DANGERS DU VOLCAN, TENACITE DES HOMMES
Connaissance & Partage
Dangers du volcan, ténacité des hommes
2 – Montserrat
Longue de 16 km pour 11 km de large, l’ile de Montserrat a longtemps été considérée comme la « perle émeraude » du collier des Petites Antilles. Disputée entre la France et l’Angleterre, elle est définitivement rattachée à la Couronne britannique à la fin du 18e siècle et est aujourd’hui un dominion membre depuis 1981 de l’Organisation des Etats de la Caraïbe orientale (OECO).
Dans cette ile, loin du tohu-bohu du monde, les pauvres restaient pauvres, s’acharnant à survivre en grattant quelques lopins de terre, les petits riches, retraités canadiens et américains, s’y livraient au farniente à proximité des rivages, et les vraiment riches y passaient souvent sur leurs yachts dans ses eaux turquoises. Certains même s’y fixaient. En vacances dans les années 1970, George Martin, le producteur des Beatles, tombé amoureux de l’ile, en fait l'épicentre de la scène musicale internationale.
Dans des studios à la pointe de la technologie, il reçoit entre autre Elton John, Stevie Wonder, Dire Straits, Paul Mc Cartney, Michael Jackson, Duran Duran, Mick Jagger, Eric Clapton, Lou Reed, éditant près d’une centaine d’albums, tous tubes internationaux.
Bref, « tout était pour le mieux dans le meilleur des monde possible » comme le répétait inlassablement Pangloss à son élève Candide.
Mais voilà : cette ile est volcanique et de la pire espèce. Sa Soufrière (nom hérité de la période de tutelle française) est un volcan “gris”. Endormi depuis au moins 4 siècles (aucune éruption connue à partir de la colonisation qui peuple l’ile d’esclave noirs), il n’exhalait de temps en temps que des vapeurs soufrées. La menace la plus constante sur l’ile était constituée par de terribles ouragans. Mais après leurs passages, on reconstruisait et la vie continuait. Jusqu’en 1992 …
COMME TOUT L’ARCHIPEL DES ANTILLES, L’ILE SE TROUVE SUR UNE LIMITE D’AFFRONTEMENT DE PLAQUES TECTONIQUES.
1-Carte plaques
Poussée vers l’est par la plaque Pacifique, la plaque des Cocos passe en subduction sous la plaque Caraïbe, ce qui a provoqué l’émersion de sa bordure occidentale depuis 5 à 6 Millions d’années, coupant la communication entre le Pacifique et l’Atlantique en assurant topographiquement la liaison de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud. Sous l’effet de cette poussée sur sa marge occidentale, la plaque Caraïbe progresse vers l’est venant buter contre les plaques Nord Atlantique (PNA sur la carte) et Sud Atlantique (PNA sur la carte) qui migrent vers l’ouest depuis le rift de la dorsale medio atlantique. Ces 2 méga plaques coulissent selon un système de failles transformantes qui forment la limite nord de la plaque Caraïbe.
Comme Haïti se situe sur la grande faille transformante qui fait glisser le bloc Caraïbe vers l’Est alors que la plaque Nord Américaine progresse vers l’Ouest, les tremblements de terre qui l’affectent sont de ripage (donc à foyer peu profond) sans tsunami (pas de rebond du plancher océanique comme dans les subductions) ni volcanisme (pas d’interférence avec les magmas). Mais qui dit foyer peu profond dit effet maximum…
Au contact du plancher océanique de l’Atlantique Sud, la progression de la plaque Caraïbe vers l’est a entraîné l’émergence d’une guirlande insulaire volcanique, l’arc caraïbe. La plongée en subduction de la plaque sud américaine – d’une densité beaucoup plus élevée que celle de la plaque Caraïbe – entraîne dans le manteau (asthénosphère sur la coupe) des matériaux très diversifiés et gorgés d’eau. Entrant en fusion, devenus des magmas très chargés en gaz, ils tendent à s’évacuer vers la surface. Ces magmas de néogénèse sont très acides et très visqueux , remontant lentement dans les conduits volcaniques. En surface, ces conduits sont le plus souvent obstrués par de bouchons de laves solidifiées. Lorsque l’activité de la chambre magmatique s’intensifie, la pression des laves s’accroit dans les conduits jusqu’à ce que le bouchon explose ouvrant la voie à l’éruption volcanique.
