Association CONNAISSANCE & PARTAGE

10 rue des pensées
34170 Castelnau le lez
Italia

T 06 29 16 36 12
E connaissanceetpartage@gmail.com

Moulin Navitau, 3 chemin des Hirondelles
Castelnau-le-Lez, Languedoc-Roussillon, 34170
France

Connaissance & Partage a pour objet d’organiser des journées, des soirées et des stages thématiques avec les méthodes pédagogiques fondées sur les valeurs de l’éducation populaire.
L'association favorise la rencontre avec des professionnels, des spécialistes, des passionnés, sur la base du partage des connaissances.

Les feuilles d'inscription et de don sont à remplir et à renvoyer à l'adresse du siège social de Connaissance & partage

Adhesion

Feuilles d'inscription en téléchargement ICI

devenez membre bienfaiteur

Faites un don pour aider Connaissance & Partage
Feuille de don en téléchargement ICI

Connaissance & Partage

Moulin Navitau, 3 chemin des Hirondelles
Castelnau-le-Lez, Languedoc-Roussillon, 34170
France

JARDIN II - "AU TEMPS DES « VILLES TENTACULAIRES"

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

JARDIN II - "AU TEMPS DES « VILLES TENTACULAIRES"

Connaissance & Partage

JARDIN

II

0- surtitre.jpg

AU TEMPS DES « VILLES TENTACULAIRES »

A partir du 19e siècle un tournant radical se manifeste dans les sociétés de la planète. La population mondiale, encore presque exclusivement rurale agricole, bascule dans un processus d’urbanisation intense. L’Europe occidentale, grâce à sa puissance technologique, entraine par son impérialisme le reste du monde dans son orbite. L’exode rural aliment des flux de plus en plus massifs vers les cités industrielles qui forment bientôt un réseau connecté grâce au chemin de fer et à la navigation à vapeur. Cet exode peut être à peu près contenu dans un cadre national – ce qui est le cas de la France – ou déboucher sur une émigration massive – les Etats Unis en recevant alors l’essentiel. Si la croissance des villes européennes peut être décrite sur la durée à partir du 19e siècle comme un processus d’urbanisation – effort d’organisation maitrisée de l’espace – dans le reste du monde, aussi bien pendant la période coloniale qu’après les indépendances, on assiste à un phénomène d’agglomération – entassement de plus en plus démesuré sans plan préétabli – de populations sans autres perspectives que de fuir l’effondrement de leurs ressources d’autosubsistance ou les violences de guerres civiles, sociales, ethniques ou religieuses.

La population planétaire au milieu du 19e siècle est encore inférieure à un milliard et demi alors qu’elle approche désormais les huit milliards (avec un triplement depuis 1950 !), dont plus de 55% sont des “agglomérés urbains” ( je crée ce terme pour rendre compte de mes remarques précédentes).

La problématique du jardin s’en trouve donc fondamentalement bouleversée.

GRANDS JARDINS ET PARCS DE L’ESPACE CULTUREL “EUROPEEN”

La Révolution Française ouvrant les jardins et parcs privés de l’aristocratie à l’ensemble de la population fait naitre en pratique le grand jardin public. Mais bientôt entrainée dans la guerre menée contre l’Europe d’Ancien Régime, la France abandonne la réflexion sur les jardins pour le futur. Elle émerge en 1830 en Angleterre où J.C Loudon, botaniste écossais, préconise de planifier l'édification d'espaces verts à Londres afin d'y améliorer la qualité de vie. Son ouvrage Hints for Breathing Places for Metropolis amorce une longue lignée de travaux qui, préoccupés par l’hygiène épouvantable générée par l’entassement urbain, visent à améliorer les conditions de vie des citadins, bourgeois et prolétaires, mais sans passer par la case révolution.

