Association CONNAISSANCE & PARTAGE

10 rue des pensées
34170 Castelnau le lez
Italia

T 06 29 16 36 12
E connaissanceetpartage@gmail.com

Moulin Navitau, 3 chemin des Hirondelles
Castelnau-le-Lez, Languedoc-Roussillon, 34170
France

Connaissance & Partage a pour objet d’organiser des journées, des soirées et des stages thématiques avec les méthodes pédagogiques fondées sur les valeurs de l’éducation populaire.
L'association favorise la rencontre avec des professionnels, des spécialistes, des passionnés, sur la base du partage des connaissances.

Les feuilles d'inscription et de don sont à remplir et à renvoyer à l'adresse du siège social de Connaissance & partage

Adhesion

Feuilles d'inscription en téléchargement ICI

devenez membre bienfaiteur

Faites un don pour aider Connaissance & Partage
Feuille de don en téléchargement ICI

Connaissance & Partage

Moulin Navitau, 3 chemin des Hirondelles
Castelnau-le-Lez, Languedoc-Roussillon, 34170
France

TERRE PLANETE BLEUE : L’APOCALYPSE SELON NAURU ?

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

TERRE PLANETE BLEUE : L’APOCALYPSE SELON NAURU ?

Connaissance & Partage

TERRE PLANETE BLEUE : L’APOCALYPSE SELON NAURU ?

I - LA TERRE PLANETE BLEUE

1 - Plus 70% de la surface de la Terre est recouverte par un océan mondial, subdivisé en 5 océans — Pacifique, Atlantique, Arctique, Austral, Indien — et par plusieurs dizaines de mers. D’une profondeur moyenne de 3.700 mètres, l’océan mondial abrite la majorité des espèces vivantes sur Terre (50 à 80 % selon les estimations), génère plus de 60 % des services écosystémiques qui nous permettent de vivre, à commencer par la production de la majeure partie de l'oxygène que nous respirons. Il joue un rôle majeur dans la température terrestre, régulant à plus de 80 % le climat de la Terre. Sa protection est donc un enjeu fondamental pour la biosphère.

Mais paradoxalement ce n’est qu’au 21e siècle qu’a émergé cette question de protection. Car, juridiquement, il n’appartient à personne. Formellement c’est au 17e siècle avec Grotius qu’est énoncé cette liberté de circulation et d’exploitation des mers au-delà d’une zone de 3 milles – à l’époque portée des canons les plus performants – considérées comme des eaux territoriales. Aujourd’hui cette juridiction s’est enrichie : la limite des eaux territoriales a été portée à 12 milles et la zone économique exclusive (ZEE) s’étend jusqu’à 200 milles. Pour des pays voisins, c’est la ligne médiatrice par rapport au rivage qui détermine les parts respectives de chacun des pays. Ce sont dans la plupart des cas des eaux surmontant un plateau continental : à 200 mètres sous la surface la lumière du soleil disparaît, la vie se réduit et débute alors l’« océan profond ».

Il y a 1 siècle et demi les scientifiques excluaient que la vie marine soit possible à plus de 500 mètres de profondeur. Mais depuis ½ siècle, au fil des plongées profondes, chaque exploration apporte de nouvelles preuves de l’extraordinaire diversité du vivant dans l’océan profond et de la capacité des espèces à vivre dans des conditions exceptionnelles (pression, température, anoxie) : on estime désormais qu’il héberge entre 500.000 et 10 millions d'espèces. Ce rapport de 1 à 20 est cependant révélateur de l’incertitude de nos connaissance… Ce qui est cependant établi est que les écosystèmes des grands fonds jouent un rôle majeur dans le stockage durable du carbone – ils absorbent environ 30 % des émissions de CO2 générées par l'humanité – grâce au phytoplancton. Les micro-organismes y servent aussi de filtre au méthane formé par cette matière fossilisée. En utilisant comme énergie le méthane, ils transforment ce gaz à effet de serre plus puissant que le CO2 en minéraux l’empêchant ainsi de remonter à la surface.

