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UNE NOIX QU'Y A-T-IL A L'INTERIEUR D'UNE NOIX ? QU'EST-CE QU'ON Y VOIT QUAND ELLE EST OUVERTE…

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

UNE NOIX QU'Y A-T-IL A L'INTERIEUR D'UNE NOIX ? QU'EST-CE QU'ON Y VOIT QUAND ELLE EST OUVERTE…

Connaissance & Partage

L’Ukraine façon Van Gogh, rectifié Poutine.

Difficile de lire dans la tête de Poutine qui a toujours été présenté comme rationnel et très intelligent, « un joueur d’échec ». Mais son agression militaire contre l’Ukraine, un pays totalement indépendant depuis 30 ans, et ses déclarations sur la nazification en Ukraine font émerger de sérieux doutes sur cette appréciation. La plupart de ses interlocuteurs le dépeignent comme un menteur obsessionnel, enfermé dans ses certitudes, inaccessible à toute objection contraire à celles-ci. Et à travers ses affirmations sur la situation de la Russie émerge un révisionnisme historique délirant concernant le comportement de l’URSS au cours du 20e siècle.

C’EST PAR CETTE APPROCHE HISTORIQUE QUE JE VAIS DANS UN PREMIER TEMPS TENTER DE CERNER CE QU’IL Y A À L’INTERIEUR DE LA « NOIX ».

Dans la tête de Poutine il y a Hitler, à la sauce Staline. Petit rappel.

Pour Hitler :

1-     le peuple allemand, de purs aryens, est la perfection des races humaines ;

2-     cette perfection est menacée par un chancre qui la ronge, le judéo-bolchevisme ;

3-     pour la sauver, il faut extraire du corps social les juifs et à terme les éliminer en tant que race de sous-homme.

Pour Poutine :

1-     le grand peuple slave incarné par le russe orthodoxe de la tradition impériale (Moscou considérée comme la «3e Rome » après l’effondrement de l’empire byzantin) est la perfection de l’humanité ;

2-     un chancre le menace : les miasmes de la démocratie et des valeurs « occidentales » qui ne sont en rien universelles. Lors d'une intervention télévisée suivant sa réélection très contestée en 2011, Vladimir Poutine compare les manifestants aux « banderlog », les singes du Livre de la jungle dont le terme est devenu synonyme de « groupe aux bavardages irresponsables ». Et pour justifier son intervention en Ukraine, Poutine pousse à l’outrance son vocabulaire parlant de « nazification » pour évoquer le développement de la démocratie en Ukraine

3-     donc pour sauver la perfection du grand peuple slave, il faut éradiquer tout germe démocratique ou de contestation en Russie (depuis 2012 la répression n’a cessé de s’accentuer) et amputer le membre corrompu que représente l’Ukraine indépendante gangrenée par l’Occident et engagée dans un « génocide » du peuple russe dont le conflit au Donbass n’est qu’un prélude.

Or la Russie a su vaincre le nazisme en 1945 sous la direction de Staline au terme de la « Grande guerre patriotique ». Pas question de laisser salir le grand peuple russe et son génial dirigeant par des histoires de Goulag, de grande famine organisée (principalement en Ukraine), de grandes purges et répressions de tous ordres, puisque Staline et le régime soviétique ont réussi à créer un grand pays, puissance nucléaire. La ligne officielle à partir de 2008 considère que Staline a toujours agi rationnellement et que les Russes doivent être fiers de leur histoire, et non honteux. Si la politique de terreur de Staline est ainsi justifiée, alors le gouvernement d'aujourd'hui peut faire ce qu'il veut pour atteindre ses objectifs. Ceux qui enquêtent et cataloguent les atrocités du passé ne sont que des fauteurs de trouble, portant atteinte à l’unité du peuple.

