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BIRMANIE - I

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

BIRMANIE - I

Connaissance & Partage

BIRMANIE - 1

UNE INTRODUCTION A LA SITUATION ACTUELLE DU PAYS

Comme pour l’Ethiopie en 2012, j’ai eu l’occasion d’organiser un circuit de 3 semaines en Birmanie en 2013, soit au moment d’un « retour à la démocratie »

– sans illusion quant à la constitution totalement verrouillée par les militaires –

où le pays était plongé dans une euphorie non feinte.

Je veux donc ici vous livrer quelques textes rédigés alors pour mes amis voyageurs, réaménagés pour coller à la décennie écoulée depuis, vous permettant d’apprécier le temps long de l’histoire birmane, incontournable pour comprendre la situation actuelle.

PORTRAIT DE GROUPE

Ce pays, un peu plus grand que la France, se compose d’une vaste gouttière fluviale centrale, drainée par l’Irrawaddy, un des plus puissant fleuve d’Asie, encadrée de chainons montagneux et de hauts plateaux à l’ouest et à l’est dans une orientation globale nord-sud.

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Organisation du relief du pays

Sa population est de l’ordre de 55 Millions d’habitants ce qui représente un triplement depuis 1950, dans les débuts de l’indépendance. Cette estimation ne prend pas en compte environ 1 M de Rohingyas considérés par la loi comme des apatrides et un nombre indéterminé de Karens et de Kachins compte tenu des guérillas qui affectent ces états. Si les Bamars, l’ethnie dominante, représente 60% de la population totale qui se concentre principalement dans la gouttière centrale, la centaine d’ethnies que compte encore le pays se disperse sur les marges frontalières montagneuses.

C’est une population jeune – près des 3/5 de celle-ci ont moins de 35 ans – née depuis la grande révolte de 1988 qui a entrouvert le pays vers un autre avenir. La pyramide des âges révèle par ailleurs que la transition démographique est désormais bien engagée dans le pays (rétrécissement de la base de la pyramide)

Pyramide des âges de la population birmane fin 2018

Pyramide des âges de la population birmane fin 2018

L’urbanisation est en progression rapide depuis le début des années 80 et approche désormais 40% du total de la population. Sans surprise, c’est l’ancienne capitale et 1ère métropole économique Yangoon (ex Rangoun) qui domine le système urbain avec plus de 8,5 M.habs suivie de l’ancienne capitale impériale Mandalay avec 2,5 M.habs. Mais la nouvelle capitale Naypyidaw construite de toutes pièces au milieu de la forêt à partir de 2007 pour échapper à d’éventuelles tentatives de renversement du régime, à 300 km au nord de Rangoun, a vu sa population exploser passant d’une simple bourgade de campagne à une grande ville dépassant désormais 1,3 M.habs.

Les affiliations religieuses jouent enfin un rôle essentiel dans le pays. Environ 80% de la population se considère comme bouddhistes, relevant du courant Théravada. Mais en pratique une partie de cette population mèle son obédience religieuse avec un culte des Nats, plusieurs centaines de divinités du polythéisme ancien naturaliste, que le bouddhisme a intégré dans son corpus en en limitant le nombre à 36 !

Vente d’amulettes bouddhistes à grand renfort de sono dans un village de la région de Bagan

Vente d’amulettes bouddhistes à grand renfort de sono dans un village de la région de Bagan

Les religions populaires sans métissage avec le bouddhisme et fortement teintées de chamanisme concernent encore 6% de la population surtout dans les minorités ethniques. Le christianisme concerne 8% de la population : ce sont les tendances diverses du protestantisme qui dominent en relation avec le siècle et demi de colonisation britannique. L’islam ne compte que pour moins de 4%, très mal vu par les bamars qui l’associent aux rohingyas et à une immigration venue du Bengale. L’hindouisme enfin ne compte que pour 1,5 % de la population, pratiqué par des petites communautés de commerçants indiens dans les plus grandes villes.

BREVE CHRONIQUE DEPUIS L’INDEPENDANCE

La 2e guerre mondiale pose les bases des contradictions du régime actuel. Colonie britannique, la Birmanie est rapidement occupée par les Japonais qui sont reçus dans un premier temps comme des libérateurs et des bouddhistes. Mais très vite la population se rend compte que le colonialisme japonais ne vaut pas mieux que le britannique. Le général Aung San qui a d’abord misé sur les Japonais pour obtenir l’indépendance s’en détourne et s’associe aux Britanniques pour les chasser avant de proclamer l’indépendance du pays. Il devient l’icône de l’identité birmane.

Poster décorant la porte d’entrée de notre bus au fil du circuit.

Poster décorant la porte d’entrée de notre bus au fil du circuit.