La vie sur un « fumeur noir » (T° > 350°C ; PH < 2 ; fortes concentrations en gaz dissous : hydrogène sulfuré, méthane, gaz carbonique, pas d’oxygène)

2 - La prise de conscience de ce rôle vital de l’océan profond s’est renforcée avec les effets du changement climatique : la multiplication des émissions de CO2 liée aux activités humaines le rend à la fois plus chaud et plus acide. Des eaux de surface plus chaudes se mélangent moins bien avec les eaux profondes et réduisent l’alimentation en oxygène des profondeurs. L’augmentation de température dilatant le volume de l’océan provoque la montée de son niveau, renforcée par les apports d’eau de fusion des calottes glaciaires. Le niveau de la mer a davantage augmenté depuis 1900 qu’au cours des trois millénaires antérieurs. L’équilibre biologique en est menacé.  L’augmentation de la température de l’eau, même d’un dixième de degré tous les 10 ans dans certaines régions polaires, permet à certains crabes prédateurs d’étendre leur territoire et de décimer des espèces protégées jusqu’alors par des eaux très froides. L’émission plus intense de CO2 depuis le début de l’ère industrielle provoque son acidification et freine à terme sa capacité d’absorption. En seulement 250 ans, il est devenu 30% plus acide, ce qui fait craindre une dégradation de l’état des récifs coralliens profonds, dont dépendent de nombreuses espèces de poissons et de crustacés.

Les menaces humaines directes sont devenues majeures - surpêche, pollution, destruction d’écosystème – et ne peuvent plus être ignorées.

3 - Toutes ces menaces ont poussée l’ONU à amorcer en 2004 une réflexion pour aboutir à un accord international de protection dit « Traité sur la haute mer ». Elle s’est appuyée sur la création dès 1994 sous l’égide de l’ONU, une Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM ; acronyme anglais ISA) dont la convention proclame la zone des grands fonds marins – hors des eaux nationales – comme « patrimoine commun de l'humanité » pour les ressources qui s’y trouvent. L'Autorité a pour finalités principales de limiter le risque de conflits dans l’exploitation de ces ressources, d’éviter de surexploiter celles-ci, considérées comme biens à léguer aux générations futures, et de contrôler l’impact environnemental des tentatives d'exploitation à grande profondeur, sujet qui préoccupe les biologistes.

Car pour les espèces résidentes, à croissante toujours très lente, toute perturbation d’un milieu particulièrement stable sur la durée leur laisse peu de chance d’adaptation voir de survie. Les biologistes craignent particulièrement que les sédiments fins mis en suspension par l’extraction des nodules polymétalliques et peut-être aussi des toxines rejetées par cette exploitation minière empêchent certains d'entre eux de respirer, de se reproduire et/ou de manger. En particulier ce brouillard pourrait opacifier l'eau alors qu'à cette profondeur la lumière bioluminescente est utilisée par de nombreuses espèces pour attirer des proies, pour leur échapper et/ou pour trouver des partenaires dans l'immensité noire des grands fonds. En 2018 lors d'un Symposium sur la biologie des eaux profondes à Monterey (Californie), les chercheurs qui explorent les grand-fonds de la zone Clarion-Clipperton (4.000 à 5.500 m de profondeur, là où les industriels ont repérés les ressources les plus abondantes de nodules) ont alerté la communauté sur le fait qu’on y rencontre plus de vie et bien plus d'espèces nouvelles qu'ils s'y attendaient (et que dans des profondeurs similaires ailleurs).

4 - Aussi, en mars 2023, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU a pu féliciter les pays membres de l'ONU d’être parvenu à un texte « décisif » visant à assurer la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les eaux internationales, couvrant les deux tiers des océans de la planète, aboutissement de près de deux décennies de pourparlers. Ce cadre juridique place dans un premier temps 30% des océans du monde dans des zones à protéger d’ici 2030, et consacrerait plus d'argent à la conservation marine et couvrirait l'accès et l'utilisation des ressources génétiques marines des zones situées au-delà des juridictions nationales (eaux territoriales et ZEE). En juin 2023 ce traité, juridiquement contraignant, a été adopté par les 193 États membres de l'ONU.

Ce bel unanimisme pourrait nous inciter à croire que l’océan est sauvé.

 Mais on sait que « de la coupe aux lèvres » il y a parfois bien loin.

Et c’est là qu’on rencontre Nauru…

 

II – NAURU, DE L’HYPER CONSOMMATION A L’ANEANTISSEMENT

L’ile de NAURU et sa position dans l’Océan Pacifique

1 - Cette île, ancien volcan recouvert de calcaire corallien exondé d’environ 20 km2 est perdu dans l’immensité de l’espace océanique Pacifique (pointe du panneau rouge sur la carte), à plus de 700 km du peuplement le plus proche, Bikenibeu, la capitale des Kiribati.

