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DESTIN DE LA CARICATURE

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

DESTIN DE LA CARICATURE

Connaissance & Partage

Comme nous revoilà parti en confinement je vais recommencer à vous proposer quelques textes pour occuper votre « temps de cerveau disponible ».

En cette journée d’hommage à Samuel Paty, je vous propose un texte rédigé en 2006, dans la foulée des « émotions » suscitées par la publication de caricatures de Mahomet dans le journal danois Jyllands Posten, et publié à l’époque dans la revue des Amis du Musée Fabre,

LA RENCONTRE n° 77 - 3e T. 2006.

J’en renouvelle ici l’iconographie d’accompagnement avec 2 objectifs : mieux cibler l’évolution historique de la caricature (images de 1 à 6) et rendre compte des débats et affrontements de la période récente, où la caricature s’est déplacée vers le dessin de presse …du moins dans ce qu’il en reste en version papier.

DESTIN DE LA CARICATURE

Il y a un an, l'affaire des « caricatures de Mahomet », soigneusement montée par quelques intégristes islamistes, déclenchait une vague de mouvements de foule dans les pays musulmans(1) ainsi qu'une série de polémiques rebattues autour de l'usage de la caricature dans la vie publique de notre pays.

UN BUT

Si la chose vient de très loin – des traces de caricatures sont repérables dans l'Antiquité mais les supports utilisés n'ont pas vraiment permis leur conservation – le mot n'émerge que vers la fin du 16e siècle à partir de l'italien caricare (charger).

• Le portrait-charge en est probablement la forme initiale : il consiste en une exagération des traits physiques les plus marquants d'un personnage. C'est un constat.

• Le portrait métaphorique pousse la déformation physique pour exprimer une vision critique ou satirique d'un personnage (c'est dans cette catégorie qu'on pourrait ranger la caricature représentant Mahomet avec un turban en forme de bombe(2)). C'est un jugement.

• La caricature de situation, enfin, ne cible plus un personnage particulier bien identifié mais un type, assimilé à un groupe, mis dans une situation réelle, imaginaire ou fantasmée, dont on veut critiquer les mœurs ou les comportements. C'est – le plus souvent – un préjugé (je reviendrai plus précisément sur ce point)

Mais le dénominateur commun de ces variantes de caricatures, c'est le rire.

FAIRE RIRE.

Derrière cette volonté des caricaturistes, il y a bien plus que la recherche d'une décharge pulsionnelle à provoquer chez le lecteur. Le rire visé est fondamentalement une source du doute. Il affranchit non seulement des censures extérieures qui cherchent à imposer un credo, un « politiquement correct », un absolu de la vérité – et on verra que la caricature a un rapport puissant avec la vérité – mais il est surtout ce qui fait échapper aux censures intérieures que sont la peur du sacré, les interdits autoritaires, les commémorations douloureuses du passé. Comme le note M. Bakhtine à propos de l'œuvre de Rabelais : « Il permet d'ouvrir les yeux sur le neuf et sur le futur ». Chaplin ne s'y trompe pas avec LE DICTATEUR, promesse des désastres à venir, de même que Begnini, pour un enfant, ranime sans cesse l'idée que LA VIE EST BELLE.

Et l'on voit bien où le bât blesse : si le rire a un rapport avec le doute, il a de ce fait un rapport avec la mise en cause du sacré et, quelque part, sent le soufre. Je pense bien sûr ici au NOM DE LA ROSE d'Eco, à tous ces cadavres qui s'amoncellent à seule fin de nier la réflexion d'Aristote sur le rire.