De 1928 à 1953, 18 millions de Soviétiques vont passer par le Goulag pour des durées plus ou moins longues. A cela s’ajoute au moins 6 millions de relégués dans les déserts kazakhs ou les forêts sibériennes, assujettis eux aussi au travail forcé. Une estimation prudente donne 2 à 3 millions de morts dans ce contexte. (Source : HERODOTE -nov. 2018)

C’est faire l’impasse sur 25 millions de personnes qui ont été réprimées en Union soviétique entre 1928 et 1953 selon des estimations prudentes. Pour mémoire la publication du recensement de 1937 est annulée, la saignée de la crise de la dékoulakisation étant flagrante : il manque plusieurs millions d’habitants. Ses organisateurs sont envoyés au Goulag. Un nouveau recensement est organisé en 1939 et, parfaitement ficelé, il donne les résultats attendus par Staline. Sous sa direction éclairée, la population de l’URSS a nettement augmenté, manifestation du bonheur du peuple... 

La dissolution de l’association Memorial, fin décembre 2021, est emblématique de cette volonté de passer à la trappe l’histoire du stalinisme et de ses suites. Memorial s’est organisée à partir de 1987 pour enquêter sur les exactions passées et défendre la mémoire des victimes en les sortants de l’anonymat. Elle devient rapidement sous l’impulsion de Sakharov une association pour promouvoir une société fondée sur le droit, la démocratie respectant les droits de l'homme. Devenue une institution historique reconnue, elle est légalisée par Gorbatchev en 1990. Mais une trentaine d’années plus tard, dans les attendus de sa dissolution, elle est dénoncée comme « agent de l’étranger », « déformant la mémoire historique » en particulier sur la 2e guerre mondiale, et « créant une image mensongère de l’URSS comme état terroriste ».

Autre exemple de révisionnisme historique, en 2016, le blogueur russe Vladimir Louzguine est condamné à une amende de 200 000 roubles (en vertu d'une loi mémorielle russe pénalisant la « réhabilitation du nazisme ») pour avoir écrit que l'Allemagne nazie et l'Union soviétique avaient envahi ensemble la Pologne en septembre 1939. La Cour suprême de la fédération de Russie y voit « une négation publique des procès de Nuremberg et la mise en circulation de fausses informations sur les activités de l'Union soviétique durant la Seconde Guerre mondiale ». « Staline a fait de la Russie une superpuissance et a été l'un des fondateurs de la coalition contre Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale », a déclaré le chef du Parti communiste de Saint-Pétersbourg dans une interview à la BBC en 2008.

SONGES ET MENSONGES DE POUTINE

En 1937 quelques mois après le coup d’état franquiste qui enclenche la guerre d’Espagne, Picasso fait éditer une suite de gravures en deux planches : Sueño y mentira de Franco. En reprenant les épisodes décisifs du déclenchement de la 2e Guerre mondiale, je vais vous entrainer dans les « songes et mensonges » de Poutine, révélateurs de son révisionnisme qui affecte désormais une large fraction de l’opinion en Russie.

Repartons de cette assertion : Staline est « l'un des fondateurs de la coalition contre Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale ». Je vais donc vous proposer de revisiter le prélude et le déclenchement de la 2e Guerre mondiale, la chronologie étant un arbitre incontournable établissant la fausseté de l’assertion.

EVOLUTION DES RELATIONS URSS-3e REICH

Si les relations et la coopération entre la République de Weimar et l’URSS, en particulier sur le plan militaire, furent importantes, les choses se gâtent avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933.

Paradoxalement celle-ci est le fruit de la ligne politique imposée par Staline, désormais seul maitre à bord en URSS, à l’Internationale Communiste en 1928. La stratégie dite « classe contre classe » rejette tout accord avec la social-démocratie, placée sur le même plan que le fascisme. Cette politique suivie aveuglément par le KPD (parti communiste allemand) ouvre alors un boulevard au parti nazi.

