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UKRAINE : UNE NOUVELLE « GUERRE DE 14 » ?

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

UKRAINE : UNE NOUVELLE « GUERRE DE 14 » ?

Connaissance & Partage

« Comparaison n’est pas raison » dit l’adage. Mais un rappel de l’histoire peut éclairer ce qui se passe actuellement en Ukraine, toute proportions gardées.

1 – UN REVE D’ETAT-MAJOR : UNE GUERRE VITE PLIEE.

Tant en Allemagne qu’en France tout le monde envisage une guerre courte et lors de la mobilisation si les Allemands crient « Nach Paris ! », les Français crient « A Berlin ! ». Une anecdote personnelle : mon père en est si convaincu qu’il devance l’appel d’un an et s’engage « pour la durée de la guerre ». Il sera démobilisé seulement en 1919 après la signature du Traité de Versailles qui établit la paix…

Robert Jervis (1940-2021) professeur de relations internationales à l’université de Columbia a montré qu’une tactique agressive est plus souvent motivée par une aversion pour les pertes que par un espoir de gains. En 1914 l’Allemagne détient l’Alsace Lorraine depuis plus de 40 ans mais redoute le sentiment de revanche qui monte en France et qui vient d’engager son renforcement militaire en votant en 1913 la loi des 3 ans de conscription au lieu de 2 antérieurement.

Aussi en 1914 l’état-major allemand mise sur un opération qui doit lui permettre d’abattre l’armée française en 6 semaines pour pouvoir ensuite se retourner contre l’Empire russe. La base en est le plan Schlieffen, élaboré en 1905, mais remanié et adapté régulièrement par von Molkte entre 1906 et 1913. Mis en application avec succès dès l’entrée en guerre le 3 août 1914, il est mis en échec début septembre lors de la bataille de la Marne. Paris ne tombera pas. Pendant encore 3 mois la guerre de mouvement se poursuit puis s’arrête. Les positions se figent et « la guerre des tranchées » s’amorce pendant l’hiver.

…On est dix à coucher 
Dans le lit de la puissance 
Mais, devant ces armées 
Qui s’enterrent en silence 
On se retrouve seul.

(Jacques Brel -Seul) 

Se retrouver seul dans l’arène internationale, Poutine n’en a cure. L’attaque russe contre l’Ukraine, le 24 février 2022 est déclenchée avec la perspective d’une victoire rapide dans une guerre éclair. Avec son « opération spéciale », il applique la même stratégie : « Zavtra v Kiyev ! » (Vers Kiev !). Il pense qu’en s’emparant rapidement des 2 plus grosses agglomérations d’Ukraine, la capital Kyiv et le pilier industriel Kharkiv, la résistance militaire va s’effondrer, lui permettant par l’occupation du pays de remodeler son orientation politique dénoncée comme « nazie », un mot d’une charge extrêmement violente dans l’opinion russe. Mais le peuple ukrainien (et pas seulement l’armée) résiste et sa « bataille de la Marne », à Irpine entre autres, entérine l’échec d’une guerre éclair. L’armée russe occupe cependant une large partie du territoire ukrainien du sud-est au long de la mer Noire et entame une politique de russification sur cette zone conquise où les russophones sont nombreux (mais pas nécessairement pro russes, autre déconvenue pour Poutine). Ce que révèle cette agression c’est un fort sentiment national ukrainien et le désir renforcé de préserver les acquis démocratiques en s’associant plus étroitement à l’Union Européenne.

2 – DES LIGNES QUI SE FIGENT : LA GUERRE DE FRONT.

Une distinction se met alors en place : le front où les combats sont incessants, où les morts se comptent par milliers, essentiellement des militaires ; et l’arrière où les combats n’affectent qu’indirectement les conditions de vie (santé, alimentation, travail, mobilité). Mais cela ne signifie pas tranquillité pour tout « l’arrière ».

Pendant la « Guerre de 14 » des attaques peuvent être portées loin en arrière des tranchées du front. Les Allemands, recyclant d’énormes canons de marine, disposent à partir de 1916 de canons à longue portée de type « Long Max » (portée de 47 km avec des obus de 750 kg). En 1918 les 7 « Pariser Kanonen » ont une portée de 120 km et permettent le bombardement de Paris pour semer la panique dans la population et obtenir ainsi un armistice du gouvernement français. Entre la fin mars et le début du mois d’avril 1918, un demi-million de Parisiens sur une population de trois millions, quittent la capitale. Pionniers dans l’aéronautique des plus légers que l’air à coque rigide, ils disposent des zeppelins qui permettent des bombardements sur Londres (fin 1915) et sur Paris (début 1916). Mais en raison de leur vulnérabilité, vers la fin de la guerre les Allemands déploient des bombardiers géants Gotha pour attaquer les villes, principalement en Angleterre (printemps-été 1917) et Paris (printemps 1918).

Un « Long Max » sur son affut et ses obus.

