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ETHIOPIE – II "DU DERNIER EMPEREUR   A LA REPUBLIQUE FEDERALE"

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

ETHIOPIE – II "DU DERNIER EMPEREUR A LA REPUBLIQUE FEDERALE"

Connaissance & Partage

DU DERNIER EMPEREUR

A LA REPUBLIQUE FEDERALE

(1917 – 2011)


1 – APOGEE ET MORT DE L’EMPIRE

A - LA REGENCE DU RAS TAFARI (« CELUI QUI EST REDOUTE » EN AMHARIQUE)

Ras Tafari Makonnen, gouverneur du Harar, est nommé régent lorsque Zaouditou est couronnée impératrice. Son père, grand artisan de la victoire d'Adoua contre les Italiens, est mort en 1906, laissant Tafari, 14 ans, aux bons soins de l'empereur Menelik II. Jeune homme intelligent, il reçoit une éducation complète et ouverte sur l'extérieur et en 1911 il épouse la princesse Menen, devenant cousin par alliance de la future impératrice qui va le laisser mener la politique effective du pays à partir de 1917. Chrétien convaincu, il dégage l’Ethiopie de l’alliance turco-germanique de Iyasou et s’engage au coté de l’Entente. La victoire de 1918 lui permet d’être dans le camp des vainqueurs, ce qui évite au pays d'être dépecée comme l'Italie l'espérait pour prix de son ralliement à l’Entente en 1915.

Poursuivant les projets modernistes de ses prédécesseurs, il prohibe l’esclavage (décrets de 1918 et 1923) et mène une lutte effective contre sa pratique. Ce qui lui permet de faire admettre l’Ethiopie à la SDN, fin 1923, renforçant les garanties d’indépendance contre les projets sans cesse renaissant d’un partage du pays entre Britanniques et Italiens. Il multiplie dans la capitale écoles et imprimeries. Il vise même à faire de l’armée éthiopienne une armée technologiquement avancée : il acquiert des avions Potez et Junkers, et fait instruire des pilotes éthiopiens par la France.

Car l'encerclement de l'Éthiopie se resserre, les Britanniques cédant à la Somalie italienne le Jubaland au N-E du Kenya. Ancien territoire du sultanat de Zanzibar jusqu'en 1895, il est rattaché à l’Afrique orientale britannique, membre de l'Empire britannique. En 1925, il est transféré à la Somalie italienne, aux termes d’un accord de 1920 destiné à récompenser l’Italie de sa participation à l’entente.

« On sait comment le pacte de Londres conclu en 1915 entre l’Angleterre la France et l’Italie lors de l’entrée en guerre de cette dernière aux côtés des Alliés (qu’en cas de victoire) prévoyait que l’Angleterre et la France arrondiraient leurs domaines africains des colonies allemandes mais qu’elles devraient consentir par compensation à l’Italie des régularisations de frontières en Afrique de l’Est. La cession d’une partie du Jubaland est une de ces régularisations. […] Que gagne l’Italie à cette cession ? […] La possession d’un port très ancien et très connu, centre d’attraction pour les caravanes, Kismayo, celle un port plus récent, mais construit sur une baie excellente, Port Dundford Une bonne route sinon vers l’Ethiopie méridionale, du moins vers les terres pastorales du Borana qui peuvent exporter du bétail et du cuir, de la gomme etc. Et surtout, avec la possession des deux rives du Djouba, la liberté d’aménager les eaux du fleuve et d’irriguer les terres des deux bords dont la production agricole peut acquérir de importance

F. MAURETTE – ANNALES DE GEOGRAPHIE ; 1922.

La seule porte maritime pour le pays reste donc le très coûteux chemin de fer « franco-éthiopien » de Djibouti. Ras Tafari envisage donc un projet d'accès à Zeila, suggéré par les Anglais, ou une route vers Assab, proposé par l'Italie mais qui se révèlent irréalisables (1928). La vision planétaire de Ras Tafari suscite de plus en plus de réticences chez les nobles conservateurs qui redoutent de voir le pays « perdre son âme » tandis que Zaouditou s’enferme dans une bigoterie active finançant l’édification d’églises dans les moindres villages. Menée par son mari, une tentative de coup d'État est déjouée par Ras Tafari qui en profite pour se faire nommer Négus (oct. 1928). Lorsque Zaouditou meurt en 1930, Négus Tafari est couronné empereur sous le nom D’HAÏLE SELASSIE IER (son nom signifie « puissance de la Trinité »). Pour son sacre les grandes monarchies européennes sont représentées, mais aussi des gouvernements français, allemand, américain, grec etc. Et pour couper court à toute concurrence, il fait assassiner Iyassou qui croupi à Harar.

