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JARDIN III D’EXTREME-ORIENT :  UNE INSPIRATION CHINOISE COMMUNE  PROLOGUE : LA PENSEE CHINOISE COMME MATRICE

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

JARDIN III D’EXTREME-ORIENT : UNE INSPIRATION CHINOISE COMMUNE PROLOGUE : LA PENSEE CHINOISE COMME MATRICE

Connaissance & Partage

JARDINS D’EXTREME-ORIENT :

UNE INSPIRATION CHINOISE COMMUNE

PROLOGUE : LA PENSEE CHINOISE COMME MATRICE

La vision du monde des Chinois s’exprime parfaitement dans les idéogrammes qui sont utilisés pour nommer leur pays (zhong guo)

 
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Le premier caractère composé d’une flèche qui atteint le centre de sa cible signifie “milieu”. Le second signifie “pays”. C’est le territoire (quadrilatère) dirigé par l’empereur (axe vertical qui assure la liaison de l’humanité - barre centrale - au ciel et à la terre. Le trait bref oblique modifie le sens de l’idéogramme “roi” en “jade” roche la plus dure (après le diamant) devenue symbole d’éternité. La Chine, dans notre vocable, est pour ses habitants « l’empire du milieu » à entendre comme « centre du monde », signifiant par là même le pays « de la parfaite vertu », « de la perfection achevée », dont les habitants, les Chinois, sont les Hua : “les fleurs”.

Le monde, la Terre, est pensé en 2 éléments conjoints, la terre et le ciel. La terre est carrée et le ciel est rond. Mais si l’on reporte un cercle de diamètre 1 sur un carré de coté 1 le carré n’est pas couvert sur ses angles. Ces terres qui ne sont pas « sous le ciel » sont le domaine des Barbares. Le centre du système terre-ciel est l’Empire du milieu, géré par le “fils du ciel”, celui qui a reçu son mandat du ciel, l’empereur. En auréole vers la circonférence du cercle, la protection du ciel s’amoindrit et le gradient de civilisation se dégrade. Les peuples qui sont aux marges du cercle sont encore sous le ciel. Ce sont des « barbares cuits », conséquence de l‘adoption de la culture et des rites de l’Empire du milieu. Hors de la protection du ciel se retrouvent des barbares crus, sans intérêt.

La représentation symbolique de cette cosmologie est la tortue : plastron carré (terre), carapace hémisphérique (ciel) et extrémité sorties (pattes et tête) qui sont le lieu des insécurités, des attaques potentielles. Par extension, la Terre étant éternelle, la tortue symbolise aussi la longévité.

Le jardin (hua yuan) se compose, dans ce cadre conceptuel, des 2 idéogrammes suivants :

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Le second, yuan, suffit souvent à désigner le jardin. Il exprime la totalité, considérée dans son unité, présente dans un enclos, ce que nous pouvons entendre comme le « microcosme », représentation et présence du « macrocosme » dans le jardin. Lorsque la forme complète est utilisée (hua yuan) intervient une appréciation de valeur, la perfection de la beauté de ce microcosme, portée par le premier idéogramme hua, “fleur”. Plus le mimétisme du microcosme s'éloigne, par ses dimensions, de la réalité du macrocosme, plus il acquiert un caractère magique ou mythique. « Le monde dans un grain de moutarde » est ainsi une expression bouddhique qui reflète l'une des préoccupations majeures du paysagiste chinois. La miniaturisation donne de la valeur à l'objet et exprime la haute maitrise du jardinier. L’expression ultime en est le jardin bonzaï.

Jardin de bonzaï de Tangyue (Chine)

Jardin de bonzaï de Tangyue (Chine)

Représenter le macrocosme implique d’en identifier les éléments structurants. Les 2 idéogrammes qui traduisent notre terme de paysage sont shan shui :

 
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Le premier caractère est celui de la montagne. Il exprime le vertical, le dur, la forme, et l’expression du yang de la nature. Le second désigne l’eau, l’horizontal, le mou, l’informe, et est l’expression du yin de la nature. A la dichotomie exclusive qui domine la pensée occidentale ces 2 forces sont indissociables et s’interpénètrent, composant une unité dialectique.

