ASTRO-NOTES : TÉLESOPES GÉANTS troisième partie
Connaissance & Partage
TELESCOPES GEANTS
L’Europe décolle, l’Amérique s’enlise
Astro-notes du 13 juin 2024
Troisième partie
A la fin du dernier article sur les travaux d’installation du télescope géant, nous avons
évoqué le blocage du chantier par les Hawaiiens. Mais, estime Yuko Kakazu, une
scientifique liée au projet, responsable des programmes d’éducation pour le Thirty Meter
Telescope :
« Après des manifestations massives en 2015 et 2019, la pandémie du Covid nous a donné
l’occasion de réfléchir sur nos actions et de trouver d’autres voies pour dialoguer avec les
communautés locales."
Et de poursuivre : « En 2023, un nouvel organisme de gestion du site a vu le jour. La Mauna
Kea Stewardship and Oversught Authority est désormais l’instance qui tranche sur l’avenir
de la Montagne Blanche, notamment pour l’astronomie. Or, elle est en partie composée
d’Hawaïens natifs qui ont donc voie au chapitre. »
Pour convaincre qu’un télescope géant au sommet du Mauna Kea bénéficiera à toute l’île,
Yoko Kakazu et son équipe organisent de multiples projets visant à soutenir
l’enseignement des sciences dans les écoles rurales et défavorisées. Sans oublier de faire
amande honorable, elle affirme : « Les évènements de ces dernières années ont brisé des
familles. De jeunes policiers Hawaïens ont dû passer les menottes à leurs anciens très
respectés, les Kupunas. Nous demandons pardon pour cela. Aujourd’hui, nous avons
renouvelé le dialogue et la majorité des Hawaïens natifs, autrefois protestataires sont
désormais acquis à la cause du YMT. Mais il reste des opposants et nous ne sommes pas là
pour les faire changer d’avis. Nous nous contentons de les écouter ».
Pour en revenir au retard de l’équipe américaine dans la course aux télescopes géants, il
faut savoir que celui-ci s’explique par un sérieux désavantage politique... Mais pas
uniquement. C’est aussi une question de culture du financement. « Les Etats-Unis ont
presque toujours construit leurs télescopes en levant de l’argent auprès d’investisseurs
privés » rappelle Guy Perrin (1). Selon lui, si ce modèle s’est avéré très efficace pour les
petits et relativement peu couteux télescopes du Mont Wilson et du Palomar, il est au
contraire peu performant quand il s’agit de lever des centaines de millions de dollars.
« Ainsi les télescopes géants ne sont financés qu’à 25 % pour le GMT et 70 % pour le TMT »
affirme Guy Perrin.
A blâmer également : l’esprit de compétition qui, valorisé outre-Atlantique, a longtemps
poussé les deux projets dans une concurrence contre-productive. Ainsi, comme l’affirme
John Monnier, professeur d’astronomie à l’université du Michigan : « Un télescope unique
aurait plus probablement permis de collecter suffisamment de fonds privés que de diviser
les ressources limitées en deux ».
C’est seulement en 2018 que, pour faire face à leurs problèmes financiers respectifs les
deux rivaux s’unissent en une
seule et même équipe : l’US-
ELTP (Extremely Large Telesco-
pe Program). Une décision qui
a valu au groupement d’appa-
raître comme une des priorités
majeures d’Astro 2020, l’étude
prospective décennale de l’as-
trophysique US.
Face à la stratégie libérale
américaine, l’Europe a choisi
de miser sur un seul cheval
tout en déployant une tactique
beaucoup plus collective.
C’est déjà grâce à ce dispositif
public et communautaire que,
dès les années 1990, l'illustre
Very Large Telescope a été
financé. LE VERY LARGE TELESCOPE DU CERRO PARANAL
Composé de quatre unités de 8 mètres de diamètre, le VLT orne le sommet du Cerro
Paranal au Chili.
Nous verrons, dans le prochain et dernier chapitre, les exploits qu’il a déjà accomplis.
Bonne lecture
Bob
(1) Docteur en astrophysique et techniques spatiales de l’université Paris 7