2- coupe arc
C’est ce mécanisme qui a entraîné l’explosion de la Montagne Pelée en Martinique au début du 20e siècle, provoquant la destruction totale de la ville de Saint Pierre, le «petit Paris » des Antilles françaises. C’est ce même mécanisme qui a provoqué la destruction de la ville de Plymouth, capitale de l’ile de Montserrat à la fin du 20e siècle.
UNE LONGUE PHASE ÉRUPTIVE ENCORE INACHEVÉE
L’éruption de la Soufrière s’annonce à partir de 1992 par des tremblements de terre de faible intensité et sans grands dégâts mais qui témoignent de l’amorce de la remontée du magma. L’éruption proprement dite débute en juillet 1995. Le bouchon solidifié se fragmente sous l’effet du phréato magmatisme (l’eau infiltrée depuis la surface entre en ébullition au contact du magma remontant et fait exploser la masse rocheuse du bouchon). L’effondrement principal se produit vers l’est alimentant une coulée de type pyroclastique qui s’écoule jusqu’à la mer. Peu de temps après, l’éruption se poursuit par une intense émission de cendres et de débris qui recouvre Plymouth d’une couche de plusieurs décimètres, sans faire de victimes, la ville ayant été évacuée dès l’amorce de l’éruption. Une partie de la population a émigré soit sur des iles voisines soit vers les familles déjà installées en Grande Bretagne ou aux Etats Unis. Les plus pauvres et les plus attachés à l’ile sont confinés dans le nord, hors du champ d’action du volcan et hébergés en urgence dans des conteneurs sommairement aménagés.
3-cendres
Tout au long de l’année 1996, un dôme de laves fraîches se construit, ces laves andésitiques étant si pâteuses qu’elles ne peuvent s’écouler. Ce dôme s’élève, alimentant par des éboulements latéraux des coulées dans les vallées des rivières descendant de la montagne, provoquant des dégâts de plus en plus importants.
C’est au printemps 1997 que je vais pouvoir visiter l’ile, par l’entremise de l’Université, en compagnie du professeur Jeremy, (merci Jocelyne) responsable de la Sécurité Civile en Guadeloupe (déjà affectée pars des retombées de cendres). Le petit aéroport de l’ile, installé sur le lobe d’une ancienne coulée de laves, est encore utilisable. Mais alors que la zone autour est décrétée évacuée, nous pouvons voir de nombreux paysans s’activant sur leurs champs. Il s’agit de ne pas manquer les récoltes, seul moyen de subsistance pour une part importante de la population restante. Le dôme extrudé fume, gronde et laisse voir des éboulements continus qui empruntent la vallée dévastée par les coulées de 1996.
4-Dôme
5- vallée 1ère coulée
A l’approche de la piste où nous allons atterrir, nous découvrons l’état de la vallée empruntée par la première coulée pyroclastique dans les premières semaines de l’éruption. Toute végétation y a disparu et un lobe s’est construit en mer ;
Notre impression est que le rempart qui protège les vallées vers le nord-ouest est trop entaillé, avec des seuils surbaissés, pour assurer un confinement des coulées dans la vallée déjà utilisée et pour protéger la partie sud-orientale de l’ile : si une coulée a pu jadis élaborer le lobe qui accueille l’aéroport, on peut penser que cela se reproduira. Mais nous ne pouvons pas approcher le dôme de trop près, sécurité oblige.
Nous gagnons alors Plymouth, autre zone interdite aux non professionnels. Pour des raisons de sécurité, mais aussi pour éviter les pillages dans les maisons abandonnées. Car la ville que nous découvrons donne un sentiment d’étrangeté. On a l’impression qu’un bon nettoyage pourrait lui redonner vie. Dans cette perspective, des engins de chantier s’emploient à recalibrer la rivière qui la traverse pour éviter que des crues viennent aggraver sa situation. Mais un examen plus poussé, en montant dans les hauteurs, montre que de puissants lahars (reprise de dépôts volcaniques sous l’effet d’un afflux d’eau qui déclenche des coulées boueuses en vrac) ont déjà dévasté une partie des quartiers populaires
6-maison
7-Lahar
Le pire reste à venir : au cours de l’été 1997 le nouveau dôme explose à son tour et une éruption majeure débute. La masse de matériaux qui le constituait, mêlée aux laves fraîches, alimente des coulées pyroclastiques (des avalanches à écoulement très rapide de roches chaudes, de cendres et de gaz acides qui descendent sur les flancs du volcan à des vitesses pouvant atteindre jusqu’à 300 km/h) d’une ampleur considérable et qui s’écoule dans des vallées encore intactes. Neuf villages ainsi que l'aéroport sont détruit, et dix-neuf personnes décèdent. La ville de Plymouth est alors totalement ensevelie.