UN STYLE

Le moyen du caricaturiste pour faire naître le rire est le graphisme, la volonté d'utiliser uniquement le trait (la couleur apparaît le plus souvent comme secondaire dans la caricature). Elle s'inspire d'une trajectoire historique que l'on a pu qualifier de « main gauche de l'art », dans la mesure où, historiquement, l'utilisation du seul graphisme a surtout concerné les gueux, les débauchés, les prostituées, les comédiens, les soldats de fortune (ainsi chez Callot, Hogarth, Lautrec etc.). Ce recours au seul trait est antinomique de l'art classique qui cherche en permanence à associer la couleur et le dessin, association qui est la source même de la Vérité. L'exagération des défauts, des difformités, des tics, fait de la caricature une arme offensive et, par le rire obtenu, implique le spectateur dans un acte. D'une certaine manière on peut considérer que la caricature s'apparente à ce qu'étaient les techniques de l'envoûtement : on jette un sort par l'intermédiaire d'une effigie. La puissance de la caricature et sa raison d'être, c'est de parvenir à être acte : elle ne montre pas, elle opère. Les réactions de rue dans les pays musulmans ont été à ce titre exemplaires : les caricatures incriminées ont été en mesure de provoquer la mort de manifestants à travers les affrontements avec la police ou dans des mouvements de foule non contrôlés.

Finalement, que la caricature soit subtile ou grossière, elle ne fait jamais mystère de ses intentions : c'est une prise de position et en ce sens elle apparaît comme un instrument essentiel de la liberté de penser.

UNE HISTOIRE

Historiquement, la naissance de la caricature s'effectue à la Renaissance. Par les citations qu'en font Aristote ou Aristophane, on sait qu'un certain Poson était un caricaturiste renommé. Mais on n'arrive pas à saisir vraiment quelle était l'importance et la position institutionnelle de la caricature en tant que graphisme, alors qu'on mesure assez bien la place de la satire dans le théâtre ou les écrits antiques.

Ce graffiti, découvert en 1897 dans les vestiges de la “domus Gelotiana” à Rome est daté autour du 2e siècle. Il caricature la croyance des chrétiens en Jésus : une forme humaine crucifiée, affublée d’une tête d’âne, est saluée ou honorée par un per…

Ce graffiti, découvert en 1897 dans les vestiges de la “domus Gelotiana” à Rome est daté autour du 2e siècle. Il caricature la croyance des chrétiens en Jésus : une forme humaine crucifiée, affublée d’une tête d’âne, est saluée ou honorée par un personnage debout en contrebas. Le texte gravé (dans un grec approximatif qui veut indiquer le lieu d’origine – l’est de la “Mare Nostrum” – de cette nouvelle croyance) signifie « Alexamenos adore (son) Dieu » (Musée du palatin – Rome)

Pour que la caricature se développe comme source de rire, il faut que la société se propose, par l'Art, d'exprimer la Beauté comme un absolu de vérité. Dès lors que cet absolu est posé, il offre l'occasion de voir émerger son antithèse, sa subversion. Le grotesque, le laid, le mensonge, sont des éléments constitutifs de la caricature. En corollaire on peut considérer que le Moyen Age n'a pas connu la caricature : beauté et laideur sont représentatives des vertus et des vices tels qu'ils sont définis par l'ordre chrétien. Chez Bosch par exemple les différentes combinaisons qui organisent les personnages sont essentiellement une représentation des positions morales de l'Eglise et pas du tout des caricatures. Il ne s'agit pas de faire rire mais de faire peur.

La Renaissance, en opérant un retour à l'idée d'une Beauté absolue, à travers la permanence de la forme, vise la fidélité au modèle. Mais en même temps tout écart devient une charge, comme l'indique bien l'étymologie évoquée au début. Et c'est la source d'un beau paradoxe : des artistes comme Vinci ou les frères Carrache, qui ont le plus fait pour formaliser les règles du portrait, ont été aussi ceux qui ont le plus pratiqué la caricature à travers un déplacement de sens. On passe de la ressemblance à l'équivalence. L'observateur reconnaît, malgré les déformations, la personne évoquée et accepte la trahison de la fidélité au modèle.