Accusé de l’incendie du Reichstag, Dimitrov se fait procureur et en accuse Goering lors de son procès. Il est acquitté par le tribunal, la justice n’ayant pas encore été épurée par le pouvoir nazi. (Photomontage de J. Hartfield)

 La dénonciation réciproque de leur régime par les 2 pays et la tension qui en résulte conduit Staline, sous l’influence de Dimitrov, à modifier sa stratégie. L’Internationale Communiste préconise à partir de 1935 les « Fronts Populaires » pour s’opposer au fascisme. Ce changement de stratégie porte tout de suite ses fruits. En 1935, un traité d'assistance mutuelle franco-soviétique, valable 5 ans, est signé. En réaction à sa ratification par la France, Hitler remilitarise la Rhénanie au printemps 1936. Mais dans le même temps, l’URSS cherche à renouer les échanges économiques avec le Reich et obtient la signature d’un accord de crédit en 1935. Ce jeu de bascule et les grandes purges qui affectent tous les secteurs de la société soviétique de 1936 à 1938, rendent moins crédible sa fiabilité dans les alliances et font douter de ses capacités militaires. Aussi, lors du démantèlement de la Tchécoslovaquie, l’URSS est tenue à l’écart de la conférence de Munich, car une des exigences qu’elle formule pour faire jouer les traités d’alliance est de faire transiter ses forces par la Pologne, ce que rejette catégoriquement le pays, plusieurs fois démembré par l’empire russe.

Conscient de la menace de plus en plus proche de la guerre, Litvinov tente d’organiser en avril 1939 une alliance entre l’URSS, la Grande-Bretagne et la France. Mais les 2 puissances trainent les pieds. Le gouvernement britannique pense que la guerre peut encore être évitée, le gouvernement français redoute d’être seul dans l’opération et l’URSS ne parait militairement pas crédible. D’autant qu’elle avance pour signer un accord des revendications inacceptables pour les 2 puissances : occupation de la Lettonie, l'Estonie et la Lituanie (qui s’étaient émancipées de l’empire tsariste avec la bénédiction de Lénine), et passage de la Finlande dans la sphère d’influence soviétique.

C’est le Reich qui prend l’initiative d’un rapprochement par-delà l’antagonisme idéologique. Les planificateurs nazis craignant des pénuries sur des produits stratégiques rendant utopique la victoire militaire du Reich, cherchent à relancer des accords économiques avec l’URSS. C’est alors qu’une nouvelle purge au sommet de l’état soviétique vient bouleverser la donne : Litvinov, juif, partisan du système de sécurité collectif impliquant l’Occident, est remplacé le 3 mai 1939 par Molotov, non juif, partisan d’une neutralité bienveillante vis-à-vis du Reich. Les négociations commerciales s’amplifient et un accord est conclu le 19 août. Le 22 les négociations sortent de la clandestinité et le 24, la signature du pacte germano soviétique Ribbentrop-Molotov est effective sous l’œil réjoui de Staline (plus tard effacé de la photo).

Le pacte vu des USA (Washington Star - 9 octobre 1939)

Officiellement, il s’agit d’un Pacte de non-agression, ce qui signifie qu’Hitler n’aura pas à se battre sur 2 fronts et a les mains libres à l’ouest. Mais ce pacte s’accompagne de protocoles secrets organisant la coopération des 2 pays et délimitant leurs zones d’influence : intervention militaire coordonnée et partage de la Pologne selon une ligne prédéfinie, occupation et annexion des pays baltes, de la Bessarabie par l’URSS et revendications territoriales sur la Finlande qui les rejette, ce qui conduit à la « guerre d’hiver ». Ces protocoles secrets sont un tabou absolu pour l’URSS après la fin de la guerre. Ils sont pourtant connus dès 1945, l’avancée occidentale rapide dans le Reich ayant permis la saisie d’archives nazies. L’URSS qui tient alors à construire son image de pays antifasciste et anti-impérialiste va nier pendant plus de 45 ans l’existence de ces protocoles secrets. Ce n’est qu'en 1989, avec  Gorbatchev, que l'URSS reconnait l'ensemble du Pacte et de ses finalités : le document original détenu par Moscou est publié par le gouvernement de la Fédération de Russie en 1992.

SEPTEMBRE 1939 - JUIN 1941 : UNE COOPERATION SANS FAILLE DE STALINE AVEC LE REICH.

