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PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

BIRMANIE - III

Connaissance & Partage

NOTE DE PRESENTATION : ce texte que j’ai proposé aux amis participant au voyage que j’ai organisé date de fin 2012. A la relecture il mérite d’être conservé sans changement.

Mais un prochain texte fera le point actuel sur les projets qui se dessinaient alors et sur les perspectives de l’après coup d’état. La persévérance de l’opposition démocratique malgré l’intensité de la répression n’interdit pas d’espérer qu’elles pourraient être démocratique…

Jean BARROT – 18/3/2021

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Un simple coup d’œil sur une carte montre un pays coincé entre les 2 énormes puissances que sont l’Inde et la Chine (la Birmanie n’est guère plus peuplée que la province chinoise voisine du Yunnan mais est tout aussi bigarrée). Pour la Chine, une relation stable et amicale avec la Birmanie représente l’opportunité d’une ouverture sur l’océan Indien raccourcissant de plusieurs milliers de km l’itinéraire maritime.

POUR COMPRENDRE LE POSITIONNEMENT GEOSTRATEGIQUE DE LA BIRMANIE.

Refermée volontairement lors de l’établissement de la dictature militaire de Ne Win en 1962, la Birmanie semble vouloir prendre un tournant à la fin des années 1980. La Guerre Froide cesse faute de combattants : la politique gorbatchévienne achève l’agonie du bloc soviétique où se manifestent de nouvelles attentes. Tout l’Est asiatique en subit les contrecoups : puissantes manifestations de 1988 en Birmanie, fin du régime des Khmers rouges au Cambodge en 1989 et surtout manifestations de Tien An Men en Chine. Si la dictature birmane écrase les manifestants dès l’automne 1988 et place Aung San Suu Kyi en résidence surveillée dès 1989, la junte doit céder sur l’organisation d’élections. Pour la 1ere fois depuis ¼ de siècle, des élections relativement libres se tiennent en 1990. Malgré les pressions, les multiples guerres ethniques, le pays manifeste sans ambigüité la volonté de démocratie et d’ouverture de son peuple. Mais la dictature n’est pas prête à laisser tomber. Elle refuse le verdict des urnes, confortée dans cette voie par la répression menée à Pékin par le gouvernement chinois.

UN PAYS SOUS EMBARGO ?

Les Occidentaux (Etats-Unis, l'Union européenne, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie) sont à l'origine de la demande de mise en place de sanctions contre la Birmanie, au nom de la défense de la démocratie. Le pays est alors placé sous embargo et les dirigeants de la junte inscrits sur une liste noire.

Aung San Suu Kyi, entourée des leaders de la NLD (National League for Democracy) s’adresse aux militants depuis la maison où elle est en résidence surveillée (été 1996). La plupart des manifestant venus l’écouter seront arrêtés et emprisonnés.

Aung San Suu Kyi, entourée des leaders de la NLD (National League for Democracy) s’adresse aux militants depuis la maison où elle est en résidence surveillée (été 1996). La plupart des manifestant venus l’écouter seront arrêtés et emprisonnés.

Sans grand effet. Polarisés sur la “promotion de la démocratie” en Birmanie et le sort d’Aung San Suu Kyi, les Occidentaux ne prête pas attention à la nécessité de trouver une solution viable pour mettre un terme aux conflits internes (insurrections communistes et ethniques) qui, de la fin des années 1940 aux années 1980, ont maintenu l’armée birmane (Tatmadaw) en position de pivot de la vie politique du pays. La vision occidentale ne prend pas en compte l’extrême complexité d’un pays où l’Etat, la société civile, le pouvoir en place et l’opposition ne sont pas monolithiques. A partir de 1990, la junte tente de trouver des issues à cet isolement sur la scène internationale. Elle prend quelques initiatives pour ouvrir le pays à l’économie mondiale et introduire un peu de liberté dans la vie quotidienne. Mais chaque avancée est vite suivie par un repli. Le seul acquis est la signature de cessez-le-feu avec la plupart des rébellions (une seule reste un vrai souci : l’Armée Unie de l’Etat Wa – une ethnie chinoise présente des 2 cotés de la frontière – (UWSA), avec ses quelques 20 000 combattants bien équipés qui contrôlent une zone montagneuse de la taille de la Belgique dans l’Est de l’état Shan).

