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ETHIOPIE – I "NAISSANCE DE L’ETHIOPIE MODERNE (1855-1916)"

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

ETHIOPIE – I "NAISSANCE DE L’ETHIOPIE MODERNE (1855-1916)"

Connaissance & Partage

Ayant organisé un circuit à travers l’Ethiopie en 1992 j’avais préparé un certains nombre de documents pour les amis embarqués dans cette aventure. L’actualité violente qui s’y déroule m’incite à vous proposer 2 textes concernant l’histoire moderne de ce pays menacé d’une guerre civile longue, voir d’éclatement.

L’exemple du Soudan voisin ne pousse pas à l’optimisme

NAISSANCE DE L’ETHIOPIE MODERNE

(1855-1916)

En moins de ¾ de siècle, l’Ethiopie sort de l’éclatement féodal et des guerres intestines de la période du « Zemene Mesafent » et acquiert le poids d’une puissance régionale africaine, auréolée du prestige de n’avoir jamais été colonisée, ce qui vaudra à Addis-Abeba de devenir le siège de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963.

1 – UNE TENTATIVE DE MODERNISATION QUI TOURNE COURT : THEODOROS II (1855-1868)

A – UNE VOLONTE DE CENTRALISATION

L'avènement de Théodoros constitue le point de départ de l'histoire de l'Éthiopie moderne. Il nait d’un père petit noble militaire, dans le Qwara, petite province de l’ouest du Begmender, subissant des raids incessants du Soudan. Le monastère où il reçoit une éducation traditionnelle est pillé et détruit lors d’un raid et il échappe de justesse à la mort. Très vite déterminé à rétablir l’antique prestige du royaume éthiopien et très soucieux de justice, il organise un groupe de « pillards » pour protéger les paysans des seigneurs de guerre locaux, redistribuant les butins dont il s’empare. Le récit de ses exploits deviennent rapidement célèbre, et sa petite bande grandit rapidement en taille jusqu'à former une véritable armée. Inquiète, la régente tente de le neutraliser en lui faisant épouser sa petite fille et en le nommant gouverneur du Qwara (1845). Mais sa décision d’en finir avec l’émiettement féodal n’est pas entamée. Exploitant les ressources nouvelles de son pouvoir officiel, il engage la lutte contre les différents potentats locaux. A partir de 1852 il bat successivement tous grands seigneurs des riches provinces du Nord et se fait couronner empereur en 1855 sous le nom de Théodoros II. Puis il entame une campagne militaire sur les provinces du sud, Choa et Wello et l’année suivante l’Ethiopie se trouve réunifiée sous son autorité.

Carte de l’Ethiopie vers 1850

Carte de l’Ethiopie vers 1850

Il engage alors une profonde politique de réforme du pays selon trois axes :

* la construction d’un état centralisé fort. Pour cela, il crée un corps de fonctionnaires payés en nature par le gouvernement, ce qui les dégage de la soumission aux potentats locaux, et met en place un système judiciaire unifié pour tout le royaume. Il est le premier souverain à faire écrire les chroniques royales en amharique et impose cette langue qui devient définitivement « la langue nationale ». Pour accroitre les ressources de l’état et le doter d’un revenu régulier, il récupère une partie des terres de l'Église qu’il redistribue aux paysans qui devront en contrepartie payer un impôt. Très pieux, il est le premier à s’attaquer à l’esclavage promulguant divers édits contre la traite qui ravage le pays avec une grande ampleur. Il entreprend enfin d’organiser un véritable réseau de routes permettant d’uifier l’espace du royaume. Suivant une coutume éthiopienne qui veut que le chef montre l'exemple en débutant le travail, le Négus participe activement à ces chantiers

* la création d’une armée nationale.

C’est un point crucial de son règne. Théodoros II s’est hissé au sommet de l'État par son seul talent militaire et non par la revendication d’une « légitimité salomonienne ». Au niveau de l'organisation, il remplace les différentes forces régionales héritées du Zemene Mesafent par une armée nationale unique. Les soldats venus des diverses provinces se retrouvent dans un unique régiment dont la hiérarchie est modifiée (plusieurs titres militaires créés alors sont toujours utilisés par l'armée éthiopienne). Les soldats reçoivent un salaire pour ne plus se faire entretenir par les paysans et le pillage leur est interdit.