Chez les Alliés ces armements stratégiques de longue portée sont médiocres : l’Allemagne est trop loin du front pour être atteinte. Pour la France c’est seulement au printemps 1918 que le développement d’un canon à très longue portée est amorcé, développement stoppé par l’armistice. Si les avions de chasse des alliés sont plutôt performants – ils mettent un terme l’utilisation massive des zeppelins et en février 1917 Guynemer abat son premier « Gotha » – la production d’appareils de bombardement à rayon d’action allongé (environ 400 km) est à peine amorcée en 1918 et ils restent lents et vulnérables. C’est une autre arme qui va faire la décision face aux tranchées, le char, et le blocus généralisé contre l’économie allemande, tandis que les alliés sont approvisionnés en armes par les USA, avant qu’ils n’interviennent directement dans la guerre contre les Empires centraux à partir du printemps 1917.

En Ukraine, les affrontements à partir de 2008 avec les territoires sécessionnistes se règlent à coup d’armes tactiques, les forces se pilonnant le long de la ligne de front. Tout au long de cette période la Russie intervient militairement aux cotés des armées sécessionistes en les approvisionnant en armement et plus discrètement en combattants. Mais un véritable tournant de la relation Ukraine-Russie a lieu en février mars 2014 avec l’occupation militaire puis l’annexion de la Crimée par les Russes. Elle devient dès lors pour l’Ukraine son « Alsace Lorraine » à récupérer impérativement. Le conflit s’intensifie dans l’est séparatiste, conduisant à un drame : la destruction en juillet 2014 de l’avion de la Malaysia Airlines (298 victimes) par un missile russe dont la batterie est vite ramenée en Russie, afin de pouvoir accuser l’Ukraine de ce crime. Une tentative est faite alors pour en réduire les effets sur les civils. Le protocole de Minsk de septembre 2014, adopté par l’Ukraine et la Russie, est significatif à cet égard : une zone tampon de 15 km de large est instaurée de part et d’autre du front, interdite à l’artillerie de calibre supérieur à 100 mm, ce qui peut garantir la sécurité relative d’un arrière. Mais les pouvoirs sécessionistes sont très réticents et ce cessez-le-feu n’est pas vraiment respecté. 

Une tentative de relance est faite en février 2015 (« Minsk 2 »), cette fois sous égide internationale. Globalement, le cessez-le-feu a lieu et les armes lourdes sont retirées du front. Les deux camps procèdent à de modestes échanges de prisonniers. Mais des combats à l'arme légère continuent, et rien n'avance pour ce qui concerne les autres volets de l’accord : les amnisties, la reprise des relations économiques, les réformes institutionnelles de la constitution ukrainienne. L’opinion ukrainienne est très défavorable à l’octroi d’un statut spécial aux régions tenues par les séparatistes et la Russie refuse des élections dans les territoires séparatistes sous contrôle international. Les opinions se crispent lorsque le russe est marginalisé par la décision, en avril 2019, d’imposer l’ukrainien comme seule langue officielle. Si l’arrivée au pouvoir de Zelensky en 2019 semble amorcer une certaine détente, la tension remonte très vite. En février 2021 le gouvernement, sans débat au parlement, interdit l’enseignement en russe dans les écoles, publiques ou privées dès la rentrée 2021. C’est une des mesures qui pousse Poutine à affirmer que la nazification est en cours dans le pays, alimentant des « pogromes antirusses ». En juillet 2021, il publie un texte de 25 pages qui réécrit totalement l’histoire en la falsifiant, afin de légitimer ses revendications territoriales et culturelles : « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » (traduction française disponible sur le site de l’ambassade de la Fédération de Russie en France). La tension s’exacerbe avec la répression de l’opposition démocratique au Belarus, qui entraine en août 2021 un renforcement des sanctions contre le régime de Loukachenko, qui réplique en instrumentalisant des masses de migrants contre l’UE.

Poutine décide de brusquer les choses : le 21 février 2022, il reconnait l’indépendances des républiques de Lougansk et de Donetsk et le 24, il lance ses troupes dans la guerre de conquête de l’Ukraine, présentée comme une récupération des terres tsaristes de la « Petite Russie ».

Le 30 septembre Poutine proclame l’annexion des 4 régions ukrainiennes qu’occupe la Russie et dans lesquelles des référendums ont été réalisés, mais non reconnus comme valides par la communauté internationale. Il s’en justifie : « La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées (l’Etat de droit)… Le soi-disant Occident décide qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas… Des millions de personnes ont exigé que les territoires dans lesquels ils vivent fassent partie de la Russie. Et maintenant, les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais ».

3 – LA GUERRE TOTALE : POLITIQUE DE LA TERRE BRULEE DU PERDANT.

