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PETITES CHRONIQUES DE CONFÉRENCIERS

GAÏA, ZEUS and C°- CHAPITRE 8

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CHAPITRE 8

La tâche était énorme !

Prométhée et son frère Epiméthée devaient, selon les ordres de Zeus, créer les hommes, les femmes et tous les animaux. Il n’y avait pas de temps à perdre.

Les deux Titanss’installèrent dans la grotte et préparèrent leur campement car ils pensaient devoir rester assez longtemps sur place. Une fois la grotte aménagée, ils firent l’inventaire des différents amoncellements de matériaux qu’ils allaient utiliser.

Dès le lendemain matin, ils se mirent à l’œuvre.

Fidèle à sa réputation, Epiméthée se jeta le premier dans la création. Fou de joie de laisser libre cours à son imagination, il inventa un tas d’animaux de toutes tailles en utilisant une quantité impressionnante de cornes pour les griffes, de muscles pour la puissance, de graisse pour la résistance au froid et de poils pour la beauté extérieure. A chaque fois qu’un animal était modelé, Athéna venait et soufflait dans ses narines pour lui donner vie. L’animal se sauvait alors de la grotte et avait libre cours pour gambader dans la campagne. C’est ainsi qu’ils se multiplièrent car le fantasque Epiméthée, sur les conseils de son frère, avait eu l’idée de créer des animaux des deux sexes.

Lorsqu’après avoir longuement réfléchi Prométhée se décida à modeler hommes et femmes, il ne restait presque plus de matériaux. Pas de puissantes griffes ou serres pour les humains : juste quelques ongles au bout des doigts et des orteils ; presque plus de poils, à peine de quoi réaliser une touffe sur la tête en guise de cheveux et un léger duvet sur le corps : peu de muscles restaient en stock et, comparé au gorille, l’homme faisait pâle figure avec ses bras fluets et ses jambes grêles.

Voyant les humains si démunis par rapport aux monstres imaginés par son frère, Prométhée, en guise de compensation, leur offrit l’intelligence ainsi que la maîtrise du feu. La première femme et le premier homme achevé, Prométhée fit venir Athéna qui leur souffla dans les narines pour leur donner vie.

Le premier couple d’humains était si réussi, si beau et si harmonieux, que Prométhée ne voulut pas les quitter sans leur rendre hommage. Il proposa à la première femme et au premier homme de s’asseoir sur une grosse pierre et d’écouter une mélodie. Solennellement, le Titan sortit sa lyre et se mit à jouer. Aussitôt, tels des papillons multicolores, les notes emplirent la vaste grotte, se réfléchissant sur les murs pour en faire une sérénade des plus envoûtantes. Athéna, elle-même, était subjuguée et, à voir son sourire, il était clair qu’elle aurait voulu que la musique dure toute les nuits des temps.

Lorsque l’enchantement prit fin, Prométhée posa sa lyre et constata que l’homme et la femme se tenaient par la main en se souriant et avaient les yeux emplis de larmes. Le brave Titan comprit alors qu’en plus de l’intelligence et de la maîtrise du feu, il avait donné aux humains l’amour et la sensibilité.

Quelques mois après, les deux frères, avaient terminé leur tâche. Ensemble, ils vinrent demander à Zeus ce qu’il en pensait.

« Je vous admire tous les deux, fit-il en les prenant dans ses bras. Du haut de mon promontoire, je constate tous les jours la beauté de votre travail. Partout dans les champs et les prairies se pressent des hommes, des femmes ainsi que toutes sortes d’animaux, plus beaux les uns que les autres, même si certains paraissent terribles. Bravo ! je trouve que vous avez surtout réussi la race humaine. Quand, à la nuit tombée, je vois ces milliers de feux qui font scintiller la plaine, mon cœur bondit. Mes amis, je suis fier de vous car, dorénavant, les dieux vont pouvoir être honorés. »

« Justement, fit Prométhée, je voudrais savoir comment devraient procéder les humains pour vous rendre gloire. Comment vont-ils pouvoir vous honorer ? »

« C’est simple, répondit Zeus. Régulièrement, devant les Temples des différentes divinités, hommes et femmes devront sacrifier un animal. Le sang de celui-ci sera alors recueilli dans une urne qui sera conservée dans le temple. Le dieu ainsi glorifié vous protègera de son mieux.»

« L’animal sacrifié sera donc tué, s’assura Prométhée qui voulait le plus de précisions possibles. Cependant, que feront les humains du corps du cadavre ? Devront-ils le laisser à l’intérieur du temple ou à l’extérieur ? Cela ne risque-t-il pas de provoquer la putréfaction du corps et entraîner des maladies ? Les humains pourront-ils consommer une partie de l’animal sacrifié ?

« Ecoute Prométhée, fit Zeus, je n’avais pas réfléchi aux conséquences de ces sacrifices. Je vois ainsi l’étendue de ton habileté et de ton intelligence. Le mieux serait de faire une expérience. Demain, tu sacrifieras une vache et tu répartiras son corps en deux tas. L’un sera pour les dieux, l’autre pour les humains. Appelle-moi dès que tu auras terminé. Alors, je ferai mon choix. »

Prométhée était confronté à un sacré dilemme…

Comment allait-il le résoudre ? Devait-il favoriser les Dieux ou les humains ? Fallait-il être juste et équitable ?

(à suivre)

Bob

GAÏA, ZEUS and C° - CHAPITRE 7

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GAÏA, ZEUS and C°

CHAPITRE 7

Après leur victoire sur les Titans, les Olympiens devenaient les Maîtres du Monde et étaient dirigés par Zeus. Celui-ci fut officiellement nommé « Maître de l’Univers et Dieu du Ciel et des phénomènes atmosphériques ».

Pendant ce temps Gaïa faisait grise mine car elle n’avait pas du tout apprécié que son petitfils, ait osé enfermer les Titans dans ses entrailles. Bien entendu, très tôt, ses crampes d’estomac reprirent. Il fallait-il qu’elle s’allie avec des puissances capables de vaincre les Olympiens.. Mais qui ? Les seuls à n’être pas intervenus dans la lutte pour le pouvoir étaient les fameux Géants nés des gouttes de sang tombés au sol suite à l’émasculation d’Ouranos. Elle se décida à aller les rencontrer.

De son côté, Zeus épousa sa sœur Héra ce qui donna lieu à de somptueuses fêtes. Quelques jours après, il fit un discours solennel pour annoncer la conduite à suivre, maintenant qu’ils étaient devenus les seigneurs du Mont Olympe.

« Mes chers amis, vous avez fait preuve d’un grand courage car les Titans étaient puissants et bien armés. Grâce à vous, le temps est venu d’œuvrer pour cette Terre, la rendre belle, prospère, splendide alors qu’elle est tout le contraire. Personne ne parcourt ses plaines, ne gravit ses montagnes, ne se baigne dans ses mers. C’est à nous de changer tout cela. Mais avant de passer à cette étape nous devons nous répartir les tâches en fonction de nos goûts et aptitudes. Dites-moi dans quel domaine préféreriez-vous agir ? »

« Moi, dit Poséidon, j’aimerais me consacrer aux Mers et aux Océans. C’est un domaine qui me passionne et je serais capable de rester des heures à contempler les flots mouvants. Dommage qu’une telle beauté soit stérile. Il est grand temps de la peupler. »

« Quant à moi, fit Héra, si nous peuplons la Terre d’hommes et de femmes, j’aimerais me charger des liens familiaux. En effet, je suis totalement déchirée par les derniers évènements au cours desquels les pères tuent leurs enfants. J’aimerais bien devenir la Déesse de la Famille et des Mariages. »

« Moi, dit Hadès, j’apprécie la solitude et le silence. Quand j’ai un peu de temps, j’aime errer dans les grottes et les cavernes. On y trouve une fraîcheur incomparable, des sources cristallines et de magnifiques colonnes qui tombent du plafond ou s’élèvent du sol. Je me verrai bien le Dieu du Monde Souterrain. »

« Je trouve la Terre pauvre et stérile, fit Déméter. J’aimerais enseigner aux êtres que nous allons créer, la meilleure façon de la rendre productive et cultivable. Par le fait, Déesse des Cultures me conviendrait à merveille. » « Tous vos souhaits seront exaucés, mes amis, fit Zeus car je ne peux rien vous refuser après la bataille que vous avez menée. »

Bien entendu, d’autres dieux jouèrent un rôle important comme Artémis, « la Déesse de la Chasse » et son frère Apollon, « Dieu des Arts et des Musiciens ». Ou, Athéna, la « Déesse de la Guerre » sortie, toute armée, de la tête de Zeus alors que Dionysos, « Dieu des Vendanges », naquit un jour de sa cuisse (1).

Parmi ces divinités, on trouve encore Hermès, fils de Zeus et de Maia, la fille du géant Atlas, qui devint « Dieu des Voyageurs, des Commerçants et des Voleurs » (2), ou encore Héphaïstos, « Le Forgeron des Dieux » sans oublier Hécate, « la Déesse de la Magie ». De son côté Aphrodite devint la déesse de « L’Amour ». (3)

Ensemble, Zeus et Héra n’eurent que trois enfants : Arès, « le Dieu de la Guerre », Ilithyie, « la Déesse qui préside aux enfantements » ou encore Hébé « la Jeunesse ».

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Deux jours après, Zeus réunit ses alliés et, dans la plus grande salle du palais, présenta deux Titans jusqu’alors simples observateurs de la Titanomachie. «

Chers Olympiens, voici deux fidèles Titans qui se proposent de nous aider afin de peupler la Terre. »

Les applaudissements fusèrent tandis que Zeus poursuivait : Zeus et les Olympiens

« Tout d’abord, voici Prométhée, le fils de Japet et de Thémis. Son nom signifie « le prévoyant ». Intelligent et consciencieux, c’est lui qui modèlera les hommes et femmes qui nous serviront plus tard. A côté de lui, son frère Epiméthée qui façonnera les animaux. Nous avons gagné le droit de diriger le Monde et le Monde doit nous en être reconnaissant. Voilà pourquoi je désirerais que nos amis créent des êtres intelligents et forts qui prieront pour nous, élèveront des temples et sacrifieront des animaux pour honorer notre gloire. »

Dès le lendemain, Zeus conduisit les deux Titans dans une grotte secrète. Tous trois se faufilèrent par un étroit passage et débouchèrent sur une immense salle éclairée par quantité de torches. Devant eux, trônaient d’énormes tas de matériaux : l’un regorgeait de cornes, l’autre de poils, le suivant de muscles et le dernier de graisse. «

Chers amis, voilà vos matériaux, dit-il aux deux Titans. Créez les êtres selon votre inspiration et, à chaque fois que vous en aurez terminé un, Athéna viendra leur souffler dans les narines afin de leur donner la vie. Ne revenez me voir que lorsque vous n’aurez plus de matériaux. »

« On peut jouer avec tout ça, demanda Epiméthée, dont le visage enfantin rayonnait ».

« Jouer n’est pas tout à fait ce que je vous demande, répondit Zeus étonné. »

« Ne vous inquiétez pas, O ! Dieu du Ciel. Mon frère est un peu trop enthousiaste mais je le tiens sous contrôle. Son nom signifie en effet « Celui qui réfléchit après ». Mais avec moi, il travaille bien et m’écoute. »

Zeus quitta les lieux en se demandant s’il avait fait le bon choix en acceptant la présence du frère de Prométhée et revint à son palais à demi réconforté.

Dès qu’il fut parti, les deux Titans se consultèrent sur la conduite à tenir.

Bientôt la terre allait être peuplée d’hommes, de femmes et d’animaux.

(1) C’est vraiment le seul à pouvoir prétendre qu’il est né « de la cuisse de Jupiter ».

(2) Si vous êtes commerçant, n’y voyez aucun rapprochement.

(3) Nous évoquerons ces légendes à la fin de « Gaïa, Zeus and C° ».

(à suivre)

Bob

GAÏA, ZEUS and C° - CHAPITRE 6

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CHAPITRE 6

Après avoir digéré le puissant vomitif que Zeus lui avait administré, Cronos convoqua d’urgence en son palais les Titans et les Titanides. Selon lui, il était grand temps de préparer la riposte et d’organiser le combat à venir.

« Chers amis et alliés, commença-t-il d’un ton solennel, vous savez que Zeus, mon fils, a réussi à libérer ses frères et sœurs et qu’il se sont tous réfugiés sur les sommets du Mont Olympe. Nul doute qu’ils sont en train de se préparer à la guerre dans le but de conquérir le pouvoir et la gestion du Monde. Nous devons agir avant qu’ils ne s’organisent et nous chassent. »

« Que comptes-tu faire, demanda Japet ? Il me semble que nous sommes bien seuls. Avonsnous, au moins, des alliés sûrs ? »

« Hélas, non ! Je ne sais même pas si tous les Titans nous suivront, fit-il , en jetant un œil mauvais vers les Titanides. Celles-ci, dans un coin de la grande salle du Palais, discutaient en se montrant quelque peu mal à l’aise. Complotaient-elles contre lui ? »

Passablement énervé, Cronos les interpela :

« Que pensez-vous, chères Titanides, de cette guerre entre Titans et Olympiens ? Pourra-ton compter sur vous ? En tant que Titanides, allez-vous rallier notre cause ? »

C’est Phoebé qui prit la parole, au nom de ses cinq sœurs :

« O ! Cronos, mon frère. Cette guerre pour le pouvoir nous est étrangère. Nous ne saurions choisir entre le père qui enferme ses enfants dans le Monde Souterrain et celui qui enferme ses enfants dans ses entrailles. La violence nous exaspère et nous aspirons à la paix et à la liberté. Nous voulons rester neutre. »

Cronos, furieux, les avertit :

« Couardes Titanides ! Vous ne comprenez rien à la stratégie militaire ! Si les Olympiens vous enferment dans le Monde Souterrain, ne comptez pas sur moi pour vous délivrer. Restez neutre si tel est votre désir ! Nous nous occuperons seuls des affaires du Monde. »

D’autres Titans d’ailleurs préférèrent la neutralité comme Hélios « Le Soleil » qui plane audessus des préoccupations bassement terrestres. Les deux frères Prométhée et Epiméthée choisirent également de ne pas intervenir. Ils savaient, en effet, le rôle essentiel que leur avait réservé Zeus si les Olympiens sortaient vainqueurs de cette guerre : La création d’êtres vivants…

Zeus, de son côté, afin de préparer la guerre et de renforcer ses troupes, fit libérer les Cyclopes et les Hécatonchires que Cronos avait enfermés dans le Tartare. Ceux-ci, heureux d’être enfin libres, montrèrent leur reconnaissance en offrant des présents aux Olympiens. Zeus reçut une myriade d’éclairs, Poséidon obtint un trident en or tandis qu’Hadès se vit attribuer un casque qui avait le pouvoir de rendre invisible celui qui le coiffait.

La guerre fut titanesque, c’est bien le cas de le dire et la décision finale incertaine. Dans les premiers temps, aucune armée n’emporta de victoire décisive. Tantôt les Titans avaient le dessus, tantôt c’était au tour des Olympiens.

Un jour, cependant, Cronos crut à une victoire définitive. Confortablement installés sur les hauteurs d’une montagne, les Titans avaient surpris les Olympiens qui campaient dans la vallée. Sans arrêt, ils précipitaient sur eux d’énormes rochers. Réfugiés dans une grotte, toute sortie était impossible aux alliés de Zeus car, chaque fois que l’un d’eux tentait une sortie, une avalanche de rochers tombait et il devait retourner dans la grotte.

Heureusement, Hadès possédait un organe vocal capable, par sa puissance phénoménale, de faire fuir tous ceux qui étaient proches. En pleine nuit, il gravit la montagne et s’installa discrètement au milieu du camp des Titans endormis. Lorsque le Soleil commença à darder ses premiers rayons, il se redressa et poussa son terrifiant beuglement. Les Titans, croyant que le Ciel leur tombait sur la tête, ne demandèrent pas leur reste et se sauvèrent à toute jambes, laissant sur place leur campement et même leurs armes.

C’est ainsi que les Olympiens purent quitter leur grotte et reprendre le combat.

La guerre prit un tour décisif lorsque, aidés des Cyclopes et des Hécatonchires, les Olympiens s’attaquèrent au palais de Cronos. Ce fut un jeu d’enfant de pénétrer, en pleine nuit, dans sa demeure car, Cronos, sûr de lui, ne gardait qu’un seul Titan pour surveiller les portes du palais.

Une fois les Olympiens introduits dans la place, chacun joua son rôle : Hadès, coiffé de son casque, entra dans la chambre du maître des lieux alors que Poséidon pinçait le nez du tyran. Celui-ci bondit comme un cabri. La première chose qu’il vit fut un trident pointé sur son torse, tandis qu’un cyclope tenait fermement ses poignets liés par un gros cordage.

A son chevet Zeus toisa son père. Cronos tomba alors dans le piège qu’on lui avait tendu. Il hurla à pleins poumons afin d’alerter les autres Titans. C’est justement ce qu’attendaient les Olympiens. Se précipitant tête baissée dans la chambre de Cronos, les Titans tombèrent dans les bras des Hécatonchires. Atlas beuglait comme un bœuf, Japet se mettait en boule comme un hérisson tandis que Hypérion se lovait comme un serpent.

Zeus jeta un œil sévère à Cronos et délivra sa sentence :

« Que n’as-tu retenu la leçon que tu avais infligée à ton père, le fâcheux Ouranos ? La tyrannie ne dure qu’un temps et le tien est à son terme. Personne ne te pleurera, ni ta mère, ni ta femme, ni tes enfants que tu as osé enfermer dans tes entrailles. Tu as vécu en monstre, tu périras en monstre. Seul le feu purificateur de mes éclairs saura te laver de tes péchés ! »

Le Maître de l’Olympe saisit alors un de ses éclairs, le pointa vers son père et le foudroya. Le tyran venait de périr mais comme il était éternel, son enveloppe charnelle survécut sans avoir le pouvoir ni de parler ni d’agir. Aucun culte ne lui fut dédié par les Grecs car ils ne voulurent pas honorer un tyran.

Les Titans furent enfermés dans le Tartare et gardés par les Hécatonchires et les Cyclopes. Cet acte provoqua la mauvaise humeur de Gaïa qui craignait que reprennent ses crampes d’estomac. Pour l’instant, elle n’osa pas s’opposer à son fils et se joignit aux autres pour chanter sa gloire. Cependant, elle réfléchissait déjà à une solution afin de résoudre ses problèmes intestinaux qui ne manqueraient pas de survenir.