Couronnement d’Haïlé Sélassié

Couronnement d’Haïlé Sélassié

B - HAÏLE SELASSIE ET L'INVASION ITALIENNE

Une première Constitution est proclamée en 1931 mais l’empereur n’a pas vraiment le temps de se consacre au développement du pays. L’Italie fasciste ne cache plus ses ambitions de conquérir le pays. La première étape consiste à négliger les cartes délimitant les frontières de la Somalie italienne et à implanter des avant-postes dans le désert de l’Ogaden sur le territoire éthiopien. A partir de 1932 les plans des opérations militaires sont prêts. L’échec des prétentions italiennes vers l’Autriche et la complaisance de Laval pour le Duce en France réactive la visée coloniale.

En novembre 1934, une banale commission anglo-éthiopienne inspectant les pâturages du Haud aux confins éthiopiens du Somaliland – à plus de 100 kilomètres de la Somalie – tombe dans un guet-apens italien, aussitôt déguisé par Rome en « agression » éthiopienne. L’Italie dépose une plainte à la SDN mais l’examen des cartes annexées au traité de 1908 prouve la légitimité de la position éthiopienne. Refusant un arbitrage - le gouvernement de Rome considère qu'en acceptant cette procédure « il se trouverait sur un pied d'égalité avec l'Éthiopie », ce qui « est inconcevable et impensable » - l'Italie est condamnée. Les incidents de frontières se multipliant, Haïlé Sélassié est prêt à faire des concessions à l’Italie dans le cadre de la SDN car il sait que c’est son seul recours. Mais Mussolini les rejette : « même si l'Éthiopie m'était apportée sur un plat d'argent, je la veux avec une guerre ». Il déclenche l’offensive italienne en octobre 1935. Envahie simultanément depuis l'Érythrée et la Somalie, bombardée à l'ypérite et au phosphore, l’Ethiopie est vite écrasée.

L’agression italienne

L’agression italienne

Barbarisme et civilisation

Barbarisme et civilisation

Dans une ultime intervention à la SDN au printemps 1936, il lance un avertissement prémonitoire : « Je suis venu en personne, témoin du crime commis à l'encontre de mon peuple, afin de donner à l'Europe un avertissement face au destin qui l'attend si elle s'incline aujourd'hui devant les actes accomplis ». Puis il gagne l’Angleterre, y vivant en exil de 1936 à 1941. L'Éthiopie n'est plus, juridiquement, qu'une « colonie italienne ».

Mais des courants de résistance s’organisent tant dans la capitale – le général Graziani échappe, le 20 février 1936, à un attentat – qu’en province ainsi qu’au sein de l’Eglise éthiopienne dans les réseaux monastiques. Même si l’occupation est brève, les occupants bousculent la vieille société par la modernité technologique qu’ils développent (électricité, mécanique et radio) mais surtout en refusant l’ordre des castes qui domine encore dans l’Empire. « Si, durant la Seconde Guerre mondiale, l'Italie ne s'était pas alliée au nazisme, Haïlé Sélassié eut-il retrouvé son trône ? Bien des Éthiopiens ne souhaitaient pas son retour » (J.Doresse – Encyclopédia Universalis).

Après le tournant de la défaite française, les Britanniques ne peuvent plus négliger la Corne de l’Afrique, vitale pour leur liaison avec leur Empire. Dès l’été 1940, par le Soudan et Aden, ils passent à la contre-offensive et délogent les Italiens d'Afrique Orientale.

C – DU RETOUR EN GLOIRE A LA CHUTE

* Une diplomatie active.