Une légende ? je vous la livre comme trouvée : « Un jugement du Negusse Negest a eu un grand retentissement à l'époque : un soldat ayant ordonné à une paysanne d'égorger une poule pour le nourrir, elle se présente devant le Negusse Negest avec douze poussins privés de leur mère. Le soldat est condamné à les avaler. À la paysanne, une vache est offerte. »

Comme l'armement est principalement constitué d'armes récupérées sur le champ de bataille après une victoire, Théodoros entreprend de créer des manufactures d'armes utilisant les nouvelles technologies d'Europe. Il utilise pour cela les « compétences » de missionnaires européens, qu’il autorise en échange à évangéliser les musulmans ! Un premier arsenal est créé à Meqdela, sa capitale qui comprend 15 canons, 7 mortiers, 11 063 fusils, 875 pistolets et 481 baïonnettes ainsi qu’un stock de munitions.

* L’unification doctrinale de l’Eglise.

Le clergé est divisé en plusieurs courants et au terme d’un siècle et demi de féodalisme, verse dans le régionalisme doctrinal. Il est par ailleurs largement inculte et corrompu, ce qui choque le pieux Théodoros. Après avoir récupéré une partie des terres détenue par l’Eglise qui étaient souvent mises en valeur par des esclaves, il impose la réduction du nombre de religieux par paroisse qui, selon lui, ne doivent compter que deux prêtres et trois diacres et veut lutter contre la prolifération des moines errants. Pour mettre la société en harmonie avec ses convictions, il veut interdire la polygamie et le concubinage, tout en encourageant la conversion des non-chrétiens. Enfin en 1864 il proscrit l'Islam dans tout l'Empire éthiopien. Il s'en prend ainsi aux commerçant musulmans qui sont aussi les principaux marchands d'esclaves et qui ont tout fait pour empêcher la mise en application des édits d'abolition publiés par Théodoros.

B - LA MONTEE DES CONTESTATIONS INTERNES ET LES ECHECS DIPLOMATIQUES.

Mais l’Etat souhaité par Théodoros ne fonctionne pas.

Dix ans de réformes menées à la charge ne parviennent pas à effacer des siècles d’habitudes. Désireux d'assurer un ordre politique et juridique, il constate que seule sa force militaire lui assure le respect. Face aux mesures de centralisation, les chefs locaux des diverses régions reprennent les armes à partir du début des années 60, la rébellion étant particulièrement vigoureuse dans le Tigré et le Begmender. Seule sa supériorité militaire lui permet de soumettre rapidement les mouvements de révolte, mais à peine a-t-il terminé dans une province, qu'un nouveau mouvement se lève. Or sa puissance s’érode au fil du temps : en raison de la dureté de la discipline instaurée et des combats menés dans des provinces dont certains sont originaires, bon nombre de soldats désertent. En 1866, son armée qui a compté au début du règne jusqu’à 100 000 hommes n'en comprend plus que 10 000.

Aux rébellions, s'ajoute le mécontentement grandissant des paysans face la présence permanente des soldats qu'ils doivent nourrir. Car les soldes ne sont pas payées, faute de rentrée des impôts. La série des campagnes militaires a aggravé le processus de paupérisation et le dépeuplement des régions parmi les plus riches. Théodoros perd définitivement le soutien des paysans lorsqu'il annonce la création d'un nouvel impôt destiné à financer spécifiquement le système de garnison national. L'Église enfin bascule dans l’opposition incitant les paysans à lutter contre le souverain qu'elle qualifie d'« arriviste illégitime ». Pour tenter d’enrayer le mouvement, Théodoros fait emprisonner l'Abouna Selama en 1864. Mais surtout, en 1865, Menelik, fils héritier du puissant négus du Choa (Shewa sur la carte), qu’il a fait élever à sa cour pour neutraliser le père, s'échappe de Meqdela, la capitale nid d’aigle de Théodoros. Malgré son affection envers l’empereur, il retourne dans le Choa et déclare l'indépendance de son royaume. En 1867, le Begmender reste l'unique province sous contrôle du Négus. En octobre 1867, Théodoros s'installe définitivement à Meqdela où il séjourne jusqu'à son décès.

