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LA SITUATION DE L’UKRAINE AU MIROIR DE LA GUERRE DE 14-18

PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

LA SITUATION DE L’UKRAINE AU MIROIR DE LA GUERRE DE 14-18

Connaissance & Partage

LA SITUATION DE L’UKRAINE AU MIROIR DE LA GUERRE DE 14-18

Comme pour mon texte d’octobre 22, je commencerai par un rappel : « Comparaison n’est pas raison ». Mais dans l’histoire de la première guerre mondiale les évènements de l’année 1917 peuvent éclairer ce qui se passe actuellement en Ukraine, toutes proportions gardées.

Depuis des semaines les commentateurs de la situation en Ukraine laissent attendre une vaste contre-offensive destinée à reconquérir les territoires perdus en conséquence de l’agression russe. Mais comme sœur Anne je ne vois rien venir… Ici une avancée de 800 m, là une reprise de 8 villages, les informations quotidiennes nous abreuvent de ces petits riens militairement parlant. “Les analystes“ estiment que Kiev est toujours en train de tester les défenses russes avant de lancer le gros de ses forces dans la bataille. Mais le printemps est terminé et l’armée russe a profité de ce répit pour renforcer ses lignes de défense des territoires conquis et annexés (en rouge ; en bleu les reconquêtes ukrainiennes de l’automne).


ALORS ENTAMONS L’EXAMEN DE LA SITUATION PAR UN DETOUR SUR LE FRONT EN FRANCE EN 1917

Après les hécatombes de Verdun et de la Somme au cours de l’année 16, tant pour la France et la Grande-Bretagne que pour l’Allemagne, les haut-commandements sont remaniés. Le général von Falkenhayn dont la mission initiale était de réduire le saillant de Verdun a voulu justifier son échec en tentant après-guerre de proclamer que sa volonté avait été de « saigner à blanc » l’armée française. Sauf que l’armée allemande en a payé un prix identique. Il est alors remplacé par Ludendorff et transféré en septembre 1916 pour des commandements sur le front oriental, entre Roumanie et Irak.

Pour la France, Pétain qui a réorganisé le système de défense par la « noria rapide des divisions » à Verdun, est jugé trop attentiste par le pouvoir politique. Il est remplacé dès le mois de mai par Nivelle qui assure au prix de pertes énormes la reconquête de l’ensemble du site. « Héros de Verdun », il est nommé en remplacement de Joffre qui a ignoré au début de l’année 16 l’importance de l’attaque sur la place forte et qui est définitivement plombé par l’échec stratégique de la première grande opération franco-britannique, la bataille de la Somme (juillet-novembre 16). Poussé par Briand, le gouvernement s’en débarrasse en le faisant Maréchal en décembre 1916…

LES NOUVELLES OPTIONS ADOPTEES : LA DEFENSIVE POUR L’AGRESSEUR.

En France, 1917

Pour Ludendorff, une stratégie défensive doit donner un répit aux troupes, lourdement affectées par les batailles de Verdun et de la Somme. Son souci principal est de raccourcir la ligne de front pour en supprimer les saillants, en la consolidant par une formidable ligne de défense, la ligne "Hindenburg", à 50 km environ en arrière des zones de combat, d’Arras à Soissons. A partir de février 17 le repli allemand vers la ligne Hindenburg s’accompagne d’une politique de « terre brulée » sur la zone abandonnée (destructions massives des infrastructures, villages rasés et déportation forcée des populations loin du front, pour le plus grand nombre dans les Ardennes). Bien qu’elle ne soit pas totalement achevée fin mars, la ligne "Hindenburg" représente un système puissamment fortifié, contrôlant les hauteurs qui dominent les espaces où peuvent se déployer les troupes alliées à l’offensive. En prime la révolution qui éclate en Russie, début mars, renversant le régime tsariste et ouvrant une crise sociale profonde, génère un doute sur la poursuite de l’engagement russe dans le conflit.