En mai 1941 Haïlé Sélassié retrouve son trône et l’Ethiopie son « indépendance » mais sous tutelle anglaise jusqu’au lendemain de la guerre. Pour s’y soustraire, la guerre terminée, il entame un rapprochement avec les USA, nouvelle puissance dominante qui se cherche des relais dans le monde et fait intégrer l’Ethiopie à l’ONU dès sa création. Le lien avec les USA conduit à la naissance d’Ethiopian Airlines (déc. 1945) avec l'aide de la TWA et à une participation active à la guerre de Corée (1951-1953). Enfin, en 1953, il signe un accord de défense mutuelle avec las Américains.

Mais la fin de la guerre ouvre aussi la question des colonies italiennes. Haïlé Sélassié qui veut récupérer l'Érythrée se heurte aux prétentions égyptiennes pour qui il s’agit d’un ancien territoire ottoman. Par référendum de l’ONU en 1952, les Éthiopiens de l'ex COLONIA ERITREA se fédèrent à leur ancienne patrie, car les 4/5 de la population ont déjà fui vers les provinces impériales par suite des confiscations de leurs terres, de la ségrégation, et des discriminations italiennes favorables aux catholiques et aux musulmans. Rattachée à l'Éthiopie par un statut fédératif qui la laisse à ses seules ressources, l'Érythrée est exsangue. Aussi en 1962 les parlementaires érythréens obtiennent par un vote l'annulation de ce statut fédéral et le bénéfice de tous les droits des provinces ordinaires de l'Empire. Lorsqu'en 1960 la Somalia et le Somaliland s’unissent pour former une nation indépendante Haïlé Sélassié prône la formation d’une grande fédération de la Corne de l’Afrique que conduirait l’Ethiopie. Mais faute d’une vision commune de l’avenir (capitalisme contre socialisme) et plombée par les litiges frontaliers, la proposition n’a aucun écho. En 1964, le pays doit même repousser une puissante invasion somalienne du Harar ! Il persiste pourtant à jouer un rôle de médiateur international. Il pousse à la création de l'Organisation de l'Unité Africaine, qui proclame sa charte en mai 1963 depuis Addis-Abeba, où elle fixe son siège, proche de celui de la commission économique des Nations Unies pour l'Afrique

*Mais au plan intérieur, la modernisation avance de manière de plus en plus conflictuelle.

Il y a encore des hiérarchies féodales dans des provinces dont il faut réprimer les révoltes, alors qu’en 1962, une rébellion érythréenne, refusant la fusion dans l’Empire, s'inspire du socialisme. Ne bénéficiant d’aucune attention du pouvoir, les Oromos du Balé enchainent protestations et manifestations de 1963 à 1970. La réforme agraire, devant laisser aux paysans le bénéfice de leurs récoltes, est sans cesse reportée. Depuis le milieu des années 50, une classe de salariés (fonctionnaires, policiers, employés, ouvriers) s'est constituée, émergeant d'une population qui ne connait encore que les revenus en nature des patrimoines agraires ou fonciers. Il s'ensuit dans les villes, dès les années 60, des inégalités de ressources et la montée des prix, car les aides internationales servent plus pour le prestige de sa capitale que pour le développement du pays.

Célébrant, en 1955, le jubilé de son couronnement, Haïlé Sélassié édicte une Constitution « révisée », où des institutions parlementaires se dessinent mais sans véritablement fonctionner. Les étudiants issus des progrès de la scolarisation des années 50 contestent l’autoritarisme du pouvoir (1965 ; 1969), encouragés par ceux de leurs camarades qui, en stage à l'étranger, ressentent plus vivement le besoin de liberté. De l'Union des Etudiants éthiopiens en Europe naît en août 1968, le Mouvement socialiste panéthiopien (M.E.I.S.O.N.). L’armée elle-même n’est pas indemne d’une contestation allant jusqu’à une tentative de coup d'État de la garde impériale (déc. 1960)

*La chute du régime est amorcée par un famine épouvantable qui touche le Wollo à partir de l’automne 72.