 
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Si vous tracez mentalement le diamètre vertical de cette figure vous constatez que l’ingression du blanc dans le noir - et vice versa - correspond à un demi cercle d’un demi diamètre. Le yin comme le yang débutent en presque rien pour s’épanouir dans la moitié opposée. Et sur l’axe central les deux petits cercles, noir sur blanc et blanc sur noir, indiquent qu’il y a toujours du yin dans le yang et du yang dans le yin. Leur interaction s’organise en un cycle indissociable : la montagne forçant l’air à s’élever provoque la condensation, fait naitre le nuage qui, au contact de la montagne engendre des précipitations. L’eau tombée s’écoule alors vers le bas en cascade avant de retrouver son horizontalité paisible. Sa force descendante érode la force montante de la montagne

Ce qui est faible triomphe de ce qui est fort.

Ce qui est mou triomphe de ce qui est dur.

LAO-TSEU, TAO-TE KING.

Mais à terme, dans l’obscurité profonde des grottes, l’eau engendre la pierre, stalagmites ou stalactites. Le cycle se trouve alors bouclé. Le jardin chinois doit rendre compte de cette profonde harmonie dialectique de l’univers

Rocher érodé du lac Tai, jardin Tuisi à Tongli (Chine)

Rocher érodé du lac Tai, jardin Tuisi à Tongli (Chine)

Fragments de stalactites, jardin Guo à Hangzhou (Chine)

Fragments de stalactites, jardin Guo à Hangzhou (Chine)

QUELQUES CONSTANTES DES JARDINS CHINOIS

Si l’origine des jardins impériaux, plutôt élaborés comme des parcs multifonctions (chasse, production alimentaire et zone de délassement) remonte aux dynastie Han selon la tradition, c’est véritablement à partir du 5e siècle que le jardin privé prend son essor, en liaison avec la formation d’une couche sociale intermédiaire de riches marchands et de fonctionnaires impériaux lettrés. La période des Tang (7e – 10e siècles) est une étape décisive dans la structuration « classique » du jardin chinois, le jardin de lettré. La réussite sociale doit s’accompagner d’une réussite spirituelle qui s'acquiert en cultivant sa vie intérieure dans un cadre intimiste.

Mur de clôture du jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

Mur de clôture du jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

L’ondulation du mur évoque le dos du dragon, véritable rempart contre toutes les influences néfastes. Conformément à la hiérarchie sociale ce dragon est gris et ses 3 griffes indique le statut de mandarin du propriétaire du jardin clos.

Le jardin est conçu comme une alternative au schéma rigide de la maison à cour à plan orthogonal, devenant un logement à pièces disjointes dans l’espace et articulé au spectacle d’une nature recréé. Le jardin est dès lors conçu comme lieu de refuge pour des rencontres de qualité et de méditation face à l’impermanence de la nature (météo du moment, cycle des saisons, gestion de la vie et de la disposition des plantes etc.). La croissance du bouddhisme venant concurrencer le taoïsme, les moines vont aussi s’intéresser aux jardins développés autour des temples en les dotant de nouvelles références conformes à la doctrine..

Le cœur d’un jardin chinois est constitué, au sein d’un enclos, d’une pièce d’eau et d’une éminence rocheuse qui assurent l’équilibre yin-yang de l’espace ainsi créé. Les déblais du creusement de l’étang servent à édifier la butte parée de rochers, importés parfois de loin : dans le jardin du mandarin Yu à Shanghai, la rocaille de 14 m de haut est constituée de pierre jaune extraites dans la province du Zhejiang à plus de 200 km de la ville.

« Montagne » du jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

« Montagne » du jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

Le pavillon sommital permettait autrefois d’avoir une vue sur le Wangpou, barrée aujourd’hui par l’immeuble édifié sur la rive.

« Montagne » du jardin Tuisi à Tongli (Chine)

« Montagne » du jardin Tuisi à Tongli (Chine)

La maçonnerie des rocs est organisée de façon à créer un système de grottes sous le vaste pavillon du sommet.

Mais cet espace ne se donne pas à voir d’un point de vue unique et surplombant : il est cloisonné et ne se découvre que dans la déambulation, comme cela s’opère dans la nature. Le passage d’un espace à l’autre se fait par une ouverture, le plus souvent circulaire, “porte lune ”, qui matérialise symboliquement la distance franchie pour accéder à un nouveau point de vue.