* La Chine, soumise à la même politique de sanction après Tien An Men, est la première à offrir ses services. En convergence avec les options politiques de la junte, elle porte un intérêt tout particulier aux ressources existant dans le pays et à l’accès à l’océan Indien qu’il représente. Rien qu’en 2010, la Chine a investi près de 10 milliards de dollars dans les infrastructures hydro­électriques, l’exploitation minière, la construction de ports en eau profonde et celle d’un gigantesque pipeline qui doit relier la Chine à l’océan. Mais présenter la Birmanie comme un simple pion de la Chine sur l’échiquier internationale reste un raccourci hasardeux.

* Une seconde ouverture se réalise avec l’admission de la Birmanie au sein de l’ASEAN en 1997. Fondée 30 ans plus tôt, au moment où s’intensifie la guerre américaine au Vietnam, par 5 pays qui veulent enrayer la propagation du communisme, l’organisation prend un tournant au milieu des années 1970, après l’abandon du Vietnam à son sort par les USA en 1973 et l’abandon définitif du système de parités fixes étalonnées sur l’or dans les échanges mondiaux en 1976. L’ASEAN recentre sa doctrine sur 4 points : non ingérence dans les affaires intérieures, recherche d’une résolution pacifique des conflits, coopération économique régionale prioritaire et affirmation d’une identité régionale hors blocs de la Guerre Froide. Avec la fin de celle-ci, le présupposé anticommuniste cède le pas à l’intensification des relations régionales : le Vietnam entre à l’ASEAN en1995, la Birmanie en 1997 et le Cambodge en 1998. Mais surtout, après la violente crise financière dite “asiatique” de 1997, un regroupement dit ASEAN + 3 (Japon, Chine, Corée du Sud) se met en place et connaît un essor rapide : le degré d’intégration régional dépasse celui de l’ALENA en Amérique et approche celui de l’UE. Si l’ASEAN à ses débuts est plutôt constituée de pays musulmans, le déplacement vers le bouddhisme est aujourd’hui patent. Privée en 2006 de la présidence de l’ASEAN au prétexte démocratique, la Birmanie occupe dans l’ensemble une position de référence dans le bouddhisme, héritage d’une histoire religieuse vieille d’un millénaire.

* Pour renouveler tous ses systèmes d’armements et la formation de ses techniciens militaires, la Birmanie ouvre un nouveau champ de relation. Plutôt qu’avec la Chine, elle préfère, en 2001, signer des accords avec la Russie qui est désormais le 2e fournisseur d’armement du pays. Puis, en 2006, un accord intergouvernemental large accorde à 3 sociétés pétrolières russes un droit à prospection sur le plateau continental birman. Enfin, en 2007, un accord de partenariat pour le développement d’un centre de recherche nucléaire à vocation médicale est signé, la Birmanie ayant accepté le principe du contrôle international de l’AIEA.

* L’Inde, alliée sans réserve d’Aung Sang Suu Kyi (sa mère a été ambassadrice dans le pays et elle-même y a fait une partie de ses études), s’est aussi rapprochée de la junte birmane dans les années 1990, notamment sur des questions de sécurité (les 2 pays partagent une longue frontière commune) et d'énergie. Mais les relations sont restées très modestes : en 2010, les échanges indo-birmans ne sont que le ¼ des échanges sino-birmans. Aussi, depuis les avancées démocratiques du pays, l’Inde cherche à rattraper son retard par rapport à la Chine. En mai 2012 lors de la visite du Premier ministre indien (pour la 1ère fois depuis 25 ans), douze accords sont signés, couvrant divers domaines dont la sécurité, le développement des zones frontalières, le transport, le commerce et les investissements.