C’est de l’extérieur que va venir le coup de grâce.

Face aux révoltes internes, Théodoros cherche à utiliser la diplomatie pour regagner un soutien national. Il fait appel aux puissances européennes, notamment au Royaume-Uni, afin d'obtenir une aide technique et militaire pour contraindre l’Islam au repli.

Mais le Négus ignore tout des nouveaux enjeux diplomatiques de l'époque. Si pour lui la religion est un facteur déterminant, il ne sait pas qu'elle ne compte plus vraiment pour les puissances européennes. Par ailleurs, il ignore aussi l'existence du racisme dans les cours européennes, aux yeux desquelles un « monarque africain n'était rien de plus qu'un chef de tribus avec des titres pompeux. ». Lorsqu'il invoque la « solidarité chrétienne contre l'Égypte musulmane » pour demander le soutien de la Reine Victoria et de Napoléon III contre l’empire Ottoman, il ne sait pas que c’est leur allié essentiel pour empêcher la progression de la Russie orthodoxe vers l’espace méditerranéen. Aussi est-il furieux lorsque les Ottomans s’emparent du couvent éthiopien de Jérusalem sans que les puissances « chrétiennes » ne réagissent. Aussi en 1864, il fait emprisonner l’émissaire anglais et les membres du personnel diplomatique dans sa forteresse de Meqdela. Il compte ainsi « réveiller » les Britanniques, restés silencieux à ses appels.

Après bien des tergiversations en raison des problèmes plus importants qui affectent le monde (guerre de Sécession, révolution mexicaine), le Royaume-Uni envoie, en juillet 1867, une expédition de 32 000 hommes sous le commandement de Sir Robert Napier. Avançant rapidement parfois avec le soutien logistique de seigneurs locaux, les forces anglaises encerclent Théodoros dans sa forteresse de Meqdela (actuellement Mékélé) en avril 1868. Incapable d’en sortir, il fait libérer les missionnaires et les prisonniers politiques puis se suicide. Furieux, Napier ordonne le pillage de Meqdela mettant le feu à la bibliothèque impériale et s’emparant d’objets d'une valeur historique inestimable (régalias, attributs du clergé) dont la majeure partie n’a toujours pas été, à ce jour, rendus à l'Éthiopie, malgré les nombreuses réclamations du pays.

Prise et incendie de Mékélé par les Britanniques

Prise et incendie de Mékélé par les Britanniques

Lorsque les britanniques évacuent le pays, la fragmentation du royaume reprend et c’est le gouverneur du Lasta qui se proclame empereur sous le nom Tekle Giyorgis II, appuyé par une forte armée de 60 000 soldats. Mais l’espoir d’unification semé par Théodoros empêche le retour de la féodalité. Le puissant gouverneur du Tigré qui a collaboré avec Theodoros à l’édification d’un empire puissant et centralisé le vainc et le fait prisonnier en 1872 (il meurt en prison à la fin de l’année), puis se proclame empereur.

2 – LA MODERNISATION SOUS UNE AUTRE FORME :

YOHANNES IV (1872-1889)

A – UNE DEMARCHE PROGRESSIVE

Yohannès IV reprend les lignes de force de son prédécesseur mais fort des leçons du règne passé, il adopte une démarche moins abrupte.