En Ukraine, 2023

Face à l’incapacité des forces russes à obtenir une décision rapide lors de l’invasion de l’Ukraine, Moscou annonce, le 8 octobre 2022, avoir nommé un nouvel homme à la tête de son "opération militaire spéciale". Le nom de son prédécesseur n'a jamais été révélé officiellement, mais selon les médias russes, il s'agissait du général Alexandre Dvornikov. Le choix de Poutine se porte sur Sergueï Sourovikine. Militaire compétent mais « impitoyable, avec peu de respect pour la vie humaine », il a fait ses preuves en Tchétchénie puis en Syrie où son engagement sans faille en soutien d’Assad – il y gagne les surnoms de "boucher de Syrie" et de "général Armaggedon" - lui vaut en 2017, le titre de "Héros de la Fédération de Russie" décerné par Poutine. En nommant Sourovikine, le président russe adresse un message fort aux Ukrainiens et à ses alliés : militaires et civils tous les Ukrainiens sont des cibles. 

Mais après des contre-offensives réussies des forces armées ukrainiennes dans les régions de Kharkiv, de Louhansk et de Kherson au second semestre de 2022, Sourovikine adopte une nouvelle stratégie : consolider les acquis russes, réduire la ligne de front en organisant le retrait des forces russes de la rive droite du fleuve Dniepr, soit de la ville et de la région ukrainienne de Kherson avec l’aval de Choïgou, ministre russe de la Défense. La population de la zone abandonnée qui n’a pas fui vers l’Ukraine – environ 70 000 habitants – est déplacée vers la Russie, les enfants (20.000 ?) étant particulièrement ciblés pour être rééduqués aux normes idéologiques russes.

Sourovikine lance alors d’importants travaux de construction d’une puissante ligne de défense en plusieurs échelons en profondeur. Il fait ainsi passer la stratégie russe d’une position offensive à une position défensive mettant en porte-à-faux le ministre de la défense et en arrière-plan Poutine lui-même.

Aussi Sourovikine est remplacé dès janvier 2023 par Valeri Guerassimov,  devenant simple assistant de celui-ci. Prigojine, dont le groupe "Wagner" est en pointe dans les combats de conquête de Bakhmout se plaint de ne pas être suffisamment soutenu par l’armée légale et ne cesse de dénoncer Choïgou et Guerassimov comme totalement incompétent.

POUR L’AGRESSE L’ESPOIR DANS L’OFFENSIVE.

En France, 1917

Pour Nivelle, il faut déclencher l’offensive décisive que réclame à grands cris les politiques. Artilleur de formation, il est persuadé que sa méthode d'assaut appuyée par un barrage roulant d'artillerie utilisée à Verdun est d’une efficacité totale pour percer le front allemand. Mais son plan pèche sur 3 points.

Conçu avant le repli allemand sur la ligne Hindenburg il n’est pas en phase avec la réalité du terrain.

Mondain et bavard il se répand sur la grande offensive qu’il va mener. Imprudent, une copie de son plan d'attaque est trouvée par les Allemands dans une tranchée conquise lors des affrontements incessants sur la ligne de front. Il n’y aura donc aucun effet de surprise. L’endroit choisi est le pire possible. Le Chemin des Dames, plateau orienté est – ouest de 20 km, est contrôlé par les Allemands depuis le début de la guerre. Ses abords sont assez escarpés, ce qui en fait une position défensive d’autant plus forte que le plateau est percé de cavernes appelées « creutes » puissamment armées. Et cette section du front vient d’être renforcée par une douzaine de divisions allemandes récupérées du saillant évacué entre Somme et Oise

La longue et intense préparation d’artillerie qui commence le 2 avril, fait perdre l’effet de surprise mais surtout, ne détruit que très partiellement les défenses allemandes. Le 16 avril, quand les premières vagues s’élancent en terrain découvert à l’assaut du plateau du Chemin des Dames, elles se heurtent à des barbelés souvent intacts et elles sont fauchées par le feu des mitrailleuses allemandes. L’assaut que Nivelle espérait éclair, tourne court : Abel Ferry – le neveu de Jules – qui se trouvait sur place, écrivit : « La bataille commença à six heures du matin. À sept heures elle était perdue. » 

Les troupes sont démoralisées, elles perdent la confiance en leurs chefs. Les premières mutineries éclatent. Nivelle est démis et remplacé le 15 mai 1917 par Pétain. Expédié en Algérie fin 1917 en qualité de commandant des troupes françaises d'Afrique du Nord, Nivelle assume cette fonction jusqu'à sa retraite en 1921. Il rentre à Paris et meurt dans son lit en 1924.