La signature du traité de Brest Litovsk entre les Empires centraux et la République Soviétique de Russie, en mars 1918, débarrasse l’armée allemande du souci du front russe. Toutes les forces militaires allemandes sont amenées rapidement par le chemin de fer sur le front occidental. Fort d’une supériorité numérique, Ludendorff décide de jouer un va-tout pour l’Allemagne : reprendre une puissante offensive pour l’emporter avant que la machine de guerre américaine tourne à pleine puissance et que l’afflux de soldats US change la donne. Au déclenchement de l'offensive, ses 243 divisions défoncent les lignes alliées et se retrouvent de nouveau à proximité de Paris. Mais la logistique d’approvisionnement des forces ne suit pas et les pénuries en fournitures et en munitions font tourner court cette offensive. L'armée allemande a subi par ailleurs de lourdes pertes humaines et de matériel qui l’empêche de garder l’initiative. En août 1918, les Alliés lancent une contre-offensive qui ne cesse que par la signature de l’armistice le 11 novembre. La retraite allemande s’accompagne de destructions massives destinée à retarder cette contre-offensive.

Comme l’armée allemande est encore bien présente au-delà de ses frontières l’état-major va inventer le mythe du « coup de poignard dans le dos », rendant responsable de la défaite la population insurgée depuis le 3 novembre dans le territoire du Reich. Et le montant des réparations de guerre dues par l’Allemagne selon le traité de Versailles (dont seule une toute petite fraction sera effectivement payée) va représenter un second aliment de la volonté de revanche qu’Hitler sera capable de capitaliser à partir de 1933.

Dès 1918, un bilan des destructions de la guerre sur le territoire français est dressé et détermine les zones plus ou moins touchées. Les dégâts majeurs sont concentrés dans la zone rouge, correspondant aux lignes de front des armées. Les sols y sont bouleversés et les infrastructures routières, ferroviaires, industrielles, ainsi que ponts, ports et canaux, y sont généralement totalement détruits. Plus d’un siècle après la fin de la guerre de graves anomalies écologiques persistent dans les onze départements concernés.

La seconde guerre mondiale, avec le rôle de l’aviation à long rayon d’action, efface cette distinction front-arrière et au cours des décennies suivantes le développement des missiles intercontinentaux oblige à repenser le rapport entre le théâtre des combats et les zones passives.

En Ukraine, ces nouvelles armes de longue portée sèment la mort loin des fronts : missiles de croisières de type Kalibr (portée de 300 à 1500 km) et drones de combats iraniens bien moins chers (portée de 2000 à 2500 km). Comme l’Ukraine s’interdit pour le moment des frappes à longue portée sur le territoire russe, elle parvient cependant à frapper les arrières russes, zones de concentration des forces et des points d’appuis logistiques, grâce à des canons comme le Caesar français (40km) ou des missiles américains de courte portée Himars (80 km). De la même manière que les colonies et les Etats-Unis assuraient une profondeur stratégique pour les Alliés dans la 1ère guerre mondiale, c’est l’OTAN qui assure cette fonction pour l’Ukraine. Et de même que les torpillages des navires de neutres par les UBoote allemands ont enclenché l’engagement américain passant de neutre à belligérant en 1917, l’agression russe a provoqué des demandes d’adhésion à l’Otan de la part de pays jusque-là neutres (Finlande, Suède), l’Ukraine réclamant une procédure accélérée pour y adhérer et obtenir ainsi une extension de sa sécurité.

L’effacement de la distinction front-arrière entraine de gigantesques mouvements de population :  plus de six millions d’habitants ont été contraints de fuir l’Ukraine, et plus nombreuses encore sont les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Dans les zones occupées par les Russes, si une partie de la population considère que sa survie est assurée en Russie, des déportations forcées hors d’Ukraine sont aussi réalisées (comme à Kherson au moment où j’écris ce texte). Ces mouvements sont en partie la conséquence des destruction massives opérées sur les infrastructures civiles (habitations, hôpitaux approvisionnement énergétique et eau, centres industriels etc.). Le pillage de biens privés (voitures en particulier) et de trésors culturels publics alimentent un trafic organisé à destination de la Russie. Pour mémoire, il convient de relire « Les cercueils de zinc » de Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2015) qui dresse un constat accablant du comportement de l’armée russe en campagne.

Une cité à Marioupol

Et comme la Russie, pas plus que l’Allemagne en 1919, ne paiera de dommages de guerre, au moins tant que Poutine est au pouvoir et que l’opinion majoritaire le suit dans ses falsifications historiques (ce n’est pas pour rien qu’il a interdit l’organisation Mémorial peu avant son agression), l’avenir de l’Ukraine est lourdement handicapé. Un aspect de la « revanche de Poutine » est que les actuels soutiens politiques et militaires de l’Ukraine devront payer pour sa reconstruction. Plus grave à mes yeux, la volonté de revanche ou au moins de vengeance de l’Ukraine va polluer pour des générations l’esprit de ses citoyens.

Je boucle ici mon texte : l’annexion de l’Alsace Lorraine en 1871 par le Reich alimente le nationalisme français en 1914, qui en obtient la restitution en 1919 grâce à la victoire, tandis qu’Hitler dès 1940 procède à sa ré-annexion et à sa germanisation, sauce nazie.

 

Jean BARROT

22 octobre 2022