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BIRMANIE - IV

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

BIRMANIE - IV

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BIRMANIE 4 –

Rencontre en janvier 2020 entre le général Min Aung Hlaing et le président Xi Jinping

Rencontre en janvier 2020 entre le général Min Aung Hlaing et le président Xi Jinping

ECONOMIE ET DEMOCRATIE :

UNE RELATION PLEINE D’EMBUCHES

LE REVEIL DEMOCRATIQUE ET SES EFFETS

Lorsque le pouvoir militaire amorce un virage très relatif vers la démocratie après les élections de 2010 qui voit son succès et qui le légitime, les Birmans s’emparent très vite du créneau ouvert : 2 grands projets économiques élaborés sous le précédent pouvoir sont vigoureusement remis en question.

La première cible est le barrage de Myitsone sur l’Irrawaddy en pays kachin. Le projet démarre en 2006 avec un accord entre la dictature militaire birmane et la société chinois CPIC (China Power Investment Corporation). Ce barrage, haut de 152m, doit devenir un des 20 plus grands barrages hydroélectrique du monde. Mais son électricité est destinée presque exclusivement à la Chine pour alimenter ses industries du Yunnan et du sud du pays. Et le maitre d’œuvre coté birman est l’Asia World Cie, fondée par un puissant baron de la drogue et dirigée par son fils. Quant à l’eau du réservoir elle doit irriguer une gigantesque plantation dans la vallée dont la création remet en cause les ressources de vie des populations indigènes, de la faune locale et de l'environnement, plus grande zone protégée d'Asie du Sud-Est continentale classé par le WWF pour sa bio diversité (zone de contact entre les biotopes d’Asie du S-E et ceux de la Chine continentale montagnarde). Le lancement des travaux en décembre 2010 entraine une protestation massive de milliers d'habitants déplacés de force dans des zones sans ressources et l’armée kachin reprend les combats en juin 2011 après dix-sept ans de cessez-le-feu. Sous la pression de la population birmane qui juge exorbitant l’avantage concédé à la Chine, Thein Sein, militaire-président depuis les élections, décide en septembre 2011 de suspendre tous les travaux, au grand dam des Chinois qui ont engagés plus de 3 milliards de $ dans ces travaux. Et comme c’est Xi Jinping qui avait négocié l’accord initial, celui-ci le vit comme un affront personnel.

La seconde cible est la mine de cuivre de Monywa. 3 collines très riches en minerai ont été mises en exploitation à partir de 2010 par l’entreprise chinoise Wan Bao et le conglomérat militaire birman UMEHL. (Union of Myanmar Economic Holdings Ltd) qui reçoit 51% des profits de l’activité. Pour cela des confiscations massives de terres et la destruction de villages ont été opérées par l’armée. Des milliers de personnes vivant autour de la montagne ont déjà quitté la zone et 26 villages restent encore sur la liste des « zones à évacuer ». Avec pour conséquence rapide : une destruction de l’environnement et des effets de pollution énorme. En 2012, la colline Sa Bal a totalement disparue et Kyae Sin, n’est plus qu’une colline fréquentée par les camions, où la végétation a laissé place à la poussière et celle de Letpadaung s’est vue amputée d’une partie de son flanc. Face au désastre écologique et à l’impact économique et social sur les communautés locales, de puissantes manifestations se développent avec une occupation du site pour empêcher le développement des travaux et obtenir à terme l’abandon du projet.

J’avais avant le voyage compilé un certain nombre d’informations sur cette affaire. Voici le texte rédigé alors :

« Mais les Chinois ne l’entendent pas de cette oreille : « Les questions de relogement, de compensation, de protection de l'environnement et de partage des profits concernant le projet ont été réglées par les négociations en amont du projet », a assuré l'ambassade de Chine à Rangoon, qui soutient le maintien de l’ouverture de la mine, dont elle a payé sa part de frais.

Plusieurs questions se posent alors:

• avant la signature du contrat entre les 2 sociétés, comment et avec qui a été négociée l’ouverture du site ?