La physiognomonie remonte à l’Antiquité. Elle entend déduire le caractère d’une personne de son apparence physique rapportée à des traits qui rapproche son visage de celle d’un animal que l’on dote de vertus supposées (renard fourbe, lapin couard et…

La physiognomonie remonte à l’Antiquité. Elle entend déduire le caractère d’une personne de son apparence physique rapportée à des traits qui rapproche son visage de celle d’un animal que l’on dote de vertus supposées (renard fourbe, lapin couard etc). En 1668, C. Le Brun, directeur de l’Académie Royale de peinture et de sculpture remet à l'honneur cette physiognomonie zoologique, qui insiste sur les traits animaux de la face humaine ce qui permet de révéler les facultés de l'esprit ou les caractères. C'est ainsi que l'angle formé par les axes des yeux et des sourcils peut conduire à des conclusions variées, selon que cet angle s'élève sur le front pour se rapprocher de l'âme ou qu'il descend vers le nez et la bouche, considérés comme parties animales.

UNE APOGÉE

La Révolution Française, en libérant l’édition et la presse de la tutelle royale, entraine un foisonnement de la caricature politique qui devient un instrument de lutte pour la liberté. Réprimée sous le 1er Empire, elle prolifère chez les ennemis de la France, ciblant particulièrement Napoléon Ier comme fauteur de trouble en Europe.

Le 11 Juillet 1791, 3 semaines après l’arrestation du roi à Varennes, le transfert des cendres de Voltaire au Panthéon tourne à la manifestation contre le roi Louis XVI et la monarchie constitutionnelle. La Renommée révèle que Rabelais n’est jamais …

Le 11 Juillet 1791, 3 semaines après l’arrestation du roi à Varennes, le transfert des cendres de Voltaire au Panthéon tourne à la manifestation contre le roi Louis XVI et la monarchie constitutionnelle. La Renommée révèle que Rabelais n’est jamais très loin des références du bon peuple de l’époque. Quant à moi je pense à Brassens et aux trompettes de la renommée bien mal embouchées …

A partir du début du 19e siècle la caricature prend une importance considérable, grâce aux moyens de reproduction qui sont mis en œuvre. Jusqu'alors la reproduction des caricatures était fort coûteuse (plaques de cuivre, xylographies), ne permettant pas des tirages en grand nombre. La lithographie change tout : elle permet des reproductions en grand nombre et une diffusion rapide. Par ailleurs c'est aussi le moment où l'alphabétisation en Europe commence à être relativement importante (on considère qu'au début du 19e siècle, environ 30 à 40 % de la population occidentale sait lire). La caricature va alors souvent s'adjoindre une légende – au risque d'y perdre sa force et son invention graphique – et accompagner le développement de la presse. De façon significative, le journal insère la caricature dans la continuité du récit d'actualité, un peu comme dans un film, où, au fur et à mesure de son déroulement, ce sont les images qui assurent le mouvement de la vie.

Le premier journal à systématiser l'usage de la caricature en France, naît en 1830, au tout début de la Monarchie de Juillet, et a pour titre LA CARICATURE. On ne peut faire plus explicite. Créé par un républicain convaincu, Charles Philipon, il subit bien vite les foudres du pouvoir. Contre le rire et l'enthousiasme de l'opposition républicaine pour ce journal, la censure louis-philipparde va intervenir, notamment après la fameuse transformation du portrait de Louis-Philippe en poire.

A partir d’un croquis réalisé lors d'une audience à la Cour d'assises par C. Philipon en novembre 1831, Daumier métamorphose, en quatre images la figure du roi Louis-Philippe. Elle est révélatrice de la perte d’audience de la monarchie de Juillet 1 …

A partir d’un croquis réalisé lors d'une audience à la Cour d'assises par C. Philipon en novembre 1831, Daumier métamorphose, en quatre images la figure du roi Louis-Philippe. Elle est révélatrice de la perte d’audience de la monarchie de Juillet 1 an après son instauration.. Immédiatement publiée par La Caricature elle vaut un procès à Philipon propriétaire du journal. « Ce que j'avais prévu [en publiant la caricature] arriva. Le peuple saisi par une image moqueuse, une image simple de conception et très simple de forme, se mit à imiter cette image partout où il trouva le moyen de charbonner, barbouiller, de gratter une poire. Les poires couvrirent bientôt toutes les murailles de Paris et se répandirent sur tous les pans de murs de France. »

La censure va multiplier les amendes, les saisies, les procès, et même infliger la prison à Philipon. Finalement, en septembre 1835, Louis-Philippe fait interdire par la loi la caricature à but politique(3).