Le grand jardin aristocratique ne disparaît pas totalement – les monarchies restent encore nombreuses en Europe – mais il se maintient plutôt dans la forme du parc à l’anglaise ou de la forêt réserve de chasse, donc hors de l’espace urbain en pleine expansion. Le jardin public devient la forme emblématique du grand jardin démocratique. J’en retiens ici, pour exemple parmi bien d’autres, le jardin des Buttes Chaumont à Paris et Central Park à New York.

A PARIS

Avec beaucoup de retard sur le reste de l’Europe occidentale dans la politique des jardins publics, la France du Second Empire entre dans le mouvement. Le règne de Napoléon III manifeste la prééminence de la bourgeoisie d’affaires dans la société. Ayant marginalisé l’aristocratie d’Ancien Régime et s’étant débarrassé de la contestation ouvrière par les massacres de juin 1848 (du moins pour une génération), l’empereur mandate Haussmann pour une restructuration de Paris selon une vraie perspective d’urbanisation. On en retient souvent les seuls boulevards et la standardisation des immeubles, sans prêter attention aux réseaux cachés dans le sous-sol, alimentation en eau potable et évacuations par les égouts, qui vont permettre à la croissance séculaire de la capitale de rester vivable. Cet hygiénisme par les entrailles s’exprime en surface par les parcs et les jardins. Les parcs, antérieurement dissociés de la ville, en deviennent un élément incontournable. Cette trame verte devient la structure directrice de l’édification du bâti. Pour faire pendant au bois de Boulogne du Paris huppé de l’ouest parisien, Haussmann entreprend, avec la collaboration de l’ingénieur Alphand, de faire réhabiliter le bois de Vincennes à l’est, aux portes du Paris populaire, saccagé à l’initiative du « tonton » de l’empereur qui en avait fait un terrain militaire déboisé, espace de casernement et de tir…

C’est avec le même souci qu’il attaque la construction du jardin des Buttes Chaumont, dans le nord-est du Paris intramuros. Sur la butte où s’élevait jadis le gibet de Montfaucon, évoqué par F. Villon dans sa Ballade des pendus, une carrière d’exploitation de gypse se développe à partir du 18e siècle. Le lieu sert aussi dans ses portions abandonnées de décharge liée à l’abattage des chevaux et de repère de brigands et d’abri pour vagabonds. Comme la création du chemin de fer de ceinture engendre des travaux de terrassements qui coupent le site des carrières, l’activité extractive se trouve bloquée. L’État achète les carrières en 1863, et Haussmann lance les travaux de restructuration du site. Alphand exploite la topographie tourmentée pour en faire la base d’un jardin à l’anglaise, avec un lac central et son ile accessible par une passerelle, mêlant pelouses et boisements par des espèces diversifiées, réutilisant certaines galeries de mine pour en faire des grottes aux eaux cascadantes. Afin de permettre à la végétation de s’implanter dans le paysage lunaire des décombres miniers, il faut réaliser un apport d’environ 1 million de m3 de terre végétale. Mais le chantier est rondement mené et le jardin est inauguré en 1867.

1 PHOTO.jpg
PHOTO 2.jpg

3 états de la transformation des Buttes Chaumont : en 1852 (carrières et terrils) ; en 1871 (la végétation reste encore modeste, des calèches circulent dans les vastes allées) ;

aujourd’hui un parc dans sa splendeur (les maitres mots du jardinage “patience et longueur de temps”).

La bourgeoisie dominante y met en valeur son nouveau référentiel de valeurs.

Le jardin public est le lieu où il faut se faire voir au fil de la déambulation dans de larges allées ombragées, bordées de bancs invitant à des haltes d’où l’on peut observer les autres promeneurs, clé pour se situer dans la nouvelle hiérarchie sociale. C’est aussi un lieu de rencontre et de socialisation grâce aux kiosques – le concert publique devient un moment incontournable de la fréquentation du jardin –, aux guinguettes et restaurants – à chacun selon sa bourse –, où toutes sortes d’aventures peuvent se nouer, des plus éphémères aux plus ostentatoires. C’est enfin un rappel nostalgique d’une nature perdue de vue mais largement fantasmée, faite de belvédères, de grottes, de bois mais où le ciment armé des rambardes et des bancs imitant le bois est la modernité du “naturel”, depuis que l’espace urbain est devenu lieu de résidence permanente.