• quel est le contenu du contrat concernant les mesures de “protection de l’environnement” ?

• si la Chine a payé sa part, où est passé l’argent (la société militaire Myanmar Economic Holdings, est visée ces derniers mois par des accusations de corruption dans la presse locale)?

• renforcés par le succès du coup d’arrêt au barrage de Myintsone, les expulsés n’essayent-ils pas d’obtenir des indemnisations plus avantageuses ?

Face au blocage de la situation, le gouvernement a donné l’ordre aux forces de sécurité de dégager le site de ses occupants, le 29 novembre 2012. L’intervention semble avoir été particulièrement violente. Les manifestants cherchant à se réfugier dans un monastère, plusieurs moines ont été blessés et 7 ont été arrêtés. Aung San Suu Kyi s’est alors déplacée à Monywa pour tenter une médiation : « Je veux que le problème de la mine de cuivre soit résolu de façon pacifique et je vais faire de mon mieux pour cela. Même si j'essaie, je ne peux pas garantir mon succès. Mais je crois que je réussirai si les gens m'accompagnent pour trouver une solution ».

Notre guide accompagnateur traduit mon texte pour le vénérable responsable du complexe de Nga Phe Kyaung sur le lac Inle, ce qui va engendrer entre eux une conversation très animée.

Notre guide accompagnateur traduit mon texte pour le vénérable responsable du complexe de Nga Phe Kyaung sur le lac Inle, ce qui va engendrer entre eux une conversation très animée.

Mais à partir de 2016 la relance de l’exploitation s’est faite, malgré la poursuite de l’action populaire associée à des moines bouddhistes et la répression est restée tout aussi violente. En 2017 Amnesty International mène une étude sur les effluents rejetés par la mine et montre leur toxicité et l’empoisonnement des eaux de la Chindwin, sans réaction de l’état et avec le déni de Wan Bao. Aussi n’est-il pas surprenant de voir aujourd’hui la population et les mineurs de Monywa en pointe contre le coup d’état.

LES GRANDS PROJETS EN « STAND BY »

Le président Thein Sein est coincé entre l'importance des relations nouées avec son partenaire chinois et l'opinion publique que la répression ne parvient pas à juguler. Dans ces conditions les investisseurs étrangers sont de plus en plus réticents à s’engager dans les grands projets de développement élaborés par son gouvernement : MAPLECROFT, un cabinet britannique de conseil, classe en 2013 la Birmanie dans le top 10 des pays « extrêmement risqués ».

L’attentisme est aussi lié à l’incertitude électorale que génère cette ouverture démocratique. La victoire électorale de la LND en 2015 reste cependant sans effet pour une révision constitutionnelle. La Constitution, rédigée en 2008, stipule que toute révision (article 436) doit obtenir plus de 75% des votes au Parlement. Comme les militaires disposent d’office de 25% des sièges, le verrouillage est total. Pour amender le texte, il faudrait qu’au moins un militaire vote pour. Impensable ! Par contre un gouvernement civil peut se mettre en place à partir de 2016, restant cependant sous la tutelle étroite des militaires.

Les grands projets de connexion à l’espace mondial d’une Birmanie qui affiche sa volonté de rupture avec l’isolationnisme reviennent sur le devant de la géopolitique du pays à partir de 2016. J’en examinerai 4, aux implications très différentes. Lancés en 2011 sur le modèle des Zones économiques spéciales (ZES) initiées en Chine par Deng Xiaoping (zone industrialo-portuaire exonérée de fiscalité, permettant des activités de sous-traitance à bas salaires visant le marché mondial), la Birmanie en a programmé 4, chacune avec un partenaire de référence.

La ZES de SITTWE ET LE PROJET DE « COULOIR DU KALADAN »

Schéma d’organisation multimodale des transports entre Inde et Birmanie.

Schéma d’organisation multimodale des transports entre Inde et Birmanie.