Alerté par un rapport de la FAO, le pouvoir ne fait rien. Les sècheresses antérieures ont certes un impact mais l’essentiel de la famine est lié à une distribution des terres héritière d'un système féodal très défavorable aux paysans aggravée par l'exploitation à orientation capitaliste du pays : la plupart des pâturages des plaines du Danakil sont converties en plantations de coton. Au long de l’année 1973 on dénombre plus de 200 000 morts de famine et les 9/10 du cheptel est détruit dans la province. L’aide d’urgence internationale demandée trop tard par l’empereur, qui a sans cesse tenté de minimiser la crise, ne parvient pas à enrayer l’extension de la famine au Tigré. L’annonce d’une réforme du système éducatif limitant l'éducation aux stricts besoins économiques du pays, le cursus primaire privilégiant le seul niveau pratique, et réduisant à une quantité infime le nombre d'étudiants met le feu au poudre. Tous les secteurs du monde urbain entrent en lutte déclenchant une grève générale d'ampleur nationale, et s'achève avec la destitution d’Hailé Sélassié le 12 septembre 1974, qui meurt l’année suivante

2 – LE DERG ET LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE POPULAIRE

A – LA CONFISCATION DU POUVOIR PAR LES MILITAIRES.

Au cours de l’été 1974, tandis que le gouvernement tente de trouver une issue à la crise qui ait l’agrément de l’Empereur, un comité militaire s’est constitué, le DERG, qui prend la réalité du pouvoir. Arrestations et exécutions se multiplient. Mais il doit faire face autant aux partisans de l'ancien régime qu’aux dissidents tant libéraux que marxistes qui ont mené la révolution et réclament un gouvernement civil.

L’arbitrage provient de la masse de la population avide de justice égalitaire et qui considère que les revendications des élites urbaines l’oublie, tandis que les premières mesures du DERG, tout au long de l’année 1975, vont dans le sens de ses aspirations. La collectivisation des terres rurales transférées aux associations paysannes puis des sols urbains et des habitations (chacun gardant le libre usage d'une maison) satisfait la population. Un code du travail et de l'emploi, dont les clauses sont conformes au droit moderne, est promulgué ; les sociétés commerciales et industrielles sont placées sous contrôle, voire totalement nationalisées. Une alphabétisation de masse sur le modèle maoïste est lancée : la “zametcha” envoie les étudiants alphabétiser les paysans et découvrir le peuple. Pour neutraliser les conflits ethniques et religieux, le calendrier des fêtes est révisé et on y introduit de grandes fêtes musulmanes. Profitant en 1976 de la vacance du patriarcat, c’est un humble moine dévoué aux tâches humanitaires qui est élu car la masse de l'Église, le clergé pauvre, est indigné par l'inutile richesse de sa hiérarchie.

Très vite cependant des dissensions apparaissent au sein du DERG dont Mengistu Haïlé-Mariam devient président début 1977. Les agressions extérieures vont souder l’opinion autour du nationalisme mais la menace sert à alimenter le développement de la terreur politique dans le pays.

La violence de la crise éthiopienne réveille les ambitions des voisins. L'Érythrée, après avoir poussé à la révolution, se retranche dans la sécession. La Somalie voisine ressasse les vieilles ambitions frontalières que l'Italie fasciste avait excitées. Poussée par les puissances occidentales, elle passe à l’attaque lors des fêtes de l’accession de Djibouti à l’indépendance. Lâchée par les USA, jusque là pourvoyeur d’armement, l’Ethiopie se tourne vers l’URSS, trop heureuse de prendre pied dans cette partie du continent, et reçoit le soutien du Yémen Sud et de la Libye. Mieux armés, les Éthiopiens chassent les envahisseurs somaliens qui ont dévastés le Harar et l'Ogaden tandis qu’en Érythrée, après des revers, le DERG reconquiert les régions vitales au début de l’automne 1978.

Monument du DERG à Addis-Abeba

Monument du DERG à Addis-Abeba

B - COMMENCE ALORS L’ETAPE D’INSTITUTIONNALISATION DU NOUVEAU REGIME.