            L’Internationale Communiste doit à nouveau changer son fusil d’épaule et dénonce une guerre strictement impérialiste dont les communistes ont à se tenir à l’écart. Ce qui est loin de passer « comme une lettre à la poste ». Mais la fidélité à l’URSS et à Staline reste massive. Le Reich attaque la Pologne le 1er septembre 1939, suivi par l'URSS le 17, sans que la déclaration de guerre de la Grande Bretagne et de la France à l’Allemagne ne se traduise en acte pour sauver le pays. Son démembrement est achevé le 23 septembre 1939. Les troupes soviétiques se sont enfoncées rapidement sur le territoire, ce qui reste de l’armée polonaise étant trop désorganisée par l’offensive nazie. Respectant le traité conclu avec l'Allemagne, elles s’arrêtèrent à quelque 300 km de la frontière orientale de la Pologne.

Le démembrement de la Pologne selon les accords du Pacte.

Une parade militaire commune Wehrmacht-Armée Rouge se déroule à Brest-Litovsk pour marquer l’achèvement du partage.

En accord avec les protocoles secrets, la Gestapo s'engageait à livrer au NKVD les réfugiés russes (Russes blancs ou dissidents) présents sur le territoire allemand, le NKVD livrant à l'Allemagne les réfugiés antifascistes allemands et autrichiens vivant en URSS. Une des plus célèbres victimes de cet accord est Margarete Buber-Neumann qui, après l’exécution de son mari lors des purges, passe 2 ans au Goulag, et se retrouve pour 5 ans dans un camp nazi.

La justification de l’intervention soviétique, formulée à l’époque et maintenue des décennies durant, mérite que l’on s’y arrête : il s’agissait de venir au secours des populations ukrainiennes et biélorusses annexées par la Pologne en 1920, après sa victoire sur l’Armée Rouge, et victimes de discriminations et de persécutions. Poutine et la justification de son intervention en Ukraine sont en phase avec l’héritage.

Et en dépit des informations précises qu’il reçoit de sources très diverses au printemps 1941, Staline refuse de croire à la préparation de l’agression par le Reich, à qui il continue jusqu’au dernier moment à fournir énergie, produits stratégiques, alimentation, en application de l’accord du 19 août 1939.

LE MENSONGE : KATYN

Débarrassé de la menace française et persuadé de l’impuissance britannique sur le continent, Hitler lance l’invasion de l’URSS le 22 juin 1941. En août 1941, les troupes allemandes découvrent dans la forêt de Katyn un charnier contenant les dépouilles de plusieurs centaines d'officiers polonais. Avec les charniers environnants ce sont près de 22000 officiers et militaires polonais dont les corps sont exhumés. Dès lors ces charniers deviennent un enjeu géopolitique. Le Reich met en place une commission internationale de pays alliés et incluant la Suisse, dont la conclusion est unanime : les assassinats ont eu lieu au printemps 1940. La commission d'enquête de la Croix Rouge polonaise parvient à la même conclusion. Les Soviétiques sont donc responsables de ces meurtres, exécutés par le NKVD, dont la finalité est de détruire l’armature intellectuelle et militaire du peuple polonais.

Mais pour ne pas donner d'argument à la propagande nazie, maintenant que l’URSS participe à la coalition antinazie, le rapport de la Croix Rouge est transmis à la Grande Bretagne qui le classe top-secret. Et Roosevelt déclare que cette affaire « n’est rien d’autre que de la propagande, un complot des Allemands » et qu’il est « convaincu que ce ne sont pas les Russes qui l’ont fait ».  En 1943 après la reconquête de la zone de Katyn par l'Armée rouge, l'URSS met en place une commission d'enquête qui, rouvrant les charniers, date les décès de l’automne 1941 donc lors de l’attaque allemande, en faisant un crime nazi. C’est cette version que l’URSS va s’efforcer de faire valider par le tribunal de Nuremberg, mais sans succès.

Si la vérité est suspectée depuis longtemps par les historiens, ce n’est qu’avec la fin de l’URSS que les documents probants sont révélés. La Grande-Bretagne rend public en 1989 le rapport de la Croix Rouge de 1941. En  1991, Gorbatchev remet à Boris Eltsine des archives secrètes du Politburo, qui portent notamment sur le massacre de Katyn établissant de manière irréfutable la responsabilité soviétique. Ces documents sont produits devant la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie lors de la mise en accusation du PCUS comme organisation criminelle, puis transmis, en octobre 1992, au président Lech Walesa. Enfin en 2012 les archives nationales américaines déclassifient des documents qui prouvent que les USA savaient depuis 1943 que le massacre était l’œuvre des Soviétiques.