* De la même manière, depuis 2011, les Occidentaux ont renoué des contacts au plus haut niveau (visites d’Hilary Clinton, de Jupé, en attendant celle d’Obama) et ont assoupli l’embargo ou levé les sanction pour ne pas rester à l’écart d’un pays au potentiel notable. Mais déjà depuis plusieurs années, malgré les protestations vertueuses des pays occidentaux, certaines de leurs sociétés ont signé des contrats avec la junte au pouvoir : la française Total et l’américaine Unocal se sont engagées dans le domaine pétrolier, dès le milieu des années 90.

La politique des sanctions n’a pas franchement influé sur le destin politique de la Birmanie : elle n'a pas empêché la junte de réprimer brutalement tous ses opposants, elle a été inefficace pour faire libérer Aung San Suu Kyi. Par contre au plan économique, les sanctions ont complètement appauvri le pays, privé d’accès à l’aide au développement ainsi qu’aux marchés, aux connaissances et aux capitaux occidentaux. Victime de son repli volontaire et de cet isolement forcé, la Birmanie a insensiblement glissé sous tutelle chinoise avec de lourdes conséquences pour l’environnement local et pour nombre d’habitants. C’est en fait l’arrivée d’une nouvelle génération sur la scène politique, dans une société plus complexe, et le renouvellement des cadres militaires qui a fait apparaître le pouvoir de la junte comme un régime dépassé, même aux yeux des plus hauts cadres de l’armée.

LE « NERF DE LA GUERRE »

La Birmanie est l'un des plus anciens producteurs de pétrole au monde. Le premier baril est exporté en 1853 et la première société étrangère opérant dans le secteur fut la Rangoon Oil Company, créée en 1871. A partir de 1886 le secteur pétrolier est dominé par la Burmah Oil Company (BOC). Créée par un écossais, elle intègre au 20e siècle ce qui va devenir le groupe BP et est nationalisée par la junte en 1963. Les champs de Ychaugyaung (1887) et de Chauk (1902), sont toujours en production. L’état, maître total des ressources, entend procéder lui-même à l’exploitation. Mais les réserves sont limitées et la technologie de pointe n’est pas maitrisée par le pouvoir birman.

Un puits de pompage en rénovation en 2013 dans la région de Chauk

Un puits de pompage en rénovation en 2013 dans la région de Chauk

L’impasse économique générale pousse le pouvoir à assouplir les règles économiques du régime. En 1988, l’état fait appel à des sociétés étrangères pour développer la prospection et l’exploitation des hydrocarbures, selon des contrats dits “en partage de production”. Car si les réserves terrestres sont limitées, l’off-shore se révèle vite un pactole, notamment gazier. Il attire nombre de compagnies chinoise, indienne, thaïlandaise, sud-coréenne française et américaine. C’est alors que le gisement gazier de Yadana en mer d’Andaman est découvert par la compagnie nationale birmane, à une soixantaine de kilomètres du rivage le plus proche, dans le prolongement sous-marin du delta de l'Irrawaddy. Mais si l'eau est peu profonde à cet endroit, une quarantaine de mètres, le réservoir est, lui, situé environ 1300 mètres plus bas. La Birmanie a donc besoin d’un opérateur disposant de la technologie adéquate et c’est le groupe Total qui obtient le contrat.

Le consortium monté par Total se compose ainsi : Total (France) 31.2% ; Unocal (USA) 28.3% ; PTT (Etat Thailandais) 25.5% ; MOGE (Etat Birman) 15%

Le consortium monté par Total se compose ainsi : Total (France) 31.2% ; Unocal (USA) 28.3% ; PTT (Etat Thailandais) 25.5% ; MOGE (Etat Birman) 15%

Il constitue un consortium dont il est le chef de file pour l’exploitation du gisement. L’essentiel de la production est écoulé en direction de la Thaïlande où le gaz birman couvre 1/3 de la consommation du pays. Il y arrive par un gazoduc qui traverse l’état Môn dans une zone de conflit, alimenté par les guérillas môn et karen. La construction du gazoduc a donné lieu à des exactions contre les populations locales : déplacement forcé des villageois sans indemnisation des terres agricoles perdues, exploitation du travail forcé de gens raflés par les militaires, au nom du système traditionnel des corvées villageoises, et dégâts écologique considérables au long du corridor d’implantation des tubes. La sécurisation de l’investissement s’est traduite par un renforcement de la présence militaire au voisinage de celui-ci. Ce qui a incité la guérilla môn à accepter un cessez le feu en 1995.