Son origine date d’un accord de partenariat avec l’Inde en 2008 pour contourner le verrou que constitue le Bengladesh entre Calcutta et les provinces himalayennes du N-E. Pour y accéder par le couloir de Siliguri (le “cou de poulet”, entre Népal et Bengladesh) le trajet est d’environ 2000 km dont une bonne partie s’effectue sur des pistes avec tous les aléas que cela comporte en période de mousson et à portée d’une intervention militaire chinoise, la Chine contestant la propriété de l’Inde sur l’Arunachal Pradesh. L’idée a donc été de désenclaver le Mizoram en passant par la Birmanie selon 2 modalités complémentaires : une liaison maritime à grosse capacité de charge entre Calcutta et Sittwe (500 km à très faible coût de transfert) puis de Sittwe vers le Mizoram à travers l’état Rakhine par voie fluviale puis terrestre sur environ 300 km. En distance à parcourir, on réduit le trajet de plus de 1000 km. Les travaux lancés en 2010 vont cependant connaître de nombreux retards (problèmes de financement, d’insécurité, d’environnement et de résistance des populations aux expropriations nécessaires). Initialement prévue pour une mise en service en 2014, cette échéance a été repoussée à 2019-20 à partir de la relance des travaux en 2017. Et actuellement on envisage plutôt 2024, si le pouvoir issu du coup d’état ne vient pas bouleverser le calendrier.

Comme la Chine conteste le tracé de la frontière des provinces du N-E, elle a intérêt a freiner tout ce qui améliore l’emprise de l’Inde sur ces provinces. D’où le soupçon qu’elle soit, sinon à l’origine, en tous cas un soutien de la formation de l’armée de l’Arakan (AA) dont les attaques débutent seulement en 2018. Les services de renseignements indiens montrent que « la Chine fournit des armes sophistiquées de haute qualité, y compris des missiles sol-air à l’AA ». Car la ZES de Sittwe entre en outre en compétition avec la ZES de Kyaukpyu un centaine de km plus au sud et pilotée par la Chine

LA ZES DE KYAUKPYU ET LE « CORRIDOR CHINOIS »

Le terminal des hydrocarbures de Kyuakpyu

Le terminal des hydrocarbures de Kyuakpyu

De longue date, les ressources naturelles de la Birmanie ont constitué une cible pour l’économie chinoise, qu’elles soient exploitées légalement ou illégalement par des trafics frontaliers. Mais avec la montée en puissance du pays et la mondialisation de son économie, la Chine voit dans le territoire birman un formidable raccourci pour gagner l’océan Indien. A partir de 2010 et surtout depuis le lancement du projet des « Routes de la Soie » en 2013, la pression est forte sur la Birmanie pour qu’elle inscrive son ouverture et son développement économique dans cette perspective. Le but principal est d’ouvrir un couloir de transport terrestre du Yunnan au golfe du Bengale. Mais en 2014, échaudé par les réactions au barrage de Myitsone et de la mine de Monywa, Thein Sein annule un projet de chemin de fer entre la frontière et Mandalay, lancé en 2011, face aux protestations des habitants concernés par le tracé.

Mais après la victoire de la LND en 2015, Aung San Suu Kyi se montre intéressée par l'Initiative chinoise de la ceinture et de la route de la soie (BRI). Elle participe aux 1er et 2e forums de la BRI qui se tiennent en mai 2017 et avril 2019 à Pékin, ce qui est une source de l’accusation menée contre elle par la junte, d’avoir « vendu le pays à la Chine ». Mais si fin 2017, un projet de protocole d'accord est signé pour la création du Corridor économique Chine-Myanmar (CMCE), le CMCE consistant à relier le Yunnan par Mandalay à Yangon et Kyaukpyu (sur la côte d'Arakan) par un chemin de fer à grande vitesse et un nouveau réseau autoroutier ainsi que la création de nouvelles zones industrielles, rien n’est alors acté.