7 ET 8.jpg

Felix VALLOTTON = Le jardin du Luxembourg (1895) ; Le ballon (1899- Musée d’Orsay PARIS)

9 ET 10.jpg

« Douanier » ROUSSEAU = Les footballeurs (1908) ; Musée Guggenheim, NEW YORK

Auguste RENOIR = La balançoire (1876) ; Musée du Jeu de Paume, PARIS

Seuls les plus riches peuvent s’offrir le luxe d’une résidence secondaire, les bourgeois de la classe moyenne devant se contenter de migrer périodiquement vers des lieux de loisirs comme les villes balnéaires – la promenade des Anglais à Nice (ville devenu française en 1860), le Touquet “Paris Plage”, amorce d’urbanisation de Deauville et de Biarritz –, les villes d’eaux, les villes de jeux greffées sur un casino…

11- Daum.jpg

DAUMIER - Invasion des wagons un jour où l’on fait partir un train de plaisir à 5F de Paris à la mer (1852)

A NEW YORK

Vers 1850, la plupart des New-Yorkais résident au sud de la 38e rue, dans des quartiers surpeuplés et bruyants et les habitants ne disposent que de quelques “espaces verts” aménagés à l'époque, bien souvent les cimetières. Quand la ville de New York commence à s'étendre vers le Nord de l'île de Manhattan un courant d’opinion se manifeste pour réclamer la création d'un véritable espace de verdure, à l'image du bois de Boulogne à Paris (achevé en 1852) ou de Hyde Park à Londres. Un des porte-parole le plus écouté est W.C Bryant, poète et journaliste, explique les bienfaits de la création d’un parc « un grand parc, un vrai parc, qui, par le sain divertissement du peuple, l'éloigne de l'alcool, du jeu et des vices, pour l'éduquer aux bonnes mœurs et à l'ordre. » On retrouve ici le même souci d’hygiène physique et morale comme fondement du vivre ensemble pour éviter les affrontements de classe.

La municipalité cède en 1853, et décide de son emplacement au-delà de la 42e rue. Le terrain ciblé forme un immense rectangle de 341 ha (environ 4 km sur 0,8 km) loin des 25 ha des Buttes Chaumont, mais qui partage avec ce jardin un site initial aussi dégradé : c’est une zone de marécages parsemée d’énormes rochers (des “drumlins”, fruits de l’érosion glaciaire) où vivent de nombreux squatteurs d’une grande pauvreté, en majorité des afro-américains, voisinant avec des immigrés irlandais et allemands, et qui sert de décharge urbaine pour le sud de Manhattan. L’expropriation est effective en 1857 et les quelques hameaux existants sont rasés. Les travaux préparatoires pour lancer l’aménagement du site vont encore durer 3 ans : drainage des marais et constitution de lacs contrôlés, nivellement partiel à l’explosif de certaines zones rocheuses, apport de 3 millions de m3 de terre pour pouvoir assurer des plantations. La guerre de Sécession (1861-1865) retarde le lancement de sa réalisation selon le projet retenu d’Olmsted et Vaux. Ce n’est qu’en 1873 que Central Park est achevé après la plantation de plus de un demi million d’arbres. L’espace s’organise selon 3 thèmes bien caractérisés, parcouru par une multitude de sentiers piétonniers. Dans les parties où les éminences rocheuses ont été conservées, le boisement réalisé permet de valoriser l’aspect pittoresque du paysage obtenu. En d’autres parties, de grands espaces de pelouses évoquent les plaines verdoyantes d'Angleterre. Enfin, en position centrale, un espace « formel », doté d’une fontaine, d’un hall et d’un plan d'eau destiné au canotage, a vocation à devenir un lieu de rassemblement festif. Plusieurs lacs artificiels, dont un important réservoir agrémentent le parc, véritable sanctuaire pour les oiseaux migrateurs. Une route de 10 km environ ceinture le parc, ondulant dans les différentes sections. Conçue à l’époque pour les calèches, elle est de nos jours peu fréquentée par les automobiliste : elle est surtout empruntée par les cyclistes et les adeptes du rollers, les piétons, les coureurs de fond, surtout le week-end et en semaine après 19h lorsque la circulation automobile y est totalement interdite.