Parmi les autres sanctions infligées par Zeus aux Titans, Atlas fut exilé sur une île de l’extrême orient et, pour avoir dirigé l’Armée de Cronos, condamné à porter la voûte céleste sur son dos. Quant aux Titanides, qui restèrent neutres durant le conflit, elles furent épargnées et purent jouir d’une totale liberté. Ne restait plus aux Olympiens qu’à se partager le pouvoir.

(à suivre)

Bob

GAÏA, ZEUS and C° - CHAPITRE 5

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CHAPITRE 5

Aidés par les Curètes et conduits par Zeus, les cinq frères grimpèrent au sommet du Mont Olympe et furent accueillis par quelques servantes. Gaïa et Rhéa avaient supervisé leur installation dans ce qui allait devenir le « Palais des Dieux de l’Olympe ». Sommaire au début, celui-ci s’améliora rapidement afin de devenir, en quelques mois, un véritable château.

Le premier soir, épuisés, les cinq frères et sœurs s’endormirent comme des souches et ce n’est que le lendemain qu’ils échangèrent sur leur condition antérieure. Bien entendu Zeus fut l’organisateur des débats car pour lui, il était nécessaire de se bien connaître, puisqu’à l’avenir, ensemble, ils allaient régenter la Terre, le monde souterrain, les Océans et les Mers, les Vents sans oublier le Ciel immense. Le lendemain, dès le milieu de la matinée, Zeus réunit ses frères et soeurs.

« Vous avez passé plusieurs mois dans l’estomac de Cronos, notre père. Vous avez dû bien souffrir et j’aimerais connaître vos sentiments à ce sujet »

Le premier à prendre la parole fut Poséidon :

« On était mal à l’aise et en plus on n’y voyait rien là-dedans, s’exclama-t-il ! De plus ça sentait mauvais et c’était humide. Beurk ! »

« C’était épouvantable, renchérit Héra. Cronos mangeait tellement épicé que j’avais de perpétuelles nausées. De plus il croquait de l’ail et buvait de l’alcool à longueur de journée. »

« J’ai l’impression qu’il se nourrissait n’importe comment, fit Hadès ! Il y a une semaine à peine, alors que je me reposais tranquillement, j’ai reçu une grosse pierre sur mon pied gauche. J’en ai la cheville toute endolorie. A-t-on idée de manger des pierres ? »

« J’en connais la raison, fit Zeus et c’est ma mère qui me l’a expliquée. Plutôt que de me donner à avaler à Cronos, Rhéa lui a présenté une pierre enveloppée d’un lange. Ce gros lourdaud a pris cela pour un nouveau-né et l’a gobé sans même boire un peu de nectar. Voilà pourquoi tu l’as reçue sur toi. ».

« Moi, ce qui m’a le plus dérangé, fit Hestia, c’est le jour où Cronos a voulu faire de l’équitation. Je ne vous dis pas les soubresauts ! On était ballotté de droite et de gauche alors qu’on ne savait comment amortir nos chocs car il n’y a rien pour se retenir dans cet espace clos. Pour finir, le cheval a désarçonné son cavalier. C’est la raison pour laquelle, depuis quelques jours, Cronos boîte. Dès qu’il se déplace, on va de droite à gauche, de quoi avoir le mal de mer. »

« Moi, fit Déméter, depuis ce séjour dans l’estomac de notre père, je déteste la pleine lune ! »

« Qu’est-ce-que la Lune vient faire dans tout cela, demanda Zeus ? »

« C’est simple ! Tous les soirs de Pleine Lune, Rhéa entrait dans la chambre de Cronos en murmurant : « Occupe-toi de moi chéri ! Cette pleine Lune m’excite !!… »

« Et alors, demanda Zeus qui ne comprenait toujours pas ? »

« Attends la suite ! Cronos comprenait le message et Rhéa s’allongeait sur le lit tandis que lui montait sur elle : c’est du moins ce que je suppose car, bien sûr, je ne voyais rien. Alors commençait la sarabande …Rhéa s’emblait devenir folle. Dans ce cas-là, je me demandais quelle mouche l’avait piquée. Je te passe les cris qu’elle poussait. A son âge ! »

« J’avais remarqué ces cris répétés, fit Héra ! Ces soir-là, pas question de s’endormir rapidement. J’ai d’ailleurs remarqué que quand Rhéa rejoignait ses appartements, Cronos se mettait à ronfler. Ce n’était guère mieux ! On aurait dit que la montagne allait s’écrouler sur nous! »

« Voilà pourquoi je déteste la pleine lune, en conclut Déméter. »

L’échange dura une bonne partie de la journée puis Zeus leva la séance :

« Chers vous tous, il est temps de se reposer. Demain, nous nous organiserons afin de préparer notre défense. Cronos n’est pas un dieu que l’on écrase si facilement et les Titans sont prêts. Ils voudront jeter tous leurs efforts dans la bataille pour reconquérir le pouvoir. »

« Et que ferons-nous si nous les écrasons, demanda Hadès ? Moi, j’aime bien avoir des perspectives ! »

« Si nous écrasons Cronos et ses sbires, nous passerons alors à la deuxième étape, répondit Zeus. A ce moment-là, vous devrez chacun choisir le secteur que vous aimeriez gérer : les Mers et les Océans, le Monde Souterrain, les Vents et les Tempêtes, les Champs et les Cultures, l’Amitié et l’Amour, le Foyer et le Mariage… »

« Tu parles de Foyer, de Mariage, de Culture, questionna Poséidon…Mais nous sommes seuls sur cette Terre ! Seuls avec ces terribles Titans. Qui va se marier et fonder un foyer ? »

« Remarque très juste, mon cher Poséidon. Ce sera là l’objet de notre troisième étape. Certes la Terre est inhabitée actuellement, mais nous créerons des êtres vivants, des hommes et des femmes qui, avec leurs enfants, peupleront la Terre. Nous créerons également des animaux que les hommes et femmes élèveront pour se nourrir. Ils en sacrifieront certains en notre honneur. Nous leur apprendrons également à cultiver la Terre afin qu’ils puissent s’alimenter. .

Chers amis : tout est prévu dans ma tête mais patience. Chaque chose en son temps ! »

(à suivre)…

Bob

A PROPOS D’UN CHRISTIANISME ANCIEN EN INDE.

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A PROPOS D’UN CHRISTIANISME ANCIEN EN INDE.

Lors d’un voyage en Inde du sud en 2008, j’ai découvert au Kérala une Eglise chrétienne dont j’ignorais l’existence. La visite de l’église Ste Marie Knanaya à Kottayam m’a frappé par ses éléments de syncrétisme avec l’hindouisme dans l’iconographie religieuse.

            Selon les récits traditionnels des chrétiens du Kerala moderne en Inde, l’apôtre Thomas serait venu de l'Empire romain pour prêcher l'Évangile, jusque sur la côte de Malabar en 52. Exécuté en raison de sa foi en 72, il serait enterré à Mylapore, aujourd’hui un quartier de Chennai (ex Madras). Lorsque les Portugais y fondent un comptoir commercial, ils édifient une église incorporant le tombeau de l’apôtre. Il se retrouve aujourd’hui dans la crypte de la vaste basilique édifiée en 1893 à l’emplacement de l’église initiale. La visite de Jean-Paul II en 1986 a légitimé la nature apostolique de cette Eglise et acontribué à renforcer l’audience de ce sanctuaire.

Tombeau actuel de saint Thomas

Tombeau actuel de saint Thomas

Mais s’il existe une trentaine de millions de chrétiens indiens, la diversité des obédiences est un véritable casse tête sans cesse complexifié au fil de l’histoire – notamment des interventions coloniales – et des rivalités de pouvoir au sein de ces courants.

            Pour conclure cette réflexion, j’ai choisit d’élargir le champs de mes recherches aux pôles extrême des églises apostoliques : Madras tout au sud de l’Inde et Compostelle au nord-ouest de l’Espagne.

1 - L’EGLISE STE MARIE KNANAYA A KOTTAYAM

Cette église, d’allure et de dimension très modestes, n’est pas très ancienne – elle est datée de 1550 – mais incorpore des éléments d’architecture beaucoup plus anciens attestant de la sacralité du lieu. Elle présente sur son maitre-autel une iconographie hétéroclite avec une forte présence de tableaux de style Renaissance, ce qui révèle les influences des colons portugais. Mais les 2 autels latéraux nord et sud incorporent des dalles de granit noir qui présentent une iconographie de la croix très spécifique dite “Croix Saint-Thomas”.

Maitre-autel

Maitre-autel


Autel nord : l’image de Dieu s’inscrit en médaillon dans la partie supérieure du retable. Il est séparé du monde terrestre par la ligne des anges. Le Christ est ici plutôt d’inspiration orthodoxe – Christ pantocrator – représenté dans un médaillon i…

Autel nord : l’image de Dieu s’inscrit en médaillon dans la partie supérieure du retable. Il est séparé du monde terrestre par la ligne des anges. Le Christ est ici plutôt d’inspiration orthodoxe – Christ pantocrator – représenté dans un médaillon inscrit sur fond de ciel. Il s’élève au dessus d’une dalle (75cm x 58cm) comportant la “Croix Saint-Thomas”.

Cette croix ne comporte jamais la représentation du Christ : il s’agit ici de sortir de la représentation de ses souffrances pour évoquer sa promesse de résurrection attestée par le tombeau vide, donc par son absence aussi sur la croix. Chacune de ses extrémités s’ouvre en volutes repliées laissant émerger un bourgeon (ou le fruit de l’arbre de vie du Paradis, selon le guide local) symbolisant l’accès à la vie éternelle. La croix s’élève sur un podium en escalier évoquant la montée au Golgotha tandis que les 3 arches en arc en ciel renverraient à la montée de Moïse au Sinaï. Au sommet de la croix un oiseau, ailes déployées, évoque le Saint-Esprit par lequel le Christ accède à la résurrection.

Dalle de l’autel sud : elle est de taille plus imposante (220cm x 103cm) et occupe la totalité du retable. Sur cette dalle l’oiseau, la colombe, a été repeint en blanc pour mieux le faire apparaître.

Dalle de l’autel sud : elle est de taille plus imposante (220cm x 103cm) et occupe la totalité du retable. Sur cette dalle l’oiseau, la colombe, a été repeint en blanc pour mieux le faire apparaître.


Cette dalle est surmontée par un médaillon évoquant la sainteté de la Vierge recevant le Saint-Esprit.

Cette dalle est surmontée par un médaillon évoquant la sainteté de la Vierge recevant le Saint-Esprit.

Ces deux dalles comportent des inscriptions (ici mises en valeur par un repeint en blanc) qui permettent de les dater : les caractères utilisés sont dérivés de l’araméen et la langue est du pehlevi ou moyen persan dont l’usage se généralise en Perse à partir de la dynastie sassanide (3e-7e siècles). L’âge le plus souvent proposé pour ces dalles est le 6e siècle, au plus tôt. L’inscription commune aux 2 dalles est traduite ainsi « Par la croix en châtiment a souffert l’Unique, qui est le véritable Christ, Dieu supérieur et guide toujours pur ». Une autre inscription plus tardive (estimée du 10e siècle) est rédigée en syriaque : « Puissé-je ne me glorifier que dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est le véritable Messie, Dieu supérieur et Esprit-Saint.» (Galates 6,14).

            En y regardant plus attentivement on découvre la présence de makaras au sommet des piliers sculptés et dont la gueule émet l’arc perlé qui encadre la croix. Ces figures appartiennent au bestiaire mythologique de la culture hindoue, généralement associées à la fécondité et à l’eau sacrée du Gange. La base de la croix est encadrée par des feuilles de lotus, symbôle de pureté surtout valorisé dans le bouddhisme.

Détail de la grande dalle : la silhouette du makara est renforcée par la peinture blanche qui indique l’œil et les dents.

Détail de la grande dalle : la silhouette du makara est renforcée par la peinture blanche qui indique l’œil et les dents.

Un porche taillé dans le même granit noir, appartenant à une architecture antérieure, fait communiquer la nef à une pièce annexe. Il comporte aussi des signes évidents de syncrétisme religieux. Sur la gauche, 2 oiseaux se font face, leurs becs, unissant au dessus de la croix. Le plus gros des oiseaux évoque un paon, autre animal sacré du bestiaire hindou, associé à Saraswati, la déesse du savoir, de la bienveillance, de la patience et de la compassion. Le second pose problème : la queue relevée mais courte semble vouloir évoquer un autre oiseau. La colombe ? Un phénix (souvent associé au paon dans l’iconographe chrétienne orientale jusqu’au 9e siècle) ?... Sur la droite du porche la sculpture est moins équivoque : 2 éléphants, trompe levée au dessus d’une croix montée sur un socle renvoie à une scène souvent reprise dans l’iconographie hindoue : Lakshmi, déesse de la prospérité et de la pensée morale élevée, épouse de Vishnou, est ondoyée par 2 éléphants blancs. Les éléphants sont donc ici en train d’asperger la croix, allusion évidente au baptême qui fait le chrétien, la croix étant substituée à la déesse, mais en conservant la signification symbolique.

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La chronologie qui découle de ces observations se déroule en 3 temps : sculpture des dalles et du porche autour du 6e siècle exprimant une liturgie spécifique bien codifiée et tournée vers le public local à christianiser en lui proposant des équivalences iconographiques aisément décodées dans leurs croyances initiales ; ajout de l’inscription en syriaque au 10e siècle sur la grande dalle qui ancre plus précisément ce christianisme dans la doctrine paulinienne, et à mon sens pour marquer une rupture avec les compromis (compromissions ?) passée avec l’hindouisme ; avec la conquête portugaise, une nouvelle rupture intervient faisant entrer ce christianisme dans l’obédience romaine. Mais la conservation du porche et l’incorporation des dalles dans les autels du 16e siècle révèlent la persistance d’une tradition spécifique de ce christianisme.

Quittons cette église et écoutons maintenant les fidèles dans les versions diverses qu’ils nous présentent pour les confronter avec les connaissances historiques bien étayées.

II – CHRONOLOGIE HAGIOGRAPHIQUE ET CHRONOLOGIE HISTORIQUEMENT ATTESTEE

Pour les chrétiens qui se revendiquent comme les descendants de l’Eglise primitive, le christianisme en Inde du sud a été introduit par la prédication de l’apôtre Thomas à partir de 52 dans la région du Malabar. C’est pour eux un motif de fierté d’appartenir à une Eglise apostolique et d’une antériorité au moins équivalente à celle de Rome. Une autre tradition évoque un marchand “syrien” ou “perse”, Thomas de Cana qui s’installe avec sa femme, accompagné d’un évêque, de plusieurs prêtres et d’un groupe de fidèles en 345. Ils amènent avec eux un corpus de textes sacrés et des principes d’organisation de l’Eglise. Cette tradition ne remet pas en cause la présence de Thomas l’apôtre au 1er siècle et la revendique mais insiste sur le rôle de leur communauté qui donne une expansion sensible à cette Eglise et la clive en 2 groupes : les “nordistes” liés à l’évangélisation directe de l’apôtre et les “sudistes” descendants de ces immigrants de rite syrien oriental conduits par le marchand.

            Le rôle des marchands dans la diffusion religieuse est une situation banale : le bouddhisme pénètre en Chine et se diffuse au long de la Route de la Soie. Notons ici que le même nom pour le marchand et l’apôtre a pu être source de confusion et de revendication d’une antériorité de christianisation très précoce.… Les descendants de ce noyau initial et des convertis de ce moment se qualifient de « Knanaya ». La présence d’une communauté chrétienne au Malabar semble bien attestée par un marchand syrien (ou arménien, selon les sources), établi à Alexandrie au 6e siècle, dans un ouvrage de description du monde assez bien daté (547-549), qu’il rédige à partir de ses voyages en mer Rouge, dans les golfes d’Oman et Persique. Mais il semble, vu la formule utilisée dans son texte (“on dit que”) qu’il ne se soit pas rendu lui-même en « Inde », concept géographique très flou pour tout ce qui est à l’est de la Perse.

            Un autre point de repère provient des Églises d’Orient qui mentionnent assez régulièrement l’envoi de missionnaires en « Inde » à partir du milieu du 5e siècle mais avec 2 obédiences antagonistes : l’une est orthodoxe dépendant du patriarcat d’Antioche, tandis que l’autre est nestorienne dépendant du patriarcat de Séleucie-Ctésiphon (= Babylone) capitale de la Perse sassanide (cf. les inscriptions en pehlevi des dalles de l’église de Kottayam). C’est cette dernière qui assure le plus la continuité du christianisme au Malabar. Mais on sait peu de chose de cette histoire avant l’arrivée des Portugais en 1498.

             Ils y découvrent une Eglise qui n’a jamais formellement rompue avec Rome mais qui, isolée, pratique le rite syrien de confession nestorienne (donc une Eglise ante chalcédonienne et autocéphale), ce qui la classe à leurs yeux comme hérétique. Dès qu’ils parviennent à prendre la région sous leur contrôle, les Portugais passent à l’offensive contre ce christianisme : interdiction de dire la messe en syriaque, emprisonnement des prêtres et des évêques de rite syrien, autodafé des livres religieux jugés hérétiques et destructions des « croix saint Thomas » dont seuls quelques exemplaires nous sont parvenus. La répression s’accentue encore après 1560 avec l’instauration de l’Inquisition. Une partie des chrétiens suivent les Portugais et créent l’Eglise catholique syro-malabare de rite latinisé. St François-Xavier, cofondateur de l’ordre des Jésuites, qui séjourne pendant 5 ans sur la cote du Malabar (1544-1549) adopte une autre méthode et parvient à convertir les pêcheurs et des membres des basses castes, ce qui donne naissance à une Eglise catholique de rite romain. La fraction des chrétiens “syriens” qui ont refusé l’autorité portugaise se sont repliés dans l’intérieur du territoire et fondent en 1653 une branche distincte de la vieille église nestorienne, l’Eglise jacobite affiliée à Antioche mais sans cesse affectée par des schismes autour de la question de la mise en place d’une hiérarchie autochtone et non copte.

