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JARDIN IV- JARDINS D’ORIENT

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

JARDIN IV- JARDINS D’ORIENT

Connaissance & Partage


« On ira tous au paradis... »

(Dabadie – Polnareff ; vous l’avez peut-être chanté)

JARDINS D’ORIENT

Je reprends ce titre à une exposition de 2016 organisée par l’Institut du Monde arabe. Mais ce que je vais vous raconter déborde largement le monde arabe, pour englober un espace qui va du Maghreb à l’Inde moghole. Cet espace présente une caractéristique climatique commune : il s’agit d’un domaine qui s’échelonne du semi aride à l’aride. Ce qui implique deux réponses des sociétés humaines : un accès possible à l’eau et une pratique pastorale semi-nomade. L’oasis apparaît comme un idéal : offrant une ressource permanente en eau, il permet la sédentarité et l’agriculture.

Deux types emblématiques des jardins de cet espace nous laissent à peu près au même moment des traces archéologiques.

LE « PARADIS PERSAN »

LES RESSOURCES DE L’ARCHEOLOGIE

Dans le piémont des montagnes du nord de la Mésopotamie au 7e siècle avant notre ère, Sennacherib (704-681), roi néo-assyrien, évoque ainsi sa nouvelle résidence, le « Palais-sans-rival », et les jardins qui le bordent : « J’ai planté à ses côtés un jardin botanique, une réplique du mont Amanus, qui a toutes sortes de plantes aromatiques (et) d’arbres fruitiers (…) Pour rendre luxuriantes ces surfaces plantées, j’ai creusé avec des pics un canal droit à travers la montagne et la vallée, depuis la frontière de la ville de Kisiru jusqu’à la plaine de Ninive. J’y ai fait couler un flot inépuisable d’eau sur une distance d'un kilomètre et demi depuis la rivière Husur (et) j’ai fait jaillir (l’eau) dans ces jardins par les canaux d’alimentation. » Il précise ensuite comment, avec un mécanisme précurseur de la vis sans fin (“alamittu”), il remonte de l’eau pour irriguer les terrasses de son palais – un bas relief conservé au Bitish Museum en donne une image précieuse – “jardins suspendus” qu’un demi-millénaire plus tard, les Grecs placeront à Babylone, la mémoire de Ninive s’étant perdue.

Ninive : bas relief des jardins “suspendus” dans la frise conservée au British Museum.

Ninive : bas relief des jardins “suspendus” dans la frise conservée au British Museum.

Un siècle et demi plus tard, Cyrus le Grand (559-530) installant sa capitale à Parsagades y crée le jardin impérial qui va devenir le prototype du jardin dans tout le Moyen Orient antique et médiéval. Il n’en reste de nos jours que quelques traces archéologiques – des dalles d’allées, quelques fûts de colonnes et des segments de canaux – au milieu d’une plaine desséchée, encadrée de collines d’où descendaient à l’époque des eaux abondantes. Ce jardin fonctionne comme un sanctuaire mettant en scène le rôle cosmique de l’empereur : la luxuriance du jardin, parterres de fleurs et vergers, est gage de fertilité et de productivité de la terre dans l’Empire Achéménide. L’archéologie permet d’en reconstituer le dispositif en « chahar bagh » (“quatre jardins”) : c’est un vaste rectangle ceinturé d’un canal et découpé en 4 parties par un dispositif de canaux en croix selon les médianes. Le titre que s’attribue Cyrus est celui de « Maitre des 4 quartiers du monde ». Cet espace est bordé d’un palais et de pavillons largement ouverts sur le jardin : être à l’ombre, rester à l’air. La maitrise de l’eau, telle que les archéologues peuvent la reconstituer est impressionnante : l’eau s’écoule dans des canalisations rectilignes à très faible pente et tous les 14 m. environ, les canaux sont entrecoupés de bassins carrés 3 à 4 fois plus large et plus profonds. L’eau en sort par un léger rétrécissement du chenal qui, en accélérant le débit, génère un gargouillis, élément sonore, qui participe à la perfection du lieu. Ce jardin a laissé une trace dans la Bible : le jardin d’Eden dont émane 4 fleuves devient l’image du Paradis, terme directement transcrit du persan pairi-daéza : “jardin clôturé de murs.”

Parsagades : reste archéologique d’un bassin sur un des canaux exhumés.

Parsagades : reste archéologique d’un bassin sur un des canaux exhumés.

Les variations de taille et de pente sont bien visibles sur ce cliché.

