L’ERUPTION D’EL CHICHÒN DE 1982 : DES ENSEIGNEMENTS DECISIFS POUR LE CLIMAT
Connaissance & Partage
L’ERUPTION D’EL CHICHÒN DE 1982 :
DES ENSEIGNEMENTS DECISIFS POUR LE CLIMAT
I – EL CHICHON : CARTE D’IDENTITE.
Au printemps 1982, dans la province du Chiapas au Mexique, un volcan méconnu enfoui sous une couverture végétale tropicale dense, pas plus haut que les pics non volcaniques environants, entre en éruption. La violence de celle-ci est comparable à celle survenue 2 ans plus tôt aux Etats Unis au mont St. Helens. La surprise est considérable car El Chichón (“la courge”) n’a été identifié comme volcan qu’en 1928 à partir de fumerolles trouant la végétation : la région est isolée très accidentée et peu peuplée, à l’écart des principales voies de communications. Région de peuplement maya, ici constitué par le groupe des Zoques, elle est abandonnée à son sort par le gouvernement central du Mexique.
Au plan géologique El Chichón était un petit cône de tuf trachyandésitique à dôme de lave, formé dans un cratère sommital de 1,6 km sur 2 km, créé il y a environ 220.000 ans. 2 autres dômes un peu plus anciens et non totalement enfouis émergeaient de ses flancs sud-ouest et sud-est. Ce volcan est dans une position totalement atypique, à plus de 300 km au S-E de l’axe central volcanique du Mexique et à 170 km à l’est de la fosse pacifique qui borde le continent, zone littorale où se concentrent les volcans de la « ceinture de feu », du Guatemala jusqu’au Costa Rica. Les études menées depuis ont révélé des traces d’éruptions plus anciennes : 11 au cours des 8 derniers millénaires, dont 7 au cours de notre ère (je vais revenir plus particulièrement sur l’éruption de 540 ap. JC), mais une seule au tout début de la conquête espagnole, largement ignorée, car survenant dans ces terres « vides ». Toutes ces éruptions ont été du même type : brutalement explosives, engendrant de puissantes coulées pyroclastiques et aspergeant une vaste région de cendres et de ponces (sur plus de 50.000 km2 pour l’éruption de 1982).
L’éruption du printemps 1982 constitue donc une surprise, et elle est une des plus violentes qu'ait connue le Mexique depuis un demi-millénaire. Les coulées pyroclastiques et les pluies de blocs et de cendres ont fait au moins 3.500 victimes. Toute la région a été détruite dans un rayon d’une dizaine de km anéantissant totalement neuf villages, jusqu’à 15 km du volcan pour Francisco Léon. L’éruption a créé un nouveau cratère d'un kilomètre de rayon, profond de 300 mètres, rapidement occupé par un lac acide dont la température varie de 30 à 80 °C, tandis que les flancs étaient disséqués par de puissants lahars, au rythme des précipitations très intenses sur la région (plus de 4m par an !).
II – LE VOLCAN 10 ANS APRES.
J’ai pu parcourir ce volcan avec des collègues géographes en 1993. Pour atteindre le cratère, dont les crêtes culminent vers 1050m d’altitude, nous avons dû parcourir un véritable dédale de ravins profonds d’une dizaine de mètres entaillés dans les flancs externes du volcans par des écoulements torrentiels qui ont remanié les dépôts volcaniques, en construisant toute une série de terrasses alluviales constamment réajustées lors de la saison des pluies (il peut tomber jusqu’à 700 mm d’eau pendant le mois le plus arrosé). La montée s’est effectuée ensuite sur les lanières d’interfluves recouvertes par les cendres durcies et cimentées par une croûte peu épaisse et déjà bien recolonisées par une végétation basse herbacée de type savane.
III – UNE LOCALISATION ATYPIQUE
La position d’El Chichón dans l’espace régional reste encore en partie problématique. Elle semble très liée à l’existence du point triple qui articule la plaque Cocos, poussée vers le N-E par la plaque Pacifique, avec la plaque Nord Américaine qui progresse vers le S-W tandis que la plaque Caraïbe est éjectée vers l’E, où elle vient butter contre la plaque Sud Américaine (voir le schéma dans mon texte présentant le volcan de Montserrat). La plaque Cocos est affectée par un accident cassant très important, la ride de Tehuantepec qui affecte en profondeur l’angle sud de la plaque Nord Américaine où s’individualise le petit bloc Maya. Tabulaire sur toute la péninsule du Yucatan celui-ci se plisse en buttant contre le massif granitique du Chiapas. C’est dans cette zone de plissement et dans l’axe de la ride de Tehuantepec que s’est développé El Chichón.