Peuplée probablement depuis plus de 2 millénaires par des populations d’origines micronésiennes et mélanésiennes, elle est découverte par les Britanniques en 1798 qui la baptisent « Pleasant Island ». Mais à partir de la fin du 19e siècle elle devient un territoire colonial allemand puis britannique, brièvement japonais avant de devenir possession australienne.

L'île est constituée d'un plateau central peu élevé occupant environ 80 % de sa superficie, ceinturé par une mince bande de plaine littorale où se disperse sa population (moins de 10.000 habitants en 2022). Ce plateau, boisé à l’origine, est constitué de tourelles de calcaire corallien entre lesquelles se logeait du minerai de phosphate considéré comme le plus pur au monde. Identifié au début du 20e siècle il fait l'objet d'une extraction intensive tout au long du siècle, pour le plus grand bénéfice des agriculteurs australiens et néo-zélandais, les Nauruans ne profitent que très peu des retombées économiques. Tout change en 1968 lorsque l’ile devient indépendante, l’Australie s’y étant résignée l’année précédente.

2 - Le début de l’apocalypse s’amorce. Le modèle de développement suivi par l'île à l'indépendance est marqué par un important étatisme économique, les revenus du phosphate collecté par l'entreprise publique Nauru Phosphate Corporation atterrissent désormais directement dans les poches des habitants de Nauru.

Du jour au lendemain, les Nauruans s’enrichissent considérablement. Les services à la personne, l’accès à l’eau potable et à l’électricité sont offerts par le gouvernement. Plus aucun habitant n’a besoin de travailler puisque les emplois dans les mines et les commerces sont confiés à de la main d’œuvre venue de Chine. Les soins de santé sont procurés gratuitement par l’hôpital de la ville, flambant neuf et très moderne pour l’époque. Quand ce dernier ne suffit pas, l’État envoie ses malades dans les meilleures cliniques d’Australie. L’île achète même à l’est de la ville de Melbourne un quartier résidentiel afin d’y installer les familles des patients pour les longs séjours. Les impôts sont tout simplement supprimés car les caisses de l’État sont déjà remplies de devises.

Une boucle de surconsommation se développe alors tandis que le mode de vie traditionnel est abandonné (pêche, agriculture vivrière, petit élevage ; sociabilité collective). Les denrées alimentaires sont alors directement importées et les habitants ne se nourrissent plus que de plats préparés venus d’autres continents. Pendant plusieurs années, la vie de l’île, autrefois très paisible, se transforme en un véritable festin permanent. Les habitants font la fête, ingurgitent de la nourriture grasse et salée quotidiennement et dépensent leur argent en bières ou autres boissons sucrées et/ou alcoolisées. Chaque foyer possède une télévision au moins dans chaque chambre, des climatiseurs dans toutes les pièces, de l’électroménager à profusion et plusieurs voitures (parfois jusqu’à 6 ou 7 par famille) alors que l’ile ne dispose que d’une route goudronnée de 30 km. Rien n’est réparé : les Nauruans jettent et rachètent à neuf. Les zone où le phosphate n’est plus exploité deviennent de gigantesques décharges.

Toute la vie sociale traditionnelle de l’île disparaît, du fait de l’omniprésence des cassettes vidéo que les Nauruans regardent seuls chez eux, parfois chacun dans sa pièce.

Prévenus par les géologues que l’exploitation du phosphate serait épuisée vers la fin du siècle, le gouvernement crée le Nauru Phosphate Royalties Trust qui place des fonds de manière à fournir à l'île une rente pour le futur. Un peu partout dans le Pacifique et dans le monde, Nauru achète terrains et propriétés. En 1977, Nauru construit le plus haut building de la ville de Melbourne, le Nauru House Building. À cet incroyable portefeuille immobilier et boursier, le gouvernement ajoute une compagnie aérienne équipée de six avions Boeing 737 flambant neufs dont les lignes couvrent tout le Pacifique mais qui va très vite se révéler un gouffre financier. Cette richesse affichée permet à l’ile d’être admise à l’ONU en 1999.