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Les « portes de Lune » circulaires sont les plus fréquentes. Mais selon les jardins, d’autres formes peuvent être utilisées.

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La diversité des ouvertures sur les murs qui cloisonnent le jardin permet des cadrages insolites sur celui-ci (jardin Guo à Hangzhou - Chine)

Au sein d’un compartiment, le promeneur est mené par des sentiers sinueux, coudés qui l’obligent en permanence à changer de champ de vision. Ces ruptures de tracé ont aussi une fonction prophylactique : les esprits qui pourraient hanter les lieux ne savent se déplacer qu’en ligne droite !

jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

jardin Tuisi à Tongli (Chine)

jardin Tuisi à Tongli (Chine)

jardin Guo à Hangzhou (Chine)

jardin Guo à Hangzhou (Chine)

Chaque compartiment comporte des halls, des pavillons, des terrasses, des tours, des ponts, chaque lieu ayant une destination précise évoquée par son nom : dans le jardin du Maître des filets à Suzhou on rencontre ainsi la « salle des 10.000 volumes », la « salle de la Grâce capturée », la « loge où l’on savoure le vin Tusu », etc. Autant de lieux de rencontres et de plaisirs à partager avec les invités. Le microcosme du jardin, changeant au fil des saisons et sans cesse réaménagé par la disposition des plantes en pots, invite à la méditation. A chaque étape parcourue, le maitre du lieu cherche à atteindre la fusion entre le soi et le cosmos à laquelle aspire la culture chinoise taoïste.

Intérieur d’un des pavillons du jardin du Maitre des filets à Suzhou (Chine)

Intérieur d’un des pavillons du jardin du Maitre des filets à Suzhou (Chine)

Pavillon “bateau” sur le lac du jardin Tuisi à Tongli (Chine)

Pavillon “bateau” sur le lac du jardin Tuisi à Tongli (Chine)

La pièce d’eau comporte une ou plusieurs iles. La plus grande surélevée symbolise le paradis dans le monde. Selon les anciennes légendes chinoises ce paradis trône au sommet de la “grande montagne”, dans les îles lointaines au milieu de la mer. Mais selon la métaphysique retenue ces iles sont localisée sur des points cardinaux différents. Pour les taoïstes elles se trouvent dans la mer de l’est et les bienheureux y sont emportés par les grues, symbole de longévité. Là ils y trouvent l'élixir de longue vie qui leur permet d'accéder à l'immortalité.

Par contre, pour les bouddhistes, les iles de la Terre Pure sont à l’ouest (lieu d’origine du Bouddha). On les gagne au terme d’une invocation ardente du nom du bouddha Amitabha et par une navigation sans retour. Elles constituent la dernière étape terrestre avant d’accéder au Nirvana.

Deux petites iles viennent souvent compléter cette vision métaphysique. “L’ile tortue” renvoie à la vieille tradition chinoise qui considère que la terre est une île posée sur le dos d’une tortue géante. Elle symbolise la pérennité du macrocosme face à l’éphémère de la vie humaine. “L’ile grue” étant le véhicule pour atteindre les iles d’immortalité symbolise la longévité. En Chine, on félicite encore les personnes très âgées par la formule « He Shou ! » qui signifie « longévité de la grue ».

ile tortue du jardin Koraku-en à Okayama (Japon)

ile tortue du jardin Koraku-en à Okayama (Japon)

ile tortue et ile grue du jardin du Kinkaju Ji à Kyoto (Japon)

ile tortue et ile grue du jardin du Kinkaju Ji à Kyoto (Japon)

C’est encore l’eau dans sa circulation qui est évocatrice de la vie humaine. L’axe principal d’écoulement est déterminé par la discipline du feng shui (“vent et eau ”, ce qui est sans forme et qui s’écoule) qui permet de capter le souffle spirituel du lieu (le qi). Son cours débute par une cascade – impétuosité de la jeunesse – se poursuit par des méandres où le cours se ralentit – sagesse des expériences de la maturité – et s’achève dans le calme d’un étang ou d’un marais de lotus – sérénité et pureté de la vieillesse.