DIFFUSION DU MODELE PERSAN

La conquête de la Perse par Alexandre le Grand fait perdre rapidement le sens sacré du lieu. Alexandre et ses successeurs transforment l'espace du jardin, qui était le monde intermédiaire gardé par les êtres hybrides des portes, dans lequel le souverain, ni homme, ni dieu mais héros, assurait la gestion de la dualité ciel-terre, en un espace clivé par le dualisme. Les Dieux (ou Dieu dans le monothéisme hébraïque) ont en héritage le jardin céleste du Paradis tandis que revient au roi ou à l’empereur le jardin de l'apothéose dont la splendeur manifeste son pouvoir. D'intercesseur, le roi devient divinité. Ce qui va se traduire par la suite dans les cérémonies d’ « apothéosis » hellénistiques et de « consecratio » romaines.

Ce modèle du jardin structuré par l’eau devient le jardin d'agrément admiré des Grecs, exploité par les Romains (Pompéi en livre de beaux exemples), car le sacré dispose de plus en plus fréquemment de ses lieux propres.

Pompéï : villa Tiburtinus (maison d’Octavius Quartius) L'habitation, de dimension modeste, jouit du jardin le plus vaste de Pompéi, récemment réaménagé avec l'installation des essences originelles. Au croisement des canaux sous pergolas, un nymphée …

Pompéï : villa Tiburtinus (maison d’Octavius Quartius) L'habitation, de dimension modeste, jouit du jardin le plus vaste de Pompéi, récemment réaménagé avec l'installation des essences originelles. Au croisement des canaux sous pergolas, un nymphée alimente le canal central du jardin en contrebas.

Le modèle du chahar bagh est entretenu par les dynasties post achéménides (Séleucides, Parthes, Sassanides), avant d'être récupéré par les empires de l'Islam, un millénaire plus tard.

EVOLUTION ET TYPOLOGIE DES JARDINS PERSANS

La construction de jardins prend de l'ampleur sous les Sassanides (224-651 EC). Le zoroastrisme devenant alors religion d'Etat, le sacré se concentre exclusivement dans les temples du Feu. Mais cette religion manifestant un souci aigüe de la nature, pousse la dynastie à instaurer les premières réglementations concernant le milieu naturel et les jardins. Le maintien formel d'un axe central et de quatre parties symétriques séparées par des canaux est la caractéristique la plus évidente des jardins de cette période, mais elle s'enrichit de la multiplication des fontaines et des vasques.

Pour l'Iran, c'est la dynastie Séfévide qui constitue l'âge d'or de la construction des jardins. Dès le début de la dynastie, la capitale, qui est alors Qazvin, est conçue comme un jardin-ville. Il n'en reste plus qu'un fantôme aujourd'hui dans la trame urbaine et quelques pavillons insérés dans le bâti. Mais lorsque Shâh Abbâs transfère la capitale à Ispahan il reprend ce modèle du jardin-ville. Le vaste rectangle de la place Naghsh e Jahân, a son axe qui se prolonge dans la rue Chahar Bagh, perpendiculaire à la rivière Zâyandeh Rud, axe qui se poursuit au delà de la rivière, traitée comme le canal central du jardin ville. Cette armature urbaine d’Ispahan reste encore parfaitement lisible malgré l'explosion urbaine du 20e siècle. Ce modèle se retrouve comme motif dans des tapis, enjolivé des éléments des jardins (eau, plantes, arbres, oiseaux plus ou moins stylisés), et devient un thème essentiel dans les miniatures persanes et les fresques des pavillons implantés dans les jardins..

Ce schéma subit des altérations à partir de la dynastie Qajar au 19e siècle. Confrontée à une ouverture sur l'Occident qui offre ses propres modèles de jardins, les jardins iraniens auront alors plus d'affinités avec les jardins à la française qu'avec les jardins à l'anglaise.

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Jardin de Mahan : situé sur le plateau central de l’Iran particulièrement aride ce jardin est une création du 19e siècle. L’aspect d’oasis est flagrant et l’irrigation des parties latérales du jardin consacrées à un verger (grenadiers, agrumes et vi…

Jardin de Mahan : situé sur le plateau central de l’Iran particulièrement aride ce jardin est une création du 19e siècle. L’aspect d’oasis est flagrant et l’irrigation des parties latérales du jardin consacrées à un verger (grenadiers, agrumes et vignes) se fait par des chenaux de terre bloqués temporairement par des pierres pour inonder les parcelle étagées successivement.