Le gisement de Yadana selon une estimation publiée en 2010 aurait rapporté plus de 9 Mds$ depuis sa mise en exploitation. Mais tout cet argent n’a pas vraiment profité au pays.

Je schématise son destin sur 100$ (donc à lire en%) : environ 50$ ont été versé directement dans 2 des plus grandes banques offshore de Singapour. Ces versements alimentent des comptes des membres de la junte pour un enrichissement personnel, servent à celle-ci à contourner l’embargo pour des achats d’armes, et peut-être pour financer un programme nucléaire avec l’aide de la Corée du Nord. 50$ sont donc entrés en Birmanie. Une partie est restée en devise pour permettre l’accès au marché international car l’embargo occidental n’a pas été suivi par tous. Je n’ai aucune information sur la proportion : mettons 30$ pour la commodité de la démonstration. Reste 20$ transformés en kyats, mais selon un taux de change fixé arbitrairement par la junte, soit environ 6 kyats pour un $. Le budget doit intégrer une recette de vente de gaz de 50$ x 6 = 300 kyats. Mais il n’y en a que 20$ x 6 = 120 de disponibles. Alors ? La junte négocie ces 20$ sur le marché noir où le taux de change est bien plus avantageux. Je retiens 1$ = 400 kyats en moyenne sur la période (aujourd’hui [nb = 2012 au moment de la préparation de mon voyage] il tourne autour de 1$ = 850 kyats). Ces 20$ deviennent 8.000 kyats. 300 kyats sont alors versés au budget qui se trouve donc en règle (un pipi de chat …) tandis que 7.700 kyats restent disponibles pour toutes les opérations de corruption qui gangrènent le pays. « …et voilà pourquoi votre fille est muette ! »

Mais le gisement le plus prometteur à terme est celui de Shwe, découvert en 2004 à proximité des côtes de l’Arakan, dans le golfe du Bengale, par le groupe sud-coréen Daewo. Les estimations les plus prudentes donnent un revenu annuel pour le pays de 1 Md $ (au cours actuel) pour les 30 ans à venir. Comme pour Yadana, la production de gaz est destinée à être exportée. Le bénéficiaire est cette fois la Chine. Aux termes d’un accord signé en 2009, elle est le seul destinataire du gaz et c’est la compagnie chinoise CNPC (China National Petroleum Corp.) qui a en charge la construction des tubes au long d’un corridor de plus de 2800 km reliant l’ile de Maday à Kunming , la capitale du Yunnan. Les travaux ont démarré en 2009, d’abord pour créer un port en eaux profondes à Kyaukpyu. Il est destiné à accueillir les tankers en provenance de l’Afrique de l’Est et du Proche Orient qui déverseront leur cargaison dans l’oléoduc construit parallèlement au gazoduc, pour alimenter la raffinerie de Ruili au Yunnan. Ce transfert raccourcit considérablement les routes d’approvisionnement de la Chine, en évitant le passage par le détroit de Malacca. Oléoducs et gazoducs devraient entrer en service en 2013. Mais déjà, pour l’année fiscale 2011-12 l’ensemble des exportations de gaz ont rapporté 3,5 Mds $ au pays, l’augmentation du cours des matières premières jouant ici à plein.