Par cette accusation, la Tatmadaw cherche à faire oublier que la mise en exploitation du gisement gazier de Shwe, faisant de la Chine l’unique bénéficiaire de celui-ci, est signé dès 2007 par la dictature militaire. Elle lui accorde ce privilège par un contrat de 30 ans, avec la création d’un gazoduc vers le Yunnan, les travaux commençant en 2009, avant même que Aung San Suu Kyi soit libre de ses mouvements. Inauguré en 2013, le gazoduc est couplé à un pipeline reliant Kyaukpyu à la province du Yunnan entré en service en 2017. Ils évitent que les hydrocarbures alimentant la Chine ne passent par le détroit de Malacca, où la piraterie est endémique et dont le verrouillage peut être rapide, et à travers les zones de tensions en mer de Chine méridionale. Pour effectuer les travaux, 80.000 personnes habitant sur le tracé du pipeline et du gazoduc ont été déplacées. L’environnement de toute la région a été affecté et les compensations offertes ont été très inégales entre les villages, le plus gros partant vers le pouvoir central.

Mais la Chine attend plus : elle souhaite faire de Kyaukpyu, pas seulement un poste d’accueil des pétroliers et des réservoirs de stockage qui alimentent l’oléoduc, mais un port en eaux profondes pour recevoir et surtout expédier des marchandises conteneurisées et une zone franche de production industrielle. Ce projet de développement de Kyaukpyu est confié à l’entreprise d’état chinoise CITIC en 2015 pour un budget estimé dépassant les 10 milliards de $. Cependant, en août 2018, craignant un problème de « piège de la dette », tel que celui qui étrangle le Sri Lanka après la création de la base portuaire d’Hambantota par la Chine, la Birmanie réduit le projet du port de Kyaukpyu, ramenant l’investissement à environ 1,3 milliard $. Selon le conseiller économique d'Aung San Suu Kyi, ce coût est bien plus plausible pour les besoins réels du Myanmar. En 2019, Aung San Suu Kyi enfonce le clou en indiquant à Pékin la volonté birmane d’étudier les projets chinois à travers un mécanisme national. Elle envisage la création d’une nouvelle banque nationale des grands projets économiques qui respecterait les procédures, lois et régulations birmanes tout en s’assurant du respect des intérêts birmans et de la société birmane. Mais on est loin du compte pour la Chine. Aussi en janvier 2020 c’est Xi Jinping qui vient en personne défendre son projet, rencontrant Aung San Suu Kyi et le général Min Aung Hlaing, assurant que la Birmanie et la Chine ont « une communauté de destin ».

Un sentiment anti chinois commence cependant à prendre de l’ampleur dans la population birmane, même si la Chine reste le premier partenaire économique du pays (elle absorbe 30% des exportations et alimente 40% des importations) en raison du boycott occidental. Cette visite s’est cependant soldée par l’absence de grande annonce d’accord. Au total une quarantaine de projets auraient été proposés dans le cadre de la BRI, seulement 9 auraient été approuvés dont uniquement 3 sont rendus publics. Or 2 sont connus de longue date : une zone économique spéciale dans le port en eaux profondes de Kyaukpyu, et la construction d’une ligne de chemin de fer entre le poste frontière chinois de Ruili/Muse et Mandalay, rejeté en 2014, mais dont on relance début 2019 l’étude de faisabilité sur le terrain. Mais au cours de l’été, une attaque menée par l’alliance de 3 groupes ethniques armés le long du tracé éventuel relance les débats sur le risque d’exacerbation des conflits actifs autour des projets chinois. Seule nouveauté : la création de 3 ZES dans les Etats Kachin et Shan où pourtant la conflictualité reste forte. Le manque de publicité officielle détaillée de la rencontre pose 2 questions :

* la Chine acceptera t-elle de soumettre ses projets à des appels d’offres ouverts aux entreprises non-chinoises ?

* quid de la rentabilité des projets du Corridor pour la Chine si ces derniers sont réduits dans leur échelle ?