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Jardin de Mahan : l’axe central du jardin utilise la pente naturelle découpée en paliers de cascades. Le porche d’entrée est encadré de deux bassins. Celui de l’extérieur est circulaire et agrémenté d’un jet d’eau, celui de l’intérieur est rectangul…

Jardin de Mahan : l’axe central du jardin utilise la pente naturelle découpée en paliers de cascades. Le porche d’entrée est encadré de deux bassins. Celui de l’extérieur est circulaire et agrémenté d’un jet d’eau, celui de l’intérieur est rectangulaire. Son eau est siphonnée et alimente le bassin extérieur et les canaux du patio. Au départ de l’escalier d’eau, un vaste pavillon voûté et ouvert forme le salon de réception.

Si la maitrise de l'eau apparaît comme le fondement de la structure du jardin, il convient d'être aussi attentif à la lumière du soleil et à ses effets. A la latitude de l'Iran, l'ombre est essentielle au développement de la végétation florale et pour en faire un espace de loisirs pour les hommes. Les arbres et les treilles servent d'ombrage naturel mais les pavillons servent eux aussi à bloquer le soleil. Leur architecture se doit de maintenir ouvert le rapport entre intérieur et extérieur. L'arche voûtée en est la meilleure expression. Mais la continuité dehors/dedans s'exprime aussi par la munificence de la décoration du pavillon qui contraste généralement avec la sobriété végétale du jardin.

Jardin de Fin : alimenté par une puissante source pérenne, ce jardin situé à l’origine à l’écart de la ville de Kashan et dans un environnement semblable à celui de Mahan est aujourd’hui totalement intégré dans l’expansion de la ville. Le jardin que…

Jardin de Fin : alimenté par une puissante source pérenne, ce jardin situé à l’origine à l’écart de la ville de Kashan et dans un environnement semblable à celui de Mahan est aujourd’hui totalement intégré dans l’expansion de la ville. Le jardin que l’on visite remonte au règne de shah Abbas 1er, les pavillons étant réaménagés au début du 19e siècle.

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Les canaux, alimentés de loin en loin par de petites buses, sont dallés de carreaux de faïences vernissées bleues. Devant et dans les pavillons, des bassins rafraichissent l’atmosphère et fonctionnent comme des miroirs des parties du jardin à l’exté…

Les canaux, alimentés de loin en loin par de petites buses, sont dallés de carreaux de faïences vernissées bleues. Devant et dans les pavillons, des bassins rafraichissent l’atmosphère et fonctionnent comme des miroirs des parties du jardin à l’extérieure.

De nos jours les formes et les styles de jardin se sont fortement diversifiés. Seules les maisons des classes riches traditionnalistes ont conservé l'organisation rigoureuse en chahar bagh. De nouvelles formes sont apparues à partir de la fin du 19e siècle,

* Les "hayat"

Dans leur version privée, ces jardins sont souvent centrés autour d'un bassin qui focalise l'attention mais sert d'abord à humidifier l'atmosphère ambiante. Sa végétation est souvent modeste en raison des quantités d'eau qui sont disponible dans les zones urbaines. Dans le domaine public, l'accent est mis sur l'esthétique par rapport à la fonction : arches, bassins, sol couvert de gravier. Les plantations sont d'ordinaire très simples, des arbres en lignes ayant d'abord une fonction d'ombrage.

*Les "meydan"

Ce sont des jardins publics de type « square », où l'accent est davantage mis sur les éléments naturels que dans les "hayat". L'importance de la structure y est minimisée (bassins et allées de gravier) alors que les plantations sont riches et variées : arbres toujours, mais aussi buissons, parterres de plantes et de fleurs, herbe.

*Les "parcs" et "bagh"

La fonction publique des parcs est dominante, mettant l'accent sur la vie végétale. Les allées sont pourvues de nombreux espaces où s'asseoir (bancs, murets, mais le décor architectural est limités en termes d'éléments structurels (kiosques, pavillons). Le but de ces lieux est la détente et la socialisation. Les "bagh" en sont la version privée, accolés aux maisons, valorisant l'aspect vert et naturel du jardin pour la détente en famille.

UNE FONCTION MYSTIQUE

« La rose est un jardin où se cachent des arbres» (RUMI ; 1207-1273).

Si le jardin a perdu sa fonction de lieu d'intercession qu'il avait sous les Achéménides, il prend après la conquête arabe une dimension mystique avec le développement au sein de l’Islam du soufisme et une dimension érotique avec le goût toujours puissant en Iran pour la poésie. Sans qu'il soit possible de les dissocier, leurs symboliques étant totalement imbriquées.