3 - En 1985, Nauru produisait 1,65 million de tonnes de phosphate. Mais à partir de cette date la production et les revenus s’effondrent. En 2001, l’extraction ne donne plus que 162.000 tonnes et cesse totalement en 2003.

Comme il est hors de question de revenir en arrière, l’ile se cherche de nouvelles sources de revenus. Son entrée dans la communauté internationale pousse le gouvernement à développer un paradis fiscal, qui devient très vite une machine à blanchir de l’argent sale (la mafia russe de Saint-Pétersbourg a blanchi à Nauru près de 70 milliards de dollars lors de la crise financière de 1998 d’après la Banque centrale russe). Plus de 450 banques sont localisées sur la même boite postale. Nauru se met alors à vendre en masse des passeports, commodes pour toutes les opérations criminelles et maffieuses, et vend même sa voix au plus offrant à l’assemblée des Nations Unis. Enfin à partir de 2001, l’ile accepte, contre paiement, de devenir un centre de rétention pour les migrants refoulés d’Australie. Installés dans le territoire dévasté par l’exploitation phosphatière, les détenus ne peuvent faire de demandes d’asile et les conditions de leur détention indignent l’opinion internationale.

Mais tous ces palliatifs se révèlent insuffisant. Ayant accumulé les dettes pour maintenir son train de vie, en 2004, le gouvernement se révèle incapable de rembourser les emprunts contractés auprès de banques et de grandes entreprises américaines. Nauru est contrainte de vendre tous ses biens. Au mieux mal gérés, au pire arnaqués, victimes de détournements et de toutes les filouteries possibles opérés par les « conseillers financiers internationaux », ces investissements ont périclité avant même de générer le moindre centime d’intérêts. Avec une gestion sérieuse, même avec l’épuisement des ressources de phosphate, l'argent accumulé aussi facilement aurait suffi à pérenniser le futur de l'État. Mais là, rien : les fonctionnaires ne sont plus payés, le taux de chômage (un concept curieux pour des gens qui ne travaillaient pas) atteint 90%. Sans argent, tout tombe en ruine : l’usine de désalinisation est hors service et la centrale électrique ne fonctionne plus que quelques heures par jour, faute d’essence. En trente ans, Nauru est passée de deuxième pays le plus riche en PIB par habitant à l’une des trois plus faibles économies au monde, le pays étant désormais classé comme Etat voyou par les Etats Unis.
4 – Le désastre écologique et humain est total. Pour extraire le phosphate, l’ile a été déboisée : la forêt tropicale qui se trouvait sur le plateau est irrémédiablement détruite. Le plateau n’est plus qu’un no man’s land de pinacles coralliens dégradés jalonnant les fosses creusées pour l’extraction. Le récif corallien vivant qui encerclait l’ile a été en partie détruit par les poussières de phosphate dispersées par le vent. Le stock de poissons qu’il hébergeait s’est effondré. La nappe phréatique qui permettait les cultures sur la plaine littorale s’est salinisée avec la montée des eaux. Toute capacité d’autonomie alimentaire est réduite à néant.

Mais le coût humain est encore plus effrayant. Environ 80% des Nauruans souffrent d’obésité morbide. Plus de 40% d’un diabète de type II, principale cause de décès du pays. Beaucoup de maladies pulmonaires et d’insuffisances cardiaques sont également recensées, imputables aux poussières toxiques flottant dans l’air suite aux exploitations minières. Mais aussi à un tabagisme qui concerne la moitié de la population adulte (2e pays au monde en 2012) associé à un alcoolisme fort. L’espérance de vie est désormais sur l’île inférieure à 60 ans et continue de baisser. Nauru a parcouru en 2 générations à peine ce que la modernité capitaliste occidentale a réalisé en plus de 2 siècles. Passant d’une société traditionnelle à une société de surconsommation organisée par un capitalisme financier mondialisé qui s’est emballé depuis ½ siècle, Nauru préfigure pour la planète ce qui nous guette si nous n’y prenons pas garde.