12 ET 13.jpg
14 ET 15.jpg

Au fil de mes déambulations dans Central Park en 1992

Mais l’histoire des 2 parcs diverge au fil du siècle écoulé. La maitrise du pouvoir central en France assure la pérennité et l’entretien du jardin des Buttes Chaumont, tandis qu’aux USA, la puissance publique exerce un pouvoir plus épisodique sur Central Park. Le développement de l'automobile offrant aux habitants de la ville davantage de possibilités d'évasion, conduit à une perte d’intérêt pour le parc. En 1895 la Central Park Commission est dissoute et l’entretien n’est plus véritablement assuré. Victime d'un vandalisme grandissant, certains de ses espaces redeviennent progressivement un dépotoir public. Un sursaut s’opère à partir du New Deal lancé par la présidence de Roosevelt. Le parc renait et est doté 19 terrains de jeu, et de 12 terrains de baseball et de handball. La crise financière de New York à partir de 1960 remet en question l’entretien du parc qui devient un lieu d’insécurité totale : profitant de l'absence de surveillance et la nuit d'éclairage public, les gangs investissent progressivement le parc. A l’initiative de l’association des riverains qui fondent le Central Park Conservancy en 1980, une nouvelle réhabilitation est entreprise. Mais c’est grâce aux donations privées et à l’intervention de bénévoles, convaincus que le parc fait partie de leur identité de newyorkais, que le parc retrouve progressivement sa splendeur.

Or, depuis le début du siècle, on observe un phénomène similaire en France : l’appel au mécénat privé vient se substituer au financement public qui se réduit comme peau de chagrin même pour des sites aussi emblématiques que Versailles, Chambord etc., au nom du « poids de la dette » et d’une posture politique : « l’Etat ne peut pas tout ». Ce qui peut conduire à une aliénation partielle du domaine public : la création de la fondation Vuitton dans l’angle nord-ouest du bois de Boulogne en est un exemple parfait. L'implantation du bâtiment de la fondation (magnifique !) se réalise dans le cadre d’une convention d’occupation à compter de 2007, d’une durée de 55 ans, au terme de laquelle le bâtiment, édifié par F. Gehry, reviendra à la Ville. En contrepartie, elle perçoit une redevance forfaitaire annuelle de 100.000 € jusqu’au terme de la convention. Clopinettes : avec une fréquentation en 2017 de 1,4 M de visiteurs ayant déboursés au moins 10€, faites le compte. Mais « Faut payer le sel… ».

Le plan d’aménagement de son jardin renoue avec les principes fondateurs des jardins paysagers du 19e siècle pour inscrire le bâtiment dans une liaison du Jardin d'acclimatation (dont LVMH a déjà la concession) au nord avec le reste du bois de Boulogne au sud.

16- Fond Vuit..jpg

DESTIN DU PETIT JARDIN

La multiplication de parcs municipaux ouverts à tous apparaît comme le meilleur instrument de la réforme sociale. Dans l’espace socialisé de la ville le jardin public s’exprime dans la forme du “petit jardin” par le square qui structure un espace-temps spécifique : la proximité et le momentané. Le rituel de sa fréquentation n’obéit pas à celui développé dans le grand jardin. Par sa proximité, il convoque des gens de même niveau social : voir et se faire voir n’a donc pas de sens. Par contre, exprimant un voisinage, il peut faire naitre des solidarités pratiques, peu à l’œuvre dans le grand jardin. Le temps de fréquentation apparaît comme une parenthèse dans un emploi du temps structuré par ailleurs. On s’y rend pour une pause dans le travail, comme une halte entre temps scolaire et retour à la maison pour les enfants, comme un répit dans un quotidien saturé de déplacements. Seuls des SDF peuvent envisager d’y passer la journée…