Pour le mystique, les jardins résident dans le cœur. Le jardin se trouve donc partout. Les jardins terrestres, tout comme la Nature, n'en sont que des images virtuelles reflétées dans le cœur, qui lui-même reflète le miroir de la Beauté divine. L'eau pure sortie d'une source, étalée dans la vasque d'un bassin, est miroir de toutes choses, qui, lissées dans le reflet, permet d'atteindre leur Vérité. Comme le reflet du soleil y exprime l'illumination de l'âme dans le divin. Le jardin – clos de murs et à l'écart de la ville – est ainsi l'image du cœur du quêteur de Vérité dont Dieu ouvrira la porte.

Mais le jardin est aussi le lieu de l'amour. En franchir la porte est pour l'amoureux le moment où, débarrassé des non-dit, des interdits sociaux, l'amour peut se déclarer à l'aimée.

« Les allées des jardins et les détours mystérieux des bosquets

Sans une belle aux joues de tulipe perdent tout leur prix»

(HAFEZ ; 1315-1390)

«Ton visage est semblable à la rose (gul), mon cœur au rossignol (bulbul) aimant

A cause de son amour pour la rose, le rossignol ne peut quitter le jardin»

(MACHRAB ; 1657-1711)

(j'ai indiqué ici entre parenthèse les phonèmes qui permettent de comprendre

l'association récurrente dans la poésie persane du rossignol et de la rose)

Et le vin peut y aider:

« Attention, ô échanson! Fais circuler la coupe,

Invite les convives à boire, car, vois-tu,

L'amour nous a d'abord semblé chose facile,

Mais ensuite que de difficultés se sont présentées ! ».

(HAFEZ)

Et longtemps, le vin fut de la fête dans les jardins. Clavijo, l'ambassadeur à Samarkande du roi de Castille, en porte témoignage en 1403 : invité à une fête organisée par Tamerlan, il constate : « on sert le vin avant de manger et on en donne si souvent que les hommes en deviennent ivres : on croit qu'il ne peut y avoir de réjouissances ni de fêtes sans s'enivrer »

Mais HAFEZ module cet appel à boire et doute de la réalité de la fête :

« Les jardins, les fleurs, le vin, sont des choses agréables,

Mais en l'absence de ce qu'on aime, le vin, les fleurs, les jardins perdent tout leur prix ».

Mais dans l’Iran aujourd’hui, plongé dans l'ombre des mollahs, (bien moins favorable à la culture que celle des palmiers à l'agriculture), cette dimension du jardin est mise sous le boisseau. Et avant de quitter le jardin, encore HAFEZ

« Les mystères qui nous sont cachés derrière le rideau,

Demandes-en l'explication aux buveurs pris de vin;

Car, vois-tu, cette faculté n'a pas été donnée aux seigneurs dévots du clergé ».

Jardin du mausolée d’Hafez à Chiraz

Jardin du mausolée d’Hafez à Chiraz

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VERS L’OUEST : LES JARDINS ARABO-MUSULMANS

Ce modèle du jardin persan s'est diffusé autour de la Méditerranée dans l'empire romain, au début de notre ère, quoiqu'avec moins de finesse que dans son milieu d'origine mais avec une grande maitrise de l’eau sur de grandes distances grâce aux aqueducs et siphons. Les Jardins de la Fontaine à Nîmes (redessinés au 18e siècle) sont à l’origine un lieu sanctuaire dédié à Auguste, centré sur un nymphée. Mais en domaine tempéré, les canaux tendent à disparaitre, ne laissant que des bassins réduits au sein d’un jardin atrium.

Conimbriga est une des cités antiques d'époque romaine les plus importantes du Portugal.Abandonnée lors des invasions germanique du 5e siècle, redécouverte au début du 20e siècle presqu'intacte, elle est bien mise en valeur par l'archéologie contemp…

Conimbriga est une des cités antiques d'époque romaine les plus importantes du Portugal.

Abandonnée lors des invasions germanique du 5e siècle, redécouverte au début du 20e siècle presqu'intacte, elle est bien mise en valeur par l'archéologie contemporaine.