LA ZES DE DAWEI ET LE « CORRIDOR THAÏLANDAIS »

Tracé de la route à créer vers Bangkok

Tracé de la route à créer vers Bangkok

En 2008, le gouvernement thaïlandais signe un protocole d'accord avec la junte militaire du Myanmar pour développer une ZES sur l'océan Indien, au droit de Bangkok isolé au fond du golfe du Siam. Il s’agit de transformer la ville côtière de Dawei, endormie, en la plus grande zone industrielle et commerciale d'Asie du Sud-Est - couvrant une superficie d'environ 200 kilomètres carrés et incorporant un port en eau profonde. L’avantage pour la Thaïlande est évident : ses exportations vers l’océan Indien passeraient de 10 jours via Singapour à 1 ou 2 jours par Dawei. En outre cela permettrait aussi de connecter la Birmanie avec le corridor économique oriental du projet de Grand Mékong destiné à structurer les relations au sein de l’Asean dont la Birmanie est devenue membre en 1997.

Ce protocole d'accord se concrétise en 2011 en accordant à ITD (Italian-Thai Development), la plus grande entreprise de construction de Thaïlande, une concession de 75 ans pour attirer les investissements et lancer la réalisation du projet. Selon le calendrier adopté en 2012, l’opération est censée s’achever en 2015 pour un coût total révisé à près de 11 milliards de $. Mais très vite, il se révèle qu’ITD est incapable d’assumer ce plan et, pour sauver le projet, les gouvernements thaïlandais et birman prennent une participation de 50 % chacun, se lançant à la recherche de nouveaux investisseurs. Après deux ans de paralysie, de nombreux experts font valoir que le méga-projet est voué à l'échec. Aussi en 2015, le projet est relancé dans un format réduit avec la participation du Japon. Dans un premier temps jusqu’en 2025, il engendrerait la création d’un petit port, d'un terminal de gaz naturel liquéfié, de centrales électriques et de télécommunications pour alimenter le développement d’industries légères (pêche, textile) sur une zone industrielle réduite. Puis après 2025 on aborderait l’élargissement de la ZES au port en eau profonde, à l’implantation des industries lourdes et à des industries plus diversifiées. Mais sur pression thaïlandaise, c’est de nouveau ITD qui est en charge du pilotage du projet.

A partir de novembre 2017 la réalisation semble lancée. En particulier la liaison routière Bangkok Dawei aux normes internationales est prioritaire et doit être achevée en 2020, de même que l’alimentation électrique de la ZES par une centrale au gaz développée par Total et Siemens à Kanbauk. Mais les oppositions locales se sont amplifiées se cristallisant autour des déplacements forcés de population (entre 22 000 et 43 000 personnes, selon les estimations initiales) et des externalités environnementales, les normes anti-pollution étant bien moindres en Birmanie qu’en Thaïlande. Des forêts de mangroves protectrices du littoral ont été défrichées pour faire place au port, tandis que la construction de routes et la déforestation ont compromis l’organisation naturelle des bassins versants, provoquant l'érosion et la pollution des rivières. Et rien ne progresse vraiment.

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Les méthodes de travail pour l’amélioration du réseau routier en 2013 peuvent permettre de comprendre les retards dans l’élaboration de l’axe routier.

Les méthodes de travail pour l’amélioration du réseau routier en 2013 peuvent permettre de comprendre les retards dans l’élaboration de l’axe routier.

Aussi le comité en charge de la ZES de Dawei a fait part de sa « perte de confiance » à l’égard de la société thaï ITD. Il s’est plaint de retards répété d’ITD, « de manquements récurrents à ses obligations financières » dans le cadre des contrats et « de son échec à confirmer sa capacité financière à poursuivre le développement » de l’infrastructure portuaire. Le 18 janvier 2021, la Birmanie a annoncé la rupture de ses contrats avec groupe thaïlandais, déclarant se mettre en quête de nouveaux investisseurs pour cette ZES. «Si les investisseurs actuels ne peuvent pas développer efficacement le projet, alors les entreprises chinoises sont nos seules options. Les Chinois ont la capacité de développer ce projet », a déclaré un analyste local cité par le Myanmar Times (Source : AFP – 19 Janvier 2021)

Tiens, tiens… retenez bien cette date.