La plongée en subduction de la plaque Cocos sous le bloc Maya se fait selon un plan faiblement incliné. Gorgée d’eau la plaque plongeante entre en fusion et le magma qui en résulte, lors de sa progression vers la surface, voit la pression diminuer. Très riche en vapeur d’eau, il amorce un dégazage qui met en solution les parties les plus solubles des roches encaissantes. Or un forage de 4 km de profondeur près de la base Est du volcan a traversé le calcaire qui forme la table du Yucatan et a perforé en dessous, sur 770 m d’épaisseur une puissante couche d’évaporites salifère (NaCl) et de sulfates (SO4Na). Dans sa remontée, en traversant cette couche, le magma se charge en chlore et en soufre qui deviennent une signature gazeuse spécifique des éruptions d’El Chichón.
Ce qui m’amène à examiner les conséquences climatiques de ses éruptions.
III – L’ERUPTION DE 1982 ET LE MODELE « D’HIVER NUCLEAIRE »
Lorsque l’éruption survient, le volume de matière éjecté est estimé à ½ km3 ce qui est modeste. Mais le panache éruptif monte verticalement jusqu’à 25-30km dispersant dans la stratosphère des poudres et des gaz qui vont faire le tour de la planète. A cette date, l’Organisation Météorologique Mondiale dispose alors de tout un réseau au sol de repérage laser des phénomènes atmosphériques et surtout des satellites météorologiques NOAA lancés par les Etats Unis à partir de 1970 (8 sont en service à la date de l’éruption) et TOMS lancé en 1978, conçu pour mesurer l’ozone stratosphérique. Quelques jours après l’éruption, les scientifiques de la NASA exploitant les données enregistrées par des satellites observent une énorme anomalie dans le panache du volcan due à la quantité de dioxyde de soufre rejeté par l’éruption. Pour la première fois, on peut suivre en détail le développement et la circulation du panache. Or peu de temps après, les météorologues enregistrent une baisse de la température sur la Terre de 0,5 °C avec une exagération des contrastes climatiques dans la zone tempérée. L’été 1982 est particulièrement chaud et sec, l’automne connaît de violentes tempêtes et pendant 2 à 3 ans les hivers sont particulièrement rigoureux. En janvier 1985 le thermomètre descend jusqu’à – 27°C dans la région de Rouen ! Une étude menée en France en 2004 repère un pic de mortalité par pneumonie (plus du triplement des cas usuels) pour l’hiver 1984-85, bien corrélé à la teneur en soufre de l’atmosphère.
Ce refroidissement généralisé de la planète sous l’effet d’une éruption volcanique suscite des réflexions rétrospectives et prospectives.
A- L’interprétation rétrospective la plus célèbre concerne la disparition des dinosaures. Sous l’impact du choc d’un astéroïde sur le Yucatan il y a 66 millions d’années, les éjectas à très haute température engendrent des incendies qui ajoutent leurs fumées et leur gaz à une masse énorme de poussière et de gaz (dioxyde de soufre et de carbone) qui est projetée jusque dans la stratosphère. Il se forme alors un voile qui réfléchit le rayonnement solaire vers l’espace engendrant un refroidissement considérable de l’ensemble de la planète, provoquant une destruction massive des écosystèmes. Cet épisode bien documenté (bien plus complexe dans le détail que mon résumé) marque la fin du Crétacé et l’entrée dans l’ère Tertiaire par ce phénomène d’extinction de masse. La critique la plus fréquente est que l’épisode est trop bref dans le temps et on privilégie alors les émissions volcaniques qui donnent naissance aux « trapps du Dekkan » de l’Inde, et qui s’étendent sur plus d’un million d’années. Pour moi, ces 2 épisodes ne sont pas incompatibles et peuvent s’associer en un système cause-conséquence : la puissance de l’impact de l’astéroïde se répercute dans toute la masse du globe, générant un flux de chaleur considérable, activant une éjection de magma au contact du noyau externe et du manteau profond selon le modèle du point chaud à l’opposé de l’impact (l’Inde à cette époque est dans l’hémisphère sud – occupant une position estimée à l’emplacement de La Réunion aujourd’hui – et n’est pas encore entrée en collision avec le craton eurasiatique).