En Ukraine 2023

Depuis des mois les autorités ukrainiennes et les alliés de l’OTAN évoquent la préparation d’une grande contre-offensive que Zelensky rêve décisive avec une reconquête totale des territoires perdus et annexés par la Russie. Mais la saignée sur les hommes depuis le début de la guerre et la relative pénurie de munitions ralentissent les préparatifs, répit mis à profit par les forces russes pour renforcer leurs lignes de défenses.

Enfin le 3 juin 2023Zelensky, le président de l'Ukraine, déclare que l’armée est prête à lancer la contre-offensive. Les responsables ukrainiens appellent à respecter un « silence opérationnel » afin de ne pas compromettre les opérations militaires. Des combats se multiplient sur la ligne de fronts, ce que les experts militaires analysent comme des moyens de tester les forces russes pour déterminer où faire porter l’axe principal de la contre-offensive.

N’ayant pas de compétences particulières en ce domaine je vous propose donc ici un regard de géographe.

Le front de l’Est est depuis longtemps stabilisé et doté d’un système de lignes de défenses développées dès les insurrections séparatistes en 2008. Au centre de cette zone, la bataille de Bakhmout fait penser à Verdun toutes proportion gardée ; abcès de fixation elle a contribuée à saigner les troupes du groupe Wagner – Prigogine reconnaissant y avoir perdu plus de 10.000 hommes – sans que les forces régulières de l’armée russe puissent exploiter la situation. Actuellement Kiev annonce des succès d’une contre-offensive sur les flancs de la ville qui reste territorialement très limités tandis que Moscou annonce des avancées notables, ce que reconnait la vice-ministre ukrainienne de la Défense : « L'ennemi avance dans les secteurs d'Avdiivka, Mariinka, Lyman. Il avance aussi dans le secteur de Svatovoe ». « La situation est assez difficile » a-t-elle poursuivi (3/7/23).

Sur le front du Sud-Ouest, face à Kherson le contre-espionnage militaire ukrainien indiquait en novembre « Pilonner leurs positions sur l'autre berge est facile, mener des raids nocturnes avec des petites embarcations, nous le faisons aussi. C'est pourquoi les Russes ont fortifié plusieurs lignes de défense en échelons loin du Dniepr. En revanche, il est trop risqué de lancer une opération amphibie avec du matériel lourd, qui serait immédiatement pilonné. »

La situation de ce front a été brutalement modifiée par l’explosion du barrage de Kakhovka et de la puissante inondation en aval de la vallée qui a suivi la vidange du lac de retenue, Depuis le 7 juin le niveau de l’eau est redescendu mais l’imbibition des sols rend très aléatoire le franchissement de la vallée en direction de la péninsule ukrainienne par les matériels lourds (chars en particulier). L’avantage immédiat pour les forces russes pose cependant un problème à long terme pour la Crimée. Selon le directeur d'Ukrhydroenergo, l'exploitant du barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, le niveau d'eau dans l'installation de stockage de Kakhovka est beaucoup trop bas pour traverser le canal de Crimée. « Il est probable que l'eau ne coulera pas vers la Crimée pendant au moins un an ».

Autre abcès de fixation le sort de la centrale nucléaire de Zaporijia : la vidange du lac de retenu fragilise la sécurité du refroidissement des réacteurs. Passée sous contrôle russe dès les premières semaines de l'invasion en février 2022, la centrale nucléaire de Zaporijia est, depuis, l'objet d’un chantage nucléaire russe. S’il est avéré que les forces russes doivent abandonner le site pour le 5 juillet, rien ne dit que le site ne sera pas miné ou saboté. L'armée ukrainienne affirme que des « objets similaires à des engins explosifs ont été placés sur le toit extérieur des réacteurs 3 et 4… Leur détonation ne devrait pas endommager les générateurs, mais donner l'impression d’un bombardement depuis le côté ukrainien ». Dans le même temps, à Moscou, Renat Karchaa, un conseiller de Rosatom, accuse Kiev, à la télévision russe, de préparer une "attaque" de la centrale : « Aujourd'hui, nous avons reçu une information que je suis autorisé à révéler. Le 5 juillet, durant la nuit, en pleine obscurité, l'armée ukrainienne va essayer d'attaquer la centrale nucléaire de Zaporijia » (dépêche AFP du 5/7).