III – SURVIVRE A TOUT PRIX

1 - La conversion économique envisagée par le capitalisme vers une économie décarbonée alimente toute une fièvre pour des ressources « vertes » : le vent, le solaire. Mais leur utilisation suppose des stockages pour les nuits et les jours sans vent. Il faut donc des batteries en proportion considérable. Pour éviter une extraction terrestre des terres rares et des métaux nécessaires, qui peut susciter une hostilité ou un refus des populations environnantes, voici que nos « écologues de la transition » envisagent l’exploitation de l’océan profond, les plaines abyssales présentant de vastes territoires couverts de nodules polymétalliques (nickel, cuivre, cobalt, manganèse). L'Autorité internationale des fonds marins n’a délivré pour l'instant que des contrats d'exploration minière dans certaines zones précises. Ces opérations permettent aux industriels de tester les machines, avant de se lancer définitivement dans les explorations. À - 4.000 m dans la zone de Clarion-Clipperton, 5 millions de km2 de plaines abyssales, situés en dehors des zones économiques exclusives des pays, entre Hawaï et le Mexique, sont jonchés de multiples nodules polymétalliques. Leur particularité est d’être un concentré de minerais stratégiques : cobalt, nickel, cuivre et manganèse. Mais leur formation a exigé des dizaines de millions d’années. Considérés comme un patrimoine commun, cette zone est placée sous l’égide des Nations unies.

2 - C’est une opportunité que Nauru, stigmatisée pour son rôle dans l’incarcération des migrants rejetés par l’Australie, et par les traitements que les Nauruans leurs ont fait subir, entend exploiter pour renouer avec son âge d’or.

En tant qu’Etat membre de l’ONU, il compte profiter de sa ZEE océanique profonde. Mais aussi d’œuvrer dans les fonds internationaux. Sans aucune capacité technique et financière, le gouvernement a créé une société d’exploitation, la Nauru Offshore Resources Inc (NORI), une coquille vide hébergeant une start-up canadienne The Metals Company (ex DeepGreen Metals). L’ile a déposé en juillet 2021, au nom de la NORI, une demande d’exploitation minière en eaux profondes auprès de l’AIFM, dans les zones pour lesquelles elle avait obtenu des permis d’exploration (en jaune sur la carte). Pour emporter la décision, elle a activé une clause annexe de l’Accord relatif au droit de la Mer, la « règle des deux ans » : faute d’une règlementation complète validée par l’ONU, à l’expiration de ce délai (juillet 2023), l’exploitation peut commencer sans avoir de règles à respecter.

Le traité adopté en juin à l’ONU doit encore être ratifié par les gouvernements des pays signataires et ce n’est pas gagné d’avance. Et ce traité laisse 70% des grands fonds non protégés jusqu’en 2030, sans garantie d’une extension après cette date à l’ensemble des eaux internationales.

 3 – Qu’en est-il de la réalité de la menace ?

A ce jour, la NORI ne dispose pas du capital nécessaire pour entamer l’exploitation qu’elle revendique. The Metals Company pour trouver des fonds a réalisé son entrée en bourse, en 2021, en s’appuyant sur un de ces mécanismes dont les « financiers internationaux » ont le secret. Via une société écran (Sustainable Opportunities Acquisition Corp - SOAC) créée pour lever des fonds par le biais d'une introduction en bourse, le but était d'acquérir l’entreprise DeepGreen Metals. Les seuls actifs détenus par la SOAC sont les fonds levés lors de l'introduction en bourse. En mécanisme de couverture, elle émet une autre levée de fonds en direction d’investisseurs institutionnels qui se voient attribuer des actions via un PIPE (investissement privé dans des actions publiques). Les actionnaires SOAC peuvent alors se retirer de l’opération au montant de leur mise, tandis que les détenteurs de PIPE doivent fournir les sommes de leur engagement. Valorisée à 3 milliards de $, bien que n’ayant aucune ressource et les financements PIPE annoncés n’ayant pas été reçu (plusieurs procès sont en cours), l’action de la société a rapidement chuté de 10 $ à moins de 4 $ et se retrouve mi-juillet 2023 à moins de 2$. Le Wall Street Journal note par ailleurs que le PDG de The Metals Company, Gerard Barron, avait auparavant soutenu une autre société minière en eaux profondes qui « a perdu un demi-milliard de dollars d'argent d'investisseurs, a détruit l'habitat sensible des fonds marins et a finalement fait faillite ». Et l’article du Financial Times, auquel je me suis référé, conclut « finding new money might prove even harder than finding metal on the sea floor »