LA ZES « JAPONAISE » DE THILAWA

Portail d’accès à la zone portuaire de Thilawa

Portail d’accès à la zone portuaire de Thilawa

C’est la première zone envisagée pour accompagner la croissance urbaine de Rangoun depuis l’adoption de la politique d’ouverture économique du pays. En 2011 la zone retenue se situe à une trentaine de km au sud de la ville sur l’estuaire de la Yangon. Dès l’origine le Japon est associé comme partenaire pour son développement par l’intermédiaire de la JICA (Japan International Cooperation Agency). La JICA et les entreprises japonaises détiennent 49% du capital de la société birmane gérant la ZES. La première étape a consisté à améliore les infrastructures portuaires, routières et énergétiques et dans un second temps à attirer les entreprises étrangères pour développer l’emploi en renforçant le secteur industriel.

Dès 2015 la zone est opérationnelle et fin 2018, 90 entreprises internationales se sont déjà installées couvrant une large gamme d’activités (logistique pour conteneurs, montage automobile, construction navale, etc.) où domine cependant l’industrie textile, favorisée par les salaires nationaux très bas (environ 38 € par mois).

Ouvrières qualifiées dans une entreprise de soieries pour du tissus haut de gamme.

Ouvrières qualifiées dans une entreprise de soieries pour du tissus haut de gamme.

Comme dans les autres zones, le problème foncier a généré des tensions fortes dans le riche espace agricole du secteur. Prétextant l’achat des terres par le pouvoir militaire dès 1996 contre des indemnisations dérisoires, le gouvernement de Thein Sein expulse les ménages se trouvant sur place en janvier 2013, leur annonçant qu’ils devaient quitter les lieux sous 14 jours. Face aux troubles que cela suscite, la JICA décide de prendre en main la gestion des expropriations et avec le gouvernement de la LND élu en 2015 parvient à des indemnisations plus équitables. Mais la plupart des paysans expropriés n’ont pas obtenu d’emploi dans la zone et ils ont du migrer vers d’autres terres ou rejoindre les cohortes des journaliers vivant des petits boulots urbains.

Même si les autorités japonaises se sont toujours glorifiées d’être « un partenaire historique de la Birmanie depuis la Seconde Guerre mondiale » et d’avoir maintenus « pendant les sanctions internationales, [leur] présence pour des besoins humanitaires », elles n’ont pas du tout apprécié le coup d’état. Plusieurs entreprises japonaises ont annoncé la suspension des investissements programmés dans le pays et le freinage de leurs activités..

MON HYPOTHESE « COMPLOTISTE » : LES MANIPULATIONS CHINOISES

D’abord je tiens à préciser que les complots dans la gestion des relations internationales sont une réalité indiscutable pour les historiens. Bien sûr, pas un complot planétaire des Illuminatis, des judéo-bolcheviques, voir des extraterrestres infiltrés pour préparer un chaos destiné à s’emparer de notre belle planète. Mais souvenez vous de la médiatisation phénoménale du général Colin Powell agitant son petit tube de poudre à l’assemblée de l’ONU pour organiser une coalition contre l’Irak de Saddam Hussein.

J’en reviens à l’accusation forte prononcé par le responsable du coup d’état, le général Min Aung Hlaing contre Aung San Suu Kyi. Parmi les bricoles à charge pour la « justice » de la junte, elle est dénoncée comme vendant le pays aux Chinois, ce que la Tatmadaw, incarnant l’essence même du pays, ne saurait accepter. Alors je vous propose de relire mon texte en étant attentif aux dates. Si j’ai accumulé celles-ci pour chaque projet, ce n’est pas par étalage d’érudition mais par souci d’établir une chronologie rigoureuse des options prises par les pouvoirs militaires qui ont précédé l’arrivée au pouvoir (limité !) de la LND en 2016. Vous allez constater que toutes les mesures favorables à la Chine sont prises alors, tandis qu’à partir de 2016 le gouvernement civil cherche à diversifier les partenaires et à adopter des procédures d’appel d’offre aux normes internationales.