Favorable à l'unité du pays, il laisse néanmoins aux seigneurs locaux une certaine marge de liberté et fait de son mieux pour garder un équilibre politico-militaire entre les gouverneurs de provinces. C’est ainsi que le pouvoir se partage entre Ras Adal, qui lutte contre les mahdiste (derviches) au nord, Ménélik dont l'autorité s'étend sur le centre et le sud de l'Empire et Yohannès IV, qui, tenant le Tigré jusqu'à la mer, veut s’imposer comme leur suzerain. En 1878, après divers affrontements menés par seigneurs locaux interposés, la relance d’une guerre civile est évité et un pacte est conclu entre Yohannès et Ménélik. En échange de sa soumission et de l’arrêt des accrochages, Yohannès sacre Ménélik du titre de Negus du Choa, le reconnaît comme son successeur à la tête de l’empire et lui laisse les mains libre pour étendre son domaine vers le Sud et l’Est. Pour maintenir un certain équilibre, il nomme en 1881 Ras Adal « roi Takla Haïmanot » du Tigré. Mais par ces biais, il fait reconnaître son autorité centrale sur le royaume.

Tout comme son approche de la centralisation, la politique religieuse de Yohannes évite les épreuves de force. Pour encourager le renouveau du christianisme, il demande au Patriarche d'Alexandrie l'envoi de plusieurs Abounas ; la requête est acceptée en 1881. Chacun des 4 évêques nommés se voit attribuer une province dans laquelle il doit s'impliquer pour faire vivre et progresser l’Eglise éthiopienne contre les empiètements des missionnaires occidentaux et la progression de l’islam.

Mais il faut pour cela parvenir à une unité de doctrine. Il convoque donc le concile de Borouméda en 1878, qui voit l'affrontement de trois doctrines : la «Qarra Haymanot », plus généralement appelée «Tewahedo», selon laquelle, il ne faut pas diviser la nature divine et la nature humaine du Christ (une par le Père et une par la Vierge Marie) alors que la doctrine de «Sost Lidat», défendue par les moines de Debre Lebanos soutient la doctrine de la séparation (le Christ est né du Père, de l'opération du Saint-Esprit mais après neuf mois de grossesse de la Vierge Marie). Enfin la dotrine « Qebat » (« onction »), repose sur l’idée que la divinité du Christ découle de l’onction et non de l'incarnation du Fils. Mais ce débat est essentiellement politique puisque Yohannes IV, partisan de la doctrine tewahedo, se trouve en opposition directe avec Ménélik qui soutient la Sost Lidat. Pour réaffirmer sa suzeraineté, il exerce de fortes pressions sur les opposants, fait expulser les récalcitrants et parvient à faire adopter la doctrine tewahedo, comme seul fondement de l'Église éthiopienne orthodoxe. Après un siècle de « négligences », le souverain redonne à l'Église un pouvoir et une mission clairs

Le deuxième point important du concile de Borouméda est la question des musulmans du Wello. La position de Yohannes vis-à-vis de l'Islam est claire puisque dès 1875, un décret indique que les musulmans doivent se convertir. Pour le Wello, en 1878, la solution adoptée est la conversion de masse. Pour la mener à bien, la démarche n’est pas de conviction : seuls les chrétiens pourront rester propriétaires de leurs terres, les autres seront expropriés. La campagne est un « succès » : de 1878 à 1880, on dénombre parmi les convertis 50 000 musulmans, 500 000 Oromos et 20 000 païens.

Au plan militaire il poursuit la politique de modernisation de l’armement, important des canons et des fusils occidentaux parmi ce qui se fait de plus en avance au plan technologique (la France accepte de livrer des « Chassepot » fusil à chargement par la culasse à canon est rayé et doté d’une baïonnette).

D’autres mesures témoignent de sa volonté de modernisation : il est le premier à organiser des représentations diplomatiques du pays. De manière plus anecdotique il favorise l’implantation d’une médecine moderne sous l’égide d’un médecin grec qui intervient à la cour et paye de sa personne en étant le 1er éthiopien à se faire vacciner contre la variole.

B – MAIS COMME POUR SON PREDECESSEUR LE PRINCIPAL SOUCI DU REGNE RESTE LA POLITIQUE EXTERIEURE.