cascade du jardin Koraku-en à Okayama (Japon)

cascade du jardin Koraku-en à Okayama (Japon)

cascade du jardin de Tangyue (Chine)

cascade du jardin de Tangyue (Chine)

étang des lotus du jardin du Palais d’été à Pékin (Chine)

étang des lotus du jardin du Palais d’été à Pékin (Chine)

Les rochers, ossature de la Terre, présentés en masse évoquent la montagne et ses grottes. Seuls, le plus souvent balisant l’accueil dans le jardin, ils sont choisis pour leurs formes tourmentées exprimant l’équilibre précaire de la condition humaine et sont creusés de trous plus ou moins vastes qui évoquent autant l’œil du dragon, puissance vitale du yang, que le vide élément centrale des métaphysiques taoïste et bouddhiste.

rocher de l’entrée jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

rocher de l’entrée jardin du mandarin Yu à Shanghai (Chine).

La végétation possède tout autant de charge symbolique que la roche et l’eau. J’en retiendrai ici 2 familles. Pour les fleurs, lotus et pivoines ont une place particulière. Le lotus qui nait les pieds dans la boue et s’épanouit au soleil, aux feuilles toujours propres (des travaux sur le biomimétisme tente de reproduire sa structure cellulaire pour élaborer un tissus intâchable) évoque l’accès à la sagesse suprême, tandis que la pivoine par la magnificence de sa floraison symbolise l’opulence et la richesse. Pour les arbres (le bambou n’en est pas mais reste inclus dans cette catégorie de pensée) l’assemblage des « trois amis de l’hiver », bambou, pin, prunus prend une signification politique à l’époque des Song du sud lorsque s’impose la dynastie genghiskhanide des Yuan à Pékin (l’hiver qu’impose les barbares) : le bambous ploie (modestie) mais se révèle d’un résistance à toute épreuve – il est la figure même du lettré –, le pin reste vert en permanence malgré le froid et la neige exprime la constance, et le prunus par sa floraison précoce, de la neige étant encore au sol, permet de croire à un futur heureux tout en rappelant le côté éphémère de la beauté.

Parcourir un jardin chinois suppose donc de la part du visiteur d’aller au delà du simple éblouissement de la beauté du lieu que tout occidental peut apprécier.

jardin de Tangyue (Chine)

jardin de Tangyue (Chine)

jardin du sanctuaire Heian à Kyoto (Japon)

jardin du sanctuaire Heian à Kyoto (Japon)

LES VARIATIONS SELON LES AIRES CULTURELLES

En Chine même, le problème posé est celui des adaptations des jardins au fil du temps pour correspondre à l’esthétique du moment et à la philosophie du propriétaire. Il existe très peu de jardins des périodes Tang et Song. Les bâtiments en bois ont souvent été détruits par des incendies et on ne dispose pas de véritables plans des jardins construits alors. Ce que l’on en voit aujourd’hui est le plus souvent une réinterprétation dans le contexte de la dernière dynastie Qing. Je prendrai le cas du jardin du mandarin Yu à Shanghai. Edifié en 1559 sous la dynastie Ming, il s’étend à l’origine sur plus de 4 ha. Divisé par des héritages, il n’est plus entretenu correctement et ce qu’il en reste est revendu à la guilde des marchands de la ville sous la dynastie Quing. Les différents conflits et révoltes, de la guerre de l’opium à l’occupation japonaise, y provoquent d’importants dégâts. Ce n’est qu’à partir de 1956 que la ville de Shanghai entreprend de réhabiliter le jardin sur les 2 ha restant, afin de l’ouvrir au public. La restauration entreprise valorise surtout l’état du jardin de la dynastie Qing tel qu’il était vers 1820, avant la guerre de l’opium (1842).

Autre cas emblématique : le jardin du Maitre des filets à Suzhou. Créé au 12e siècle sous la dynastie Song le jardin passe de mains en mains jusqu’à la fin du 18e siècle perdant un peu de sa taille (il fait aujourd’hui 5400m2, encastré dans la ville) et complètement son allure initiale. Acheté en 1785 par un fonctionnaire impérial de la dynastie Quing, il en repense totalement l’organisation et le dote de nombreux bâtiments au goût du jour – le pavillon bateau par exemple. Passant encore par les mains de 3 propriétaires différents, chacun y apportant son interprétation de ce qu’était un jardin classique de lettré, il revient par donation à la ville de Suzhou en 1958, qui en fait un lieu incontournable du tourisme dans les « Venises chinoises », y organisant un spectacle nocturne de déambulation, chaque pavillon accueillant de la musique, du théâtre, de la danse etc.