C’est du coté du petit jardin privé que la mutation est la plus forte. L’exode rural coupe une masse de population d’un cadre et d’activités profondément structurantes autour du jardinage. Dès le milieu du 19e siècle le souci d’hygiénisme et la crainte la contamination révolutionnaire des concentrations urbaines engendrent un mouvement pour l’instauration des jardins ouvriers. En France, une partie du patronat, influencé par le saint simonisme ou vers la fin du siècle par le catholicisme sociale, développe une politique « paternaliste » par la création de « cités ouvrières ». Classe en formation, le prolétariat doit s’adapter à un rythme de travail totalement déconnecté des temporalités agricoles et par le nombre des chantiers qui s’ouvrent, les ouvriers sont extrêmement mobiles, saisissant les moindres opportunités du monde qui nait. Pour les industriels, fidéliser les gens qu’ils ont formé à ce nouveau rythme et qui ont révélés des compétences devient un enjeu économique. La cité ouvrière en est une réponse. Associée à l’entreprise qui la crée, elle permet d’attribuer un logement décent (aux normes du moment) assorti d’un jardin. Par l’autoproduction alimentaire de l’ouvrier, qui valorise son savoir paysan, le patronat peut faire une économie sur les salaires. Et par l’encadrement urbain qu’il crée dans la cité (église, école dispensaire) il s’assure du contrôle de la vie des ouvriers hors du temps de travail. Ces jardins « les éloignent aussi des cabarets et encouragent les activités familiales au sein de ces espaces verts » (père F. Volpette, fondateur des jardins ouvriers à Saint Etienne). Cependant, ces solutions sociales, au-delà de l’affichage publicitaire, restent très ponctuelles et limitées.

17 ET 18.jpg

Ces cartes postales du début du 20e siècle nous permettent de découvrir l’intervention sociale de

2 grandes entreprises, MICHELIN à Clermont Ferrand et SCHNEIDER au Creusot

L’extension du petit jardin associé au logement mais déconnecté de l’entreprise est porté par le mouvement des « cités jardins » théorisé par un urbaniste britannique Ebenezer Howard en 1898 dans son ouvrage « To-morrow : A peaceful path to real reform ». Dans sa volonté de désengorger l’agglomération par l’organisation d’une ceinture de « villes nouvelles » où le foncier est maitrisé par la puissance publique pour le soustraire à la spéculation, il concrétise la boutade d’Alphonse Allais : « Les villes devraient être construites à la campagne, l'air y est tellement plus pur ». Comme Howard prévoit une ceinture maraichère approvisionnant la ville, le petit jardin peut s’émanciper partiellement ou totalement de la production potagère et devenir un espace de loisir et de représentation.

19- Elboeuf.jpg

Esquisse pour le développement d’une cité jardin à Dieppe (1921), la cité Bonne Nouvelle.

Mais dès le milieu du 19e siècle cette idée s’est manifestée dans la pratique de la bourgeoisie huppée. En 1853 la création de la “villa Montmorency” à Passy dans le 16e arrondissement de Paris fait naitre une résidence fermée, régie par un strict règlement de droit privé, destinée à abriter des « maisons unifamiliales de campagne et d'agrément ». Hors les murs, en écho aux cités « ouvrières », des cités « bourgeoises » vont se constituer. Le prototype en est Le Vésinet dans une boucle de la Seine de l'Ouest parisien. Le lotissement est édifié à l’emplacement d’une forêt, détenue à l’origine par les 4 communes riveraines. La commercialisation des lots débute en 1858 assortie d’un règlement de copropriété très contraignant destiné à conserver l’allure d’un parc à l’anglaise : édification de maisons individuelles, entretient contrôlé des jardins, interdiction de toute activité industrielle et liste limitée des activités économiques pouvant y fonctionner. A l’achèvement du lotissement, détaché des communes initiales, il est érigé en commune de plein exercice en 1875.