L'Égypte est le premier adversaire externe que Yohannes affronte au cours de son règne. L'intérêt du Caire pour la Corne de l'Afrique, et plus particulièrement l'Éthiopie, s'explique par l'intérêt stratégique que représente la région après l'ouverture, en 1869, du canal de Suez. L'Égypte, en pleine modernisation, compte exploiter les terres agricoles éthiopiennes afin de régler le problème de la dette. De 1872 à 1875, les Égyptiens progressent et Yohannes, occupé à consolider son pouvoir, ne parvient pas à résoudre le problème par la voie diplomatique. À l'exception d'Assab et Obock, respectivement italien et français, tous les ports de la mer Rouge sont sous occupation égyptienne. En septembre 1875, les Egyptiens passent à la conquête du plateau. C’est un désastre : ils perdent la quasi-totalité de leurs troupes et Yohannes récupère un armement moderne (16 canons et 12 200 fusils Remington). Mais cette victoire a aussi un impact psychologique important dans le pays : elle assoie l’idée de la puissance de l’empereur ce qui bloque les velléités d’affrontement avec le pouvoir central.

Expansion de l’Empire éthiopien vers 1896

Expansion de l’Empire éthiopien vers 1896

En 1881, le mouvement mahdiste éclate au Soudan où les rebelles se lèvent contre la présence égyptienne. Les Britanniques pour renforcer leur surveillance du canal, vital pour l’empire des Indes, occupent l'Égypte et tentent de gérer la rébellion soudanaise. En trois ans, les Mahdistes remportent de nombreuses victoires dans le Sud et l'Ouest pour finalement encercler les garnisons égyptiennes de l'est, près de la frontière éthiopienne. La seule voie d'évacuation, en direction de la mer Rouge, passe donc par l'Empire de Yohannes à qui Le Caire et Londres doivent demander une autorisation.

Très réticent à aider les ennemis d’hier, Yohannès cède sous la pression et les promesses anglaises. Un traité est signé en 1885 mais qui se révèle vite un marché de dupe. Contre leurs engagements, les Britanniques attribuent le port de Metsewa aux Italiens qui s’emparent ensuite d’Assab et de Massoua. Les Anglais préfèrent avantager une puissance coloniale faible pour empêcher une montée en puissance de la France dans la région, à partir des ports d’Obock et de Djibouti. Mais les Italiens n’entendent pas se cantonner à la côte et, comme les Egyptiens avant eux, ils investissent progressivement le bas plateau de l’Erythrée. Ils sont stoppés lors de la bataille de Dogali en 1887. Mais Yohannès doit faire face à une menace plus immédiate. Les mahdistes, furieux de l’aide apportée à l’Egypte, attaquent l’Ethiopie à partir de 1886, y effectuant des raids ravageurs : en 1887 Gondar est pillée et incendiée, sa population massacrée. Début 1889 Yohannès organise une grande offensive sur Metemma mais est tué lors de la bataille.

3 – L’AFFIRMATION DE LA PUISSANCE, L’INDEPENDANCE PRESERVEE : MENELIK II (1889- 1913)

A – LE COUP DE TONNERRE D’ADOUA.

À l'annonce de la mort de Yohannes IV, Ménélik se fait proclamer NEGUSSE NEGEST d'Éthiopie, conformément aux accords passés en 1878. Mais la décennie qui s’est écoulée lui a permis de renforcer sa position en conquérant l’Arsi et l’Harar. Aussi sa nomination ne suscite aucun remous dans l’Empire. Il décide de transférer le centre de pouvoir de l’empire dans sa capitale nouvellement créée Addis Abéba et d’y fixer la cour. Afin d’accélérer la modernisation de son armée il signe le traité de Wuchale avec les Italiens en 1889. En contrepartie d’une énorme commande d’armement, il leur accorde la jouissance d’une région du nord de l'Éthiopie, l'Érythrée et une partie du Tigré. Mais les Italiens n’entendent pas en rester là et, trafiquant la version italienne du traité, prétendent établir leur protectorat sur toute l’Éthiopie. Pour soutenir leurs prétentions, ils occupent alors la ville d'Adoua. Ménélik refuse de céder et dénonce le traité de Wuchale le 12 février 1893. La tension monte d’un cran lorsque Ménélik, pour récupérer une ouverture sur la mer joue la carte française : pour relier Addis-Abeba à Djibouti, il accorde en 1894 la concession d’une ligne de chemin de fer reliant sa capitale au port. La France devient de facto la clé de la voie d’accès exclusive aux richesses de l’empire, belle revanche sur les manœuvres britanniques favorisant l’Italie en Mer Rouge.