Les “barbare cuits”, au fur et à mesure de l’affirmation de leur identité nationale, contre les tentatives d’annexion menées par l’Empire chinois, vont s’efforcer de prendre leurs distance avec son modèle culturel. Minimisant les emprunts, voir les niant, Coréens, Japonais et Vietnamiens tendent tous à insister sur la spécificité de leur propre tradition. Je retiendrai ici seulement 3 cas qui me paraissent exprimer cette volonté.

LE JARDIN SEC JAPONAIS

A partir de la période Kamakura (1185-1333) et tout au long de la période Muromachi (1336-1573) on assiste à un renouveau de l’influence chinoise au Japon. Désireux de reconstruire les grands monastères de Nara, détruits au cours des luttes féodales de clan, Yoritomo envoie en Chine des délégations d’architectes et d’artistes. Venant de Chine des moines de la secte Chan – en japonais Zen –répandent leur doctrine de méditation et connaissent bientôt la faveur des guerriers. Dans le bouddhisme zen, il n’y a pas d’espoir d’une intercession extérieure (rejet de la doctrine du Bouddha Amitabha). Il faut atteindre par soi-même et par ascèse l’illumination le monde se donnant alors comme perception totale.

Le prototype de jardin dans cette période est le jardin sec (kare sansui – montagne-eau dans le style Tang). Dans les jardins secs, les pierres vont prendre une importance de plus en plus grande. Les sables et les graviers figurent les eaux des anciens étangs et les seuls végétaux tolérés dans les jardins les plus marqués “zen” sont les mousses et lichens de pierres. Entouré d’une architecture dénudée, il n’est pas destiné à être parcouru : à partir d’un point d’observation, il est un support de la méditation. La disposition des pierres, par nombres impairs, ne doit pas permettre de les voir toutes depuis le point de vue retenu : nos sens sont impuissants à saisir la totalité du monde, seule l’illumination le peut, car on sait que ces pierres y sont.Principalement développé dans les temples, il gagne les grandes résidences civiles en se modifiant pour devenir le jardin sec paysager. Influencé par la peinture de paysage des Song, il s’agit de suggérer la profondeur de l’espace par l’étagement des plans, du près au loin, en empruntant pour l’arrière-plan le paysage naturel par abaissement de la clôture.

jardin sec du Ryoan Ji à Kyoto (Japon)

jardin sec du Ryoan Ji à Kyoto (Japon)

une « ile » du jardin sec du Ryoan Ji à Kyoto (Japon)

une « ile » du jardin sec du Ryoan Ji à Kyoto (Japon)

Le fin gravier ratissé évoque la houle de la mer et les rochers en sont les iles paradisiaques. Ces pierres sont disposées en fonction de leur morphologie : elles ont une tête, un pied, un dos, une face et c’est un spécialiste qui détermine la bonne position de leur installation.

« paysage emprunté » face à la terrasse du jardin sec du Ryoan Ji à Kyoto (Japon)

« paysage emprunté » face à la terrasse du jardin sec du Ryoan Ji à Kyoto (Japon)

A partir de la période Muromachi, qui voit aussi naître le théâtre No et la cérémonie du thé, l’esthétique du jardin se charge d’une valeur symbolique de plus en plus concrète selon les lois de la géomancie. « La couleur d’un homme qui est de naturel bois est bleu-vert. C’est pourquoi, le bois détruisant la terre, tu éviteras de mettre des pierres jaunes dans son jardin ». La nature du jardin se déduit de tout un code conférant un sens immédiatement lisible à une nature qui en est fondamentalement dénuée. C’est sous cette condition que la nature empruntée prend sens.