Sous l’influence de plus en plus exclusive de l’Urss, le pouvoir crée un Parti des travailleurs éthiopiens, calque la constitution soviétique de 1977 pour sa propre constitution et crée un institut des nationalités. Tout cet appareil est conçu pour hâter l'avènement du socialisme mais tourne à vide, n’alimentant que des discours. La réalité en décide autrement :

*Les conflits en Érythrée et au Tigré s'enlisent tandis que d'autres maquis, Amhara et Oromo, s’ouvrent au centre et au sud du pays. L'entretien et l'armement de plus de 300 000 hommes représentent un coût exorbitant qui ruine l'économie du pays. Le nationalisme ne faisant plus recette : pour trouver des soldats le régime à partir de 1984 rafle les jeunes générations, attisant l'hostilité des populations

*La « villagisation » part d’une « bonne intention » : en rassemblant un habitat rural très dispersé dans des villages, le pouvoir prétend améliorer l'accès aux services sociaux. D'autre part, des transferts de populations sont organisés depuis des régions densément peuplées et chroniquement atteintes de disette vers des territoires plus fertiles et moins exploités. Mais la manière expéditive et coercitive de leur mise en œuvre est désastreuse, causant de nombreuses victimes, ruinant et dispersant des familles entières.

*A partir de septembre 1984 enfin le pays est ravagé par l'une des pires famines de son histoire. Ce drame est à l'origine de près d'un demi-million de victimes et de déplacements massifs de réfugiés.

Aussi, fin 1988, les troupes gouvernementales ne parviennent plus à contrer les maquisards qui contrôlent certains axes essentiels et en mai 1989, une tentative de coup d'État est menée contre Mengistu. L’épuration qui en résulte au sein de l’armée finit d’anéantir sa capacité opérationnelle.

La crise de décomposition de l’Urss et la guerre du Golfe qui s’annonce, poussent Mengistu à un revirement spectaculaire en mars 1990. Il annonce l'abandon officiel du marxisme-léninisme, s'engage à promouvoir des réformes favorisant les investissements privés et entame des négociations avec les Usa. Mais il est trop tard. En quelques mois, entre février et mai 1991, les forces gouvernementales sont complètement anéanties par l’offensive de grande envergure de toutes les rébellions unies au sein du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (F.D.R.P.E). Addis-Abeba tombe aux mains des forces rebelles fin mai 1991 alors que Mengistu fuit au Zimbabwe.

3 – LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE D'ÉTHIOPIE

A – MISE EN PLACE D'UN NOUVEAU REGIME FEDERAL

Le premier effet de la victoire des rebelles est la paix. Les hostilités cessent immédiatement. Le gouvernement de transition dirigé par Meles Zenawi, originaire du Tigré, adopte une charte provisoire qui reprend l'essentiel du programme du F.D.R.P.E. Mais ces nouveaux dirigeants sont perçus comme des « étrangers » par une grande partie de la population et doivent faire la preuve de leur capacité à gouverner le pays dans son ensemble. Pour cela ils lancent une phase de réformes : multipartisme, liberté religieuse, élections démocratiques et privatisation de certains secteurs. Parallèlement, la sécession de l'Érythrée est proclamée et reconnue en mai 1993 à la suite d'un référendum surveillé par l'O.N.U. Le gouvernement s’établit à Asmara et doit relever le défi de convertir en administration civile une organisation militaire entièrement orienté vers la lutte. À Addis-Abeba, les enjeux sont très différents. La sécession étant consommée, on voit proliférer les partis et « organisations démocratiques » représentant chacun une ethnie. En 1993, ils sont plus d’une centaine ; mais moins d'une dizaine possèdent une dimension nationale. C’est dans ce contexte qu’est adoptée la Constitution fédérale de 1994 : l'Éthiopie devient officiellement la REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE D'ÉTHIOPIE. Au niveau administratif, le pays est découpé en régions, selon des bases ethniques. Ces nouveaux découpages territoriaux s'appuient sur les travaux préparatoires de l'Institut des nationalités du DERG, affinés avec les résultats du recensement national de 1994. Elle entre en vigueur en 1995, après des élections législatives qui se déroulent dans un calme relatif. Le gouvernement conserve cependant un contrôle fort sur la décentralisation, souvent aux dépens des libertés politiques, justifié par l'idée que seule la nation peut assurer un développement égalitaire de chaque ethnie

B – LES NOUVELLES REGLES ECONOMIQUES ET SOCIALES.