            Enfin les arrivées des Hollandais au 17e siècle puis des Britanniques au 18e siècle assurent l’implantation de courants protestants, de plus en plus diversifiés au 20e siècle et principalement alimentés par les basses castes.

Schéma simplifié des obédiences chrétiennes en Inde du sud.

Schéma simplifié des obédiences chrétiennes en Inde du sud.

Mais nous sommes en Inde. Au sein même de ces Eglises la question de la caste reste un élément déterminant. L’ensemble des chrétiens est rarement perçu comme un groupe en lui-même. Plus que les divergences doctrinales, ce qui les distingue est leur origine de caste qui s’exprime par la formation d’un groupe social endogame. Selon cet axe d’approche, on peut distinguer 5 grands groupes, fortement hiérarchisés selon leur degré de pureté dans la vision hindouiste traditionnelle. Les religieux originaires d’Europe ont toujours eu à affronter de graves cas de conscience car, pour une même confession, ils ont dû consentir à organiser des lieux de cultes séparés, à définir des emplacements réservés à l’intérieur d’un même lieu de culte et à procéder à l’inhumation de leurs ouailles dans des cimetières distincts selon leurs filiations, leur endogamie, et leurs commensalités. « Un syrien ou un converti préfèrera marcher plusieurs kilomètres plutôt que de se rendre dans une église ne correspondant pas son statut » (P. Chaput, ethnologue.)

            Au sommet de la hiérarchie se trouvent les “syriens”. Ils revendiquent l’honneur d’une conversion de leurs ancêtres par l’apôtre Thomas. Issus de la haute caste des brahmanes, ils forment une communauté prospère et politiquement influente au sein de la société du Kerala actuel. En leur sein une trentaine de famille a alimenté le clergé local en se transmettant titres et charges et prébendes par héritage dans la lignée maternelle. Autre groupe bien placé dans la hiérarchie, les “knanayas” issus des migrants accompagnant le marchand Thomas de Cana et qui revendiquent rien moins qu’une appartenance à 7 tribus issues du roi David. Ce qui fonde une endogamie particulièrement stricte et qui leur assure une certaine autonomie au sein des Eglises dans lesquelles ils se répartissent, y disposant de leur propre hiérarchie ecclésiastique.

Les “catholiques latins” sont les descendants des convertis par saint François-Xavier. Appartenant pour l’essentiel à des basses castes, ils sont classés aujourd’hui parmi les « Classes Arriérées » dans la nomenclature gouvernementale officielle ce qui leur vaut des avantages sociaux non négligeables. Mais au sein de cette catégorie, grâce à une certaine éducation assurée par l’Eglise, ils jouissent d’un revenu moyen supérieur.

            Tout en bas de l’échelle on trouve 2 groupes. Les “poranki”  sont les descendants de mariages mixtes entre britanniques et indiens. Ils vivent exclusivement dans les villes et ont adopté un mode de vie occidental, formant un groupe fortement endogame et numériquement négligeable mais très marginalisé. Enfin viennent les “convertis”. Amenés au christianisme par les missions protestantes au 19e et au 20e siècle, leur motivation essentielle était d’échapper aux contraintes que faisait peser sur eux leur statut d’intouchable : ce sont majoritairement des ouvriers agricoles. Même si les hautes castes ont fréquenté les missions, c’est pour s’assurer une éducation anglaise dans leurs écoles et non pour se convertir dans leurs temples.

            Les chrétiens sont tous frères en Jésus mais pour plagier Orwell « certains le sont plus que d’autres »…

III – « ARTHUR, OÙ T'AS MIS LE CORPS ? »

Je vois d’ici votre mine s’allonger. Que vient faire ici Boris Vian dont le texte, propulsé en tube par Serge Reggiani, a fait les délices de ma génération au début des années 60 ? Vous l’allez découvrir bientôt.

 Revenons à Thomas et à Madras.

            Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la « biographie » du saint en « Inde » à partir du document le plus ancien qui nous soit parvenu sur ce sujet, les Actes de Thomas (Acta Thomae). Les premiers fragments connus semblent dater du 5e siècle, mais dès le 6e siècle le texte est considéré comme apocryphe et hérétique. Voici en résumé le récit. « Après la mort de Jésus, les apôtres se partagent les pays à évangéliser. L'Inde échoit à Judas Thomas, qui se montre peu disposé au voyage. Mais Jésus apparaît et le vend (!) a un marchand nomme Habban, qui avait reçu du roi de l'Inde Gundaphar la mission de ramener un artiste pour construire et décorer un palais. Ils partent donc ensemble et débarquent à Sandarük, dont le roi célèbre justement les noces de sa fille ; ils assistent aux fêtes, où figure une joueuse de flûté juive. De là ils gagnent la capitale de Gundaphar. Le roi remet de l'argent à Thomas, qui lui bâtit aussitôt un palais dans le ciel en distribuant cet argent aux pauvres. Gundaphar et son frère Gad se convertissent. Thomas reçoit la visite de Sifûr, général du roi Mazdaï et part avec lui en charrette à bœufs ; en chemin, des ânes sauvages viennent d'eux-mêmes s'atteler au chariot des voyageurs. Arrivé à la capitale de Mazdaï, Thomas convertit plusieurs personnes : Mygdonia, avec son mari Koresh et sa nourrice Narkia ; Tertia, femme du roi Mazdaï ; Vizân, son fils, et Manashar, femme de Vïzân. Condamné à mort par le roi, il subit sa peine et son corps est inhumé dans le sépulcre des anciens rois du pays » (Louis Finot in BEFEO 4/1904).

            Mais selon une tradition, remontant au plus tôt à la fin du 4e siècle, ses restes sont rassemblés par un marchand (encore un !) et ramenés « vers l’ouest » où ils sont inhumés, en Mésopotamie selon les sources grecques ou à Édesse, selon les sources latines.

Retour à Boris Vian : mais où est donc le corps ?

Basilique Saint Thomas à Chennaï

Basilique Saint Thomas à Chennaï

Pour les communautés chrétiennes de l’Inde du sud il n’y a aucun doute : il est dans le tombeau sous la crypte de la basilique de Chennaï. La visite papale a attesté aux yeux du monde l’origine apostolique de ce christianisme le plus oriental des premiers temps. Mais rien n’est moins sûr. Edesse prétend en détenir les restes et c’est dans cette ville que s’organise effectivement un pèlerinage à partir du moment où le culte des reliques devient un temps légitime de la pratique religieuse, les chrétiens orientaux de Syrie considérant Judas Thomas comme l’apôtre fondateur de leur Église. L’Irak est partie prenante dans la revendication des reliques de l’apôtre qui seraient aujourd'hui conservées dans une église de Mossoul (l’ancienne Ninive en Mésopotamie) ce qui s’ajuste avec l’hypothèse mésopotamienne des sources grecques.

            Mais l’Eglise latine n’est pas en reste pour revendiquer la possession du corps de Thomas. Il se serait trouvé sur l'île grecque de Chios qui l’aurait reçu d’Edesse au moment de la conquête turque du Levant au 11e siècle. Pour en assurer une meilleure protection, ces reliques sont volées avec une pierre tombale de facture mésopotamienne en 1258 et amenées en Italie, à Ortona (vol qui fait écho à celui des reliques de Marc amenées à Venise depuis l’Egypte, au grand dam de l’Eglise copte). En 1984 l’ouverture du tombeau d’Ortona par les archéologues révèle bien la présence d’un squelette masculin. Mais sans précision sur la datation des ossements. Comme Ortona est une importante destination de pèlerinage mieux vaut faire comme Thomas : pratiquer le doute en conservant la foi…

            Mais si la borne orientale semble bien posée, qu’en est-il de la borne occidentale, Compostelle ? L’ouvrage récent de Philippe Martin, professeur à l’université de Lyon 2, éclaire d’un jour nouveau « Les Secrets de Saint-Jacques de Compostelle » (Vuibert ed. 2018). 

Un ouvrage construit comme un polar historique,

une lecture que je vous recommande fortement.

            Mentionné dans les Evangiles synoptiques, Jacques “le Majeur” est présenté comme un pêcheur sur le lac de Tibériade qui abandonne son bateau pour suivre Jésus dont il devient un proche bien aimé. Prêchant en Palestine, il est censé partir vers l’ouest pour évangéliser  l'Espagne. Contraint de revenir à Jérusalem pour y combattre des persécutions, il y est arrêté et décapité sur ordre d’Hérode (donc avant 39). Ses disciples, ne pouvant se résoudre à abandonner son corps, l'emportent en bateau jusqu’en Galice, extrémité occidentale du monde connu des Anciens, où il est enterré. Ce lieu va devenir Compostelle, le « champ des étoiles » dont une pluie aurait révélé aux hommes le lieu de la tombe. Ce récit de la tradition qui se fixe vers le 7e siècle n’a aucun fondement historique : en dehors des mentions du Nouveau Testament il n’y a aucune preuve de l'historicité de Jacques et même si on l’admet, il est certain qu’il n’a jamais mis les pieds en Espagne. Allez donc dire cela à un Espagnol croyant pour qui “Santiago” est le patron du pays… P. Martin précise que « Dans une lettre datée de 416, le pape Innocent retrace les débuts de l'évangélisation de l'Europe occidentale : « Personne n'a institué des églises, si ce n'est ceux que le vénérable apôtre Pierre ou ses successeurs ont constitués évêques ». A l'exception de saint Pierre, nulle trace d'un autre apôtre fondateur, donc pas d’autres Eglises apostoliques. On peut cependant suspecter le pape de vouloir, par cette déclaration, imposer la primauté de Rome dans une chrétienté dont l’épicentre est le bassin oriental de la Méditerranée.

Retour à Boris Vian : mais où est donc le corps ? (bis)

Basilique de saint Jacques à Compostelle

Basilique de saint Jacques à Compostelle

Il semble que cette histoire d’un voyage de Jacques apparaît pour la première fois dans un texte d’un religieux anglo-saxon Aldhelm (640-710) qui évoque une mission de l’apôtre en « Hibérie ». Ce moment n’est pas fortuit : il est celui de la conquête de l’Espagne wisigothique par les musulmans. Se mettant en quête de la tombe, un moine guidé par une étoile le découvre en 820 et le roi des Asturies décide d’y construire un mausolée dénommé alors Compostelle. Mais la France prétend détenir les reliques de l’apôtre grâce à Charlemagne qui les aurait déposés à Toulouse. La concurrence s’exacerbe au 11e siècle lorsque les moines de Saint-Jacques de Liège demandent leur part d'ossements. En cette époque où mûrit l’idée de croisade face à la mainmise des Turcs sur le Levant, tout ce qui peut renforcer la foi dans les royaumes d’Occident est bon à prendre. Mais là, panique ! Quand on ouvre les reliquaires, ils sont vides. Dès lors à Compostelle les religieux interdisent la vision des reliques même aux visiteurs illustres, y compris au roi d’Espagne Philippe II en 1572. Son successeur revient à la charge en 1601 pour prier sur les reliques dans un moment difficile de la guerre contre l’Angleterre et la révolte des Pays-Bas. Re panique ! Le tombeau est vide. L’explication est simple : pour les protéger on les a caché mais on ne sait plus où… Ce qui n’enlève rien au pouvoir d’attraction du pèlerinage à Compostelle. Et comme avec les saints on n’est jamais à court de miracle, en 1879 de nouvelles fouilles retrouvent les reliques, immédiatement authentifiées par le pape Léon XIII. Mais dans quel état a-t-on dû les trouver : rien qu’en France, on conserve une trentaine de fragments de tête de Jacques (ou carrément de tête !!!) ; et même à Saint Algis dans l’Aisne, on trouve un poil de barbe du saint (pourquoi pas : au musée Topkapi à Istanbul, on conserve des poils de barbe du Prophète et le Rocher d’or en Birmanie tient en équilibre grâce à un cheveu de Bouddha…)

            Comme pour Thomas à Madras, l’absolue validation de Jacques à Compostelle vient de Jean-Paul II qui y effectue un pèlerinage en 1982.

            Relancé par Franco (un galicien !) pour sortir l’Espagne de son isolement, le pèlerinage vers Compostelle s’inscrit en France sur des itinéraires très largement bidonnés mais validés par l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 1998 grâce au démarchage de Jospin.    Mais que cela ne vous empêche pas de marcher.

            Moi, je ne marche pas. Avec, en un sens, une éventuelle excuse auprès des dévots qu’il convient de ne pas choquer : l’âge de mes rotules …

Jean BARROT

 

 

 




 







           

GAÏA, ZEUS and C° - CHAPITRE 4

Connaissance & Partage

CHAPITRE n°4

( Ces textes paraitrons désormais tous les vendredis)

Gaïa avait réussi à décider sa fille Rhéa d’aller accoucher de son sixième enfant en cachette afin d’éviter que celui-ci ne soit avalé par son père Cronos. Le Titan sans cœur avait déjà fait disparaître dans son estomac trois filles : Hestia, Déméter et Héra et deux garçons : Hadès et Poséidon.

Un soir, alors qu’il était déjà pas mal imbibé de nectar, boisson divine à laquelle il ne pouvait résister, Cronos reçut sa mère.

« Mon fils, je te conseille de ne pas abuser de la « Boisson des Dieux ». Cela risque de perturber ton jugement, fit Gaïa en entrant dans la salle des divinités. »

« J’espère que tu ne viens pas pour me répéter, une fois de plus, tes conseils de modération, répondit amèrement son fils. »

« Non Cronos, tu es assez grand pour savoir comment te comporter. »

« Alors, que me veux-tu ? »

« Je t’annonce que je vais partir dans les montagnes pour changer un peu d’air. Tu sais que j’agis ainsi de temps en temps mais, cette fois-ci, il y aura une petite différence. » « Ah bon ! et laquelle, demanda le Titan ? »

« Cette fois-ci, je ne partirai pas seule car j’emmènerai ton épouse avec moi. En effet, je trouve Rhéa un peu pâlotte en ce moment. Je pense que l’air frais des montagnes devrait lui redonner des couleurs. »

« Mais elle est enceinte ! ! Pourquoi n’attends-tu pas qu’elle ait accouché ? »

« Ne crains rien, mon chéri ! Nous ne partirons que deux ou trois jours et, pour nous accompagner, nous emmènerons une dizaine de servantes et cinquante curètes, nos soldats d’élites. A notre retour, nous te rapporterons le meilleur de tous les nectars : Celui des montagnes ! »

« Dans ce cas, répondit Cronos, je ne vois aucun inconvénient à votre départ et je vous souhaite même un bon voyage ! »

Trois jours après cet entretien, Gaïa et Rhéa partirent accompagnées de toute une troupe d’aides ainsi que d’Amalthée, une chèvre divine et de quelques ruches garnies d’abeilles qui donnent le meilleur de tous les miels.

Arrivés en Crète, servantes et nourrices investirent les lieux et préparèrent le couchage et le repas pour tout ce beau monde.

L’entrée de la grotte secrète

L’entrée de la grotte secrète

Quant aux Curètes, ilsinstallèrent leur campement à l’entrée de la caverne avec, pour mission, de faire semblant de se batailler afin que le choc de leurs épées couvre les pleurs éventuels du bébé (on a beau être un futur maître de l’Univers, on a ses faiblesses comme tout le monde….

Gaïa et Rhéa accrochèrent le berceau du futur bébé à des cordes suspendues au plafond de la grotte afin qu’il ne soit ni sur Terre, ni au ciel et donc plus difficile à trouver pour Cronos. Lorsque Rhéa accoucha, le bébé fut appelé Zeus. Au bout de deux jours, Gaïa et sa fille confièrent l’enfant aux nourrices et rejoignirent le palais divin. En chemin, elles trouvèrent une pierre de la taille d’un jeune nourrisson, l’enveloppèrent dans un lange et, en fin de journée, se présentèrent à Cronos. Comme celui-ci était complètement ivre, il avala la pierre sans se douter de rien !

Jamais il ne se douta d’avoir été berné. Le lendemain seulement, il fit cette remarque à son cuisinier :

« J’ai le ventre un peu lourd ! J’ai dû manger trop de cassoulet hier soir. »

Comme tous les dieux, Zeus grandit très vite, si bien qu’à six mois il se déplaçait dans la grotte avec aisance et courait comme vous et moi (moi, pas trop, car avec l’âge, les courbatures sonnent à la porte…). Par contre, il était très colérique et dès qu’il se mettait à crier, les curètes ferraillaient à l’entrée de la grotte. Il fallait bien cinq ou six nymphes à son service pour venir à bout de ses exigences car il se montrait très capricieux et autoritaire.

En plus des servantes qui étaient à ses petits soins, il fut éduqué par deux femmes du nom de Cynosura et d’Héliké. La première était une géante qui se heurtait souvent au plafond de la grotte alors que l’autre était petite et fine comme une liane. Elles eurent un rôle très important dans l’éducation de Zeus si bien que, devenu le « Maître de l’univers », il les plaça au ciel sous forme d’étoiles et elles devinrent deux constellations dont nous parlerons plus tard.

En plus de sa nourriture habituelle, le futur « Maître de l’Univers » se régalait du lait d’Amalthée, une chèvre divine qu’il n’oublia pas, elle non plus, lorsqu’il voulut emplir le ciel des héros et héroïnes qu’il adorait. Quant aux ruches que Gaïa avait amenées, elles fournissaient un miel dont le futur « Maître de l’Univers » se régalait.

Zeus grandit donc très vite et sut très tôt, grâce à Gaïa et Rhéa qui lui rendaient visite régulièrement, le sort que son père avait fait subir à ses frères et sœurs.

Vous ne serez pas étonnés si je vous dis qu’à huit ans, il était devenu un fier et courageux adolescent qui ne rêvait que d’une chose : délivrer ses frères et sœurs des entrailles de Cronos.