Mais comme il souhaite conserver les frontières coloniales délimitant le pays il doit composer avec des minorités le plus souvent hostiles. Rapidement assassiné, c’est l’armée qui devient le substitut de cette identité birmane, ce qui se concrétise par le coup d’état de 1962 du général Ne Win. Une dictature féroce « socialiste » se met en place tandis que le pays se ferme et s’isole. Face aux guérillas des ethnies minoritaires, l’armée – la Tatmadaw –devient de plus en plus l’incarnation de l’identité nationale, la société civile n’étant considérée que comme un accessoire superfétatoire.

Un premier réveil s’opère le 8-8-88 (puissance de la numérologie dans la société birmane !) : des millions de personnes manifestent contre la dictature dans le pays tout entier et le lendemain Aung San Suu Kyi, fille du héros de l’Indépendance prononce son 1er discours public à la pagode Shwedagon pour légitimer leur revendication de la démocratie.

La répression est féroce la junte se maintenant au pouvoir en créant un Conseil d’État pour la restauration de la loi et de l’ordre, en rebaptisant le pays qui devient le MYANMAR (« le pays des merveilles »), Rangoun devenant Yangoon. Mais Aung San Suu Kyi parvient à fonder un courant d’opposition démocratique, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

Même dans des villages modestes on rencontre des bureaux de la LND, ce qui traduit son implantation profonde dans la population.

Même dans des villages modestes on rencontre des bureaux de la LND, ce qui traduit son implantation profonde dans la population.

En tournée dans le pays en 2003 son convoi est attaqué par des paramilitaires ce qui entraine sa mise en détention à l’isolement jusqu’en 2010.

En 2008 la contestation populaire reprend avec le soutien d’une fraction des moines bouddhistes (la « Révolution Safran »). Là encore la répression est massive, y compris contre les moines, mais la dictature militaire est obligée de bouger. Une nouvelle constitution est adoptée mais avec un sévère verrouillage du parlement : ¼ des sièges est détenu par l’armée qui s’octroie les principaux ministères régaliens, de droit. Les élections de 2010 étroitement encadrés par la Tatmadaw débouchent sur une victoire de l’USDP, parti constitué de membres de la junte, qui remporte près de 80% des sièges du nouveau parlement après invalidation de tous les suffrages obtenus par la Ligue. Ne semblant plus une menace, Aung San Suu Kyi est libérée de son assignation à résidence. Une amorce d’ouverture du pays engendre un courant d’espérance dans la population. Mais forte d’une légitimité électorale, la Tatmadaw et ses forces paramilitaires amorcent de violents pogroms contre la minorité rohingya de l’Arakan à partir de 2012.

Quelques jours après notre étape dans la ville de Mektila, la communauté musulmane y est attaquée dans un pogrome faisant une quarantaine de morts.

Les élections de 2015 viennent changer la donne. La Ligue nationale pour la démocratie (LND) remporte la majorité absolue dans ces élections relativement « libres ». L’USDP du président de la junte militaire Thein Sein s’écroule avec 30 élus seulement. Également majoritaire à la Chambre des nationalités, la LND dispose de la majorité qualifiée qui lui garantit l’élection par le Parlement de son candidat à la fonction présidentielle, en 2016. Pour la première fois depuis plus de 60 ans c’est un civil qui peut peser sur les orientations politique du pays.

Mais les pogroms contre les rohingyas se poursuivent sans qu’Aung San Suu Kyi s’en démarque avec les paroles fortes que l’on attendrait d’un prix Nobel de la paix. Si son aura en Occident en pâti, elle reste dans le pays l’incarnation de l’ouverture et porteuse de l’espoir d’une démocratie réelle. Les élections législatives de 2020 confortent l’audience de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) puisqu’elle engrange 86% des suffrages. L’USDP, le parti de la faction militaire est laminé, n’obtenant que peu de sièges. Les militaires malgré leur implantation « constitutionnelle » dans le parlement, voient leur prétention à incarner l’identité nationale mise en balance par la fille du « héros de l’indépendance » portée par la masse du peuple de la société civile, fondement d’une nouvelle légitimité nationale.

LE COUP D’ETAT MILITAIRE ET L’AVENIR DE LA BIRMANIE

Le coup d’état militaire du 1er février 2021, légitimé par une argumentation « trumpienne » (une fraude électorale massive !!!) est l’ultime recours que trouve la Tatmadaw pour conserver son pouvoir et l’accès aux vannes des finances et de l’économie pour la haute hiérarchie militaire. Il apparait comme un remake de situations qu’a déjà connu le pays. Mais la ténacité du mouvement populaire, l’invention à l’œuvre dans ses manifestations, laisse peut-être entrevoir une issue différente cette fois.

Je voudrais y croire avec vous. Mais les pesanteurs à vaincre sont bien lourdes.