Lors de la conquête arabe de l’empire Byzantin, l'Islam peut récupérer sans problème la structure du jardin persan (il en récupère aussi les thermes sous la forme du “hammam”). Comme la Bible, le Coran en exploite aussi l’image de “paradis”, en en faisant un jardin céleste traversé de 4 fleuves d’abondance (eau, lait, vin, miel) : « Il y aura là des ruisseaux d’une eau jamais malodorante, et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié. Et il y a là, pour eux, des fruits de toutes sortes, ainsi qu’un pardon de la part de leur Seigneur. » (Coran 47, 15). L'importance de l'eau, aisée à comprendre dans l'environnement semi aride, est redoublée par une sourate du Coran: « C'est Lui qui a créé les cieux et la terre en 6 jours et son Trône était alors sur l'eau ». Dans son prolongement, les Omeyyades vont forger l'image du « Prince dispensateur d'eau» en multipliant les jardins de la tradition persane.

A cette conception du paradis s’ajoute une fonction sanitaire du jardin et de ses jeux d’eau dans une structure très originale : les bîmâristâns. Souvent de la taille d’un grand palais doté d’un jardin intérieur, ils fonctionnent un peu comme un hôpital au sens moderne du terme et se développent du 9e au 13e siècle. Le bîmâristân est un centre de soin, un centre d’étude et de formation, un centre d’accueil répondant à l’impératif moral de l’Islam de traiter toute souffrance indépendamment de la richesse ou de la pauvreté des malades. Une spécificité dans les grandes villes est d’aborder le traitement des maladies psychiques par l’effet relaxant des bains et des sonorités de l’eau glougloutant dans les bassins. Mais à partir du 12e siècle les théologiens critiquent de plus en plus les options philosophiques des textes médicaux, en particulier la notion de causalité, et considèrent qu’il n’y a pas de connaissance en dehors de la révélation coranique. La pensée médicale savante est ainsi freinée dans ses sujets de recherche et les bîmâristâns disparaissent au cours 14e siècle.

Alep, bîmâristân Argoun : salle des cellules destinées aux hommes, malades psychiques

Alep, bîmâristân Argoun : salle des cellules destinées aux hommes, malades psychiques

De la Syrie, le modèle du jardin « arabo islamique » migre vers l’ouest au milieu du 8e siècle. Chassés de Damas par les Abbassides, les Omeyyades survivants s’implantent dans le sud de l’Espagne y développant les magnifiques jardins que l’on peut découvrir aujourd’hui en Andalousie. C’est à Grenade qu’ils ont été les moins affectés par la “Reconquista”, Charles Quint ayant été fasciné par la beauté de l’ensemble. Certes, pour y édifier son palais, une partie des palais nasrides a été rasée et un monastère y a été installé. Mais la présence du roi en ce domaine a sauvé le reste sans en modifier profondément les structures.

Jardins de l’Alhambra à Grenade : devant le porche de la salle des ambassadeurs le jet d’eau du bassin de marbre apporte sa fraicheur et sa sonorité apaisante, alimentant le miroir d’eau qui occupe la cour(il a son symétrique en face).

Jardins de l’Alhambra à Grenade : devant le porche de la salle des ambassadeurs le jet d’eau du bassin de marbre apporte sa fraicheur et sa sonorité apaisante, alimentant le miroir d’eau qui occupe la cour

(il a son symétrique en face).

Alhambra, jardins du Partal : la Tour des Dames et son portique de colonnades se réfléchissent sur un bassin encadré de palmiers, délibérément voulu comme miroir de l’architecture.

Alhambra, jardins du Partal : la Tour des Dames et son portique de colonnades se réfléchissent sur un bassin encadré de palmiers, délibérément voulu comme miroir de l’architecture.

Jardins du Généralife : sur l'autre versant de la colline le “Généralife” était le palais d'été des princes Nasrides, rafraîchit dans les ombrages, par l’omniprésence des bassins et jets d'eau. Son nom est un dérivé phonétique de l'arabe Jannat el A…

Jardins du Généralife : sur l'autre versant de la colline le “Généralife” était le palais d'été des princes Nasrides, rafraîchit dans les ombrages, par l’omniprésence des bassins et jets d'eau. Son nom est un dérivé phonétique de l'arabe Jannat el Arif signifiant « jardins de l'Architecte », évocation du « paradis » du Coran.

LA BEAUTE COMME INCITATION AU METISSAGE

A partir des Croisades, des théologiens chrétiens ont voulu voir dans la disposition cruciforme du jardin une évocation de la croix du Christ. Ce « paradis » est alors réinventé sous la forme du cloître, avec une galerie autour de laquelle circulent les moines en communion avec le ciel. L’eau disparaît comme élément essentiel du jardin : les rigoles périphériques ne récoltent que l’eau de pluie, l’eau permanente provenant d’un puits. Le jardin de beauté devient le plus souvent un jardin de « simples » à vertus médicinales.