Un jour qu’elle lui rendait visite dans la grotte, Rhéa lui fit un aveu :

« J’ai réussi à convaincre ton père de te prendre à son service comme échanson. Bien entendu, il ne se doute pas que tu es son fils mais un adolescent intrépide capable de le servir à merveille. »

« C’est quoi un échanson ? Que devrai-je faire ? »

« L’échanson est celui qui sert à la table des dieux et, surtout, celui qui leur propose le nectar et l’ambroisie, leur boisson et nourriture réservées. Voici une fiole qui contient un puissant vomitif. Lorsqu’il se sera habitué à toi et qu’il ne se méfiera plus, verse le contenu de cette fiole dans son verre de nectar. »

« J’adhère à ta ruse, fit Zeus. Tu souhaites qu’il vomisse et me restitue mes frères et sœurs. »

« Tu as tout compris. Pendant que Cronos se roulera au sol de douleur, évade-toi et entraîne tes frères et sœurs. »

« Mais où va-t-on aller, questionna Zeus ? »

« Je vais faire allumer un incendie de broussailles au sommet du Mont Olympe et sur le chemin en lacets qui y mène. Suivez ces lumières et ne craignez rien car en chemin des Curètes vous guideront et vous protègeront. »

« Tu as pensé à tout, fit Zeus en se jetant au cou de sa mère. Je n’oublierai jamais ton aide. »

Alors, tout se passa comme prévu. Zeus devint l’échanson de son père et, après quelques jours d’honnêtes services, il lui fit absorber le vomitif. Quelques heures après, Cronos se tordit de douleur et vomit d’abord la pierre que lui avait donnée Rhéa par ruse (1) puis, les uns après les autres, les enfants sortirent de l’estomac de Cronos et furent regroupés par Zeus qui les entraîna vers l’extérieur du palais.

Et c’est ainsi que Zeus et ses frères et sœurs retrouvèrent leur liberté !

(1) Selon la légende, cette pierre fut récupérée et installée à Delphes et considérée comme le Centre du Monde. Devenu « Maître de l’Univers » Zeus exigea que cette pierre soit en permanence ointe d’huile et parée d’offrandes de laine non tissée… (Les dieux ont parfois de ces exigences…On voit bien que ce ne sont pas eux qui bossent).

Bonne lecture

Bob

L’ERUPTION D’EL CHICHÒN DE 1982 : DES ENSEIGNEMENTS DECISIFS POUR LE CLIMAT

Connaissance & Partage

L’ERUPTION D’EL CHICHÒN DE 1982 :

DES ENSEIGNEMENTS DECISIFS POUR LE CLIMAT

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I – EL CHICHON : CARTE D’IDENTITE.

Au printemps 1982, dans la province du Chiapas au Mexique, un volcan méconnu enfoui sous une couverture végétale tropicale dense, pas plus haut que les pics non volcaniques environants, entre en éruption. La violence de celle-ci est comparable à celle survenue 2 ans plus tôt aux Etats Unis au mont St. Helens. La surprise est considérable car El Chichón (“la courge”) n’a été identifié comme volcan qu’en 1928 à partir de fumerolles trouant la végétation : la région est isolée très accidentée et peu peuplée, à l’écart des principales voies de communications. Région de peuplement maya, ici constitué par le groupe des Zoques, elle est abandonnée à son sort par le gouvernement central du Mexique.

             Au plan géologique El Chichón était un petit cône de tuf trachyandésitique à dôme de lave, formé dans un cratère sommital de 1,6 km sur 2 km, créé il y a environ 220.000 ans. 2 autres dômes un peu plus anciens et non totalement enfouis émergeaient de ses flancs sud-ouest et sud-est. Ce volcan est dans une position totalement atypique, à plus de 300 km au S-E de l’axe central volcanique du Mexique et à 170 km à l’est de la fosse pacifique qui borde le continent, zone littorale où se concentrent les volcans de la « ceinture de feu », du Guatemala jusqu’au Costa Rica. Les études menées depuis ont révélé des traces d’éruptions plus anciennes : 11 au cours des 8 derniers millénaires, dont 7 au cours de notre ère (je vais revenir plus particulièrement sur l’éruption de 540 ap. JC), mais une seule au tout début de la conquête espagnole, largement ignorée, car survenant dans ces terres « vides ». Toutes ces éruptions ont été du même type : brutalement explosives, engendrant de puissantes coulées pyroclastiques et aspergeant une vaste région de cendres et de ponces (sur plus de 50.000 km2 pour l’éruption de 1982).

Dispersion des cendres et épaisseur de dépôt (en cm) de l’éruption de 1982

Dispersion des cendres et épaisseur de dépôt (en cm) de l’éruption de 1982

L’éruption du printemps 1982 constitue donc une surprise, et elle est une des plus violentes qu'ait connue le Mexique depuis un demi-millénaire.  Les coulées pyroclastiques et les pluies de blocs et de cendres ont fait au moins 3.500 victimes. Toute la région a été détruite dans un rayon d’une dizaine de km anéantissant totalement neuf villages, jusqu’à 15 km du volcan pour Francisco Léon. L’éruption a créé un nouveau cratère d'un kilomètre de rayon, profond de 300 mètres, rapidement occupé par un lac acide dont la température varie de 30 à 80 °C, tandis que les flancs étaient disséqués par de puissants lahars, au rythme des précipitations très intenses sur la région (plus de 4m par an !).  

Une vue aérienne du cratère, 1 an environ après l’explosion.

Une vue aérienne du cratère, 1 an environ après l’explosion.

II – LE VOLCAN 10 ANS APRES.

J’ai pu parcourir ce volcan avec des collègues géographes en 1993. Pour atteindre le cratère, dont les crêtes culminent vers 1050m d’altitude, nous avons dû parcourir un véritable dédale de ravins profonds d’une dizaine de mètres entaillés dans les flancs externes du volcans par des écoulements torrentiels qui ont remanié les dépôts volcaniques, en construisant toute une série de terrasses alluviales constamment réajustées lors de la saison des pluies (il peut tomber jusqu’à 700 mm d’eau pendant le mois le plus arrosé). La montée s’est effectuée ensuite sur les lanières d’interfluves recouvertes par les cendres durcies et cimentées par une croûte peu épaisse et déjà bien recolonisées par une végétation basse herbacée de type savane.

Sur ce cliché, à droite, on observe le dépôt volcanique emballant en vrac blocs, lapillis et cendres. L’eau a entaillé celui-ci et a dégagé les blocs et galets accumulés en pavage dans le fond du ravin tandis que les cendres et les ponces se sont ac…

Sur ce cliché, à droite, on observe le dépôt volcanique emballant en vrac blocs, lapillis et cendres. L’eau a entaillé celui-ci et a dégagé les blocs et galets accumulés en pavage dans le fond du ravin tandis que les cendres et les ponces se sont accumulées en terrasses (gauche du cliché

Sur ce cliché, où notre file indienne donne l’échelle du ravin, on trouve les 3 éléments caractéristiques de la topographie des flancs externes du volcan : le ravin entaillé dans le matériel remanié en terrasse ; la bosse d’une coulée pyroclastique …

Sur ce cliché, où notre file indienne donne l’échelle du ravin, on trouve les 3 éléments caractéristiques de la topographie des flancs externes du volcan : le ravin entaillé dans le matériel remanié en terrasse ; la bosse d’une coulée pyroclastique issue de l’éruption (à droite. ; les interfluves matelassés par les cendres et entaillés de ravins (à gauche). Tout à l’arrière-plan, un des 2 cratères annexes anciens et son dôme dans le nuage.

La reconquête végétale

La reconquête végétale

La reconquête végétale

La reconquête végétale

Au-delà de la base du volcan, les hautes collines encadrantes ont conservé leur couvert végétal forestier.

Au-delà de la base du volcan, les hautes collines encadrantes ont conservé leur couvert végétal forestier.

A l’approche du cratère, la zone intermédiaire entre les crête démantelées de l’ancienne caldeira et les rebords du cratère actuel constitue un lieu de concentration des eaux de pluie. Le ruissellement révèle les festons des écoulements des laves ho…

A l’approche du cratère, la zone intermédiaire entre les crête démantelées de l’ancienne caldeira et les rebords du cratère actuel constitue un lieu de concentration des eaux de pluie. Le ruissellement révèle les festons des écoulements des laves hors du cratère.

Le cratère en 1993 : l’érosion a adouci la pente interne et les produits fins se sont accumulés dans le lac au centre du cratère. Les gros blocs dégagés au sein des pyroclastites par l’érosion se sont éboulés sur le bas des versants dont certains so…

Le cratère en 1993 : l’érosion a adouci la pente interne et les produits fins se sont accumulés dans le lac au centre du cratère. Les gros blocs dégagés au sein des pyroclastites par l’érosion se sont éboulés sur le bas des versants dont certains sont recolonisés par la végétation.

Le lac central doit sa couleur verdâtre à son acidité chlorée, la base du versant étant jalonnée par des fumerolles à l’odeur très caractéristique d’hydrogène sulfuré (“œuf pourri”). Les ressauts sur le versant révèlent l’alternance de couches de la…

Le lac central doit sa couleur verdâtre à son acidité chlorée, la base du versant étant jalonnée par des fumerolles à l’odeur très caractéristique d’hydrogène sulfuré (“œuf pourri”). Les ressauts sur le versant révèlent l’alternance de couches de laves formant corniche et de couches de cendres, structure typique d’un stratovolcan dont la base s’inscrit ici dans un quadrilatère d’environ 6 km sur 9 km.

III – UNE LOCALISATION ATYPIQUE

La position d’El Chichón dans l’espace régional reste encore en partie problématique. Elle semble très liée à l’existence du point triple qui articule la plaque Cocos, poussée vers le N-E par la plaque Pacifique, avec la plaque Nord Américaine qui progresse vers le S-W tandis que la plaque Caraïbe est éjectée vers l’E, où elle vient butter contre la plaque Sud Américaine (voir le schéma dans mon texte présentant le volcan de Montserrat). La plaque Cocos est affectée par un accident cassant très important, la ride de Tehuantepec qui affecte en profondeur l’angle sud de la plaque Nord Américaine où s’individualise le petit bloc Maya. Tabulaire sur toute la péninsule du Yucatan celui-ci se plisse en buttant contre le massif granitique du Chiapas. C’est dans cette zone de plissement et dans l’axe de la ride de Tehuantepec que s’est développé El Chichón.

Sur cette carte j’ai matérialisé le point triple par un cercle rouge, le volcan El Chichón par un triangle violet et le cratère d’impact de l’astéroïde de Chicxulub (bien visible sur le fond marin) qui voilà 66 millions d’années est considérée comme…

Sur cette carte j’ai matérialisé le point triple par un cercle rouge, le volcan El Chichón par un triangle violet et le cratère d’impact de l’astéroïde de Chicxulub (bien visible sur le fond marin) qui voilà 66 millions d’années est considérée comme responsable de l’extinction des dinosaures. En pointillé vert clair j’ai indiqué la position approximative des limites de cassure qui identifient le bloc Maya et ses parties tabulaire et plissée.

La plongée en subduction de la plaque Cocos sous le bloc Maya se fait selon un plan faiblement incliné. Gorgée d’eau la plaque plongeante entre en fusion et le magma qui en résulte, lors de sa progression vers la surface, voit la pression diminuer. Très riche en vapeur d’eau, il amorce un dégazage qui met en solution les parties les plus solubles des roches encaissantes. Or un forage de 4 km de profondeur près de la base Est du volcan a traversé le calcaire qui forme la table du Yucatan et a perforé en dessous, sur 770 m d’épaisseur une puissante couche d’évaporites salifère (NaCl) et de sulfates (SO4Na). Dans sa remontée, en traversant cette couche, le magma se charge en chlore et en soufre qui deviennent une signature gazeuse spécifique des éruptions d’El Chichón.

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Ce qui m’amène à examiner les conséquences climatiques de ses éruptions.

III – L’ERUPTION DE 1982 ET LE MODELE « D’HIVER NUCLEAIRE »

Lorsque l’éruption survient, le volume de matière éjecté est estimé à ½ km3 ce qui est modeste. Mais le panache éruptif monte verticalement jusqu’à 25-30km dispersant dans la stratosphère des poudres et des gaz qui vont faire le tour de la planète. A cette date, l’Organisation Météorologique Mondiale dispose alors de tout un réseau au sol de repérage laser des phénomènes atmosphériques et surtout des satellites météorologiques NOAA lancés par les Etats Unis à partir de 1970 (8 sont en service à la date de l’éruption) et TOMS lancé en 1978, conçu pour mesurer l’ozone stratosphérique. Quelques jours après l’éruption, les scientifiques de la NASA exploitant les données enregistrées par des satellites observent une énorme anomalie dans le panache du volcan due à la quantité de dioxyde de soufre rejeté par l’éruption. Pour la première fois, on peut suivre en détail le développement et la circulation du panache. Or peu de temps après, les météorologues enregistrent une baisse de la température sur la Terre de 0,5 °C avec une exagération des contrastes climatiques dans la zone tempérée. L’été 1982 est particulièrement chaud et sec, l’automne connaît de violentes tempêtes et pendant 2 à 3 ans les hivers sont particulièrement rigoureux. En janvier 1985 le thermomètre descend jusqu’à – 27°C dans la région de Rouen ! Une étude menée en France en 2004 repère un pic de mortalité par pneumonie (plus du triplement des cas usuels) pour l’hiver 1984-85, bien corrélé à la teneur en soufre de l’atmosphère.

            Ce refroidissement généralisé de la planète sous l’effet d’une éruption volcanique suscite des réflexions rétrospectives et prospectives.

            A- L’interprétation rétrospective la plus célèbre concerne la disparition des dinosaures. Sous l’impact du choc d’un astéroïde sur le Yucatan il y a 66 millions d’années, les éjectas à très haute température engendrent des incendies qui ajoutent leurs fumées et leur gaz à une masse énorme de poussière et de gaz (dioxyde de soufre et de carbone) qui est projetée jusque dans la stratosphère. Il se forme alors un voile qui réfléchit le rayonnement solaire vers l’espace engendrant un refroidissement considérable de l’ensemble de la planète, provoquant une destruction massive des écosystèmes. Cet épisode bien documenté (bien plus complexe dans le détail que mon résumé) marque la fin du Crétacé et l’entrée dans l’ère Tertiaire par ce phénomène d’extinction de masse. La critique la plus fréquente est que l’épisode est trop bref dans le temps et on privilégie alors les émissions volcaniques qui donnent naissance aux « trapps du Dekkan » de l’Inde, et qui s’étendent sur plus d’un million d’années. Pour moi, ces 2 épisodes ne sont pas incompatibles et peuvent s’associer en un système cause-conséquence : la puissance de l’impact de l’astéroïde se répercute dans toute la masse du globe, générant un flux de chaleur considérable, activant une éjection de magma au contact du noyau externe et du manteau profond selon le modèle du point chaud à l’opposé de l’impact (l’Inde à cette époque est dans l’hémisphère sud – occupant une position estimée à l’emplacement de La Réunion aujourd’hui – et n’est pas encore entrée en collision avec le craton eurasiatique).

            B- Mais c’est l’interprétation prospective qui donne son nom à l’hypothèse de « l’hiver nucléaire ». Les stocks de charges nucléaires sont à peu près à l’équilibre entre les Etats Unis et l’URSS en 1980 (environ 25.000 ogives chacun avec un avantage aux Etats Unis dans le domaine des ogives stratégiques : 10.000 contre 8.000). Mais l’implantation de missiles soviétiques de moyenne portée en Europe de l’Est, permet à R. Reagan de réengager les Etats Unis dans une course aux armements. Alors qu’il y a déjà largement de quoi détruire la vie sur la planète, des chercheurs tentent de modéliser les effets d’un conflit nucléaire total. On retrouve les mêmes ingrédients : incendies généralisés générant des volumes de fumées considérables, éjection de poussières par les bombardements, création d’un voile qui limite le rayonnement solaire et après une phase de refroidissement intense montée des températures par effet de serre des gaz libérés dans l’atmosphère alors que les poussières sont retombées. 

IV – EL CHICHON ET LE « HIATUS MAYA »

            Traditionnellement ce terme de « hiatus maya » marque pour les historiens et les archéologues une coupure dans la civilisation maya qui les amène à distinguer un “classique ancien” qui va du 3e au 6e siècle et un “classique récent” qui va du 7e au 9e siècle. Cette vision encore dominante au milieu du 20e siècle est désormais fortement remise en question.

            Je vais tenter de faire le point en tenant compte désormais de ce que l’on sait de l’activité d’El Chichon.

            Cette idée de coupure s’appuie essentiellement sur l’observation d’un coup d’arrêt à la puissance de Tikal qui dominait les basses terres du sud du Yucatan, relayée par la montée en puissance de Calakmul au cœur du Peten. Une clé est probablement fournie par les découvertes récentes réalisées à Teotihuacan, la formidable cité du plateau central mexicain (voir mon texte présentant ce site). On a tout un faisceau d’indices qui attestent des liens étroits  entre Tikal et Teotihuacan et qui sont à l’origine de la montée en puissance de la cité de Tikal à partir du 3e siècle comme centre d’une confédération de cités aux liens très lâches, un peu sur le modèle grec classique. Mais vers le milieu du 6e siècle, une violente crise affecte les 2 cités : Tikal est conquise par sa rivale du centre Calakmul (fourchette retenue : 557-562) alors que Teotihuacan est ravagée dans ses centres de pouvoir dans la même période (une chronologie très précise est encore à établir). Le lien puissant qui les unissait se brise alors, favorisant le renforcement de la confédération nouée autour de Calakmul. Ce n’est qu’à la fin du 7e siècle que Tikal retrouve sa puissance, conquérant sa rivale Calakmul.

            Mais le monde maya des basses terres du sud ne retrouve pas son unité : la “balkanisation” politique conduit à des conflits incessant entre cités secondaires qui s’affirment un temps avant de s’affaisser. Il en est de même dans les basses terres du nord, la fin de l’âge « classique maya » intervenant au cours du 9e siècle. Mais avec une énigme non résolue à nos jours : les ruines mayas ne sont pas des villes détruites mais des cités abandonnées…

            Revenons à Tikal. Sa conquête au milieu du 6e siècle traduit un affaiblissement antérieur.

Les recherches récentes sur l’activité d’El Chichon ouvrent une perspective intéressante. Toute une série d’études sur les cendres volcaniques dispersées sur le sud de la péninsule du Yucatan, sur les crêtes de plage des rives du golfe du Mexique, sur la chimie des dépôts lacustres et deltaïque de l’Usumacinta-Grijavala, montre que le volcan, à la signature chimique si particulière, a connu une puissante éruption en 540. Dans l’immédiat, de vastes zones ont été affectées par la chute de téphras en couches épaisses entrainant la dénudation des parties supérieures des bassins versants, provoquant une augmentation du ruissellement de surface et la génération de crues puissantes dans les parties aval (cf. photos 8 et 3). Sur un temps plus long (jusqu’à 10 ans pour certains vulcanologues), le refroidissement du climat et l’amplification des contrastes dans la pluviométrie, ont généré des difficultés agricoles certaines qui ont pu exacerber les inégalités sociales, déjà très fortes, entrainer une baisse démographique (bien attestée) et alimenter des révoltes, affaiblissant durablement les cités de l’intérieur.

