE PINOCHET ET L’ASSASSINAT D’ALLENDE AU CHILI : LE CONTEXTE GEOPOLITIQUE ET L’OPERATION CONDOR

Connaissance & Partage

50 ANS APRÈS LE COUP D’ETAT DE PINOCHET ET L’ASSASSINAT D’ALLENDE AU CHILI :

LE CONTEXTE GEOPOLITIQUE ET L’OPERATION CONDOR

« Je ne vois pas pourquoi nous devons rester les bras croisés et regarder un pays devenir communiste en raison de l'irresponsabilité de son propre peuple » (Kissinger, conseiller à la sécurité nationale de Nixon, – 4 septembre 1970)

 L'opération Condor s'inscrit dans le contexte de la Guerre froide et de la sale guerre menée par les régimes militaires avec l'appui des services secrets et du gouvernement des Etats-Unis. Elle fait partie d'une campagne mutualisée de répression qui fait environ 50 000 tués et 35 000 disparus entre 1975 et 1983. Ses dessous ont été révélés en 1992, avec la découverte de ses archives secrètes au Paraguay – plus de 4 tonnes de documents ! – confirmées par la déclassification partielles d’archives US.

La fin de la domination coloniale ibérique en Amérique latine incite les Etats-Unis à considérer cet espace comme leur « pré carré » ce qui est formalisé par la doctrine Monroe en 1823, que l’on résume le plus souvent dans la formule « L’Amérique (du sud) aux Américains (du nord) ». La défaite de l’Espagne à Cuba face aux Etats-Unis constitue une étape décisive dans l’application de la doctrine comme structure de la politique étrangère du pays avec une attention particulière portée à l’espace caraïbe. Pour protéger leurs intérêts économiques, le recours à des représailles militaires est considéré comme légitime. Amplement utilisée avant la 2e guerre mondiale, cette politique du « Big stick » connait une expansion formidable avec le développement de la Guerre Froide. Les Etats-Unis mettent alors en place l’Ecole des Amériques, installée au Panama dans la zone du canal sous tutelle US, pour assurer la formation de militaires latino-américains en leur inculquant une idéologie anti-communiste et en les formants aux techniques de contre-insurrection. Sur ce plan, les stages strictement professionnels ou technologiques ont convergé avec l'apprentissage idéologique contre-révolutionnaire. Et selon l’historien A.Rouquié, l'effet le plus important de l'assistance militaire des États-Unis fut de « renforcer la confiance institutionnelle des officiers et d’accroître la conscience de leurs capacités techniques et organisationnelles supérieures à celles des civils ».

Si la visée officielle est de coordonner une défense commune contre l’extérieur, dès 1954 la CIA intervient au Guatemala pour renverser le régime d’Arbenz dont la réforme agraire engagée menace les intérêts de la United Fruit, compagnie bananière US où les frères Dulles ont d’importants intérêts (actuellement marque « Chiquita », devenu société brésilienne en 2014).

Fresque de Diego Rivera « Une glorieuse victoire » 1954 (tempera sur toile 260 × 450 cm ; musée Pouchkine Moscou) Au centre sur la bombe Eisenhower qui a donné le feu vert à l’opération ; debout au centre Foster Dulles dirigeant la CIA et lui serrant la main, Armas le meneur du coup d’état

Le scénario se répète lorsque Castro pour sa réforme agraire autorise la redistribution des plantations sucrière de la United Fruit sur l’ile. Là encore la CIA intervient en organisant le débarquement d'anticastristes dans la baie des Cochons en 1961. L’échec est total. Hantés par l’idée de l’installation d’un régime communiste à leur porte en 1962, les Etats-Unis vont tout faire pour en limiter l’influence en intervenant soit ouvertement soit en sous-main pour éliminer les gouvernements qui semblent simplement favorables à plus de justice sociale et/ou d’indépendance dans l’arène internationale. Dès lors, la sécurité intérieure et la lutte antisubversive se substituent à la politique commune de défense contre une agression extérieure. La première victime en est J. Goulart au Brésil (1964). En poste à Brasilia, l'ambassadeur L. Gordon reconnaissait alors que l'assistance militaire avait été « un élément important pour influencer dans un sens pro-US les militaires brésiliens ». Cet interventionnisme US passe désormais massivement par les services de la CIA. Washington assure le soutien financier des forces les plus réactionnaires du pays et envoie de nombreux officiers comme conseillers auprès des forces armées du pays pour organiser la lutte antirévolutionnaire et la répression politique.