Mais le souci de la beauté ne se perd pas.

La « Reconquista » catholique du sud de l’Espagne marque une étape décisive au 13e siècle avec la liquidation de l’Emirat de Cordoue. Les jardins que l’on peut y rencontrer sont donc une réinterprétation de l’héritage arabo-musulman, en particulier ceux de l’Alcazar. Jusqu’au 15e siècle, ils étaient alimentés par des norias remontant l’eau du Guadalquivir, selon un mécanisme encore visible de nos jours à Hama en Syrie (du moins lors de notre circuit en 2000), mais détruites sur ordre d’Isabelle « la Catholique » gênée dans son sommeil par leur bruit.

Hama : les norias relèvent l’eau du fleuve jusqu’à l’amorce de l’aqueduc qui la conduit vers les fontaines de la ville

Hama : les norias relèvent l’eau du fleuve jusqu’à l’amorce de l’aqueduc qui la conduit vers les fontaines de la ville

Les jardins actuels de Cordoue sont des élaborations des 18e et 19e siècles marqués de l’héritage “à la française”. Mais à bien y regarder, le bassin le plus en aval reprend la partition en 4 sections (chahar bagh), l’axe central étant marqué par la ligne de jets d’eau sur la médiane longue.

Les jardins de l’Alcazar

Les jardins de l’Alcazar

Il en reste un héritage pour les habitants de la ville : le concours des patios fleuris – forme héritée de l’atrium romain et équivalent du « petit jardin » que je vous ai déjà présenté – qui se déroule tous les ans, durant les 2 premières semaines de mai. Un jury, émanation de la municipalité, en décerne les prix. Pour cette occasion des dizaines de particuliers ouvrent leurs patios aux visiteurs, autres citadins ou touristes. Blanchis de frais à la chaux, décorés d’une multitudes de plantes et de fleurs aux couleurs vives, en pots ou en pleine terre, agrémentés souvent d’une fontaine et d’objets en rapport au jardin, on y est accueilli par des propriétaires très fiers de leurs réalisations. Ce grand moment de convivialité urbaine est inscrit au Patrimoine Immatériel de l’Humanité de l’UNESCO

« Appropriation culturelle ! » vont hurler certains, imprégnés de la « modernité intellectuelle américaine » (je vous renvoie à ma dernière conférence). Je vais donc terminer cette étape occidentale pour leur permettre de hurler encore plus fort avec un des plus célèbres jardins du Maroc, le jardin Majorelle à Marrakech. Il est ainsi présenté dans les brochures touristiques : « un des jardins les plus enchanteurs et mystiques du Maroc ». Or ce jardin est une création du peintre français Jacques Majorelle réalisé à partir de 1922. Le style « mauresque » des bâtiments est revisité par l’Art Déco et la végétation est une véritable somme de plantes et d’arbres exotiques, plus de 300 espèces, provenant des contrées les plus lointaines. Il est sauvé en 1980 de la destruction – des promoteurs voulant récupérer la place pour édifier un complexe hôtelier – grâce à son rachat par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé qui entament une restauration générale et en font leur résidence. Décédés tous les deux, le jardin est devenu propriété d’un fondation, attirant chaque année plus de 600 mille visiteurs.

Le métissage culturel donne souvent de très belles choses...

VERS L’EST : LES JARDINS MOGHOLES.

La défaite chinoise à la bataille de Talas face aux troupes abbassides marque la fin de la progression de la dynastie Tang vers l’Asie centrale et assure l’islamisation progressive de la Transoxiane. Au début du 9e siècle, une dynastie issue du monde perse, les Samanides, prend le contrôle de la région établissant sa capitale à Boukhara. Imprégnés de religiosité islamique, les Samanides en favorisent l’interprétation soufi par la création de khanqah, maisons d’étape des soufis itinérants et valorisent l’étude par la création des premières médersas connues, organisées sur le modèle des centres d'enseignement bouddhistes.

Mais dans le même temps ils tolèrent les mazdéens et les nestoriens et affirment fermement leur culture persane face à l’arabisation développée par le pouvoir abbasside. On leur doit les premiers jardins créés dans cet espace semi aride de l’Asie centrale, avant de céder le pouvoir devant la pression turque au 11e siècle puis mongole au 13e siècle.