20-.jpg
21-.jpg

LE VESINET aujourd’hui et sa limite avec la commune populaire de LE PECQ (images satellites)

Il est le prototype des « communautés closes » qui prolifèrent de nos jours dans les meilleurs espaces du tissu urbain dans le monde. Aux USA, les « gated communities », espaces gardiennés vivant sous le régime privé d’un règlement de copropriété, abritant des villas ou des appartements (“condo ”) disposant de communs agréables (jardins et espaces verts, piscine, salle communautaire, salle de gym, court de tennis, espaces de bbq, etc.) constituent de véritables agglomérations telle Phoenix en Arizona. Elles sont un véritable miroir inversé du bidonville, ghetto de riches contre ghetto de pauvres, ségrégation spatiale qui mine la possibilité de faire société, et qui ruine l’idée même de contribution financière à l’entretien et à la pérennité de jardins publics.

Une dernière étape de l’émancipation du petit jardin, cette fois par rapport au logement, réside dans la création des jardins familiaux et des jardins partagés. Par la maitrise foncière, la puissance publique peut créer un périmètre dans lequel des lots sont attribués pour le jardinage, pratique autour de laquelle tout un réseau de socialisation, d’échange de savoirs (l’exode rural est un si lointain passé), de découverte des rythmes de la nature et des techniques de protection environnementale, qui déborde de très loin la capacité productive de ces jardins. Dans certains cas, c’est par le squat d’un délaissé urbain trop souvent transformé en déchetterie, que peut naitre un jardin à l’initiative de citoyens. En situation d’occupation précaire et délictueuse, ceux-ci doivent en permanence lutter pour obtenir la reconnaissance de leur travail au bénéfice de la collectivité et obtenir une légalisation de leur occupation. Le petit jardin se révèle alors comme l’expression sans masque d’une pratique de base de démocratie, socialisant des populations jusque là anomique. créer du lien social dans des zones souvent difficiles

22 ET 23.jpg
24- Liz.jpg
25-Liz.jpg

A New York, des citoyens lassés des friches urbaines qui les entourent décident d’investir ces dernières pour les transformer en jardins communautaires de quartiers. L’initiative est lancée en 1973 par une artiste Liz Christy qui avec ses amis investit un délaissé à l’angle nord est de Houston street et Bowery street dans Manhattan. En quelques années, le mouvement se répand à travers toute la ville. Prenant conscience de leur rôle décisif dans la lutte contre la ségrégation raciale et sociale, la municipalité de New York lance en 1978 le programme Green Thumb afin d'aider au développement de ces parcelles. Le respect de l’environnement est une valeur forte des jardins communautaires et en 2015, il existe plus d'un millier de “community gardens” à New York.

26- jar Par.jpg

Cette carte localise les espaces verts et les jardins de Paris intra-muros. Mais attention : les cimetières sont incorporés dans cette carte, tous les jardins mentionnés ne sont pas nécessairement en accès public et les tout petits jardins même publics n’y figurent pas vu l’échelle de la carte :

le jardin partagé Le Nid du 12e ne fait que 43 m2 !

AUX JARDINS DES ARTS

Vers la fin du 19e siècle, une métamorphose majeure se manifeste dans le petit jardin avec le développement du courant impressionniste en peinture. Le type d’aménagement en cours à l’époque était le style pittoresque, soit de vastes parcs verdoyants aux lignes ondulées, remplis de pelouses et d’arbres, avec un petit lac et un ruisseau et souvent des sculptures ou des pavillons, mais presque sans fleurs. Gertrud Jekyll (1843-1932), handicapée par sa vue, doit renoncer à la peinture et s’oriente vers l’aménagement paysager. Mais de son enfance à la campagne, elle conserve un intérêt pour le petit jardin des cottages, caractéristiques de la classe moyenne britannique. Plutôt que la structure du jardin, c’est sa palette de coloris qui devient la trame de ses réalisations. Elles portent sur l'équilibre des couleurs, privilégiant les « mixed-borders » pour assurer une permanence de floraison du printemps à la fin de l’été et s’attachant aux textures et senteurs du jardin (plantes couvrantes, grimpantes, rosiers).