Sans faire d'El Chichón le facteur unique de la crise, il est probable qu’il en a été le catalyseur, révélant et rendant insupportable pour la masse de la population les modalité du fonctionnement politique et social des cités aux mains de dynasties théocratiques.

            Notre expérience « COVID 19 » peut nous aider à mieux comprendre cela…

Pour les hispanophones qui voudraient en savoir plus sur ce volcan et son environnement humain, on peut télécharger au format PDF « La región del volcán Chichón, Chiapas » http://www.publicaciones.igg.unam.mx/index.php/ig/catalog/view/63/63/190-1


Jean BARROT

 




GAÏA-ZEUS and C°- CHAPITRE 3

Connaissance & Partage

CHAPITRE 3

Après avoir châtié son père Ouranos, et avec la bénédiction et la protection de sa mère Gaïa, Cronos devint le Maître du Monde. Il s’installa dans le Palais Divin avec ses onze frères et sœurs les Titans et Titanides qui avaient pour nom : Rhéa, Océan, Téthys, Japet, Hypérion, Caéos, Crios, Phoebé, Thémis, Mnémosyné et Théia. Certains mythographes estiment qu’Hélios « le Soleil », Prométhée et Epiméthée pouvaient également être considérés comme des Titans.

Bien entendu, Cronos devint leur chef et, voulant, lui aussi, fonder une famille, il épousa sa sœur Rhéa… Faut dire qu’il n’avait pas beaucoup le choix ! Au bout de quelques semaines d’union, Rhéa fut enceinte (1) et, quelques semaines après, mit au monde une petite fille qui fut appelée Hestia. Adorable bébé, elle fut choyée comme jamais par sa mère et par son père et surtout sa grand-mère Gaïa.

Un soir que Cronos berçait Hestia câlinée dans ses bras, il pensa aux idées de son grand-père Ouranos et de son père Cronos selon lesquelles les enfants détrôneraient immanquablement leur père. Il chassa bien vite cette idée de sa tête mais fut fâché d’apprendre que trois mois plus tard Rhéa attendait encore un nouveau bébé. Son inquiétude grandit tant qu’il se résolut à demander conseil à sa mère Gaïa.

« J’ai toujours en tête l’avertissement de l’oracle qui prétend que, chez les dieux, les enfants détrônent toujours leurs parents. J’ai bien pris la place de mon père, pourquoi mes descendants ne me feraient-ils pas subir le même sort ? Toi ! Maman, qu’en penses-tu ? »

« Tu te fais des idées mon fils. Hestia est une enfant adorable et les autres qui suivront, le seront tout autant. Etant aimés, ils ne te feront courir aucun danger. De toute façon, que peux-tu faire ? Tu ne vas tout de même pas les enfermer dans le monde souterrain pour que recommencent mes crampes d’estomac ? »

« Non, bien entendu, répondit Cronos en mettant la main sur son cœur ! Cependant, j’ai pensé à une autre solution. Je pourrais les avaler ! Ils grandiraient ainsi dans mon estomac et ne sortiraient que lorsque je le désirerais. »

« Mais tu es fou ! Comment pourrais-tu faire une chose pareille ? Et d’abord, comment pourrais-tu les avaler ? Je sais bien que tu as une grande gueule… c’est d’ailleurs la raison pour laquelle tu es le chef… mais tout de même ! »

« Ne te moque pas de moi, maman ! Je me suis entraîné avec un agneau et cela n’a posé aucun problème, fit Cronos. En ouvrant bien la bouche, j’ai réussi à l’avaler sans que mes dents ne le blessent. Puis ensuite, je l’ai aisément régurgité et il est parti courir dans les près comme si de rien n’était. Mes enfants à venir n’auront rien à craindre. J’en suis sûr ! »

« Je suis estomaquée mon fils ! Le pouvoir t’a rendu aussi égoïste que ton père ! As-tu pensé à Rhéa qui va pleurer ses enfants, elle qui les aime tant ! »

« Dans mon plan, elle garderait auprès d’elle le dernier né et j’avalerais l’aîné. De cette façon, elle en aura toujours un à élever ».

Gaïa était habituée à la ténacité de Cronos, le fils tout craché de son père. Elle comprit très vite qu’il ne servirait à rien de discuter avec lui. Alors, elle réfléchit à la solution qui permettrait à Rhéa de garder ses enfants. Déjà, elle prépara un plan.

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Cronos fit donc selon sa volonté (2). Après la naissance de sa deuxième fille Déméter, il avala l’aînée, Hestia puis avala Déméter après la naissance de Héra, sa troisième fille. Suivirent ensuite deux garçons : Hadès et Poséidon. Bien entendu, Rhéa était malheureuse de n’élever qu’un nourrisson à la fois, elle qui aurait tant aimé avoir une famille nombreuse….

Lorsqu’elle fut enceinte de son sixième enfant, elle se décida à réagir et demanda conseil à sa mère Gaïa.

« Je ressens ta douleur, ma fille, lui dit celle-ci et j’ai connu la même avec ton père Ouranos. J’ai longtemps réfléchi à tes problèmes et je crois avoir trouvé une solution. »

« Quel bonheur ! s’exclama Rhéa. Que me proposes-tu ? »

« Tu sais que, régulièrement, je quitte le palais pour plusieurs jours afin d’aller respirer le bon air de la montagne. Toi et ton mari, vous êtes habitués à mes absences. »

« Bien entendu, mais je ne vois pas où tu veux en venir, répondit Rhéa. »

Cronos dévorant un de ses enfants

« Cette fois-ci, lorsque je m’absenterai, je t’emmènerai avec moi. Attendons pour cela que tu sois à une ou deux semaines de ta délivrance. »

« D’accord, mais j’aimerais bien savoir ce que tu comptes faire après notre départ. »

« Je connais en Crête une grotte secrète qui s’appelle le grotte Psychro. Il s’agit d’une cachette inconnue même des autres dieux. Nous irons ensemble dans ce havre de paix et c’est là que tu accoucheras. Pour ce qui concerne ton mari, nous trouverons bien une astuce pour le rouler. J’ai déjà mon idée. Fais-moi confiance. Tout se passera bien ! »

(à suivre)

(1) Et oui, chez les dieux on est vraiment très prolifique !

(2) A ces dieux ! Que ne feraient-ils pas pour attirer l’attention… …

Entre celui qui avale ses enfants sans les mâcher et sans assaisonnement…, …

Celui qui serait monté au ciel sans qu’on ait encore inventé, ni l’avion, ni la fusée… …

Ou encore, celui qui nous observerait de là-haut et nous jugerait alors qu’à l’époque, on n’avait pas encore mis au point le télescope…

Il est légitime de se demander s’ils sont bien sérieux ou s’ils se moquent de nous ?

(à suivre )

Bob

GAÏA-ZEUS and C°- CHAPITRE 2

Connaissance & Partage

CHAPITRE 2

On a vu que Gaïa, la Terre, avait de gros ennuis avec son mari OURANOS qui utilisait impunément ses entrailles pour y emprisonner les Cyclopes et les Géants aux-Cent-Bras. Comme elle n’arrivait pas à le faire revenir sur sa décision, elle décida de le supprimer en faisant appel au plus efficace de ses fils, le Titan Cronos.

- « Mon cher fils j’ai besoin de toi, lui confia-t-elle ! Figure-toi que ton père est devenu fou. Il a emprisonné les Cyclopes et les Géants-aux-Cent Bras dans le Monde souterrain, c’est à dire au milieu de mes entrailles. Depuis ce jour, je souffre de terribles et insupportables crampes d’estomac. »

« Voilà une idée qu’elle est choquante, répondit Cronos ! C’est vrai que, depuis quelques jours, je ne les voyais plus ! Il faut dire que je ne cherchais pas leur compagnie car ce sont des rustres et des ivrognes qui passent leur temps à s’abreuver de nectar, la boisson des dieux. Mais dis-moi, Maman, pourquoi mon père a-t-il fait cela ? »

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« Ouranos est persuadé que les Cyclopes et les Géants ont envisagé de le détrôner afin de régner à sa place. Comme il est borné de chez borné, je n’arrive pas à lui faire entendre raison. Je ne le reconnais plus. Lui si gentil, si prévenant dans les premiers temps,se moque bien de ma santé maintenant. Il est devenu égoïste ! On a discuté plusieurs nuits sans interruption et il préférerait mourir plutôt que de céder. »

« Il doit bien y avoir une solution, fit Cronos ! » Gaïa et Cronos

« Aucune, s’écria Gaïa ! Tu penses bien que j’ai tout envisagé ! »

« Alors, pourquoi m’as-tu fait venir ? En quoi puis-je t’être utile ? »

« Tu es l’ainé et le plus dégourdi de mes douze Titans. Je compte sur toi pour le neutraliser et prendre sa place à la tête du monde! Etant immortel, il poursuivra sa vie hors de ma vue. »

« Chasser mon père ? Mais c’est insensé, protesta Cronos ! »

« Et plonger ta mère dans la pire des souffrances, n’est-ce pas plus grave ? C’est lui qui a changé, pas moi fit Gaïa très énervée. Mon fils tu dois choisir entre un tyran dictateur ou une mère aimante ! »

Après un temps de réflexion, Cronos se jeta dans les bras de Gaïa en lui disant :

« Je t’aime maman et je suis de tout cœur avec toi. Je ferai ce que tu voudras ! »

« Je savais bien que je pouvais compter sur mon fils tant aimé, fit Gaïa en versant une larme. »

Après un temps de réflexion, Cronos interrogea Gaïa : «

« Maman, comment comptes-tu te débarrasser d’Ouranos ? C’est le Maître du Monde et il dispose d’énormes pouvoirs. Je suppose qu’il ne sera pas facile à éliminer. »

Alors, dans un geste majestueux, Gaia sortit d’un sac un objet qui brillait au soleil.

« Regarde, mon fils, cette faux en silex. Elle est si finement aiguisée qu’elle pourrait, sans le moindre effort, couper n’importe qui en deux. Je veux que tu l’utilises pour éliminer ce tyran malfaisant. »

« Mais comment devrai-je faire demanda Cronos ? Ouranos ne va jamais se laisser approcher. »

« Ce soir, avant qu’il fasse nuit, cache-toi sous le lit de notre chambre. Lorsqu’Ouranos viendra se coucher, et qu’il s’étendra sur moi, sors de ta cachette et frappe-le ! J’aimerais même, car c’est par là qu’il a péché, que tu lui coupes ses bijoux de famille!

Notez, une fois encore, la modernité du langage de Gaïa. Mais où vas-t-elle chercher tout ça ? »

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Le soir venu, quand Ouranos se coucha sur Gaïa, Cronos sortit de sous le lit conjugal, brandit sa serpe et coupa le sexe de son père. Les hurlements de celui-ci firent trembler le palais tout entier ainsi que les montagnes alentours.

Gaïa prétendit, par la suite, que les hurlements firent trois fois le tour de la Terre avant de cesser.

Cronos et sa faucille

Après avoir frappé son père Cronos poursuivit sa tâche :

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Il saisit le sexe de son père de la main gauche (1) et le lança dans la mer. Les gouttes de sang qui tombèrent au sol engendrèrent des Géants (2) tandis que le sexe de son père tombait dans la mer Egée, près de l’île de Cythère.

A peine, les organes génitaux eurent-ils touché les flots que de la mousse s’amassa abondamment tout autour. De là naquit Aphrodite, juchée sur une gigantesque coquille (3).

Quant à Ouranos, vexé d’avoir perdu ses plus beaux attributs, il disparut à jamais. Faut dire que pour un « chaud lapin », il était mal barré…

Aphrodite née de l’écume

Gaïa, heureuse de la réussite de son fils, lui demanda un dernier effort :

« Je suis fier de toi, mon fils ! Mais afin de parachever ta mission, j’aimerais que tu te rendes dans le Monde Souterrain et libères les Cyclopes et les Géants-aux-Cent-Bras. »

« Mais ne crains-tu pas qu’il se révoltent contre toi et les autres Titans ? »

« Ils ne peuvent rien contre moi car ils savent que je suis la Mère-du-Monde. Quant à tes frères et sœurs, les Titans et Titanides, vous êtes sous ma protection. »

Lorsque les Cyclopes et les Géants aux Cent Bras se présentèrent tout penauds à Gaïa, ils se firent réprimander...

« Désormais, pour avoir comploté contre votre père, vous serez condamnés à vivre dans les hautes montagnes et vous n’aurez le droit de vous installer que dans les vallées les plus reculées. Jamais vous ne pourrez intervenir dans les affaires du Monde. »

C’est la raison pour laquelle on n’entendit plus jamais parler d’eux, même si, personnellement, je suis amené à imaginer ce que fut leur devenir….

Les Géants-aux-Cent Bras furent si étonnés d’avoir été libérés que leurs bras en tombèrent. Trois cents bras au sol, tu parles d’un méli-mélo !

Quant aux Cyclopes, ils comprirent qu’ils avaient mal préjugé de l’avenir. Voilà pourquoi, s’étant mis le doigt dans l‘œil, ils devinrent aveugles...

(S’il vous plait, on ne rit pas des infirmes).

C’EST ALORS QUE CRONOS PRIT LE POUVOIR !

Bob

(à suivre)

(1) Voilà pourquoi, dit-on, la main gauche est moins appréciée que la droite…

(2) Géants différents de ceux aux Cent-Bras. On les retrouvera plus tard dans l’aventure.

(3) En grec « mousse » se dit « Aphros ». Voilà d’où vient le nom d’Aprodite.

UN AMOUR DE COURBET

Connaissance & Partage

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Dans cet exposé, je souhaite vous faire parcourir le jeu de piste auquel je me suis livré pour parvenir à reconstituer un épisode de la vie de Courbet (le plus souvent totalement ignoré) qui me semble porteur de thèmes et de formes pour l’ensemble de l’œuvre.

L’image titre est l’Autoportrait au chien noir (1842) qui est son premier tableau accepté au Salon : il a alors 23 ans. A Paris depuis 1841, en cohabitation avec Marlet et Cuenot, il s’installe de façon autonome début 1842 et trouve en fin d’année 1842, un atelier où il va rester jusqu’en 1848. « J’ai maintenant un superbe petit chien anglais noir…donné par un de mes amis ». Donc dès 41, avant la réalisation du tableau. Dans la biographie de Courbet (Catalogue édité à l’occasion de l’exposition au Musée Fabre – 2008 ; ci-après simplement mentionné comme “le Catalogue”), il est dit : « il fait l’acquisition d’un épagneul noir ». Alors achat ou cadeau ? Par « un » ou « une » ami(e) ? Ce flou est typique de certains épisodes de la vie de Courbet.

MAIS LA VERITABLE ENIGME SE TROUVE, POUR MOI, AU CŒUR DE L’ATELIER (1855).

L’atelier

L’atelier

Détail de la partie centrale

Détail de la partie centrale

Le titre, qui fait sonner la contradiction « allégorie/réelle » dans le titre, invite à explorer « 7 ans de la vie de l’artiste ». Conçu dès 1854, le tableau est exposé en 1855. L’année initiale à prendre en compte pour la période de sa vie qu’il veut synthétiser est donc 1847 ou 1848.

1848 est une date très publique : c’est la proclamation de la Seconde République vite enterrée par la proclamation du Second Empire après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. C’est plutôt sur cette piste que nous lance la lettre programme de l’automne 1854, envoyée à Champfleury, mais avec une formule énigmatique : « C’est passablement mystérieux, devinera qui pourra ». L’œuvre est gigantesque (6m sur 3,5m) mais s’organise dans la forme classique d’un triptyque et non en diptyque comme l’écrit Courbet.

Attachons nous au centre. Ce “détail” a approximativement la taille des Baigneuses (grand tableau que vous pouvez voir au Musée Fabre à Montpellier) et s’affirme dans l’ensemble par la puissance de sa lumière et la simplicité de son organisation. La représentation classique du peintre et son modèle ne manque pas d’étonner : Courbet est en train de peindre un paysage !  Et l’évocation de ce classique de la représentation laisse un résidu : l’enfant et le chat. La notice du Catalogue laisse sur sa faim : « symboles de naïveté et donc de la pureté d’intention » de l’artiste ! Mais il renvoie « pour une analyse qui fit date » aux identifications proposées par Hélène Toussaint en 1977 dans le catalogue de l’exposition d’Orsay. Dans sa lettre programme à Champfleury, Courbet évoque « la seconde partie : vient la toile sur le chevalet et moi peignant…derrière ma chaise un modèle de femme nue…puis un chat blanc près de ma chaise ». Mais il n’y a pas d’allusion à l’enfant. Une radiographie de l’œuvre montre qu’il a été rajouté entre ce programme et la réalisation définitive de l’œuvre.

Pour moi, la clé se trouve dans la fin du texte : « J’ai l’esprit fort triste, l’âme très vide, le foie et le cœur dévorés d’amertume… A Ornans je fréquente un café de braconniers, et des gens du Gai Savoir. Je baise une servante. Tout cela ne m’égaye pas. Vous savez que ma femme est mariée, je n’ai plus ni femme ni enfant. Il paraît que la misère l’a poussé à cette extrémité, c’est ainsi que la société avale son monde. Il y avait 14 ans que nous étions ensemble ».

Une femme ? Un enfant ? 14 ans de vie commune ? On est fin 1854 ; cela nous renvoie à une rencontre fin 1840 au moment où Courbet vient à Paris, copie assidûment au Louvre, car comme il le déclare dans une lettre à ses parents « les modèles sont très chers à Paris ». Mais qui est-elle ?

JEU DE PISTE

Les amants heureux

Les amants heureux

H. Toussaint propose de la voir dans Les Amants heureux. Le Catalogue précise pour cette œuvre « Virginie Binet, la seule femme avec qui Courbet entretint une liaison durable et qui lui donna un fils en 1847. Cette proposition permettrait d’expliquer le titre mélancolique ».