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Mausolée des Samanides à Boukhara : son état de conservation exceptionnel vient de ce qu’il a été totalement enfoui jusqu’en 1934 où il fut redécouvert et exhumé, avec la structure du bassin.

Mausolée des Samanides à Boukhara : son état de conservation exceptionnel vient de ce qu’il a été totalement enfoui jusqu’en 1934 où il fut redécouvert et exhumé, avec la structure du bassin.

Le jardin qui l’entoure est donc une création “soviétique” qui a cherché à rester la plus fidèle possible aux apports de l’archéologie. C’est le plus ancien mausolée à adopter la forme koubba (cube évoquant la Kaaba, surmonté d’une coupole) entièrement construit de briques apparentes dont le décor imite le tressage d'une vannerie.

C’est au début du 13e siècle que l’islam pénètre en Inde et s’y développe à partir du Sultanat de Delhi puis prend toute son extension avec la formation de l’empire Moghole au 16e siècle.

Le premier jardin que je veux évoquer ici est celui de la citadelle fortifiée d’Amber, dont le rajah Jai Singh 1er fait la capitale de son royaume Rajput au cours du 17e siècle. Au sein du complexe palatial, Jai Singh fait aménager dans une vaste cour rectangulaire un jardin selon les critères architecturaux persans du chahar bagh repris par les Moghols. Comportant des motifs hexagonaux, il est parcouru d'étroits canaux bordés de marbre autour d'un bassin en étoile avec une fontaine au centre. L'eau s’écoule en cascadant sur une dalle oblique au centre de la galerie occidentale aux arcs polylobés caractéristiques du style indo-islamique, rafraichissant l’air avant de venir alimenter le bassin central. En face, ouvert sur 3 côtés la salle des audiences privées, le Diwan-i-Khas, entièrement réalisé en marbre de couleur ivoire, comporte une décoration qui rompt avec l’abstraction graphique de l’islam. Les parois sont décorées de magnifiques volutes de feuilles, de vases et de fleurs peintes. Le haut des murs, les corniches et les plafonds sont tapissés de motifs floraux et de centaines de petits miroirs convexes noyés dans un réseau de fins entrelacs géométriques. En démultipliant la lumière, ces miroirs participent à la magie du lieu. La paroi du fond est ouverte de claustras finement ajourés qui assurent la circulation de l’air.

Jardin du palais d’Amber : lors de ma visite en 2008 il était en réparation (reprise des fuites sur les canalisations et la fontaine centrale) et en rénovation de sa végétation (remplacement des orangers et des rosiers trop vieux).

Jardin du palais d’Amber : lors de ma visite en 2008 il était en réparation (reprise des fuites sur les canalisations et la fontaine centrale) et en rénovation de sa végétation (remplacement des orangers et des rosiers trop vieux).

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Le plus célèbre héritage de l’Islam en Inde est sans aucun doute le mausolée que Shah Jahan fit ériger à Agra en l’honneur de sa femme, Mumtaz Mahal (“Lumière du Palais” en persan) : le Taj Mahal (1631-1648) qui précède de peu la construction de Versailles. Il est situé au bout d'un jardin ornemental rectangulaire (de 580 par 305 m.) clos par une enceinte ornée d’une fausse porte au centre de chacun des cotés mais dont seule la porte du mur sud faisant face au monument est fonctionnelle. Haute de 30 m. constituée d’un grand iwan central, flanqué d'iwans latéraux et couronnée de chhatris, elle assure le passage entre l’avant cour et le jardin. Celui-ci est structuré selon la tradition persane du chahar bagh par 4 canaux en croix pourvus de jets d'eau et de fontaines, avec au centre du croisement un vaste bassin de marbre, délimitant quatre carrés égaux. Chaque partie est subdivisée par des promenades secondaires agrémentées de ruisseaux bordés d’étroits chemins, dont le pavé est composé de petits cailloux polis. Jusqu’à la fin du 19e siècle, ce jardin était un verger, planté d'arbres divers notamment d’agrumes, où poussaient des fleurs en abondance, symbolisant le paradis promis à Muntaz. Mais lorsque lord Curzon prit sa fonction de vice-roi des Indes en 1899, il fit raser le verger pour y implanter des pelouses typiquement anglaises, faisant border les 2 axes principaux par une ligne de cyprès et de massifs de rosiers. Son objectif, typiquement occidental, était d’ouvrir la perspective visuelle jusqu’au splendide mausolée de marbre blanc.