B- Mais c’est l’interprétation prospective qui donne son nom à l’hypothèse de « l’hiver nucléaire ». Les stocks de charges nucléaires sont à peu près à l’équilibre entre les Etats Unis et l’URSS en 1980 (environ 25.000 ogives chacun avec un avantage aux Etats Unis dans le domaine des ogives stratégiques : 10.000 contre 8.000). Mais l’implantation de missiles soviétiques de moyenne portée en Europe de l’Est, permet à R. Reagan de réengager les Etats Unis dans une course aux armements. Alors qu’il y a déjà largement de quoi détruire la vie sur la planète, des chercheurs tentent de modéliser les effets d’un conflit nucléaire total. On retrouve les mêmes ingrédients : incendies généralisés générant des volumes de fumées considérables, éjection de poussières par les bombardements, création d’un voile qui limite le rayonnement solaire et après une phase de refroidissement intense montée des températures par effet de serre des gaz libérés dans l’atmosphère alors que les poussières sont retombées.
IV – EL CHICHON ET LE « HIATUS MAYA »
Traditionnellement ce terme de « hiatus maya » marque pour les historiens et les archéologues une coupure dans la civilisation maya qui les amène à distinguer un “classique ancien” qui va du 3e au 6e siècle et un “classique récent” qui va du 7e au 9e siècle. Cette vision encore dominante au milieu du 20e siècle est désormais fortement remise en question.
Je vais tenter de faire le point en tenant compte désormais de ce que l’on sait de l’activité d’El Chichon.
Cette idée de coupure s’appuie essentiellement sur l’observation d’un coup d’arrêt à la puissance de Tikal qui dominait les basses terres du sud du Yucatan, relayée par la montée en puissance de Calakmul au cœur du Peten. Une clé est probablement fournie par les découvertes récentes réalisées à Teotihuacan, la formidable cité du plateau central mexicain (voir mon texte présentant ce site). On a tout un faisceau d’indices qui attestent des liens étroits entre Tikal et Teotihuacan et qui sont à l’origine de la montée en puissance de la cité de Tikal à partir du 3e siècle comme centre d’une confédération de cités aux liens très lâches, un peu sur le modèle grec classique. Mais vers le milieu du 6e siècle, une violente crise affecte les 2 cités : Tikal est conquise par sa rivale du centre Calakmul (fourchette retenue : 557-562) alors que Teotihuacan est ravagée dans ses centres de pouvoir dans la même période (une chronologie très précise est encore à établir). Le lien puissant qui les unissait se brise alors, favorisant le renforcement de la confédération nouée autour de Calakmul. Ce n’est qu’à la fin du 7e siècle que Tikal retrouve sa puissance, conquérant sa rivale Calakmul.
Mais le monde maya des basses terres du sud ne retrouve pas son unité : la “balkanisation” politique conduit à des conflits incessant entre cités secondaires qui s’affirment un temps avant de s’affaisser. Il en est de même dans les basses terres du nord, la fin de l’âge « classique maya » intervenant au cours du 9e siècle. Mais avec une énigme non résolue à nos jours : les ruines mayas ne sont pas des villes détruites mais des cités abandonnées…
Revenons à Tikal. Sa conquête au milieu du 6e siècle traduit un affaiblissement antérieur.
Les recherches récentes sur l’activité d’El Chichon ouvrent une perspective intéressante. Toute une série d’études sur les cendres volcaniques dispersées sur le sud de la péninsule du Yucatan, sur les crêtes de plage des rives du golfe du Mexique, sur la chimie des dépôts lacustres et deltaïque de l’Usumacinta-Grijavala, montre que le volcan, à la signature chimique si particulière, a connu une puissante éruption en 540. Dans l’immédiat, de vastes zones ont été affectées par la chute de téphras en couches épaisses entrainant la dénudation des parties supérieures des bassins versants, provoquant une augmentation du ruissellement de surface et la génération de crues puissantes dans les parties aval (cf. photos 8 et 3). Sur un temps plus long (jusqu’à 10 ans pour certains vulcanologues), le refroidissement du climat et l’amplification des contrastes dans la pluviométrie, ont généré des difficultés agricoles certaines qui ont pu exacerber les inégalités sociales, déjà très fortes, entrainer une baisse démographique (bien attestée) et alimenter des révoltes, affaiblissant durablement les cités de l’intérieur.
Sans faire d'El Chichón le facteur unique de la crise, il est probable qu’il en a été le catalyseur, révélant et rendant insupportable pour la masse de la population les modalité du fonctionnement politique et social des cités aux mains de dynasties théocratiques.
Notre expérience « COVID 19 » peut nous aider à mieux comprendre cela…
Pour les hispanophones qui voudraient en savoir plus sur ce volcan et son environnement humain, on peut télécharger au format PDF « La región del volcán Chichón, Chiapas » http://www.publicaciones.igg.unam.mx/index.php/ig/catalog/view/63/63/190-1
Jean BARROT