Mais cette ouverture est plombée vers l’Occident par « la crise des Rohingyas ». Les pogroms ont commencé dès 2012 suscitant un exode massif. En septembre 2016, à la demande d'Aung San Suu Kyi, une commission consultative, composée de Birmans et d'étrangers est constituée sous la présidence de Kofi Annan pour trouver le moyen de restaurer un modus vivendi entre les différentes communautés en Arakan, le gouvernement s’engageant à en suivre les recommandations. Or dès que le rapport est connu en 2017, l’armée déclenche une répression féroce contre les Rohingyas dans l’état Rakhine, allant jusqu’à des mesures d’épuration ethnique. On peut certes reprocher à Aung San Suu Kyi son silence, mais en gardant toujours à l’esprit que pas plus elle que le gouvernement civil n’ont de pouvoir sur la Tatmadaw.

Et en 2018 l’Armée de l’Arakan entre en scène. Fondée en 2009 dans l’état Kachin, formée et encadrée par la KIA, armée par la Chine, elle se bat contre la Tatmadaw aux cotés des idépendantistes kachins. Des groupes se réclamant de son programme s’installent à partir de 2015 à proximité de la frontière du Bangla Deshet de l’Arakan et attaquent les troupes de la Tatmadaw sur le territoire rakhine. Le conflit prend de l’ampleur en 2018 et l’AA est répertoriée par le gouvernement comme organisation terroriste. Les morts se comptent par centaines et les déplacés sont estimés à 200.000. Cette insécurité forte est tout bénéfice pour la Chine qui arme l’AA et refuse de la classer comme groupe terroriste : les travaux du « couloir de Kaladan », promu par l’Inde n’avancent pas. Le coup d’état militaire, en retirant l'AA de la liste des groupes terroristes, soulage la Tatmadaw tout en accentuant la pression contre le projet indien, puisque l’AA, désormais considérée comme une armée ethnique, devient parti prenante de la réalisation de ce projet. Je l’imagine mal prenant parti contre son parrain chinois…

Chine = 1 ; Inde = 0

Pour Kyaukpyu, l’avantage chinois est certain avec la mise en services des tubes. Mais la démesure du projet de la ZES en entrainant des réactions populaires fortes et une révision de l’échelle du projet par le gouvernement civil birman permet de conclure provisoirement sur un match nul 0/0. Le coup d’état, en liquidant le pouvoir civil et en réprimant sans état d’âme les contestataires, peut donner une marge de manœuvre aux militaires dont on connaît bien les accommodements passés avec la Chine qui dispose d’une carotte majeure : la possibilité de faire taire les révoltes ethniques qu’elle arme et manipule. Si elle a pu penser un instant composer avec Aung San Suu Kyi, garante de la paix sociale intérieure, les attaques contre les usines chinoises de ces derniers jours et la profondeur du sentiment antichinois de la population, considérant à tort ou à raison, que leur voisin est impliqué dans ce coup d’état renvoie la Chine vers un compromis avec les militaires. Chine = 1 ? ; peuple birman = 0.