8-Plym av-ap
9-Capture d’écran
J’ai réalisé cette capture d’écran sur une petite vidéo concernant l’éruption de 1997. J’ai saisi le moment qui montre le front d’une coulée pyroclastique, qui a sauté le rempart autour du cratère (sur la carte ci-dessous, il est indiqué par la ligne noire épaisse) s’engageant dans une vallée à la végétation intacte. Après on passage la vallée va ressembler à celle de la photo 5.
10-bilan 95-99
Mais l’activité volcanique ne cesse pas. Les 2 années 1998 et 1999, marque un répit après la violente crise de 1997. Des explosions faibles à modérées accompagnent plusieurs effondrements qui se produisent sur le dôme reconstitué. A partir de 2000, la croissance de celui-ci reprend de l’ampleur, générant à 3 reprises d’importants effondrements avant qu’une phase de repos se manifeste de 2003 à 2005. Au cours de l’été 2005 l’activité reprend de la vigueur : l’extrusion de laves fait croître un nouveau dôme soumis à écroulement périodique. Elle connaît un paroxysme en février 2010 avec un énorme panache de cendres qui monte à une quinzaine de km d’altitude et de puissantes coulées pyroclastiques qui atteignent la mer y formant un vaste lobe.
Au total depuis 1995, la surface de l’ile s’est accrue de 2 km2.
Beaucoup de chercheurs s’interrogent sur le rapport qu’il pourrait y avoir entre le tremblement de terre d’Haïti (janvier) et l’éruption de Montserrat (3 semaines plus tard) : aurait-il pu déstabiliser la chambre magmatique sous l’île ? En l’état actuel des recherches la question reste ouverte …
UN AVENIR POUR L’ILE ?
Le volcan, malgré le répit, reste une menace, générant même une fausse alerte en 2018. Mais l’intense surveillance à laquelle il est soumis conduit à une conclusion inquiétante : la chambre magmatique continue d’être alimentée, sur un rythme certes ralenti. Il est donc encore trop tôt pour conclure à la fin de l’activité éruptive….
Et pourtant une partie de la population s’accroche. Et certains qui avaient quittés l’ile reviennent. Si l’ile a perdu à peu près les 2/5 de sa population (elle se réduit à un peu plus de 5000 habitants environ), ceux qui restent rêvent de relancer l’activité de l’ile. Le nouveau gouvernement entré en fonction en 2015, suite à des élections, veut faire du volcan le pilier de la reconstruction de l’ile qu’il a failli détruire. Trois pistes sont retenues : l’exploitation de la géothermie comme source de production électrique, pour se substituer aux 4 générateurs diesel, insuffisants pour assurer une fourniture d’électricité en continue ; l’exportation de sable à partir de l’abondante fourniture des éruptions ; la relance du tourisme sur le thème de la découverte de Plymouth « la Pompéi Moderne », « la Pompéi des Antilles ». Le mot d’ordre en anglais et joli et explicite « Ash for Cash ».
Mais l'accès à l'île reste très difficile. Le nouvel aéroport est petit et ne peut accueillir que des avions à six places. Un service de ferry privé opère depuis Antigua mais sur un rythme réduit et impose l’escale à Antigua pour gagner Montserrat. L’avers positif de cette médaille est que l’ile a renforcé son caractère de sanctuaire naturel, d’un environnement plus vierge en comparaison de la bétonisation qui affecte les iles voisines.
Aussi seuls 7000 touristes ont tenté l’aventure de découvrir cette ile martyre en 2017 et les « investisseurs internationaux » ne se pressent vraiment pas au portillon …
Jean BARROT