La caricature se déporte alors vers la critique des mœurs, des travers des catégories sociales, des situations de société, etc. On retrouve la même chose après une très brève période de retour à la liberté, entre 1848 et 1851. Après le coup d'état de Napoléon III, sous le Second Empire, la caricature politique est à nouveau interdite. Et Victor Hugo de commenter : « Le pouvoir se sent hideux, il ne veut pas de portrait, surtout pas de miroir ». Il faut finalement attendre la loi sur la liberté de la presse en 1881 pour que toutes les censures soient supprimées. La caricature redevient un élément de combat qui va se maintenir pratiquement jusqu'au milieu du 20e siècle.

« Un vénérable orang-outang » (The Hornet - 22 mars 1871).En leur temps Galilée et Copernic avaient montré que l'homme n'était pas au centre du cosmos. Avec Darwin, qui publie fin 1859 L’Origine des espèces il ne fait plus l'objet d'une création div…

« Un vénérable orang-outang » (The Hornet - 22 mars 1871).

En leur temps Galilée et Copernic avaient montré que l'homme n'était pas au centre du cosmos. Avec Darwin, qui publie fin 1859 L’Origine des espèces il ne fait plus l'objet d'une création divine particulière. L’homme est considéré comme un être naturel qu’il est possible de connaître et d’étudier. L’Eglise anglicane se déchaine et l’évêque Samuel Wilberforce monte au créneau. S’adressant au scientifique Thomas Huxley, défenseur de Darwin il l’apostrophe : « Est-ce par votre grand-père ou par votre grand-mère que vous descendez d'un singe, monsieur Huxley? ».

On prête à la femme de l’évêque une réplique et un aparté

« Vous descendez peut-être du singe mais nous nous descendons de familles honorables »

« Descendre du singe ! Espérons que ce n’est pas vrai. Mais si ça l’est, prions pour que la chose ne s’ébruite pas ! »

Républicain et libre penseur Kupka multiplie les dessins de presse pour vivre. Vite remarquéEn janvier 1902, L’ASSIETTE AU BEURRE lui confie le soin de réaliser une édition spéciale consacrée à « L’ARGENT ». « En tant que pauvre, j’ai vécu avec les …

Républicain et libre penseur Kupka multiplie les dessins de presse pour vivre. Vite remarqué

En janvier 1902, L’ASSIETTE AU BEURRE lui confie le soin de réaliser une édition spéciale consacrée à « L’ARGENT ». « En tant que pauvre, j’ai vécu avec les pauvres, et c’est ainsi que sont nés mes dessins satiriques militants. Pourtant, même dans ces conditions, je me suis toujours attaché à maintenir l’art du dessin à un haut niveau ».

Mais ne l'oublions pas : cette loi introduit la responsabilité des auteurs devant les tribunaux, pour des contraventions à la loi commune, la diffamation en particulier(4). C'est pourquoi tous les débats d'il y a un an autour de la question de la publication des caricatures danoises m'ont paru vides de sens. Le problème n'était pas « Cela jette de l'huile sur le feu » – on sait que c'est la finalité de la caricature – mais bien « Sont-elles diffamatoires ? Sont-elles une incitation à la haine raciale ? ». Questions à régler dans le cadre de la loi, devant les tribunaux. Hors de cela, on se trouve face à des tentatives de réintroduire la censure, voire l'idée de blasphème, bref, d'opérer une régression intellectuelle formidable pour notre société.

Où le rire est un élément essentiel de la vie culturelle, sociale et politique.

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A partir des années 1960 – à part un rebond pendant la crise de 1968 – la caricature "graphique" tend à perdre de son influence(5) (comme la presse écrite, d'ailleurs) au profit d'un autre moyen de communication plus puissant, la télévision. Certes, celle-ci recycle une partie des moyens de la caricature traditionnelle (ainsi dans la physionomie des poupées des « Guignols de l'Info »). Mais la "charge du réel" s'opère essentiellement dans le discours et, de manière bien plus complexe, par des effets de caméra (zoom, travelling, contre-plongée etc ... ) dont le sens est d'autant plus difficile à décrypter que cela passe vite.