A ce rythme d’ouverture des archives, je ne connaitrai jamais de source officielle russe les responsables des massacres de Boutcha, de Marioupol et autres lieues…

            LE FANTASME : LA NAZIFICATION DE L’UKRAINE.

L’Ukraine, dessinée dans le système soviétique et devenue indépendante il y a 30 ans est constituée d’un assemblage de territoires qui ont connu des histoires bien différentes. La Galicie absorbée par l’empire d’Autriche-Hongrie après le 1er partage de la Pologne en 1772 va connaitre une relative autonomie au sein de celui-ci et au cours du 19e siècle un mouvement de relance de la langue ukrainienne soutenue par l’université de Lemberg/Lvov/Lviv. Tout l’est – les ¾ de l’Ukraine actuelle – est conquis par l’empire Russe à la suite du 3e partage de la Pologne. Le terme d’Ukraine et la langue sont prohibés, le russe s’impose dans ce qui est considéré comme la « petite Russie ». La fin des empires en 1918 se traduit par des vagues de violences déchainées, communautaires et politiques, au rythme du déplacement des fronts militaires, jusqu’à la paix de Riga en 1921. L’URSS, vaincue face à la Pologne en 1920, reconnait le rattachement de la Galicie à la Pologne, qui absorbe aussi une partie de l’actuelle Biélorussie, à l’est de la « ligne Curzon », envisagée comme frontière commune entre Pologne et Russie par les commissions d’armistice. Les états Baltes retrouvent dans le même temps leur indépendance.

L’Entre-2-Guerres entretient donc des développements très opposés entre l’URSS collectivisée dans la violence et l’ouest au système capitaliste clivé par la propriété. L’annexion de ces territoires par l’URSS en 1939 entraine un double mouvement de répression : social par la collectivisation de l’économie, et politique, les élites nationales ou nationalistes étant exécutées (Katyn) ou déportées vers le Goulag. Aussi l’offensive nazie en 1941 est-elle accueillie par une partie de la population comme une libération de la tyrannie soviétique. La majeure partie de la population va vite déchanter, mais de réels courants nazis se développent, souvent cimentés par un antisémitisme aussi virulent que celui des nazis. Les estimations les plus crédibles sont de 250.000 ukrainiens engagés au coté des forces militaires et policières du Reich. Dans chacun des états Baltes c’est de l’ordre de quelques dizaines de milliers. Ces courants vont se réactiver lors de l’avancée des Soviétiques à partir de 1944. Une guérilla nationaliste va durer jusqu’en 1953 dans les états baltes, et jusqu’en 1954 en Ukraine.

L’anti soviétisme tourné désormais contre la Russie est donc une composante incontournable du nationalisme dans ces pays. Ainsi la volonté de Poutine de célébrer le 75e anniversaire de la reconquête des pays baltes en 1944 a été jugé « cynique et provocatrice » par leurs gouvernements qui ont considérés l’annexion réalisée alors comme la poursuite de l’occupation amorcée en 1939 aux termes du pacte germano-soviétique, la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie ne regagnant leur indépendance qu'en 1991. Les idéologies ultranationalistes, dont l'idéologie nazie particulièrement, ont une place incontestable dans ces pays. Le cas le plus emblématique est celui de Stepan Bandera en Ukraine, responsable de crimes au nom de l’idéologie nazie, qui a cru un instant pouvoir s’appuyer sur les Allemands pour obtenir l’indépendance du pays vis-à-vis de l’URSS. De nos jours, les courants les plus extrémistes s’efforcent d’en faire une figure incontournable de l’indépendance ukrainienne. Mais de là à généraliser à toute la population l’étiquette de « nazisme » n’est pas recevable pour un historien, pas que franchit allègrement Poutine quand il parle de « dénazification du pays » pour justifier l’agression qu’il mène.