Le jardin du Taj Mahal : revisité par les BritanniquesLe mausolée lui-même a échappé à la destruction au début du 19e siècle quand le colonisateur envisageait froidement de transformer tout ce marbre en plâtre comme l’ont fait les papes à Rome lors …

Le jardin du Taj Mahal : revisité par les Britanniques

Le mausolée lui-même a échappé à la destruction au début du 19e siècle quand le colonisateur envisageait froidement de transformer tout ce marbre en plâtre comme l’ont fait les papes à Rome lors de la Renaissance. Aujourd’hui la menace vient des intégristes hindouistes qui font tout pour en obtenir la destruction, ne supportant pas que la plus belle image de l’Inde soit associée à un monument musulman.

L’immense iwan du porche d’entrée.

L’immense iwan du porche d’entrée.

La décoration comme à Amber s’exprime ici dans le bas relief floral des marbres.

La décoration comme à Amber s’exprime ici dans le bas relief floral des marbres.

Je terminerai ce tour au pays des Moghols par le jardin du palais d’été de Tipu Sultan, datant de la fin du 18e siècle, à Srinangapatna, sa capitale rasée par les anglais après sa défaite, à quelques kilomètres de Mysore.

Dans l’histoire indienne Tipu reste une figure très controversée. Alors que les dirigeants de l’empire Moghole et des royaumes subordonnés, maharajahs et nizâms étaient prêts aux compromis avec la puissant Compagnie britannique des Indes, Tipu va lutter avec acharnement à la fin du 18e siècle contre l’emprise coloniale britannique. Musulman pieux, s’il est relativement tolérant pour les populations de son royaume, majoritairement hindouistes, il ne l’est pas du tout à l’extérieur lors de ses tentatives d’extension vers la confédération Marâthe et le Travancore. Dans l’idéologie hindouiste qui domine aujourd’hui en Inde, il est gênant que le dernier combattant de l’indépendance ait été un musulman…

Le palais un vaste carré de deux étages repose sur un socle de pierre surélevé occupant le centre de croisement des 2 canaux qui structurent le chahar bagh. Construit en bois de teck, son organisation intérieure est découpée par des cloisons de mortier finement plâtré. Chaque pilier porteur est orné à sa base d'un motif sculpté qui semble que le faire émerger d'une fleur. Les murs et le plafond du palais sont également ornés de beaux motifs floraux. Comme au Taj Mahal, le jardin était un verger orné d’arbustes floraux à floraison quasi permanente tels les mussaendas et les ixoras. Mais ici les grandes allées bordant les canaux étaient soulignées par une ligne de cyprès.

Ce petit palais est protégé du soleil et des oiseaux par des cannisses obturant les arcades en l’absence de la cour. L’intérieur est entièrement décoré de fresques murales évoquant la cour de Tipu et de son père et les batailles menées par Tipu cont…

Ce petit palais est protégé du soleil et des oiseaux par des cannisses obturant les arcades en l’absence de la cour. L’intérieur est entièrement décoré de fresques murales évoquant la cour de Tipu et de son père et les batailles menées par Tipu contre ses ennemis.

La figuration s’impose ici contre les stricts canons de l’islam.

Les photos de l’intérieur étant interdite lors de ma visite en 2006, j’ai fait appel ici aux ressources d’internet…

Les photos de l’intérieur étant interdite lors de ma visite en 2006,

j’ai fait appel ici aux ressources d’internet…

Une partie des canaux est aujourd’hui remblayée et plantée de fleurs en strate basse. Seuls quelques arbres de belle taille ont été conservés, la pelouse ayant remplacé le verger.

Une partie des canaux est aujourd’hui remblayée et plantée de fleurs en strate basse. Seuls quelques arbres de belle taille ont été conservés, la pelouse ayant remplacé le verger.

A proximité du palais d’été, le mausolée de Haidar Ali, son père qu’il a rejoint en ce lieu après sa mort, présentait une organisation similaire du jardin. Occupé par les troupes britanniques en 1792 il fut totalement dévasté, selon l’appréciation de Tipu Sultan : « Ce jardin était aménagé en allées régulières de cyprès ombragés et regorgeait d'arbres fruitiers, de fleurs et de légumes de toutes sortes. Mais la hache de l'ennemi le dépouilla bientôt de ses beautés; et ces arbres, qui s’offraient autrefois aux plaisirs de leur maître, étaient obligés de fournir des matériaux pour la conquête de sa capitale ».

Nous irons tous au paradis ? Vraiment ?

Jean Barrot