C’est dans ce contexte que l’élection d’Allende en 1970 alarme les Etats-Unis par les réformes qu’il préconise et que la CIA s’engage ouvertement dans les affaires chiliennes. Une première tentative de coup d'Etat est organisée en octobre 1970. Mené par le général Viaux (avec la bénédiction de Kissinger et le soutien logistique de la CIA - cf. The Pinochet file : a declassified dossier on atrocity and accountability, 2003) le complot militaire appuyé par l'extrême-droite, débouche sur l’assassinat du général René Schneider, qui réaffirmait avec force la neutralité politique de l'armée et son légalisme. Mais au sein de l’armée chilienne les officiers passés par l’Ecole des Amériques sont fortement anti-communistes et par extension antidémocrates. Schneider est remplacé par Prats qui poursuit sa doctrine : les forces armées doivent rester loyalistes. La tension sociale devenant de plus en plus exacerbée, le spectre d’un coup d’Etat se renforce : une tentative en juin 1973 échoue, mais en septembre Prats qui entend rester légaliste est remplacé à la tête des armées par Pinochet. Car au cours de l’été 1973, dans une altercation lors d’un incident de circulation, Prats, qui subit depuis des mois insultes et menaces dès qu’il est en public, sort de sa voiture et tire sur le véhicule qui bloque son passage. L’affaire est gonflée par toute la presse de droite, et sous la pression du corps de généraux, Prats est poussé à la démission. Allende nomme Pinochet, l’adjoint de Prats, à sa place, pensant garder un lien fort entre l’armée et son gouvernement, alors que Pinochet ne cache pas son hostilité au mouvement civique et social qui se développe.

Exploitant les possibilités qu’offre son poste, il organise et réussit le coup d’Etat militaire le 11 septembre 1973. Allende est tué le jour même et une répression terrible s'abat de façon systématique sur les membres et les sympathisants des partis et syndicats de gauche qui avaient participé à l'Union Populaire ou l'avaient soutenue ainsi que sur les militaires restés légalistes avec la « caravane de la mort » menée par le général Stark dans les camps militaires.

Pour conserver un contrôle politique et social de l'Amérique latine les droites des pays les plus menacés de contagion révolutionnaire vont s’organiser avec la bénédiction et le soutien technique des Etats-Unis. L'opération Condor voit le jour dans la foulée du coup d'État de 1973 au Chili. Dès mars 1974, à l’initiative de la DINA (Dirección de inteligencia nacional), des représentants des polices de la Bolivie, de l’Argentine et de l’Uruguay se rencontrent afin de collaborer à la destruction des foyers subversifs. La première opération conjointe se déroule en septembre en Argentine : un agent américain de la DINA, avec l'aide de la police argentine, organise l'assassinat à Buenos Aires du général chilien en exil Carlos Prats et de son épouse, considéré comme une menace par Pinochet.

En novembre 1975, les services secrets de six régimes nés de coup d’Etat d’extrême-droite (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Paraguay, Uruguay) lancent l'opération Condor. Contacté par la DINA, le Venezuela refuse de s’y associer, tandis qu’en 1978, l’Equateur et le Pérou se joignent à la coalition. L’argument initial est que l’extrême-gauche s’organisant en « Internationale », en « Tricontinentale », les forces de l’ordre capitaliste et conservateur doivent en faire autant. L’architecture de cette transnationale terroriste est pensée en s’inspirant de l’Interpol (Organisation Internationale de la Police Criminelle), dont le centre est basé en France. Elle permet de centraliser les informations et de s’échanger des services entre les différentes polices politiques, dont l’envoi d’un pays à un autre de prisonniers ou « l’interrogatoire » de prisonniers directement dans le pays où ils sont détenus. Le programme comporte 3 chapitres : coopération pour la surveillance de personnes considérées comme dangereuses avec création d'une base de données commune et échange systématique d'informations ; organisation d’opérations transfrontalières pour enlever, interroger et faire disparaître les adversaires ; création d'équipes spéciales, organisées en mode commando, pour assassinats ciblés sur n’importe quel territoire des pays partenaires de l’opération Condor ou même hors d’Amérique latine. Le cas le plus célèbre est l’assassinat de l’ancien ministre des Relations extérieures du président chilien Salvador Allende, Orlando Letelier, à Washington le 21 septembre 1976.

La CIA apporte des financements et surtout son expertise technique dans la formation des systèmes d’information qui sont à la base des fichiers constitués. Kissinger au sommet de l’OEA à Santiago en juin 1976 fait un discours public sans concessions au sujet des droits de l'homme. Mais en privé, il a prévenu Pinochet, que ce discours répond à des raisons de politique intérieure US, mais que le soutien de la Maison Blanche vis-à-vis de Santiago est total. Le contenu de cette conversation a été déclassifié en 1998 par le gouvernement américain. Dès lors, dans ces pays, les militants de gauche les syndicalistes, les étudiants et les intellectuels ainsi que de simples citoyens qui s’obstinent à réclamer ce respect des droits de l’homme, deviennent suspects et des cibles de la répression. Ils sont arrêtés, interrogés, torturés et souvent éliminés. Les corps des victimes sont brulés ou jetés à la mer, parfois vivants, dans ce que l’on va baptiser après coup de « vols de la mort ».