Sous l'œil attentif des organisations et des pays donateurs, le nouveau régime poursuit les réformes de libéralisation de l'économie déjà engagées dans les 2 dernières années du DERG. Suivant les consignes du programme d'ajustement structurel du F.M.I., un grand nombre d'entreprises sont privatisées. D'importantes parts dans les secteurs des mines, de l'agroalimentaire, de l'industrie, des assurances, de la banque sont acquises par le conglomérat saoudien Midroc, dirigé par le milliardaire Mohammed Al-Amoudi. Le secteur des petites et moyennes entreprises ne se développe que très faiblement, en raison de contraintes réglementaires conçues pour plafonner les investissements nationaux et ainsi limiter les inégalités. Derrière cette libéralisation en trompe-l'œil, le gouvernement garde la main − au nom des masses − sur les moyens de production, en confiant à des proches la direction d'importantes firmes.

Le secteur qui se développe le moins reste l'agriculture. Le régime bénéficie, au début, de conditions climatiques favorables qui assurent de bonnes récoltes. Mais les problèmes de fond demeurent, en particulier dans le domaine du foncier. La propriété collective de la terre est un point inamovible dans le programme de l'État, qui se pose comme garant de la juste distribution de cette ressource. Les paysans sont les acteurs les plus vulnérables de l'économie, en raison des aléas climatiques, mais aussi en raison de la politique foncière qui conduit à limiter la production paysanne agricole à l'autosubsistance. Aujourd’hui, en permanence près de 5 Millions d’éthiopiens dépendent de l’aide alimentaire. D’où des tensions dramatiques : cette année est marquée par la pire sécheresse depuis 60 ans, engendrant une famine épouvantable dans les régions les plus vulnérables du Sud et de l’Est tandis que les exportations agricoles progressent pour les grandes cultures à finalité industrielles. Des investisseurs internationaux (principalement indiens, émiratis et saoudiens) obtiennent des dizains de milliers d’hectares pour un prix de location qui varie autour de 1,5€/ha avec un bail de 99 ans. Les terres sont souvent concédées aux investisseurs sans la moindre concertation avec les communautés locales car l’état les considère comme vides, alors qu’elles servent à faire paître les animaux ou sont laissées en jachère 3 ou 4 ans pour maintenir leur fertilité. La « Karuturi Global Limited », entreprise indienne, contrôle désormais plus 300.000 ha et un fond saoudiens détient 400.000 ha. « “L'Ethiopie a attiré les investisseurs car c'est un pays doté de ressources naturelles inexploitées”, explique Ramakrishna Karuturi » (fondateur et directeur général de Karuturi Global Limited, le plus grand producteur mondial de roses), dans le quotidien indien THE ECONOMIC TIMES.

Sur un total de 74 millions d’hectares de terres arables, les autorités éthiopiennes estiment que les agriculteurs éthiopiens en cultivent 17 millions. Elles souhaitent explicitement voir le reste mis en valeur par des investisseurs étrangers. Mais le gain pour l’Ethiopie n’est pas certain : les agences humanitaires des Nations Unies demandent le déblocage d’1,6 milliard de dollars pour faire face à la famine. A titre de comparaison, un rapport de Global Financial Integrity présenté devant l'ONU en mai 2011, évalue à 8,4 milliards de dollars les fuites de capitaux extraites de l'Éthiopie ces vingt dernières années (1990-2008) par les multinationales qui y sont implantées !

C – UNE VIE POLITIQUE PACIFIEE ?

Grâce à la propagande nationaliste utilisée comme arme de guerre, le gouvernement renvoie en permanence à l'arrière-plan les difficultés économiques et les tensions au sein de la fédération. Il s'assure une large victoire aux élections de 2000, face à une opposition disloquée. Les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre d'Irak en 2003, place l'Éthiopie en position d’allié principal des USA en Afrique orientale. Meles Zenawi se présente comme l’indispensable pivot de la stabilité régionale. Pour répondre à cet enjeu, le régime inaugure des méthodes de gouvernement plus souples et cherche à augmenter sa popularité en s'engageant dans un fonctionnement véritablement démocratique.