Levons tout de suite l’hypothèque du Conseil de sécurité de l’ONU : le verrouillage est total de la part de la Russie et de la Chine au nom de la « non-intervention dans les affaires internes d’un pays membre ».

Pour la Russie, il y a le précédent de la Syrie : pour ne pas perdre la base aéronavale octroyée par les Assad sur le rivage méditerranéen, Poutine a bloqué toute enquête ou intervention au bénéfice du peuple syrien. Mais la Birmanie est bien loin… Alors ? Poutine, de plus en plus contesté par une fraction de son opinion, ne peut soutenir le mouvement populaire birman. Et la Tatmadaw (l’armée birmane) est un si bon client pour les ventes d’armes ! Pourquoi le perdre ?

Le veto chinois est plus facile à comprendre : le pays est un voisin offrant un raccourci de plusieurs milliers de kilomètres vers l’océan Indien, un bon client pour l’armement, et après la répression de Tien An Men, il y a 30 ans et celle en cours à Hong Kong, il est surréaliste de penser que la Chine pourrait apporter son soutien au mouvement populaire birman. Ses médias ne parlent d’ailleurs pas d'un coup d'État mais d'« un important remaniement ministériel ». Le Global Times (tabloïd quotidien publié en chinois et en anglais sous l’égide du Quotidien du Peuple depuis 1993 – tiens, tiens ! - en République populaire de Chine) évoque lui un « ajustement de la structure déséquilibrée du pouvoir. » Par une diminution du poids de l’armée au sein du Parlement où elle détient d’office 25% des sièges ? Que nenni : par « un remplacement des ministres civils par des militaires ».

Le peuple birman est donc seul mais puissamment déterminé ce qui est gage d’une issue non contestable sur ce qui pourra être obtenu, le but final étant un véritable retour à la démocratie avec une armée enfin consignée dans ses casernes et ne s’occupant plus que de sécurité extérieure.

Et là le bât blesse : la Tatmadaw dispose d’une puissance répressive considérable : ½ millions de soldats, auxquels s’ajoutent 75 mille paramilitaires de la Force de police du peuple créée en 1964, mais réorganisée en octobre 1995 et intégrée opérationnellement à la Tatmadaw. Comme cette armée n’est pas une armée de conscription mais une armée d’engagés volontaires (voire de jeunes raflés et embrigadés quand les vocations sont trop peu nombreuses) il ne faut pas trop compter sur une solidarité avec le mouvement populaire.

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Les forces armées tirent également des revenus considérables au delà du budget militaire grâce à des intérêts commerciaux tentaculaires : les entreprises civiles qui tentent de se développer parlent d'un environnement « semblable à celui de la Sicile sous la mafia ». Lorsque le gouvernement a commencé à privatiser les industries d'État au début des années 90, les hauts militaires se sont accaparés de ces entreprises (suivant en cela l’exemple des oligarques en Russie) et deux conglomérats dirigés par l'armée ont été créés : Myanmar Economic Corporation (MEC) et Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL) gérant des participations dans tous les domaines de l’économie (banques, mines, tabac, tourisme etc. ainsi qu’une implication essentielle dans les trafics de pierres précieuses et de drogue).

Pour organiser ce voyage de 2013 il m’a fallu tout faire pour obtenir des hébergements n’appartenant pas à l’armée, grâce à une coordination étroite avec l’agence française et son mandataire dans le pays.

Le MEHL gère également le fonds de pension de l'armée. Mais le plus clair des bénéfices part dans les poches des plus hauts gradés. Aung Pyae Sone - le fils du chef du coup d'État, le général Min Aung Hliang - possède plusieurs sociétés, dont une station balnéaire, et détient une participation majoritaire dans l'opérateur national de télécommunications Mytel. Le coup d'État peut être en partie une tentative de protéger ces intérêts financiers que la plupart des observateurs estiment autour de 15% du PIB birman et que la victoire électorale massive de la LND pouvait remettre en question : « Les richesses volées par les militaires et leurs entreprises appartiennent au peuple du Myanmar et doivent lui être restituées » proclame ainsi Justice for Myanmar.

Des sanctions économiques internationales peuvent-elles avoir de l’effet ? Rien n’est moins sûr tant que la Russie et la Chine surtout offriront une porte de contournement et que la plateforme financière de Singapour avec son secret bancaire total continuera à abriter les comptes des hauts gradés…

Mais les manifestations qui se poursuivent malgré la répression, et la paralysie progressive du pays par la grève et la résistance passive mettent à mal le pouvoir militaire. Espérons encore …

Lors de la « révolution safran »… bis repetita…

Lors de la « révolution safran »… bis repetita…

Jean Barrot

Le 10-3-21

Prochain texte : Un fédéralisme bien théorique