Cette montée de la terreur d’Etat dans le Cône Sud laisse la région parsemée d’exilés et de réfugiés politiques : environ 4 millions de personnes doivent fuir leur pays d’origine et chercher refuge dans les pays voisins ou plus loin encore, lorsque de nouveau, leur pays d’accueil tombe sous les coups des militaires (c’est par exemple le cas des nombreux exilés chiliens qui après avoir fui en Argentine fin 1973, se trouvent de nouveau menacés par le coup d’Etat dans le pays en 1976). Globalement, si l’on utilise les estimations les plus basses, la terreur d’Etat dans le Cône Sud est au moins responsable de 50.000 assassinats, de plus de 35.000 disparus et de 400.000 emprisonnés. Avec, selon certaines sources, la disparition d’environ 8.000 enfants redistribués à des couples, soutiens du régime dans le pays ou des pays partenaires. Le sous-continent passe d’une phase de forte mobilisation et politisation sociale, de montée en puissance de partis et organisations révolutionnaires, avec le surgissements de gouvernements populistes de gauche ou progressistes appelant à une rupture avec l’impérialisme tout au long des années soixante, à un reflux généralisé du mouvement ouvrier, à une ère de violence politique étatisée, la destruction massive de tous les espaces d’expression et de participation démocratiques, l’écrasement physique et idéologique sans relâche des militants syndicaux et des mouvements révolutionnaires, conduisant à la mise en place de modèles économiques capitalistes dirigistes puis/ou néolibéraux à partir de 1973 et le coup d’Etat de Pinochet.

Manifestations au Chili et en Argentine pour connaitre le sort des disparus

Derrière les discours stigmatisant les dictatures, « le point fondamental est la constatation que la mise en place des dictatures en Amérique Latine répond et s’oppose fondamentalement à une phase de radicalisation de la lutte sociale, à une politisation accélérée des classes populaires vers des positions anticapitalistes (importance de la référence au socialisme et à la révolution cubaine) et, de ce fait, à la déstabilisation directe des intérêts du grand capital et de ses agents locaux dans cette partie du monde. Partant de là, la figure « terroriste » est peu à peu assimilée ou confondue par les différentes dictatures avec toute personne ayant eu un lien avec des organisations sociales et politiques, parfois travaillant seulement dans des quartiers populaires ou opposées à l’installation d’un régime dictatorial » (F. Gaudichaud – Université Grenoble 3)

A partir des archives récupérées au Paraguay, on sait que la dernière opération enregistrée est l'enlèvement de militants argentins du mouvement Montoneros – mais déjà largement décimé - au Pérou. Car l’ambiance dans le cône sud change : la défaite de l’Argentine dans la guerre des Malouines (1982) entraine la chute de la dictature militaire ; au Brésil un puissant courant populaire en 1984 entraine le retrait des militaires et l’instauration en 1985 d’un pouvoir civil. Et depuis l’assassinat de Letelier aux USA le journalisme d’investigation commence à éclairer une partie des agissements coopératifs des services secrets des dictatures. Mais surtout la préoccupation principale des USA avec l’élection de Nixon change. La course aux armements stratégiques (guerre des étoiles) et son financement doit avoir pour se légitimer une menace crédible : « l’Empire du Mal » soviétique.

Ceci dit ce type d’opération n’a jamais cessé. Initié en Asie du Sud-Est par la CIA, dirigée localement par William Colby, l’opération Phoenix, menée par des bandes paramilitaires et terroristes, est responsables de plusieurs milliers d’assassinats et assure le renversement de Soekarno en Indonésie. C’est ce même William Colby qui devient directeur de la CIA au moment où est mise en place « l’Opération Condor », et qui très tranquillement déclare le 25 octobre 1974 que les « Etats-Unis ont le droit d’agir illégalement dans n’importe quelle région du monde ». Et qui l’ont largement prouvé depuis…

Dans toute l’Amérique du Sud des enquêtes ont lieu, des procès se tiennent, des condamnations sont prononcées. Des auto-amnistie aussi. Et l’héritage est lourd à porter : en témoigne les difficultés de la réforme constitutionnelle au Chili…

Uruguay : intervention de l’équipe de foot de Montevideo avant son match de 1ere division – juin 2021. La veille, le responsable de l'opération Condor en Uruguay est mort tranquillement à l'hôpital militaire à 82 ans en ayant gardé un silence total sur les disparus.

Mais le cauchemar n’est-il plus qu’un sujet d’histoire ? A l’heure de la toute-puissance des réseaux, je n’en jurerai pas…

Jean Barrot

Septembre 2023

 POUR EN SAVOIR PLUS :

GEORGE WASHINTON UNIVERSITY,: “Allende wins” (en anglais ; déclassifié et publié en septembre 2020) ; en ligne sur National Security Archive

Marie-Monique ROBIN : « Escadrons de la mort, l'école française » (La Découverte – 2004) Franck GAUDICHAUD : « L’ombre du Condor» ; en ligne sur journals.openedition.org/amnis/473; DOI Amnis 

Benjamin OFFROY : « Les services de sécurité paraguayens dans le système Condor, 1974-1982 » ;  en ligne sur cairn.info/ Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin 2008/1