C'est ainsi que la campagne électorale de mai 2005 a lieu dans une ambiance inédite. Pour une fois, l'opposition se montre offensive et déterminée, organisée, notamment dans la Coalition pour l'unité et la démocratie (C.U.D.), et dans l'Union éthiopienne des forces démocratiques (U.E.D.F.), toutes deux largement financées et influencées par la diaspora. Elles bénéficient d'une liberté d'expression sans précédent, notamment au cours de débats radiotélévisés largement suivis. Cette nouvelle possibilité de s'opposer au pouvoir en place crée un véritable engouement qui se propage hors des villes. Menacé de perdre, le régime renforce sa propagande. La C.U.D. est accusée d'encourager les violences ethniques, tandis que le gouvernement n’hésite pas à recourir à l'intimidation. Le scrutin connaît une participation record, et si la CUD l'emporte très nettement dans la capitale, elle reste en retrait dans les campagnes. Les leaders de l'opposition, des journalistes et des militants sont incarcérés. Condamnés en 2007 pour délits contre l'ordre public, ils sont amnistiés sous la forte pression de la communauté internationale. Les élections générales de 2010 suscitent une même passion avec un taux de participation de 90 %. Mais les résultats ne confirment pas la tendance de 2005. Le FDRPE et ses alliés remportent la quasi-totalité des sièges, révélant l’inscription du parti de Meles Zenawi dans toutes les régions de l'Éthiopie. Surtout ces élections se distinguent des précédentes par le calme et le climat serein dans lequel le processus s'est déroulé. Le pari de la modernisation politique serait-il gagné ?

Obsèques de Meles Zenawi en aout 2012

Obsèques de Meles Zenawi en aout 2012

D – LES PROBLEMES DE VOISINAGES RESTENT CEPENDANT TOUJOURS AUSSI CONFLICTUELS.

La normalisation des relations avec l'Érythrée après 1993 relance les échanges en réanimant les débouchés maritimes et les routes qui les desservent. Les entrepreneurs érythréens jouent un rôle actif dans l'économie éthiopienne, notamment dans le commerce. Les tensions naissent avec la création de la monnaie érythréenne, le nakfa, mise en circulation en novembre 1997. Par ce moyen, Asmara affirme sa pleine souveraineté mais la gestion de sa monnaie assure une ponction sur la masse monétaire éthiopienne. En effet, une parité stricte des deux monnaies est établie mais, en pratique, le nakfa se dévalue très vite par rapport au birr éthiopien. La banque centrale éthiopienne et les institutions financières ne peuvent pas assurer la compensation dans des conditions saines. Cette contrainte monétaire affecte les mouvements de marchandises, de travailleurs et de flux financiers et finit par matérialiser une frontière jusque-là restée poreuse.

Se pose alors le problème de son tracé. En 1998, l’Erythrée passe à l’offensive et l’Ethiopie riposte par une mobilisation générale. S'enterrant dans des tranchées, les armées ne semblent avoir aucun objectif précis, si ce n'est la conquête ou la défense de territoires très petits. Après plusieurs tentatives de conciliation, les hostilités cessent à la suite d'une offensive éthiopienne, lancée en mai 2000 qui parvient jusqu’à la capitale Asmara. La Cour permanente d'arbitrage de La Haye est chargée de régler le différent (qui a fait plus de 80.000morts en 2 ans). Elle conclut en 2002 à l’agression érythréenne et trace une frontière attribuant une partie des territoires contestés à chacun des deux États. Ce qui ne satisfait personne, les rapports restant difficiles entre les deux États.

La guerre civile qui se développe en Somalie après l’éviction de Siad Barre en 1991 conduit à la fragmentation du pays et à l'autonomie voire à l'indépendance autoproclamée de plusieurs régions. A partir de 2006, la guerre oppose principalement le gouvernement fédéral à divers groupes, islamistes ou claniques dont l’un, l’Union des Tribunaux Islamiques finance et soutien 2 mouvements de rébellion armée sur le territoire éthiopien, le Front de libération Oromo (FLO) et le Front national de libération de l'Ogaden (FNLO). Pour tarir cette aide, l’Ethiopie envoie des troupes soutenir le gouvernement officiel de Mogadiscio, de 2006 à 2009, relayées depuis 2007, par une force de maintien de la paix que l'Union africaine a mis en place. Sans que quoi que ce soit ne change en Somalie. Là encore l’Ethiopie reste sur le qui-vive…

Dans un bref chapitre à venir, je vous présenterai la période de 2012 à nos jours qui vient de déboucher sur la guerre civile au Tigré.

Jean Barrot