A Dawei, la Thaïlande semble marginalisée. Mais l’importance du projet est telle pour le pays qu’il est peu vraisemblable qu’il y renonce facilement. Le levier des Thaïs de l’état Shan peut être activé pour freiner la Tatmadaw dans sa visée hégémonique. Suite à l’annulation des contrats d’ITD, le Premier ministre thaïlandais déclarait juste avant avant le coup d’état « Le projet a connu quelques problèmes mais nous progressons. Il y aura des négociations avec les autorités birmanes et je pense que les choses vont s'améliorer ». La proposition chinoise, il y a 2 mois, de reprise des contrats d’ITD n’enthousiasmait pas le pouvoir civil de la Birmanie et était loin de satisfaire la Thaïlande. Alors qu’elle a aussi réduit les ambitions de la Chine sur son territoire elle envisageait plutôt un recours à un arbitrage de l’ASEA. Qu’en sera t-il avec les militaires ? Chine = peut-être 1… La Thaïlande peut-elle obtenir le nul ?

Le seul poste non susceptible de tomber dans l’escarcelle chinoise est la ZES de Thilawa. Le Japon est le seul partenaire à avoir respecté les délais de son engagement et semble jouir d’un préjugé favorable dans l’opinion, vue le rôle joué par le pays dans son indépendance. Mais la dénonciation du coup d’état par le Japon peut entrainer sa marginalisation si le coup d’état triomphe du peuple. Au bénéfice de qui ? Mystère pour l’instant. Mais n’oublions pas que le CMCE chinois prévoit de Mandalay à Rangoun une liaison ferroviaire à grande vitesse, un calibrage des infrastructures adapté à des trains lourds et une liaison autoroutière à gros débit. Dans cette perspective, Thilawa pourrait devenir le second exutoire de l’industrie chinoise sur l’océan Indien. Chine = pourquoi pas 1, peut-être ? un jour ?

Pour conclure, « la communauté de destin » évoquée par Xi Jinping me fait penser à ce poème de Jacques Prévert « La brouette ou les grandes inventions » que je reformule :

« Le paon fait la roue le hasard fait le reste

Xi s’assoit dedans et les birmans le poussent »

POST SCRIPTUM :

J’ai récemment fait une conférence pour le Secours Populaire sur la Retirada et la guerre d’Espagne. L’évolution de la situation birmane m’y fait fortement penser avec en horizon la victoire de la junte. Mais une différence clé doit être soulignée : si la Tatmadaw ne connais pas de défections massives, elle est mise en difficulté économique par les grèves et boycotts de l’activité par la plus grande masse du peuple, alors qu’en Espagne le violent clivage au sein de la population espagnole offrait un recours aux militaires pour s’imposer. L’histoire ne se répète pas. Pourvu qu’elle ne bégaye pas…

ANNEXE [proposition de 2012]

Si vous souhaitez mieux connaître ce pays, particulièrement attachant pour moi, voici quelques pistes de lectures.

La littérature birmane traduite en français est très maigre.

Depuis le début de la dictature, écrire est un exercice à haut risque. Peu s’y sont risqué en Birmanie et le dernier demi-siècle s’apparente plutôt à une nuit noire…

Voici ce que j’ai trouvé et lu :

MA MA LAY – LA MAL AIMEE ; L’Harmattan - 2005

MYA THAN TINT – SUR LA ROUTE DE MANDALAY, histoires de gens ordinaires en Birmanie ; Olizane - 1999

PASCAL KHOO THWE – UNE ODYSSEE BIRMANE ; Gallimard 2009

Pour la Birmanie vue de l’étranger

Je vous suggère pour connaître son histoire :

AMITAV GOSH – LE PALAIS DES MIROIRS ; Seuil 2007

GEORGE ORWELL – UNE HISTOIRE BIRMANE, 10/18 2001

MICHIO TAKEYAMA – LA HARPE DE BIRMANIE ; Motifs - 2006 (traduction d’un ouvrage de 1948)

Et pour la période contemporaine :

SEBASTIEN ORTIZ – PORTRAITS BIRMANS ; Arléa - 2012

CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT – BIRMANE ; Pocket - 2007

MAX MILAN – LE VISAGE DE LA FOLLE ; Payot Rivages - 2012

KAREN CONNELLY – LA CAGE AUX LEZARDS ; Buchet Chastel - 2007

NORMAN LEWIS – TERRE D’OR ; Picquier poche – 2004

Jean Barrot