Outre l’approche déjà codifiée, de nouvelles symboliques leurs sont associées. On peut en retenir le cas de la carpe : par ses grandes écailles (= pièces d’armure) elle est assimilée aux vertus guerrières ; comme elle peut nager à contre-courant, elle témoigne de la puissance de la volonté. Aussi, au pied de la cascade sèche, on rencontre souvent une pierre oblique dressée face à elle : c’est la figure de la carpe s’apprêtant à franchir la « porte du dragon » qu’est la cascade. L’expression « la carpe passe la porte du dragon » signifie la réussite des lettrés aux examens qui permettent d’accéder à des fonctions étatiques.

carpe au pied de la cascade du jardin du Kinkaju Ji à Kyoto

carpe au pied de la cascade du jardin du Kinkaju Ji à Kyoto

Les jardins de la période Muromachi sont donc en complète opposition avec les jardins de la période Heian. Ceux-là étaient faits pour être parcourus, ceux-ci le sont pour être médités et contemplés à distance. Ceux-là étaient l’évocation de terres paradisiaques, l’ici-bas étant une vallée de larmes, ceux-ci sont la peinture (attention, ici au sens du concept !) du paysage naturel car « la musique de la vallée et la couleur de la montagne sont la langue et le cœur du Bouddha ». Enfin face à la prolifération chromatique du jardin Heian, le jardin Muromachi tend au monochrome.

LA CENTRALITE DU VIDE DU JARDIN COREEN

C’est à partir de la période Chôson au début du 15e siècle que s’amorce l’émancipation du jardin coréen. A la différence des jardins chinois, les jardins coréens sont naturels, informels, simples et non forcés, cherchant à fusionner avec la nature. Ils veulent être en parfaite continuité avec le paysage environnant, sans intervention sur la topographie du terrain ni sur rien de ce qui le garnit naturellement. Mais leur site est choisi avec soin par un géomancien de tradition nationale. Pour vivre en harmonie avec le lieu la construction du jardin doit engendrer le moins de perturbations possible des flux d’énergie (pungsu équivalent du qi chinois). Les éléments significatifs ou importants ont tendance à être orientés vers l'est. Si l’arrangement du jardin vise à le faire habiter les bâtiments et les pavillons dans les jardins sont peu nombreux et discrets. Si certains sont clos, la plupart cherchent à intégrer la vue sur l’environnement (on retrouve ici la notion du paysage emprunté) en utilisant des cheminements en ligne droite

jardin extérieur et bassin du palais Changdeokgung à Seoul (Corée)

jardin extérieur et bassin du palais Changdeokgung à Seoul (Corée)

Les arbres à feuilles caduques s’imposent dans le climat rude de la Corée.

L’automne y est une symphonie colorée.

Ces jardins ont en commun trois types de structures : une composition en deux parties formant respectivement un jardin intérieur et un jardin extérieur, des terrasses en gradins et un bassin rectangulaire avec une ile au milieu. Les 2 parties du jardin sont fortement sexuées. Le jardin de l’arrière est le domaine des femmes, espace secret des maisons aristocratiques : elles y sont confinées et n’ont pour seule activité que la création d’un espace fleuri. Le jardin de devant est celui des hommes, plus ouvert et plus vaste. Les terrasses en gradins étroits et fleuris par rangées leur vaut le nom d’escalier fleuri (hwagye) caractérisent le jardin de derrière et sont le résultat d’une activité féminine permanente. Le jardin de devant ne présente pas nécessairement une structure de gradins, mais lorsqu’il y en a, il s’agit simplement de talus en briques ou en pierres d'esthétique similaire. Cependant la particularité la plus remarquable du jardin coréen est le bassin rectangulaire. Il ne comprend presque aucune décoration sur ses bords, toujours rectilignes. L’ilot au milieu du bassin doit donner l’impression d’un vestige sans grande importance. La fonction du bassin est d’être un miroir d’eau, réceptacle de la beauté du ciel

J’ai toujours été fasciné par une partie de l’œuvre de Monet, qui a cherché à capté la lumière du ciel en regardant des plans d’eau dont les nymphéas, comme des iles, sont les soleils.

Ainsi le jardin coréen laisse vide un espace central, vide originel à partir duquel est généré le cosmos, vide autour duquel s'ordonnent toutes les “constellations” du paysage naturel emprunté. Lorsque l’espace manque pour créer le bassin, on le remplace par des baquets rectangulaires en pierre recevant l’eau miroir. Le jardin devient alors l’instrument de l’expérience de pensée du sens ultime du cosmos dont le paysage emprunté prend le sens d’un immense jardin extérieur, réalisant l’union du microcosme et du macrocosme.