Le « corridor chinois »

Le « corridor chinois »

Ces énormes chantiers suscitent des réactions passionnées. Les mouvements écologistes internationaux pointent des risques majeurs. La construction du gazoduc à partir de l’ile de Maday et le creusement du port pétrolier en haut profonde de Kyaukpyu modifient l’écosystème marin sur la côte arakanaise encore intacte et où la pêche est une source traditionnelle de revenu pour les populations du littoral. Un accident dans le port pétrolier pourrait provoquer des dégâts écologiques considérables. Des organisations humanitaires dénoncent aussi les conditions de travail sur les chantiers, les expropriations des populations vivant sur le corridor destiné aux tubes et des atteintes graves à l’environnement. La CNPC répond que les expropriations sont réalisées avec indemnisation dans le respect de la loi birmane et que le tracé est ajusté en permanence en concertation pour préserver au mieux l’espace agricole et les monuments ou les réserves de vie sauvage. Mais avec le retour à une certaine liberté d’expression, des manifestations se développent pour dénoncer les privilèges accordés à la Chine. Le gouvernement à donc suspendu la construction du barrage de Myitsone mais ne semble pas pouvoir aller jusqu’au clash avec le puissant voisin qui l’a constamment soutenu lorsque les occidentaux ont décrété un embargo contre le Myanmar à partir de 1990.

PERSPECTIVE : UN NOUVEAU « PETIT DRAGON » ASIATIQUE

Outre l’énergie, l’économie de la Birmanie reste très tributaire de l’agriculture et de l’exportation de produits bruts.

Le teck, dès la période coloniale, a constitué un poste important d’exportation avec d’autres bois précieux. Mais l’exploitation accélérée des dernières décennies constitue une menace. Les observations par satellite montrent que de 1975 à 1990, 100.000 ha de forêt étaient perdus chaque année. Dans la décennie 1990 la déforestation s’est faite au rythme de 450.000 ha par an et elle atteint pour la première décennie du siècle plus de 800.000 ha par an. Les raisons sont multiples. La population encore massivement rurale et en forte croissance n’a pas d’autre source d’énergie ; les pays voisins, Thaïlande et Chine, profitant de l’instabilité des états ethniques frontaliers se servent plus ou moins clandestinement (la loi chinoise de 2006 protégeant le patrimoine forestier du pays a incité les bûcherons chinois à passer la frontière…) ; la déforestation des forêts denses permet le développement des concessions de plantations nouvelles.

Expédition de bois à partir de l’état Chin

Expédition de bois à partir de l’état Chin

Une jeune plantation de teck dans la plaine centrale près de Meiktila

Une jeune plantation de teck dans la plaine centrale près de Meiktila

Pour l’hévéa, source du caoutchouc, 500.000 ha ont été plantés, principalement en pays Wa ; pour le palmier à huile, 400.000 ha ont été attribués en concession depuis 2000, mais selon les statistiques officielles seul ¼ de ces concessions, détenues majoritairement par des birmans, serait actuellement planté. La mangrove est aussi concernée par la destruction. C’est la conséquence du développement de la production rizicole dans les terres faciles à irriguer du delta et de l’augmentation rapide des fermes d’élevages de crevettes (majoritairement par des capitaux thaïs) ailleurs sur les côtes. Les conséquences écologiques en sont souvent très graves, parfois catastrophiques : la réduction de la mangrove fait chuter la reproduction des stocks halieutiques et, on l’a vu avec le cyclone Nargis (2008), les terres ne sont plus protégées des inondations maritimes.

La dépendance à l’égard des exportations de ressources naturelles rend le pays vulnérable aux fluctuations des cours des matières premières. De même, l’afflux de capitaux dans le secteur des ressources naturelles provoque une tension à l’appréciation de la monnaie, qui nuit à la compétitivité déjà limitée des autres exportations. Une diversification des activités est donc une nécessité pour réduire les risques d’instabilité macroéconomique et améliorer le niveau de vie de la population, qui est encore une des plus pauvres de la planète. L’évolution politique du pays permet d’assurer une ouverture plus large que les quelques relations privilégiées qui ont caractérisée la période de la dictature militaire. En 2007 encore, l’essentiel des échanges birmans s’effectuaient par la frontière terrestre avec la Chine ce qui explique l’intérêt des armées ethniques pour ces échanges sur lesquels elles prélèvent leur dîme. Signe de cette réinsertion forte dans l’espace régional, la Birmanie doit accueillir les 27e Jeux de l’Asie du Sud-Est en 2013 et assurer la présidence de l’ASEAN en 2014.