CARICATURE ET ART.

L'idéal de l'artiste classique étant de parvenir à l'expression du beau – avec l'idée que le beau est l'expression absolue de la vérité – il vise à la permanence dans l'œuvre. Au contraire la caricature se saisit de l'instant.

Il y a là quelque chose qui vient s'inscrire dans le courant artistique de la fin du 19e siècle. J'y vois une équivalence de l'impressionnisme. Ce courant cherche à saisir la fugacité du moment mais en jouant essentiellement de la couleur : le dessin se dissout, la forme n'est plus qu'allusive. La caricature joue le trait, se débarrassant du problème de la couleur. En introduisant la déformation, elle est pleinement allusive, niant, comme l'impressionnisme, l'exigence du système des Beaux-Arts, de tenir en permanence le trait et la couleur dans un même mouvement.

Sur les décombres de ce système, la caricature va trouver un prolongement artistique dans l'expressionnisme, où le trait déforme, malmène en quelque sorte le dessin. Un artiste comme Daumier, parallèlement à son œuvre peinte, a travaillé en permanence dans le domaine de la caricature : son Don Quichotte en porte les stigmates. Bien d'autres comme Lautrec, Kupka (qui a beaucoup travaillé pour L'ASSIETTE AU BEURRE), Villon même, ont utilisé la caricature, soit à leurs débuts pour gagner leur vie, soit par la suite en en conservant l'esprit dans leur œuvre. Plus nettement encore, elle est – me semble-t-il – à la source de l'expressionnisme chez Grosz, Kirchner, Dix, et s'est prolongée dans certaines expressions picturales de l'art moderne. Que l'on songe seulement à Picasso !

Mais il existe une limite à ce rapport entre la caricature et l'art. Lorsque la caricature abandonne la fugacité de l'instant qu'elle entend saisir pour mettre en place un véritable type nouveau, elle procède comme l'académisme qui entend fixer un registre des passions, des attitudes, des proportions, etc.

On assiste alors à la naissance de stéréotypes qui apparaissent comme l'élément de l'efficacité la plus immédiate de la caricature – comme cela fonctionne dans l'académisme – mais qui, dans le même temps, la privent de sa capacité d'invention et d'ouverture.

Le recours au stéréotype impose le caractère condensé, schématisé et simplifié des opinions. Les sociologues nous disent qu'il s'agit là du résultat d'un principe d'économie : on pense par stéréotype pour éviter d'avoir à réfléchir à tous les aspects de la réalité, pour éviter d'avoir à affronter le nouveau ou l'inconnu. La puissance de l'efficacité du stéréotype tient à ce qu'il est la signification en elle-même : il est donc à la fois absolument rigide, absolument pétrifié. Le rire surprise, preuve de l'éveil de l'intelligence, se mue en rire mécanique, pavlovien, face à une situation déjà connue. Le rire pré-enregistré se porte bien aujourd'hui à la télé ...

Ce dessin reprend la silhouette de l’entrée du camp nazi d’Auschwitz, la pancarte au premier plan indiquant « La bande de Gaza ou les camps israéliens d’anéantissement » (AD-DUSTUR (journal jordanien), 19 octobre 2003)

Ce dessin reprend la silhouette de l’entrée du camp nazi d’Auschwitz, la pancarte au premier plan indiquant « La bande de Gaza ou les camps israéliens d’anéantissement » (AD-DUSTUR (journal jordanien), 19 octobre 2003)

Cette caricature d’Antonio Moreira Antunes pose que la politique américaine initiée par Trump vis à vis de la Palestine est pilotée directement par Israël en la personne du « basset » Netanyahu. (NEW YORK TIMES, avril 2019). Dénoncée comme antisémit…

Cette caricature d’Antonio Moreira Antunes pose que la politique américaine initiée par Trump vis à vis de la Palestine est pilotée directement par Israël en la personne du « basset » Netanyahu. (NEW YORK TIMES, avril 2019). Dénoncée comme antisémite, elle conduit le journal à présenter des excuses puis en juin à annoncer l’abandon de la publication de caricatures de presse.