LE CULTE DES ARBRES DANS LE JARDIN VIETNAMIEN.

La notion même de jardin n’est pas prise en charge dans le vocabulaire vietnamien. Il n’est que la stricte reprise du concept chinois. Un argument mis en avant insiste sur la position du pays dans la zone intertropicale humide et chaude où tout pousse à profusion, la strate arborée y étant dominante.

Pensez aux épandages aériens d’ “agent orange” déversé en masse sur le Vietnam par l’armée américaine pour traquer les “vietcong”, véritable écocide jamais puni.

En conséquence pour un Vietnamien un jardin sans arbre n'est pas un jardin. Même si les jardins et les tombeaux impériaux restent très proches des modèles chinois (organisation axée, principe de symétrie) la présence systématique et dense de grands arbres les caractérisent. Il s'agit d'une végétation autochtone où les formes géantes et “inutiles“ comme les banians et les fromagers se mêlent à des fruitiers – longaniers, litchiers, jacquiers – sans que leur présence ait une finalité productive. Ils sont plutôt un hommage aux princes fondateurs de la dynastie des Nguyên venus du Nord et introducteurs de ces espèces à la cour de Hué. Car ce qui compte pour un Vietnamien, hors la production horticole des vergers, c’est la grande taille de l’arbre avec l’assimilation qui est faite : plus il est grand, plus il est vieux et plus il est vénérable. Le statut de l’arbre change dans le jardin. Dans la forêt – ce terme comme au Japon désigne indifféremment la masse végétale et la montagne – les arbres sont perçus comme une menace, repère d’esprits malfaisants. Implanté dans le jardin, espace sanctuarisé par l’homme, en rupture avec la nature, il devient un élément protecteur. Son grand âge (= grande taille) atteste que cet être est méritant puisque la longévité est un « don du Ciel ». Mais sa résistance aux intempéries est aussi une manifestation de son pouvoir occulte. Il convient de l'honorer dans les deux cas.

un des tombeaux de la dynastie des Nguyen à Hué (Vietnam)

un des tombeaux de la dynastie des Nguyen à Hué (Vietnam)

temple de la littérature dédié à Confucius à Hanoï (Vietnam)

temple de la littérature dédié à Confucius à Hanoï (Vietnam)

Le bassin quand il existe est de forme stricte, rectangulaire, très différente en cela de ceux des jardins de lettré et des parcs à étang impériaux chinois. Sa fonction prophylactique est essentielle. Alors qu’en Chine l’accès au jardin est protégé des esprits par un mur écran, au Vietnam c’est le bassin qui assure cette fonction. Il faut noter enfin la profusion des plantes arbustives en pot, surtout dans les jardins des temples, plantes à fleurs, odoriférantes ou de vives couleurs, généralement utilisées pour les offrandes cultuelles. Elles ne sont que rarement présentes dans les habitations civiles, sauf celles destinées aux cultes domestiques. Hors de l’aura du lieu du temple, l’usage profane de ces fleurs odoriférantes risque d'attirer des esprits malfaisants.

Dans tout l’Extrême-Orient la contrainte des énormes densités et la rareté des terres disponibles, expliquent que les petits jardins à vocation uniquement de loisir sont quasiment inexistants. Pour ne pas se couper totalement de la nature, surtout lorsqu’on vit dans un appartement, il reste la solution du jardin bonzaï…

au marché des bonzaï de Pékin (Chine)

au marché des bonzaï de Pékin (Chine)

…ou la promenade dans les parcs et jardins ouverts au public.

jardin du Palais impérial à Tokyo (Japon)

jardin du Palais impérial à Tokyo (Japon)

le temps des azalées

jardin du Palais impérial à Tokyo (Japon)

jardin du Palais impérial à Tokyo (Japon)

le temps des iris

Pour conclure

Si les voyages lointains pour aller visiter ces merveilles vous rebutent, sachez qu’il existe des succédanés tout à fait acceptables de ces jardins en France. De quoi alimenter un beau printemps de balade au Post Covid.

POUR EN SAVOIR PLUS :

La totalité de la revue peut se lire en ligne et éventuellement se télécharger mais en procédant article par article (format PDF)

Jean Barrot