Une majorité de scientifiques sont vent debout contre ces projets d’exploitation des grands fonds. Un moratoire mondial a été demandé pour mettre sur pause l'exploitation minière en eaux profondes. Plus de 750 scientifiques et, récemment, le Conseil consultatif scientifique des académies européennes (EASAC), ont mis en garde contre les effets inévitables et irréversibles de l’exploitation minière en eaux profondes si elle devait s’amorcer. La résistance dans l’industrie s’est également manifestée : BMW Group, Google, Volkswagen – soucieuses de leur image « en transition verte » et des institutions financières mondiales, dont la Banque européenne d’investissement, ont toutes demandé un moratoire et se sont engagées à exclure les minéraux des grands fonds de leurs chaînes d’approvisionnement et de leurs investissements. D’autant que l’industrie des batteries continue de s’éloigner des minéraux que les mineurs des grands fonds cherchent à cibler, au profit d’une nouvelle génération de batteries qui réutilise ces matériaux par recyclage – ou qui ne les utiliseront pas du tout. L’évolution technologique vise à se passer de certaines ressources, comme la transition des batteries lithium vers des batteries sodium, le sodium étant l’un des matériaux les plus abondant sur la planète. Greenpeace note ainsi « le retrait de Lockheed Martin, qui était pourtant intéressé par le secteur depuis des décennies. Il y a aussi celui de Maerks, un acteur mondial des opérations maritimes qui a vendu toutes ses parts dans The Metals Company (TMC)… le prix très bas des actions de TMC est un signe de la faible confiance des investisseurs » dans les perspectives économiques de cette exploitation.

En ce moment, l’Assemblée de l’AIFM à Kingston en Jamaïque doit examiner une proposition visant à différer le lancement de l’exploitation minière en eaux profondes, présentée par le Chili, le Costa Rica, la France, les Palaos et le Vanuatu. Pour la première fois dans l’histoire de l’AIFM, la nécessité d’une suspension à long terme de l’exploitation minière en eaux profondes est ainsi officiellement inscrite sur la table des négociations. Mais cette demande a peu de chances d’aboutir. Car l’AIFM dès le vendredi 21/7 a adopté une feuille de route visant à définir pour 2025 des règles encadrant l'extraction minière sous-marine. Son secrétaire général, Michael Lodge, y est favorable, estimant que les informations sur les effets de l’extraction minière fournis principalement par la NORI (du coup juge et partie) sont très minimes et plutôt rassurantes. Aussi l’Assemblée générale, sous l’impulsion de la Chine, a refusé la mise à l’ordre du jour d’un débat sur le principe même d’aller exploiter le plancher des océans. Au terme d’une séance houleuse qui s’est achevée dans la nuit du 28 au 29 juillet, le seul aménagement retenu a été d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine assemblée, en 2024, un point sur « la politique générale de l’Autorité en faveur de la protection et la préservation du milieu marin » 

Mais ce qui m’inquiète plus encore que ce « botté en touche » de l’AIFM, ce sont les déclarations du communiqué de presse de TMC sur son site : les informations mentionnées « ne sont pas des faits historiques, mais sont des déclarations prospectives aux fins des dispositions d'exonération en vertu de la loi Private Securities Litigation Reform Act de 1995 {…} déposées auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC : le gendarme de la Bourse US) des États-Unis le 27 mars 2023 ». « TMC avertit les lecteurs de ne pas se fier indûment aux déclarations prospectives, qui ne sont valables qu'à la date de leur formulation. TMC ne s'engage ni n'accepte aucune obligation ou engagement de publier des mises à jour ou des révisions de toute déclaration prospective pour refléter tout changement dans ses attentes ou tout changement dans les événements, conditions ou circonstances sur lesquels une telle déclaration est basée, sauf si la loi l'exige ». On ne pourra pas dire ensuite que l’on ne nous a pas prévenu.

Mais à mes yeux le problème posé est vicié à la base : la vraie transition vers une économie respectueuse de notre planète, c’est de rompre avec la frénésie du capitalisme financier d’obtenir toujours plus de profit privé en alimentant une surconsommation destructrice :

 

… L’APOCALYPSE SELON NAURU ... 

Jean Barrot – 29 juillet 2023

POUR EN SAVOIR PLUS :

Les services écosystémiques de l’océan profond, à lire en ligne sur : ocean-climate.org

L’autorité internationale des fonds marins et l’exploitation minière des grands fonds marins, à lire en ligne sur : un.org