27- Jek.jpg

Son insistance sur la présence des rosiers dans le jardin lui vaut en hommage posthume la création en 1986 par D. Austin d’une rose à son nom, porté par un arbuste de taille moyenne, robuste et très florifère, à grosses fleurs rose foncé au parfum de rose ancienne.

Et elle innove encore en privilégiant les courbes dans les plates-bandes, qui majoritairement restaient encore strictement rectangulaire.

28- Jek.jpg

Malheureusement sur plus de 400 jardins créés, seuls quelques-uns nous sont parvenus, souvent restaurés. Son rayonnement déborde largement de l’Angleterre et devient un standard de l’aménagement des jardins des peintres. Le jardin emblématique de ce style est bien sûr, celui de Monet à Giverny qui va s’adjoindre, au delà de la route qui borde son terrain, d’un jardin « japonais » dédiés au nymphéas, ce qui va lui valoir des ennuis avec les paysans des environs, l’eau du ruisseau ayant traversé le bassin des nymphéas étant suspectée de pouvoir empoisonner leur bétail. L’entreprise de Le Sidaner à Gerberoy va recevoir un tout autre accueil. Tombé amoureux du village où ne réside qu’une centaine de paysans, il achète une vieille maison entre l’église et la muraille en partie effondrée des anciennes fortifications dont il entreprend la restauration. Mais il se concentre aussi sur la création d’un jardin dans l’esprit de Gertrud Jekyll, tout en jouant sur les effondrements pour aménager des terrasses miniatures.

29 ET 30.jpg

Récemment restauré, le jardin de Le Sidaner est un bijou trop méconnu.

Le peintre avait installé son atelier sur la plus haute terrasse au milieu d’une roseraie.

Parvenant à convaincre les habitants de nettoyer et de fleurir les rues du village, il obtient le soutien du Touring Club de France. A l'entrée de chaque maison, dans les rues, on plante des rosiers, les ruelles se transformant en allées de cottages anglais. Gerberoy devient un prototype pour la création des « villages coquets » aujourd’hui « villages fleuris ». En 1928 enfin une fête de la Rose est instaurée qui perdure jusqu’à nos jours.

32-Sid.jpg
33-Sid.jpg

Le jardin blanc au crépuscule (1912, Musées royaux des Beaux Arts BRUXELLES)

Le déjeuner ( 1910-19, détail)

Une précision cependant : Le Sidaner ayant bien vendu tout au long de sa vie, son œuvre est majoritairement dans des collections privées et Gerberoy n’en conserve aucune œuvre

Une dernière innovation dans le petit jardin est due à Vita Sackville-West (1892-1962) qui est à l’origine de la création du jardin de Sissinghurst à partir de 1928. Reprenant et poussant à son terme la logique des travaux de Lawrence Johnston pour le jardin du Serre de la Madone à Menton, elle préconise de diviser le jardin en «pièces», comme il y en a dans une maison, et de considérer chaque « pièce » du jardin comme une pièce à décorer différemment, tout comme dans un intérieur.

34- Siss.jpg

Le terrain (5 ha environ mais pour plus des 2/3 consacrés à un espace paysan, un verger et un étang canal) est compartimenté en 10 espaces fermés. Des haies d'ifs à hauteur d'homme, soigneusement taillés et des murs appartenant aux anciens bâtiments en forment les clôtures dans lesquelles s’ouvrent des passages. Chacun des « jardins dans le jardin » obéit un thème bien défini ; c'est ainsi qu'on trouve le jardin blanc, le jardin aux roses (le plus important) le jardin aux herbes etc.