Ségolène Le Men, (dans son Courbet – Mazenod ed.), intitule un paragraphe« Gustave et Virginie ». Elle note que l’édition illustrée de « Paul et Virginie » qui paraît en 1838 a fortement marqué l’imaginaire visuel de Courbet (elle en trouve encore des traces dans le tableau Remises des chevreuils de 186.!) et que l’identification autobiographique est favorisée par le hasard des prénoms.

Preuve de l’attachement de Courbet à cette œuvre, il en fait une copie (Paris, Petit Palais) et encore en 1847 un dessin. Et 1847 est la date de naissance de son fils (dont le premier prénom est Désiré …). Aussi les 7 ans dont parle L’Atelier peut renvoyer à cet événement privé, d’autant que la morphologie de l’enfant présent sur la toile est compatible avec cet âge de 7-8 ans qu’a l’enfant lors de sa réalisation.

Le titre initial de l’œuvre est probablement Walse, qui a été proposée au Salon de 1846. Le W fait allusion à l’origine allemande de cette nouvelle danse qui fait défaillir de plaisir par l’ivresse du tourbillon. L’intimité de Gustave et de Virginie se manifeste bien dans la prise de main, doigts croisés. La ligne de cou et la bascule de la tête sont particulièrement caractéristiques et se retrouve dans d’autres œuvres comme “forme-mémoire” de Virginie. Notons du coup que le titre actuel de l’œuvre, Les Amants heureux, est postérieur au Salon de 1846, donc au plus tôt de 1847 soit l’année de naissance du fils de Courbet.

Virginie est plus âgée que Courbet. Mais les divers ouvrages consultés ne concordent pas : sa date de naissance est tantôt 1808, tantôt 1809. Elle a donc environ 35 ans à la date du tableau, soit une dizaine d’année de plus que Courbet.

Sieste champêtre

Sieste champêtre

Ce dessin met en évidence la très grande tendresse et l’abandon du couple dans le sommeil, peut être comme achèvement de l’abandon amoureux. Le menton de la jeune femme l’identifie à Virginie alors que Courbet se donne l’air “gamin” qu’il a dans l’Autoportrait au chien noir. Œuvre à part entière par la qualité du dessin, cette composition se retrouve dans l’œuvre suivante L’homme blessé (1844-54).

L’homme blessé

L’homme blessé

La radiographie de cette toile révèle deux étapes intermédiaires. Elle a d’abord servi de support pour un profil de jeune femme (vraisemblablement Virginie) puis pour une composition strictement similaire au dessin précédent. La composition définitive que nous voyons date d’un remaniement opéré en 1854. Le visage de Courbet est vieilli, mais surtout Virginie a disparu, effacée, laissant place à la tache de sang de la blessure au cœur. L’échange de lettres avec Champfleury permet de dater le moment qui pousse à cette mutation (janvier 1852). Alors qu’il est à Ornans, son ami lui annonce que Virginie a quitté Paris avec son fils. Courbet répond : « Que la vie lui soit légère puisqu’elle croit mieux faire. Je regrette beaucoup mon petit garçon, mais j’ai suffisamment à faire avec l’art sans m’occuper de ménage ; et puis un homme marié pour moi est un réactionnaire ». Cette dernière formule m’évoque l’influence très misogyne de Proudhon, rencontré en 1847, et devenu ami proche du peintre.

En note à cette lettre l’éditeur précise : « Thérèse Adélaïde Virginie Binet, la maîtresse de Courbet dans les années 40 eût de lui un fils qui fut appelé Alfred Emile Binet (1847-1872). Il semble qu’après cette séparation la jeune femme soit retournée vivre à Dieppe ». S. Le Men lui attribue un autre prénom: « le fils de Courbet qui porte l’un de ses prénoms, un prénom suggestif, Désiré, est né en septembre 1847 »

Courbet tenait particulièrement à ce tableau, jamais vendu et emmené dans son exil en Suisse. Si l’art selon lui est incompatible avec un ménage, la blessure d’amour reste ouverte :

« Plaisir d'amour ne dure qu'un moment, Chagrin d'amour dure toute la vie. »

Bacchante endormie

Bacchante endormie

La Bacchante endormie (vers 1844-47) nous ramène à la période heureuse des amours avec Virginie. Il s’agit d’un des tous premiers nus de Courbet. Si la disposition du corps renvoie à la Venus du Corrège au Louvre (mais avec une inversion en symétrie verticale de la position du corps, cas fréquent chez Courbet, comme s’il travaillait à partir de gravures …), l’éclairage, lui, est caravagesque et met en évidence la splendeur du corps féminin, en particulier le sein gauche, qui ne doit rien à l’idéal de la statuaire grecque. Si la coupe renversée et le raisin justifient le titre, retenons que le sommeil – ici de l’ivresse – paraît être un élément essentiel de la volupté chez Courbet. Et remarquons aussi, dans un détail central, la préfiguration du point de vue de l’Origine du monde, par basculement de l’image de 90° vers la droite.

Détail avec pivotement

Détail avec pivotement

Près de 20 ans plus tard, on retrouve, dans Le Sommeil, ce renversement de la tête, ce même sourire heureux et cette mise en valeur du sein qu’initie la Bacchante endormie.

Liseuse endormie

Liseuse endormie

Mais revenons à Virginie avec ce dessin de 1849, La liseuse endormie. Ici c’est la lecture qui apparaît comme un alibi du sommeil et du songe. La position de la main droite est celle de Courbet dans le dessin La sieste champêtre, l’inclinaison de la tête et l’ombre du cou renvoient à Walse-Les amants heureux par une symétrie verticale. Ce profil de Virginie va se retrouver tel quel dans le médaillon sur le mur du fond de L’Atelier. Notons enfin le sein, plus révélé que caché par la fine blouse, dégagé par l’échancrure nettement dégrafée de la robe, qui invite à voir dans ce sommeil une rêverie érotique initiée par la lecture. Voire, comme le suggère la notice du Catalogue, un repos après une séance d’auto-érotisme. Comme si le plaisir ne se révélait qu’après coup dans le sommeil.

Bacchante endormie, dessin

Bacchante endormie, dessin

La comparaison de la tête de la Liseuse avec celle de cette Bacchante (1847) introduit une variante dans le dessin du cou des jeunes femmes. Dans le Catalogue, Laurence des Cars commentant ce dessin note que le nœud du lacet autour du cou dessine un g initiale de Gustave, « signe définitif de l’appartenance de cette dernière au monde intime du peintre ».Le pli de peau qui s’esquisse ici comme un sexe féminin conforte ces relations fortes chez Courbet du cou comme lieu d’une sensualité puissante et du sommeil comme révélateur du plaisir sexuel. Ces relations s’avouent sans ambiguïté possible dans La fileuse endormie (dont vous pouvez découvrir l’original au Musée Fabre).

La fileuse endormie, détail

La fileuse endormie, détail

Le Catalogue rappelle que l’interprétation du détail du cou est due à Théophile Gautier : « A cet égard la description voluptueuse par Théophile Gautier du pli de la chair entre le cou et l’épaule attire notre attention sur un détail qui apparaît comme une allusion à peine déguisée au sexe féminin ». Mais sexe sans toison, par convention, à la différence avec L’origine du monde.

Femmes dans les blés

Femmes dans les blés

Le rapprochement de La sieste champêtre avec les Femmes dans les blés permet de voir s’opérer un déplacement – ou une identité – de la tendresse amoureuse du couple hétérosexuel au couple homosexuel. Le cou n’est plus alors celui de Virginie mais celui initié par la tête de la Bacchante endormie de 1847. Tendresse qui se retrouve dans le couple du Sommeil où, comme dans l’œuvre précédente, l’un des femmes assure le rôle protecteur qu’occupe Courbet dans la Sieste champêtre.

Le sommeil

Le sommeil

Jeune mère

Jeune mère

Ce dessin, Jeune mère (1848) fait l’objet d’une hypothèse prudente dans le Catalogue. La scène familiale s’articule sur le dessin de la face d’un enfant qui pourrait être le portrait du fils de Courbet (l’âge peut correspondre) et qui vient en renfort d’une autre représentation étonnante, sans aucun doute possible de Virginie, La Blonde endormie (1848). La position du buste est en version dénudée la même que celle que celle de la Liseuse endormie. Pointant dans cette œuvre la représentation d’une grossesse, S. Le Men déclare « qu’avant l’Origine du monde, c’est le premier portrait par Courbet d’un ventre féminin, ici maternel, que met en évidence la pose du modèle, emprunté à la Bethsabée de Rembrandt. Cette confidence intime et voluptueuse tout à la fois amoureuse et paternelle est l’une des premières évocations d’un corps de femme dans la grossesse, sujet devenu après la Renaissance une sorte de tabou pictural ».

La blonde endormie

La blonde endormie

Tout ce que l’on ressent de la tendresse de Courbet est évidemment mis à mal par le lâchage de Virginie.

RETOUR A L’ATELIER

L’Atelier reste plein de sa présence et de celle de l’enfant. Le premier élément à repérer est le médaillon sur le mur du fond. Ou plus exactement, curieusement placé sur la représentation d’une toile : l’image n’est pas très évidente à observer. Il ressort très nettement par sa tonalité claire et par sa dimension (une estimation, compte tenu de l’échelle de ce plan, donne un diamètre un peu inférieur au mètre), très supérieure aux pièces sculptées ou gravées usuellement. Il comporte sans ambiguïté possible le profil de Virginie tel qu’il est dessiné dans la Liseuse endormie. Présence de l’absente qui ne fut jamais officiellement « sa femme » comme le déclare Courbet et dont il tut l’existence même à sa famille. Médaillon qui vient tel « la lune comme un point sur un i » marquer le modèle nu, Henriette Bonnion, bien identifiée grâce à sa photo réalisée par Vallou de Villeneuve, photo qui servit à Courbet pour achever son tableau dans l’atelier d’Ornans. Mais dont le port de tête légèrement basculé sur la gauche est en symétrie de celui de Virginie dans le médaillon.

l’Atelier, détail 1

l’Atelier, détail 1

C’est Henriette qui le regarde peindre mais c’est Virginie qui longtemps a tenu cette place. Le jeu des regards permet de décrypter les liens qui unissent cette “famille” dans l’esprit de Courbet. Le modèle est fasciné par le pinceau et la toile, Courbet est absorbé par l’œuvre qu’il réalise, aspiré dans la peinture, tandis que le petit garçon contemple le visage du peintre. « Allégorie réelle » dit le titre : cette “famille” illustre bien ce que veut dire Courbet, enfoncé dans sa peinture mais dont l’ego ne se résout pas à la perte de ces admirateurs naturels et obligés.

Mais l’enfant réel est pourtant là, tête bien ronde comme le bébé présenté par la Jeune mère. Il n’est pas plus mentionné dans la lettre programme à Champfleury que l’autre enfant qui émerge à quatre pattes de la robe de la belle femme du premier plan, tout à droite du tableau. L’ampleur robe a été réduite pour lui creuser un espace. Notons que cet enfant dessine. Courbet, rappelle R. Fermier était très fier de ce fils à qui il avait « tout appris de la peinture », poursuivant « qu’il n’avait plus rien à lui enseigner ».

15-L’atelier, détail 2

15-L’atelier, détail 2

L’agencement des deux enfants dans la composition mérite qu’on s’y attarde. Mikael Fried, dans les développements qu’il consacre à cette partie centrale de l’œuvre (12 pages), parmi bien des remarques passionnantes – fusionnement du peintre avec et dans sa peinture – ne sait manifestement pas quoi faire de ces enfants. L’enfant debout, qualifié de « petit paysan » a droit à 5 lignes : « peut-être faut-il y voir la représentation du peintre “spectateur de” par opposition au “dans l’atelier” qui, d’un double point de vue scénographique et ontologique, est conventionnel en comparaison d’autres toiles de Courbet que nous avons examinées ». L’autre est négligé. Pour moi, l’enfant debout est l’enfant imaginé (vertical) – perdu vers 4 ans ½ et incarné dans cet enfant de 8 ans –, dont Courbet attend l’admiration, alors que dans l’ombre de la robe c’est l’enfant de la mémoire (horizontal) – pris en quelque sorte dans les jupes d’une mère dont il émerge en faisant comme papa – en dessinant.

L’Atelier détail 3

L’Atelier détail 3

Entre les deux, un chat et une robe abandonnée au sol. Comme le nu se dégage de l’écoulement d’un linge blanc, la chemise du garçon debout se prolonge dans le blanc du chat – exit le chien noir et les valeurs de fidélité qu’il exprimait – qui joue, indifférent aux enjeux de la peinture et de l’atelier.

Ce chat mérite que l’on s’y attarde. Sa présence est annoncée dès le début du programme de l’œuvre. Peut-on se satisfaire de l’assimilation « chat blanc = pureté ». Dans la tradition populaire rencontrer un chat noir porte malheur. Par inversion un chat blanc porterait bonheur. Mais la symbolique du chat est bien plus complexe. Il est très fréquemment associé à la femme (revenez voir l’œuvre  de Cornelis van Haarlem dans mon texte sur Titien : entre Adam et Eve se blotti un couple animal, le singe, stupide Adam qui va croquer la pomme câline le chat, fourbe et désobéissante Eve qui a cédé aux avances du serpent – inutile de faire un dessin). Le chat est donc aussi par son indépendance un symbole de liberté ou plus souvent l’expression des pulsions incontrôlées de l’inconscient, ce qui signe la femme, vous en conviendrez bien :

« Tota mulier in utero » s’exprime en doctrine médicale à partir du 18e siècle et s’épanouie au 19e siècle dans la “fabrication” de l’hystérie.

Ce chat “blanc” (“Virginie” ?) tient quelque chose dans sa patte gauche : probablement un accessoire de la robe en face à lui. La masse de la robe et du jupon, abandonnés par le modèle, dessine une forme animale qui lui fait face – la ceinture fonctionnant comme réplique effondrée de la queue du chat – prête à participer à son jeu. Et si nous remontons vers le modèle nu en suivant le linge blanc qui la (dé)couvre, son pli est évocateur de ce qu’il est censé cacher.  Le « rébus » (conscient ? inconscient ?) peut alors se lire ainsi : l’enfant est le fruit de la séduction exercée par une Virginie joueuse qui, robe et jupon tombés, s’est abandonnée pleinement à Courbet, qui au-delà de la relation sexuelle (une femme comme une autre : « Je baise une servante. Tout cela ne m’égaye pas »), en garde le souvenir de l’abandon dans le portrait du médaillon.

Mais ce vêtement abandonné est aussi une façon de stigmatiser Virginie la “lâcheuse”, femme réduite ici à sa plus simple expression symbolique – un tas de chiffon – et livrée à la futilité auto-érotique d’un jeu avec le chat (on est ici en rappel de La liseuse endormie), très loin des aspirations de Courbet à « être génialement » la peinture.

Si vous trouvez que j’en fait trop (c’est probable), lisez avant de me condamner le fabuleux « petit » livre de Daniel Arasse : On n’y voit rien – Descriptions.

UN POST-SCRIPTUM ?

Le Portrait de Proudhon, de dix ans postérieur, est peut être un post-scriptum à cet amour de Courbet.

La mort de Proudhon, au tout début de 1865, affecte profondément Courbet qui décide de faire « un portrait historique de (son) ami intime » à partir de photos diverses du philosophe et de sa famille. Cette représentation de Proudhon et de sa famille est censé être de 1853, date de sa libération de prison mais de nouveau bien vite persécuté et s’enfonçant dans la misère.

Dans cette première version, madame Proudhon, enceinte, est présente dans l’œuvre, surveillant ses fillettes. J’en retiens la position de tête de madame Proudhon qui est un stéréotype de la représentation de Virginie et que l’on trouve dans le cou du modèle nu de L’Atelier. Proudhon, dans sa méditation, ne semble pas quant à lui se soucier de cette famille, institution qu’il a vilipendé. Le Catalogue souligne que « sa pose rappelle les allégories Renaissance de la Mélancolie » et que celle-ci serait inspiré du philosophe solitaire de L’Ecole d’Athènes de Raphaël, qui est souvent identifié par les critiques comme un portrait de Michel Ange. Donc un peintre et non un philosophe : « effaçant la distinction entre lui et son modèle […] son portrait de Proudhon serait une méditation sur lui-même ». Ce tableau est critiqué de toutes parts lors de sa présentation au Salon de 1865.

Original du portrait de ProudhonCette version nous est connue par une photographie d’époque

Original du portrait de Proudhon

Cette version nous est connue par une photographie d’époque

Courbet entreprend alors de modifier sa toile, achevée en 1866 dans sa version actuelle. Les modifications les plus importantes concernent le mur derrière Proudhon, transformé en feuillage, et la suppression de la figure de madame Proudhon. Or, peu après le décès de Proudhon survient le décès de Virginie. Si l’on retient l’hypothèse de l’autoportrait déguisé, son décès a pu faciliter l’effacement de madame Proudhon qui ne reste présente, telle Virginie dans L’Atelier, que par sa robe, un jupon et, superbe évocation de sa grossesse, sa « corbeille à ouvrage ».

Portrait de Proudhon et ses enfants

Portrait de Proudhon et ses enfants

Un examen attentif de la chronologie vient corroborer cette piste :

1852 : Virginie abandonne Courbet en emmenant leur fils.

1853 : Proudhon sort de prison et réintègre sa famille, retrouvant ses filles et sa femme avec qui il vit en mésentente.

1865 : mort de Proudhon, élaboration du tableau initial avec madame Proudhon, évocation de l’année 1853 

1866 : critiques de l’œuvre présentée au Salon de 1865 et mort de Virginie : madame Proudhon  disparaît de la version finale du tableau

Comme Proudhon méditant, seul sur la toile avec ses enfants qu’il ne regarde pas, Courbet reste seul peignant, avec quelque part, loin en arrière de sa vie, son fils Désiré, tandis que Virginie s’est effacée de la vie…

L’épilogue de cet épisode de la vie de Courbet survient en 1872.

A 53 ans, vieilli par l’alcoolisme, la maladie de foie, miné par son passage en prison et ruiné par le pillage de ses ateliers lors de la Commune, il apprend incidemment la mort de son fils, « pauvre enfant dont je me suis bien peu occupé », par une amie de ses sœurs à Ornans.