Caricaturiste algérien, Ali Dilem commence sa carrière au journal Alger républicain en 1989 et travaille actuellement à LIBERTE. Traqué par les intégristes et harcelé en permanence par le pouvoir, il documente au quotidien l’actualité algérienne et …

Caricaturiste algérien, Ali Dilem commence sa carrière au journal Alger républicain en 1989 et travaille actuellement à LIBERTE. Traqué par les intégristes et harcelé en permanence par le pouvoir, il documente au quotidien l’actualité algérienne et ses prolongements vers la France et l’islam.

En écho à l’image 5… Imed Ben Hamida est le caricaturiste attitré de BUSINESS NEWS journal électronique tunisien.

En écho à l’image 5… Imed Ben Hamida est le caricaturiste attitré de BUSINESS NEWS journal électronique tunisien.

Partant d'une singularité par rapport à la norme, on a fait de cette singularité une nouvelle norme qui structure un personnage, un groupe, une situation, qui se trouvent désormais figés dans cette singularité. Si John Bull, l'oncle Sam, Marianne sont des commodités que s'offrent sans grand danger les caricaturistes du début du 20e siècle, la représentation du Juif dans le Stürmer, en Allemagne, pendant la période nazie, a bien alimenté les appels au génocide. Du coup – et de nombreuses expériences l'attestent – le regard perd sa puissance : le stéréotype aveugle. Il est même capable d'affecter le souvenir et d'en inverser le sens.

Plus la période de crise est violente et plus la caricature court le risque de sombrer dans la violence du stéréotype. Il n'est que de revoir pour la France les caricatures réalisées pendant l'affaire Dreyfus (le juif), la guerre de 14-18 (le boche), le Front Populaire (les salopards en casquette), 1968 (la chienlit et les veaux)... Philippe Roberts-Jones, historien spécialiste de la caricature du 19e siècle, note : « Lorsque la caricature est déchaînée et injurieuse, elle n'est que le reflet des bouleversements des passions et des haines de l'époque. La caricature n'est pas responsable de ses propres excès, il faut en accuser la violence des périodes de troubles ». Casser le thermomètre n'a jamais guéri le malade : il n'y a pas à interdire la caricature.

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EN GUISE DE CONCLUSION

Je voudrais revenir sur une formule reprise de P. Desproges qu'on a beaucoup entendue l'an passé : « On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui ». Mon désaccord est total : on reste dans le rire de complicité, du politiquement correct de l’entre-soi (chacun ayant, bien entendu, une idée de son « politiquement correct »).

Oui, il nous faut rire de tout. MAIS AVEC TOUS : l'avancée vers notre commune humanité est à ce prix ...

NOTES

1 - Ces réactions de “la rue musulmane” – du journalisme tel qu’on le parle ! – révèlent que l'efficacité de la caricature est maximum quand elle s'en prend au "sacré". Le "sacré" est tabou : on ne doit l'évoquer que dans « la crainte et le tremblement » (Kierkegaard).

2 - La bombe trivialement cachée dans le turban du Prophète le « profane » en en faisant un vulgaire malfaiteur. Mais la caricature exploitant les ressources de la métonymie (représentation du tout par la partie) dit autre chose : elle vise ceux qui s'accaparent du Prophète pour justifier leur terrorisme. Pour les incroyants, le rire naît de la tartufferie ; mais pour un croyant sans humour, c'est un blasphème.

3 – Victime corrélative de cette loi, dès 1836, l’opéra de Louise Bertin ne put s’appeler « Notre-Dame de Paris » malgré la rédaction du livret par Victor Hugo et dut se contenter de « La Esmeralda ».

4 - Précisons que la diffamation n'implique que le respect dû aux personnes, ce qui ne s'identifie aucunement à leurs croyances, mœurs, us et coutumes. Nul ne peut me faire tenir pour sacré ce que lui-même tient pour tel...

5 - ... ou migre pour partie dans la BD et dans le dessin de presse.

Jean Barrot