Conscient du risque pour leurs ambitions, les Italiens passent à l’offensive. La campagne de 1895 leur permet de s'emparer d'une grande partie de la province du Tigré. Mais très vite les Éthiopiens, désormais bien organisés, reprennent l'avantage. Les Italiens décident alors de lancer une grande offensive à Adoua, le 1er mars 1896. À l'erreur fondamentale de sous-estimer leur adversaire, les troupes italiennes ajoutent une mauvaise connaissance du terrain et commettent des erreurs stratégiques fatales. Leurs pertes sont énormes et la victoire éthiopienne est sans appel.

Victoire éthiopienne d’Adoua

Victoire éthiopienne d’Adoua

À une époque où toute l'Afrique est aux mains du colonialisme européen, la victoire d'Adoua a des répercussions mondiales : elle annonce d’autres replis de la puissance européenne. Moins de 10 ans plus tard, le Japon triomphe de l’énorme empire russe ! Le traité de paix signé en 1896 reconnaît « l'indépendance absolue et sans réserves » de l'Éthiopie, et entérine l’expansion du pays vers le Sud et l’Est, doublant la superficie de l'Empire. Mais l'Italie parvient à conserver ses possessions érythréennes issues des territoires contrôlés par les Ottomans. Hormis par la fenêtre de Djibouti, l'Éthiopie reste privée d’ouverture maritime.

B – UNE SUCCESSION PROBLEMATIQUE.

Alors que les grands chantiers de la modernisation du pays sont lancés, tant au plan administratif que technologique, en 1908 Ménélik est frappé de deux crises d'apoplexie et n'est plus en mesure d'assurer le pouvoir. Mais dès 1907 il a organisé sa succession en faveur de son petit-fils Iyassou. De manière significative, malgré l’incapacité de Ménélik, le pays continue à fonctionner normalement, géré par le conseil des ministres. Mais les puissances européennes restent à l’affût, prêtes à se partager le pays en zones d’influence exclusive. A la mort de Ménélik II, Iyassou est porté au pouvoir en décembre 1913, mais sans être jamais couronné. Car dès son installation au pouvoir il suscite des mécontentements.

Voulant poursuivre dans la voie de modernisation du pays, il souhaite établir l'égalité religieuse pour les musulmans au sein de l'Empire : les conquêtes de Ménélik ont eu pour résultat de renforcer leur poids au sein du pays. En 1915, Iyassou leur offre un drapeau éthiopien orné d'inscriptions musulmanes, symbolisant son engagement à tenir sa promesse. En attribuant des responsabilités politiques et administratives à de jeunes intellectuels non issus du rang des notables, il s’aliène l’essentiel du courant conservateur de la noblesse. Au plan international, son rapprochement avec la Turquie ottomane inquiète Anglais et Français en ce début de Première Guerre mondiale et sa politique anticolonialiste en soutien aux Somalis et aux Afars amène les puissances coloniales de la corne de l’Afrique à exercer des pressions sur le conseil des ministres.

C’est de l’Eglise que part le coup fatal. Dénonçant son goût pour « le vin, la musique et les femmes », l'évêque d'Éthiopie, l'abuna Mattéos, excommunie Iyassou en septembre 1916. Il est alors chassé du pouvoir. Une guerre civile débute mais vite enrayée par l’intervention française (mais Iyassou, en fuite n’est capturé qu’en 1921 et alors interné à Harar). À la suite du coup d'État, l’Eglise et la noblesse s’accordent sur la nomination de Zaouditou, fille de Ménélik II, couronnée comme Négus au début de 1917. En cette période d'occupation coloniale du reste du continent, Zaouditou est ainsi la première femme chef d'État d'un pays indépendant. Si elle détient nominalement le pouvoir jusqu’à sa mort, c’est le prince-régent, héritier désigné du trône de l'Empire, le jeune Ras Tafari Makonnen (futur Hailé Sélassié Ier) qui conduit de plus en plus la politique du pays.

Jean Barrot