On n’en saura pas plus. Juliette, la petite sœur, vieille fille prude et bigote, exécutrice testamentaire à la mort de son frère, s’empresse de détruire toute sa correspondance amoureuse et ses collections de photos de nus, dont les paires stéréoscopiques pornographiques d’Auguste Belloc, qui ont probablement inspirés la mise en page de L’origine du monde. Mais ceci est une autre histoire…

Jean BARROT













 















GAIE-ZEUS and C°- CHAPITRE N°1

Connaissance & Partage

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Les évènements dont je vais vous entretenir sont inspirés (le style en moins, l’humour en plus), de la « Théogonie d’Hésiode » poète grec qui vivait au milieu du VIIIème siècle avant J.-C. Avec ces textes, j’abandonne la science et l’astronomie pour parler des légendes et des mythes anciens. On ne peut les ignorer car, comme le dit l’écrivain, critique littéraire et essayiste français Bernard Plessy :

« Les peuples qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid »

CHAPITRE N°1

Au début était le CHAOS PRIMORDIAL. Combien de temps dura-t-il ? Nul ne le sait puisque ce fameux « NUL » n’existait pas. Il ne pourrait donc témoigner.

Gaïa, la Terre

Gaïa, la Terre

La première à apparaître fut GAÏA» , « la TERRE ». Mais attention, pas n’importe quelle Terre. Une Terre dans laquelle rien n’avait encore été créé : Pas un arbre, pas une seule prairie, aucune étendue de sable. Pas le moindre sifflement d’oiseau ou le bourdonnement d’une abeille. Un silence à faire peur !



Et cela dura une éternité. Or, comme le dit Grucho Marx,

« L’éternité c’est long, surtout vers la fin »

Au bout d’un temps incommensurable, Gaïa commença à se plaindre de sa solitude:

- « Bon sang, qu’est-ce que je m’ennuie ! Et dire que cela va durer, durer et encore durer. »

Hélas, personne ne l’entendit, puisqu’elle était seule, la pauvrette !

Mais, un jour, elle eut une idée :

- « Ce serait moins monotone si j’avais des enfants. Je pourrais jouer avec eux, les promener, les cajoler, leur donner le biberon ». (Notez, tout de même, sa grande perspicacité car, en ces temps reculés, les biberons n’avaient pas encore été inventés).

Gaia, réfléchit longuement et en vint à tirer la conclusion des plus logiques :

- « Pour avoir des enfants, il me faudrait un mari ».

Cependant Gaia ne voulait pas n’importe quel mari.

« Il me faudrait un mari qui soit à la hauteur ! »

J’ajouterais même qui soit à la largeur car, pour les câlins, il fallait qu’il s’allonge sur sa femme d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Imaginez le gabarit. On ne trouve pas cela sous les sabots d’un cheval, d’autant plus qu’en ces temps-là, les animaux n’existaient pas encore et, bien entendu, les chevaux non plus.

C’est ainsi que, sans l’intervention d’un élément mâle, Gaïa donna naissance à OURANOS.

(Cela se reproduisit beaucoup plus tard avec la vierge des chrétiens…Petits copieurs !)

Maintenant Gaia avait un homme rien que pour elle. Elle en était fort heureuse et jouissait d’un gros avantage. En effet, à l’époque, il n’y avait pas de match de foot à la télé, pas de jeux vidéo abrutissants et pas de sorties en boîte. ! Tous les soirs Ouranos lui appartenait. Il s’allongeait sur elle et lui faisait de gros câlins. En effet, ce mari était, dirions-nous aujourd’hui, un « un chaud lapin ».

Ouranos

Ouranos

Comme en ces temps reculés la contraception n’avait pas encore été mise au point, les ébats furent prolifiques.

En premier, naquirent six filles et six garçons de belle taille.

« Chéri ! Comment les appellerons-nous, demanda Gaia à son mari ? ».

-« Ma petite Galinette (En effet, c’est ainsi qu’Ouranos appelait Gaia dans l’intimité). Ne pourrait-t-on les appeler « Titanides » pour les filles » et « Titans » pour les garçons ?


- « Parfait, mon petit Oura d’amour ! Fais-moi autant de Titans et de Titanides que tu voudras ! Nous ne manquons pas de place pour les loger ni pour qu’ils puissent se dégourdir les jambes. »

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En second naquirent six monstres : trois horribles Cyclopes et trois monstrueux Géants-Aux-Cent-Bras. Ils étaient si laids et terrifiants qu’ils faisaient peur à Gaia. Quant à Ouranos, il en vint à les détester car, à l’âge de trois ans déjà, il les surprit en train de comploter.

« Notre père est un incapable disait Cottos, l’aîné des Géants-auxCent-Bras ! Il passe ses journées à se bronzer au Soleil et ses nuits à chevaucher notre pauvre mère. Or, il y a beaucoup à faire sur cette immense Terre. »

Le Cyclope Stéropès

« C’est bien vrai, tonna le Cyclope Argès !

« Et on s’y ennuie à mourir, fit le Géant Briarée. Que de place perdue ! »

« Chassons notre père, s’écria Stéropés qui apeurait ses frères avec son œil unique qui lançait des flammes. A nous six, nous dirigerions le monde bien mieux que lui. »

En entendant ces paroles menaçantes, Ouranos se souvint d’une nuit au cours de laquelle il avait perçu une voix lointaine qui disait « Un jour les enfants renverseront leurs parents afin de prendre leur place. »

Furieux, Ouranos décida de ne pas se laisser faire et décida d’agir. Il réussit à piéger les Cyclopes et les Géants en les enfermant dans le Monde Souterrain pour enchaîner aux parois rocheuses. Or, ce nigaud avait oublié que le Monde souterrain était formé par les entrailles de Gaia, son épouse. Bien entendu, cela finit par causer à Gaïa de terribles coliques…

Un soir, au moment du dîner, elle fit part à son mari de ses ennuis gastriques :

« Figure-toi mon chéri que depuis quelques jours j’ai de terribles douleurs d’estomac. Je ne sais pas ce qui se passe. Je voulais demander au Cyclope Brontès de me soigner avec ses plantes médicinales mais je ne l’ai pas trouvé, ni aucun de ses cinq frères pas plus que les Géants-Aux-Cent-Bras! »

- « C’est normal, lui répondit Ouranos. Je les ai tous enfermés dans le Monde Souterrain. »

- « Mais pourquoi as-tu fait cela, hurla Gaia ! C’est horrible ! »

- « Figure-toi que je les ai surpris en train de préparer une mutinerie. Ils envisagent de m’éliminer afin de me remplacer à la tête de notre monde car je ne serais qu’un incapable. Tu ne voudrais tout de même pas que j’accepte de me faire dévaloriser et détrôner par mes enfants ? Seuls les Titans et les Titanides sont restés neutres. Eux vont rester parmi nous.»

« Il y avait peut-être une autre solution, s’exclama Gaïa ! Tu aurais pu leur parler, essayer de les convaincre ou encore de les…… »

« Ça suffit ! rugit Ouranos en frappant du poing sur la table. Des enfants qui complotent contre leur père sont irrécupérables ! Il fallait les sanctionner sévèrement. Là où ils sont, ils ne pourront pas me nuire ! »

La discussion s’envenima et dura toute la nuit sans que jamais Ouranos n’accepte de revenir sur ses positions. Dans le couple l’atmosphère devenait de plus en plus électrique si bien qu’en désespoir de cause, Gaïa décida de se séparer de son mari. Il fallait libérer les Cyclopes et les Géants-aux-Cent-Bras afin que cessent ses terribles crampes.

Pour chasser son mari, elle ne pouvait compter que sur ses enfants et notamment sur son fils le plus intelligent et le plus habile :

C’est ainsi qu’intervint le Titan CRONOS.

(à suivre)

Robert CARDE

PETROGLYPHES : EN GUISE DE CONCLUSION

Connaissance & Partage

PETROGLYPHES :EN GUISE DE CONCLUSION

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Je voudrais pour conclure ce petit tour des sites visités vous proposer une synthèse – bien provisoire vous vous en doutez, puisqu’on découvre en permanence de nouveaux sites dans le monde – à partir des travaux les plus récents que je connais.

            Nos ancêtres sur toute la planète ont utilisés des « représentations », expressions de leurs images mentales qu’ils ont trouvées nécessaire de fixer sur un support par la gravure ou la peinture. Selon les estimations du préhistorien E. Anati, il existerait 45 millions de peintures rupestres sur des rochers et dans des grottes, sur 170.000 sites reconnus dans 160 pays !

1 – MAIS IL CONVIENT DE BIEN DISTINGUER 2 GRANDES FAMILLES D’ŒUVRES : CELLES DES GROTTES ET CELLES DE PLEIN AIR.

Dans les grottes, les œuvres, qualifiées d’ « art pariétal » ou « art des ténèbres », se trouvent généralement au plus profond des galeries, ce qui implique pour leur réalisation de disposer d’une source lumineuse. De nombreuses traces charbonneuses sur les parois résultent de mouchures des torches pour raviver leur flamme en écrasant la partie carbonisée qui asphyxie progressivement la flamme. Afin de tenir suffisamment de temps, ces torches étaient probablement enduites de résines. La technique la plus spectaculaire qu’ont utilisés nos ancêtres était la peinture, utilisant des colorants naturels, l’oxyde de fer pour le rouge et le noir du charbon étant les plus fréquents. La stabilité des conditions climatiques des grottes, accentuée le plus souvent par l’obturation de l’entrée (effondrement, ennoyage) a permis une conservation optimale des figures. C’est la raison principale de la fermeture des grottes au public dont la présence altère le climat, provoquant des dégradations irréversibles des représentations. A Lascaux comme à Chauvet, il faut se contenter de fac-simile.

            Cette « solution » nous amène cependant à une conclusion essentielle : cet « art » des grottes n’était pas destiné à être vu par le commun à l’époque même de leur réalisation. Ce terme d’art au sens où nous l’entendons de nos jours est totalement inapproprié. Le message que véhicule ces représentations n’est pas destiné aux hommes.

            A l’opposé, les pétroglyphes, figures de plein air, sont visibles de tous. Certes, leur localisation est parfois difficile d’accès, mais il n’y a pas de volonté d’en limiter la vision : le message est destiné aux hommes. Tous les sites dont je vous ai parlé sont accessibles à des « touristes standards » capables de marcher un peu… Ce qui a le mieux tenu est la gravure, mais il semble que parfois il y ait eu des rehauts de couleur sur ces figures mais vite dégradés par l’exposition aux aléas du climat.

            Un lieu intermédiaire me paraît nécessaire à évoquer : les porches de grottes ou les abris sous roches de quelque ampleur. Ces lieux, qui ont été occupés par des groupes parfois assez nombreux – présence de foyers, de restes de consommation, d’outils – comportent parfois des peintures ou des gravures sur leurs parois. Elles sont donc visibles par tout un chacun mais seulement au sein du clan qui occupe l’abri et n’a probablement de sens que pour ses membres. Là encore la conservation de ces figures est aléatoire, mais la présence d’œuvres peintes n’y est pas rare.

2 – LA PERIODE DE REALISATION DES PETROGLYPHES S’ETEND SUR DES MILLENAIRES, JUSQU’A NOS JOURS.

Les œuvres dans les profondeurs des grottes semblent cesser d’êtres produites il y a environ 12 millénaires. J’associe cet arrêt à la fin de la période de la glaciation du Würm qui permet à des lieux comme les porches et abris sous roche d’assurer un relais mais en faisant perdre une partie de son mystère à l’élaboration de ces figurations. Tout au long du paléolithique supérieur (45.000 à 12.000 BP), les représentations sont presque exclusivement animalières. On a longtemps cru qu’il s’agissait d’opérations magiques préparatoires à une chasse et destinées à capturer le gibier ainsi figé dans la représentation. Mais l’analyse des restes de la consommation courante des hommes, lorsqu’elle a pu être menée à proximité, ne correspond pas du tout à la fréquence des animaux représentés. Ainsi à Fos de Coa, l’animal le plus représenté est le cheval mais le plus consommé est le bouquetin…

            A partir du Néolithique, les œuvres incorporent des figures humaines, seules ou avec des accessoires – ce qui a souvent conduit à les considérer comme des « sorciers » ou des « chefs » – mais souvent aussi des groupes dans des scènes de chasse ou de guerre. Dans le Néolithique finissant et à partir de l’Âge du Bronze, des scènes de pastoralisme ou d’agriculture deviennent fréquentes comme dans la Vallée des Merveilles.

            Au cours du 1er millénaire avant notre ère et tout au long de notre ère, les figurations incorporent d’autres activités humaines – commerce caravanier, cartographie – devenant en cas limite un graffiti dénué de sens en dehors de celui qui le grave. L’expression sociale devient une manifestation individuelle.

SAPA (Vietnam) Découverts en 1923 plus de 200 rochers comportent des pétroglyphes dont les plus spectaculaires sont de véritables cartes du paysage avec une figuration des rizières, un parcellaires des cultures, des réseaux viaires et hydrauliques, …

SAPA (Vietnam) Découverts en 1923 plus de 200 rochers comportent des pétroglyphes dont les plus spectaculaires sont de véritables cartes du paysage avec une figuration des rizières, un parcellaires des cultures, des réseaux viaires et hydrauliques, ainsi que des implantations humaines.

 3 – ENCORE QUELQUES PETROGLYPHES …

En Jordanie le Wadi Rum est une excursion classique pour qui visite la Jordanie. Il offre un répertoire considérable de pétroglyphes qui témoigne de la permanence de la présence humaine depuis le début du Néolithique jusqu’à nos jours dans cet environnement particulièrement sévère (on est ici dans l’ambiance désertique qui déborde de la péninsule arabique). Ceux que j’ai pu observer se rencontrent dans une configuration « classique » : parois gréseuses fortement patinées, piquetage en cupules pour trouver la teinte non altérée de la roche, figures indiquées par un simple contour ou dotées d’une “épaisseur” par creusement de  l’intérieur de la figure.

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Une datation semble bien difficile à établir. Si les plus anciens peuvent remonter au début du Néolithique, les plus fréquents représentent des dromadaires. On peut en ce cas proposer la fourchette suivante : pas avant le 1er millénaire avant notre ère, époque de la domestication du dromadaire dans le sud de la péninsule arabique et jusque vers 600 de notre ère, une écriture pré arabe étant parfaitement identifiable sur certaines parois (des graffitis plus récents en écriture arabe classique sont le plus souvent des versets du Coran).

L’organisation des dromadaires en ribambelle fait penser à une caravane. Ces pétroglyphes pourraient dater de la période nabatéenne (environ 300 av. JC à 100 ap. JC) lorsque des caravanes chargées de produits de l’Arabie heureuse parvenaient à Petra en empruntant ce couloir du Wadi Rum. On peut les voir comme un balisage à l’intérieur des multiples canyons qui entaillent le massif gréseux. Les versets coraniques que l’on rencontre montrent que cet itinéraire caravanier s’est maintenu au fil des siècles, jalonnant peut-être des haltes sacrées sur l’itinéraire.

Les figures humaines, chasseurs guerriers, couples sont aussi très présents dans les gravures.

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Autre site que j’ai visité, en Afrique du Sud, un abri sous roche dans une falaise du Drakensberg qui a longtemps été occupé par les San (dénomination générique qui s’est substituée au terme de Bushmen, Bochiman). Pratiquant la protection de leur épiderme par un enduit gras à base d’argile rouge on peut encore rencontrer leurs descendants en Namibie.

            Le Drakensberg est une muraille de grès et de basalte qui s’aligne sur 200 km et qui comporte de très nombreux abris sous roche inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Le site visité comporte des peintures datées de 3.000 ans av. JC jusque vers le 18e siècle. Chasseurs cueilleurs, persécutés par les Bantous, descendant du Nord et par les Boers, arrivant du Sud, les San ont migrés vers le désert du Kalahari où ils ne sont plus guère qu’une centaine de milliers largement sédentarisés aujourd’hui.

            Si quelques gravures sont présentes, on a là un bel exemple de l’usage de la peinture en abri sous roche, les pigments utilisés donnant une large gamme du brun au rouge en passant par des ocres que viennent compléter l’usage du blanc et du noir. Les figures humaines sont de 2 types : en brun rouge, plutôt minces, parfois avec une tête animale en silhouette (masque ?) et dotées d’une arme (arc)

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Venant les surcharger, de grandes figures noirs épaisses avec de têtes animales bien identifiée sont armées de lances : évocation de l’invasion bantou ?

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Mais c’est dans les représentations animales que la palette colorée se développe le mieux : l’identification la plus précise possible des animaux par leur robe paraît essentielle pour un peuple de chasseurs…

4– QUELLES INTERPRETATIONS DONNER DES PETROGLYPHES ?

Compte tenu du laps de temps concerné et de la diversité des sites, une explication unique est impossible. Je voudrais pourtant ici esquisser quelques grandes lignes de réflexion au terme des pérégrinations que je vous ai proposé.

            L’art pariétal des grottes profondes évoque une pratique d’initiation permettant en se soustrayant à la lumière du jour et de l’environnement quotidien, de nouer de relations privilégiées avec certains êtres incarnant symboliquement des qualités que l’homme envie et souhaite obtenir par cette communication initiatique : vitesse du cheval, puissance du bison de l’auroch, compétence de chasseur du lion, etc. Selon les catégories développées par P. Descola, on peut considérer ce mode de pensée d’« animisme » : si la forme physique est différente entre l’homme et le monde qui l’entoure (animaux au premier chef qui disposent cependant aussi d’une tête, de 4 membres et sont mobiles) il y a identité d’intériorité des uns et des autres. Une communication peut donc s’établir et parvenir au transfert de compétence souhaité, par l’invocation que constitue la représentation.

            J. Clottes pose alors une question qui mérite qu’on s’y attarde : QUI assure cette communication ? QUI reçoit cette initiation ? Il suggère que le savoir-faire exceptionnel qui est mis en œuvre dans les grottes révèlerait déjà des statuts différenciés entre les individus. Il nécessite à l’évidence un apprentissage et repose sur des prédispositions naturelles que tous ne possèdent pas. Le « réalisme » des représentations implique une capacité de conceptualisation et de mémorisation qui fonde le prestige du chaman et la supériorité de son lignage qui tend à devenir dominant au sein du groupe. Pour J. Clottes, la conclusion s’impose : les inégalités sociales ne seraient pas nées, comme on le croit ordinairement, au Néolithique avec l’apparition de l’agriculture et la maitrise et la gestion des greniers, mais dès le Paléolithique récent, où un stockage des ressources sauvages est avéré. La captation de ces surplus par une minorité serait la clé d’une hiérarchisation sociale conduisant à des conflits. On en a des preuves archéologiques pour le Paléolithique même si les représentations (hommes en armes, affrontements de groupes) dont on dispose ne remontent qu’au Mésolithique.