Mais déjà dans les grands jardins, des « quartiers » sont structurés selon des styles très différents, exprimant la mondialisation à l’œuvre au 20e siècle. Les fabriques exotiques éparses sont remplacées par des jardins organisés selon les normes de l’espace culturel concerné. Les Jardins Albert Kahn à Boulogne conçus par les prestigieux paysagistes que sont les Duchêne, père et fils, sont édifiés entre 1895 et 1910. Ils offrent : un jardin japonais, modernisé en 1990 mais dont les bâtiments ont été ramenés du Japon en 1898 ; un jardin à la française doté d’une roseraie et d’un jardin d’hiver sous une vaste serre ; un jardin anglais et ses fabriques autour d’une rivière ; et 3 forêts distinctes : une vosgienne, qui évoque le paysage de son enfance, perdu lors de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne en 1871, une bleue (cèdres de l’Atlas et épicéas du Colorado) qui a pour sous-bois un parterre d’azalées et de rhododendrons autour d’un marais, et une dorée constituée de bouleaux avec en sous-bois une strate de hautes graminées.

Le jardin d’inspiration japonaise connaît une vogue ininterrompue depuis un siècle : je retiendrai pour notre temps la création, sur une dalle de béton couvrant un parking, du jardin japonais de Monaco (1994) ou, plus près de nous, celui de la Bambouseraie d’Anduze, le “vallon du Dragon”, créé en 2000.

Mais au delà de ces transferts culturels, les jardins sont désormais des lieux d’innovation totale, du parc Guell de Gaudi à Barcelone (1900-10) au Jardin d’émail de Dubuffet (1974) près d’Otterlo ; des serres monumentales de Schönbrunn (1882) au mur végétal des halles d’Avignon (2005), du jardin cubiste de la villa Noailles à Hyères (1925) au “jardin en mouvement” du parc Citroën à Paris (1986-92) …

35 ET 36.jpg

Le jardin public a cependant au fil du siècle perdu le rôle structurant et conducteur du développement urbain qu’il accompagnait au 19e siècle. Il s’insère désormais comme « espace vert » dans une trame prédéterminée par la construction des logements et des équipements, souvent en position résiduelle (les jardins de squat). Il est symptomatique que les 2 grands jardins publics développés à Paris, le parc de La Villette (1982) et le parc André Citroën (1992) soient édifiés dans les espaces libérés par des activités économiques intramuros abandonnées : les abattoirs et l’usine de construction automobile.

L’engouement pour les jardins et parcs qui se manifeste à partir de la fin du 19e siècle en France conduit à l’adoption d’une loi en 1906 qui les incorpore aux « sites naturels de caractère artistique » et aux « monuments historiques », assurant ainsi leur protection contre toute destruction ou altération. Le temps de l’Entre 2 guerres et la période de reconstruction font passer ce souci des jardins à l’arrière plan des préoccupations des politiques. Bien que créées en 1906, les Floralies ne reprennent vraiment vigueur qu’à partir des années 60, en particulier avec la création du parc floral de Paris en 1969. Dès lors l’intérêt pour les jardins touche un public de plus en plus large comme visiteurs, mais aussi comme créateurs, avec pour finalité de montrer leurs réalisations. Au début des années 80 l’Etat crée une mission de pré-inventaire qui identifie plus de 9000 jardins, dont beaucoup sont privés, dignes d’intérêt pour une protection au titre de la loi de 1906. Au sein de cet ensemble, un groupe d’environ 500 est retenu pour bénéficier du label de « Jardin remarquable » créé en 2004. S’il procure des avantages administratifs et légaux, il oblige à un entretien régulier et à une ouverture au public. L’attribution de ce label est réactualisée tous les 5 ans.

Alors si vous m’avez suivi jusque là, n’hésitez pas à rendre visite aux jardins labélisés et glorieux, comme aux plus modestes, souvent plein de charmes, dès la fin de la « glaciation COVID ».

N.B = Dans mon chapitre 3, je vous emmènerai en Extrême Orient…

A bientôt.
Jean Barrot


geosphere.jpg


Voici quelques titres actuellement disponible dans la Librairie la Géosphère :