La poursuite de l’intégration économique de l’ASEAN s’effectue aujourd’hui dans la stratégie de développement du « Grand Mékong ». Cette région du Grand Mékong réunit les pays de la péninsule indochinoise et deux provinces du sud de la Chine. C’est aujourd’hui le programme d’intégration transnationale le plus dynamique de l’Asie. Dans le contexte de réouverture des frontières, après des périodes plus ou moins longues de fermeture, conséquence et héritage de la Guerre Froide, la Banque asiatique de développement (BAD) accompagne cette initiative d’intégration régionale dont la Thaïlande est un pivot. Centre économique de la péninsule indochinoise lors des guerres d’Indochine, elle renforce son leadership régional, en valorisant sa position à l’articulation des principaux corridors de développement promus par la Région du Grand Mékong.

Schéma prospectif d’organisation des axes de circulation du plan Grand Mékong.

Schéma prospectif d’organisation des axes de circulation du plan Grand Mékong.

Dans le sens N-S, ce sont les fleuves qui en forment l’armature. On cherche à développer leur navigabilité et, par des barrages, à accroître la production d’électricité. Pour la Birmanie, la voie de l’Irrawaddy est une véritable colonne vertébrale. Aussi la Chine participe-t-elle à l’aménagement d’un grand port fluvial à Bhamo, point de départ en amont de sa section navigable. La Salouen ainsi que les affluents de l’Irrawaddy sont plutôt dédiés à la production hydroélectrique. Mais le vaste programme envisagé – 48 barrages, dont certains déjà achevés comme celui de Lawpita dans l’état Karenni et ceux de Paunglaung et de Kengtawng dans l’état Shan – pourrait être remis en question après l’arrêt de la construction du barrage de Myitsone face à la pression populaire, au grand mécontentement de la Chine qui en assure le financement et devait récupérer environ 90% de la production électrique de celui-ci.

Mais d’autres supports sont aussi programmés : à partir de 1998 la “Route Birmane” (aussi connue comme “Route de Mandalay”) a été élargie et modernisée, permettant le passage de camions lourds. Alors qu’il fallait auparavant plusieurs jours pour rallier la frontière chinoise à Mandalay, il ne faut plus que 12 à 16h de nos jours. En avril 2011, les compagnies ferroviaires birmane et chinoise ont signé un accord pour la construction d’une voie ferrée accueillant des trains lourds entre Ruili à la frontière chinoise et le port de Kyaukpyu dans l’état Rakhine.

Dans le sens E-O, le développement des corridors, outre les tubes, est d’abord routier, même s’il existe, à long terme, d’autres perspectives (embranchement fluvial du Mékong au Tonlé Sap, équipement ferroviaire reprenant au Cambodge le vieux tracé de la ligne française, etc.). Actuellement, les 2 branches les plus actives sont :

• au Nord, de Danang vers Savannakhet pour atteindre Moulmein en Birmanie

• au Sud, de Saigon vers Phnom Penh pour atteindre Bangkok.

Mais coincé au fond du golfe du Siam, le port de Laem Chabang, port de Bangkok, n’est pas à la hauteur des enjeux. Aussi, pour ouvrir son économie directement sur l’océan Indien, la Thaïlande a proposé à la Birmanie de créer un port en eau profonde associé à une zone franche à Dawei (Tavoy) en le reliant à Bangkok par des moyens de transport rapides et à grande capacité. Dawei n’est qu’à 300 km de Bangkok, en traversant la frontière. Il faut aujourd’hui 10 jours de navigation pour rejoindre la côte Est de l’Inde au départ de Bangkok, en empruntant le détroit de Malacca où la piraterie est aussi intense qu’au large de la Somalie, alors qu’il suffit de 3 jours de navigation au départ de Dawei (plus quelques heures de camionnage entre Bangkok et Dawei). C’est le consortium Italthaï qui a formalisé le projet. La Thaïlande n’est pas le seul pays intéressé : le Japon, dont nombre de firmes opèrent dans le pays, y voit une opportunité intéressante : "It will provide a significant new option for Japanese firms." (déclaration du ministre de l’économie en visite en Thaïlande). Pourtant le développement de la crise financière et les manifestations désormais possibles des riverains, ont failli avoir raison du projet. ITALTHAÏ n’a pas vraiment la surface financière pour mener seul le projet et les 30.000 personnes concernées par un déplacement pour libérer l’emprise des infrastructures (une nouvelle route est déjà en construction) se sont mobilisées, prenant appui sur l’arrêt de la construction du barrage de Myitsone.