La fracture électorale engendrée par la « Révolution Orange » de 2004

Toutefois, au sein de l'Ukraine indépendante (depuis 1991), les Galiciens en partie catholiques, pro-démocrates et pro-européens se retrouvent confrontés à l'Ukraine orientale, à forte minorité russophone, à majorité orthodoxe, pro-russe et souvent soviéto-nostalgique. Cette division du pays est à l'origine de la Révolution Orange partie de la Galicie en 2004, qui déboucha dix ans plus tard sur la crise ukrainienne avec Maidan, la perte de facto de la Crimée et la guerre du Donbass. Etre russophone ne signifie pas que l’on ne soit pas ukrainien : il y a des francophones en Suisse et en Belgique qui ne se revendiquent pas pour autant comme Français. Faudra-t-il un jour que notre armée aille les « dénazifier » ? A travers les différents épisodes de la montée d’une conscience nationale émancipée de l’impérialisme du « grand frère » russe, il semble que les Ukrainiens ont optés en masse pour l’idée de l’universalisme des valeurs contre le nationalisme militariste « slave » de Poutine. La scission de l’église orthodoxe dès 1992 me semble très révélatrice. Une partie des orthodoxes ukrainiens a proclamé son autocéphalie (patriarcat de Kiev) tandis que Kiril, le patriarche de Moscou, soutien total à la guerre que mène Poutine, continue d’affirmer son pouvoir sur la totalité du pays. Le patriarcat de Moscou est installé dans l’imposante cathédrale de Zaporijia. Y règne en maître le métropolite Louka qui justifiait récemment la guerre en Ukraine par la nécessité de nettoyer le pays du vice qui l’a contaminé, venu d’une Europe soi-disant assujettie à la perversion homosexuelle.

 La résistance acharnée et l’exode montrent que l’identité ukrainienne s’est renforcée à travers l’exacerbation du conflit. Mais voilà, la Russie poutinienne a mis en avant un nouveau concept de géopolitique : le « Monde russe », fondement idéologique de la défense, par la Russie, des populations russophones hors des limites de son territoire, et des actions de politique étrangère du Kremlin qui en découlent. Un film de fiction tourné en 2016 par la BBC « La Troisième Guerre mondiale : à l’intérieur du poste de commandement », a été l’expression des peurs engendrées par l’application de ce nouveau concept. Dans le scénario, des troubles provoqués dans la partie orientale de la Lettonie par des séparatistes russophones, bénéficiant du soutien des autorités russes, sont à l’origine du déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale.

A SUIVRE, SANS CONCLUSION…

L’enjeu de l’agression en cours n’est pas de dénazifier l’Ukraine mais de pouvoir un jour dépoutiniser (Hitler sauce Staline) la Russie. Et ce n’est certainement pas l’Otan qui peut s’en charger. Mais le peuple russe lui-même. L’ouvrage de Svetlana Alexievitch « La fin de l’Homme Rouge » édité en 2013, recueil d’entretiens sans interférences de l’auteur, montre que le « communisme n’est pas mort, son cadavre bouge encore ». Elle y adjoint en conclusion son discours de 2015 à Stockholm pour la réception du prix Nobel de littérature : « Je prends sur moi la liberté de dire que nous avons laissé passer la chance qui nous a été donnée dans les années 1990. En réponse à la question « Que devons-nous être, un pays fort ou bien un pays digne où il fasse bon vivre ?», nous avons choisi la première option : un pays fort » … « J’ai 3 foyers : ma terre biélorusse, la patrie de mon père où j’ai vécu toute ma vie, l’Ukraine la patrie de ma mère où je suis née, et la grande culture russe sans laquelle je ne peux m’imaginer. Tous les 3 sont chers à mon cœur. Mais de nos jours, il est difficile de parler d’amour. »

Aussi pour mon adresse au « Monde russe » (non mais quel orgueil !) je veux parodier Sade : « Russes, encore un effort si vous voulez être républicains ».

 

Jean Barrot – 18 avril 2022.