Reste le front centre-sud. L’objectif évident d’une contre-offensive dans ce secteur serait de couper la zone occupée par les Russes, les forces ukrainiennes atteignant la mer d’Azov coupant les liaisons terrestres avec la Crimée, en particulier la liaison ferroviaire entre Donetsk et Simferopol. Cela semble si évident que les Russes ont eu tout le temps pour organiser la défense de ce secteur de front.

Et le terrain n’est pas si favorable pour l’armée ukrainienne. Le bas-plateau steppique, d’altitude moyenne de 200 m environ qui s’étend jusqu’à la mer d’Azov semble un espace permettant une puissante attaque par des chars pour forcer la décision. Mais il est coupé de ravins peu profonds mais bien marqués, qui constituent autant d’obstacles naturels pouvant freiner l’avancée des forces ukrainienne. Et la vue porte loin sur ce territoire de grande culture céréalière largement déboisé. La surveillance aérienne permet de détecter très rapidement tout regroupement massif de force et anticiper sur leur trajectoire. Souvenons-nous des images satellites des groupements de forces russes à la veille de leur agression contre l’Ukraine. La contre-offensive devrait pouvoir bénéficier pour réussir au sol d’une puissante couverture aérienne, ce qui, en l’état des informations dont on dispose à ce jour, ne semble pas être le cas. Si déjà des avions promis par l’OTAN sont arrivés, la maitrise de leur pilotage ne peut s’improviser en quelques semaines…

La cible la plus probable à court terme est la voie ferrée E-O qui relie Donetsk à la Crimée. Une percée qui atteindrait celle-ci entre Tokmak et Volnovakha couperait les possibilités en approvisionnement lourd de la province annexée, obligeant à un approvisionnement par voie maritime ou par le pont de Kertch. Mais il faut parcourir une trentaine de km pour atteindre cette cible puissamment protégée dès le printemps comme l’attester les images satellites du mois de mars du secteur de Tokmak.

Le commandant en chef Valery Zaloujny le reconnait lui-même après la rencontre au sommet de l’UE (1/7/23) « La contre-offensive va plus lentement qu'on ne l'avait prédit mais la guerre, c'est comme ça ». Mais sur la durée, le réservoir humain ukrainien semble bien maigre par rapport à celui de la Russie. Le moral ne fait pas toute « la force des armées »… Et Zelensky ne peut adopter l’attitude attentiste de Pétain après le désastre du Chemin des Dames : « J’attends les chars (ça, l’OTAN en fournit) et les Américains (mais ils ne viendront pas, c’est sûr) ».

Car un évènement ahurissant est intervenu le 23 juin au soir avec la prise de contrôle par Prigogine de l’état-major de Rostov sur le Don puis le samedi 24, par l’avancée de la colonne Wagner en direction de Moscou, sans véritable affrontement avec les forces du pouvoir russe. Si cette rébellion a été vite stoppée par Prigogine lui-même au terme d’un accord âprement négocié, qui lui a permis de trouver refuge en Biélorussie, le général Sourovikine aurait été arrêté dès le dimanche soir 25. Car il faut absolument un bouc émissaire à Poutine « C’est un coup de poignard dans le dos de notre pays et de notre peuple » déclare-t-il retrouvant ainsi la formulation utilisée en Allemagne dès 1918 pour expliquer la défaite en en exonérant l’armée et son commandement, « invaincus sur le champ de bataille » (carte postale autrichienne de 1919).

On n’en est pas encore là, mais à moyen terme c’est toute la structure de l’armée russe et des forces de sécurité qui peut en être ébranlée. Comme en 1917 ? la révolution renversant le tsar amorce l’effondrement de l’armée, les soldats rentrant chez eux pour participer au partage des terres.

Je ne m’aventurerai pas plus loin dans la comparaison, l’état de l’opinion russe restant bien peu documenté.

 

Jean Barrot

Texte amorcé le 30 mai et achevé le 5 juillet 2023