Un tronçon de « l’axe structurant » ( !!!) Dawei- Bangkok en territoire birman : une route en terre confrontée aux glissements de terrain et à l'érosion routière qui causent des dommages et des embouteillages surtout pendant la saison des pluies.

Un tronçon de « l’axe structurant » ( !!!) Dawei- Bangkok en territoire birman : une route en terre confrontée aux glissements de terrain et à l'érosion routière qui causent des dommages et des embouteillages surtout pendant la saison des pluies.

La population Tavoyan (de la région de Dawei), impuissante sous la dictature, s’organise aujourd’hui pour protester. Les villageois refusent de quitter leur maison et d’abandonner les terres agricoles sur lesquelles ils ont fait pousser depuis toujours des plantations de noix de cajou, de coco et de bétel, de caoutchouc ainsi que des fruits, des légumes etc. Ils ont également décidé de refuser les compensations promises en échanges de leur terre et d’empêcher les inspecteurs de mesurer leurs terrains.

« Dans le village de Mudu, on peut vivre des produits de la forêt et des récoltes de nos plantations. On ne peut pas quitter nos plantations et partir. Même si on ne peut pas avoir de revenus grâce à d’autres activités, en une journée on peut toujours gagner au moins 5000 kyats en vendant des feuilles de bétel et c’est suffisant pour nourrir ma famille. Après qu’on soit parti, qu’est-ce qu’on va manger ? L’argent qu’ils veulent nous donner ne sera pas suffisant. Ici toute ma vie, j’ai toujours eu de quoi manger, c’est pour ça que je ne veux pas partir. »

En attendant, les véhicules de construction ont commencé les travaux sans en informer les communautés. Sur leur passage, les bulldozers détruisent les routes locales, bloquant les déplacements des villageois ainsi que ceux des enfants allant à l’école.

Par ailleurs la taille même du projet de port en eau profonde et sa zone industrielle suscite des inquiétudes plus larges : 4 fois plus grand que le plus grand complexe similaire en Thaïlande (soupçonné d’être à l’origine d’une augmentation sensible des cancers dans son environnement), il provoque des réactions de refus bien au-delà de l’environnement local. Mais l’enjeu est considérable : des emplois de sous-traitance de délocalisation (il n’y a pas photos entre les salaires thaïlandais et les salaires birmans), des recettes pour l’état et le développement d’infrastructures permettant au pays de monter en gamme dans la voie de l’industrialisation et de l’urbanisation.

Pour tenir compte des protestations du public, le gouvernement birman a aboli le projet d’une centrale de 4.000 mégawatts fonctionnant au charbon, n’autorisant qu’une centrale à « charbon propre » (récupération du carbone par enfouissement) 10 fois moins puissante. Le besoin d’énergie nécessaire au projet devrait être couvert par une centrale au gaz et une centrale hydroélectrique. Outre la chimie lourde et la sidérurgie (menée par Nippon Steel), la zone portuaire de Dawei doit permettre le développement des industries de main d’œuvre dont une partie de la production alimenterait la consommation birmane (textile et habillement, appareillage électroménager, montage électronique). Aussi en juillet 2012, le projet a reçu un coup de pouce quand le président Thein Sein et le Premier ministre thaïlandais Yingluck Shinawatra ont signé un accord pour l’ouverture de trois nouveaux postes frontaliers supplémentaires le long de la frontière entre les deux pays, afin de favoriser les échanges. Décision qui atteste aussi de la relative sécurisation du secteur, longtemps affecté par les guérillas karen et môn…