            L’accroissement de la population humaine et les tensions générées pour l’accès aux ressources conduisent à la systématisation du modèle du clan et d’un nouveau rapport au monde. La discontinuité physique désormais assumée entre humains et non humains conduit au repérage des discontinuités entre les non humains, à la différence des espèces entre elles. Selon P. Descola, les discontinuités d’identités entre non humains permettent aux hommes de penser celles entre les humains. La différence des uns – des espèces entre elles – est synonyme de la différence des autres – des clans entre eux. Chaque clan affirme une identité (dans la physicalité et l'intériorité) qu’il réfère à son correspondant non humain : son totem. Le clan s'assimile alors à la fois à son esprit et à ses attributs physiques. Le totem est considéré comme l’ancêtre à l’origine de la communauté et fait l’objet d’un tabou : il ne peut être tué et mangé. Si par accident ou nécessité le tabou vient à être transgressé, une cérémonie expiatoire doit être conduite pour restaurer la bienveillance du totem. On a probablement là l’origine du culte des ancêtres et des offrandes à faire pour qu’ils restent dans leur monde, tout en étant bienveillant pour les vivants de leur lignage. On est dans le champ du sacré et non du divin.        

            Cette mutation nous ramène aux pétroglyphes : à l’épreuve initiatique individuelle au tréfonds des grottes succède la manifestation publique, visible par toute la communauté, de l’allégeance au totem (une bonne partie de la population non russe de Cholpon Ata s’assimile toujours au clan du mouflon). Cette allégeance peut aussi s’exprimer dans la fonction de balisage de l’espace que peuvent avoir ces pétroglyphes

            La mutation fondamentale qu’introduisent l’élevage et l’agriculture – « la révolution Néolithique » – dans le développement des sociétés humaines tendent à « laïciser » les pétroglyphes (la Vallée des Merveilles en est un bel exemple, ainsi que les caravanes du col de Sarmich ou du Wadi Rum) : de plus en plus souvent, ils expriment les activités qui occupent le temps des hommes. Le sacré devient de plus en plus subordonné au divin, que s’approprie une caste initiatrice des rites. Le chaman est dégradé au rang de « sorcier » par ses communications avec les esprits qui hantent le monde très matériel, tandis que le prêtre s’arroge le pouvoir d’exprimer le divin, extérieur et supérieur au monde réel, même si son intervention s’y manifeste sans cesse.

Le pétroglyphe amorce alors sa mutation en proto écriture (Combe Mayo) via le pictogramme et l’idéogramme (qui prennent au fil du temps valeur phonétique) avant que l’écriture alphabétique n’apparaisse (cunéiforme). Mais ceci est une autre histoire.

            Le pétroglyphe ne disparaît pas pour autant : s’il poursuit parfois sa carrière d’expression du sacré, la « modernité » le ravale le plus souvent au rang de « graffiti », le « tag » en étant désormais la forme urbaine…

DIRECTRICE DU THÉÂTRE DU SOLEIL MILITE POUR QUE L’ART VIVANT, ESSENTIEL À LA SOCIÉTÉ, NE SOIT PAS OUBLIÉ

Connaissance & Partage

Article: Ariane Mnouchkine

Réclusion des aînés, mensonges, infantilisation… Ariane Mnouchkine ne cache pas son indignation face aux couacs du pouvoir. Et la directrice du Théâtre du Soleil milite pour que l’art vivant, essentiel à la société, ne soit pas oublié.

Depuis 1970, à la Cartoucherie de Vincennes, Ariane Mnouchkine révèle grâce au théâtre l’ange et le démon qui sommeillent en nous. Qu’elle monte Eschyle, Shakespeare, Molière, qu’elle s’inspire du réel, la directrice du Théâtre du Soleil explore la limite entre le bien et le mal. Terrassée par le Covid-19, elle s’est réveillée dans une France confinée où les théâtres étaient à l’arrêt, artistes et intermittents sans travail, salles de représentation fermées. Cette crise historique, elle la traverse en artiste et en citoyenne. Dès que possible, elle reprendra les répétitions avec ses comédiens. Et avec eux transformera sa colère en une œuvre éclairante.

Comment se vit le confinement au Théâtre du Soleil ?
Comme nous pouvons. Comme tout le monde. Nous organisons des réunions par vidéo avec les soixante-dix membres du théâtre et parfois leurs enfants. Retrouver la troupe fait du bien à tous. Surtout à moi. Nous réfléchissons : après le déconfinement, comment faire ? Comment reprendre le théâtre, qui ne se nourrit pas que de mots mais surtout de corps ? Quelles conditions sanitaires mettre en œuvre sans qu’elles deviennent une censure insupportable ? Masques, évidemment, distanciations physiques dans les activités quotidiennes telles que les repas, les réunions, mais en répétition ? Se demander comment faire, c’est déjà être, un peu, dans l’action. Il se trouve que, le 16 mars, nous allions commencer à répéter un spectacle étrangement prophétique. Le sujet, que je ne peux ni ne veux évoquer ici, sous peine de le voir s’évanouir à tout jamais, ne varie pas. Mais sa forme va bouger sous les coups du cataclysme qui ébranle tout, individus, États, sociétés, convictions. Alors nous nous documentons, nous menons nos recherches dans tous les domaines nécessaires. Nous devons reprendre l’initiative, cette initiative qui, depuis deux mois, nous a été interdite, même dans des domaines où des initiatives citoyennes auraient apporté, sinon les solutions, du moins des améliorations notables sur le plan humain.

Quel est votre état d’esprit ?
J’ai du chagrin. Car derrière les chiffres qu’un type égrène chaque soir à la télévision, en se félicitant de l’action formidable du gouvernement, je ne peux m’empêcher d’imaginer la souffrance et la solitude dans lesquelles sont morts ces femmes et ces hommes. La souffrance et l’incompréhension de ceux qui les aimaient, à qui on a interdit les manifestations de tendresse et d’amour, et les rites, quels qu’ils soient, indispensables au deuil. Indispensables à toute civilisation. Alors qu’un peu d’écoute, de respect, de compassion de la part des dirigeants et de leurs moliéresques conseillers scientifiques aurait permis d’atténuer ces réglementations émises à la hâte, dont certaines sont compréhensibles mais appliquées avec une rigidité et un aveuglement sidérants.

Parlons-nous du théâtre ?
Mais je vous parle de théâtre ! Quand je vous parle de la société, je vous parle de théâtre ! C’est ça le théâtre ! Regarder, écouter, deviner ce qui n’est jamais dit. Révéler les dieux et les démons qui se cachent au fond de nos âmes. Ensuite, transformer, pour que la Beauté transfigurante nous aide à connaître et à supporter la condition humaine. Supporter ne veut pas dire subir ni se résigner. C’est aussi ça le théâtre !

“On ne peut pas déclarer la guerre sans appeler, dans le même temps, à la mobilisation générale”

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Vous êtes en colère ?
Ah ! ça oui ! Je ressens de la colère, une terrible colère et, j’ajouterai, de l’humiliation en tant que citoyenne française devant la médiocrité, l’autocélébration permanente, les mensonges désinformateurs et l’arrogance obstinée de nos dirigeants. Pendant une partie du confinement, j’étais plongée dans une semi-inconscience due à la maladie. Au réveil, j’ai fait la bêtise de regarder les représentants-perroquets du gouvernement sur les médias tout aussi perroquets. J’avais respecté la rapidité de réaction d’Emmanuel Macron sur le plan économique et son fameux « quoi qu’il en coûte » pour éviter les licenciements. Mais lorsque, dans mon petit monde convalescent, sont entrés en piste ceux que je surnomme les quatre clowns, le directeur de la Santé, le ministre de la Santé, la porte-parole du gouvernement, avec, en prime, le père Fouettard en chef, le ministre de l’Intérieur, la rage m’a prise. Je voudrais ne plus jamais les revoir.

Que leur reprochez-vous ?
Un crime. Les masques. Je ne parle pas de la pénurie. Ce scandale a commencé sous les quinquennats précédents de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Mais appartenant au gouvernement qui, depuis trois ans, n’a fait qu’aggraver la situation du système de santé de notre pays, ils en partagent la responsabilité. En nous répétant, soir après soir, contre tout bon sens, que les masques étaient inutiles voire dangereux, ils nous ont, soir après soir, désinformés et, littéralement, désarmés. Alors qu’il eût fallu, et cela dès que l’épidémie était déclarée en Chine, suivre l’exemple de la plupart des pays asiatiques et nous appeler à porter systématiquement le masque, quitte, puisqu’il n’y en avait pas, à en fabriquer nous-mêmes. Or nous avons dû subir les mensonges réitérés des quatre clowns, dont les propos inoubliables de la porte-parole du gouvernement qui nous a expliqué que, puisque elle-même — la prétention de cet « elle-même » — ne savait pas les utiliser, alors personne n’y parviendrait ! Selon de nombreux médecins qui le savent depuis longtemps mais dont la parole ne passait pas dans les médias-perroquets au début de la catastrophe, nous allons tous devoir nous éduquer aux masques car nous aurons à les porter plusieurs fois dans notre vie. Je dis cela car dans le clip qui nous recommande les gestes barrières, le masque ne figure toujours pas. Je suis de celles et ceux qui pensent que son usage systématique, dès les premières alertes, aurait, au minimum, raccourci le confinement mortifère que nous subissons.

Subir est-il le pire ?
Nous devons cesser de subir la désinformation de ce gouvernement. Je ne conteste pas le fameux « Restez chez vous ». Mais, si l’on est (soi-disant) en guerre, ce slogan ne suffit pas. On ne peut pas déclarer la guerre sans appeler, dans le même temps, à la mobilisation générale. Or cette mobilisation, même abondamment formulée, n’a jamais été réellement souhaitée. On nous a immédiatement bâillonnés, enfermés. Et certains plus que d’autres : je pense aux personnes âgées et à la façon dont elles ont été traitées. J’entends s’exprimer dans les médias des obsédés anti-vieux, qui affirment qu’il faut tous nous enfermer, nous, les vieux, les obèses, les diabétiques jusqu’en février, sinon, disent-ils, ces gens-là encombreront les hôpitaux. Ces gens-là ? Est-ce ainsi qu’on parle de vieilles personnes et de malades ? Les hôpitaux ne seraient donc faits que pour les gens productifs en bonne santé ? Donc, dans la France de 2020, nous devrions travailler jusqu’à 65 ans et une fois cet âge révolu, nous n’aurions plus le droit d’aller à l’hôpital pour ne pas encombrer les couloirs ? Si ce n’est pas un projet préfasciste ou prénazi, ça y ressemble. Cela me fait enrager.

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“Pendant un an, ils restent sourds aux cris d’alarme des soignantes et soignants qui défilent dans la rue. Aujourd’hui, ils leur disent : vous êtes des héros.”

Que faire de cette rage ?
Cette rage est mon ennemie parce qu’elle vise de très médiocres personnages. Or le théâtre ne doit pas se laisser aveugler par de très médiocres personnages. Dans notre travail, nous devons comprendre la grandeur des tragédies humaines qui sont en train d’advenir. Si nous, artistes, nous restons dans cette rage, nous n’arriverons pas à traduire dans des œuvres éclairantes pour nos enfants ce qui se vit aujourd’hui. Une œuvre qui fera la lumière sur le passé pour que l’on comprenne comment une telle bêtise, un tel aveuglement ont pu advenir, comment ce capitalisme débridé a pu engendrer de tels technocrates, ces petits esprits méprisants vis-à-vis des citoyens. Pendant un an, ils restent sourds aux cris d’alarme des soignantes et soignants qui défilent dans la rue. Aujourd’hui, ils leur disent : vous êtes des héros. Dans le même temps, ils nous grondent de ne pas respecter le confinement alors que 90 % des gens le respectent et que ceux qui ne le font pas vivent souvent dans des conditions inhumaines. Et que le plan Banlieue de Jean-Louis Borloo a été rejeté du revers de la main, il y a à peine deux ans, sans même avoir été sérieusement examiné ni discuté. Tout ce qui se passe aujourd’hui est le résultat d’une longue liste de mauvais choix.

Cette catastrophe n’est-elle pas aussi une opportunité ?
Oh ! une opportunité ? ! Des centaines de milliers de morts dans le monde ? Des gens qui meurent de faim, en Inde ou au Brésil, ou qui le risquent dans certaines de nos banlieues ? Une aggravation accélérée des inégalités, même dans des démocraties riches, comme la nôtre ? Certains pensent que nos bonnes vieilles guerres mondiales aussi ont été des opportunités… Je ne peux pas répondre à une telle question, ne serait-ce que par respect pour tous ceux qui en Inde, en Équateur ou ailleurs ramassent chaque grain de riz ou de maïs tombé à terre

Les Français sont-ils infantilisés ?
Pire. Les enfants ont, la plupart du temps, de très bons profs, dévoués et compétents, qui savent les préparer au monde. Nous, on nous a désarmés psychologiquement. Une histoire m’a bouleversée : dans un Ehpad de Beauvais, des soignantes décident de se confiner avec les résidentes. Elles s’organisent, mettent des matelas par terre et restent dormir près de leurs vieilles protégées pendant un mois. Il n’y a eu aucune contamination. Aucune. Elles décrivent toutes ce moment comme extraordinaire. Mais arrive un inspecteur du travail pour qui ces conditions ne sont pas dignes de travailleurs. Des lits par terre, cela ne se fait pas. Il ordonne l’arrêt de l’expérience. Les soignantes repartent chez elles, au risque de contaminer leurs familles, avant de revenir à l’Ehpad, au risque de contaminer les résidentes. En Angleterre, c’est 20 % du personnel qui se confine avec les résidents. Mais non, ici, on interdit la poursuite de cette expérience fondée sur une réelle générosité et le volontariat, par rigidité réglementaire ou par position idéologique. Ou les deux.

“À croire qu’ils rêvent d’un Ehpad généralisé où cacher et oublier tous les vieux. Jeunes, tremblez, nous sommes votre avenir ! ”

Cette mise à l’écart des personnes âgées révèle-t-elle un problème de civilisation ?
Absolument. Lorsque la présidente de la Commission européenne suggère que les gens âgés restent confinés pendant huit mois, se rend-elle compte de la cruauté de ses mots ? Se rend-elle compte de son ignorance de la place des vieux dans la société ? Se rend-elle compte qu’il y a bien pire que la mort ? Se rend-elle compte que parmi ces vieux, dont je suis, beaucoup, comme moi, travaillent, agissent, ou sont utiles à leurs familles ? Sait-elle que nous, les vieux, nous acceptons la mort comme inéluctable et que nous sommes innombrables à réclamer le droit de l’obtenir en temps voulu, droit qui nous est encore obstinément refusé en France, contrairement à de nombreux autres pays. Quelle hypocrisie ! Vouloir nous rendre invisibles plutôt que de laisser ceux d’entre nous qui le veulent choisir le moment de mourir en paix et avec dignité. Lorsque Emmanuel Macron susurre : « Nous allons protéger nos aînés », j’ai envie de lui crier : je ne vous demande pas de me protéger, je vous demande juste de ne pas m’enlever les moyens de le faire. Un masque, du gel, des tests sérologiques ! À croire qu’ils rêvent d’un Ehpad généralisé où cacher et oublier tous les vieux. Jeunes, tremblez, nous sommes votre avenir !

Qu’est-ce que cela dit sur notre société ?
Sur la société, je ne sais pas, mais cela en dit beaucoup sur la gouvernance. Dans tout corps, une mauvaise gouvernance révèle le plus mauvais. Il y a 10 % de génies dans l’humanité et 10 % de salopards. Dans la police, il y a 10 % de gens qui ne sont pas là pour être gardiens de la paix mais pour être forces de l’ordre. Je respecte la police, mais lorsqu’on donne des directives imprécises, laissées à la seule interprétation d’un agent, cet agent, homme ou femme, se révélera un être humain, bon, compréhensif et compétent, ou bien il agira comme un petit Eichmann 1 investi d’un pouvoir sans limite, qui, parce que son heure est enfin venue, pourra pratiquer sa malfaisance. Donc il fera faire demi-tour à un homme qui se rend à l’île de Ré pour voir son père mourant. Ou il fouillera dans le cabas d’une dame pour vérifier qu’elle n’a vraiment acheté que des produits de première nécessité. Et s’il trouve des bonbons, il l’humiliera. Quand je pense qu’ont été dénoncées, oui, vous avez bien entendu, dénoncées, et verbalisées des familles qui venaient sous les fenêtres pour parler à leurs proches reclus en Ehpad… Se rend-on compte de ce qui est là, sous-jacent ?

Redoutez-vous un État liberticide ?
Il y a, indubitablement, un risque. La démocratie est malade. Il va falloir la soigner. Je sais bien que nous ne sommes pas en Chine où, pendant le confinement de Wuhan, on soudait les portes des gens pour les empêcher de sortir. Mais, toute proportion gardée, oui, en France, la démocratie est menacée. Vous connaissez, bien sûr, l’histoire de la grenouille ? Si on la plonge dans l’eau bouillante, elle saute immédiatement hors de l’eau. Si on la plonge dans l’eau froide et qu’on chauffe très doucement cette eau, elle ne saute pas, elle meurt, cuite. C’est l’eau fraîche de la démocratie que, petit à petit, on tiédit. Je ne dis pas que c’est ce que les gouvernants veulent faire. Mais je pense qu’ils sont assez bêtes pour ne pas le voir venir. Oui, je découvre avec horreur que ces gens, si intelligents, sont bêtes. Il leur manque l’empathie. Ils n’ont aucune considération pour le peuple français. Pourquoi ne lui dit-on pas simplement la vérité ?

“Ce dont j’ai peur surtout, c’est de la haine. Parce que la haine ne choisit pas, elle arrose tout le monde.”

Avez-vous encore espoir en nos dirigeants politiques ?
Lorsque le 12 mars Emmanuel Macron dit : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour… La santé… notre État-providence ne sont pas des coûts… mais des biens précieux », nous nous regardons, ahuris. Et cela me rappelle l’histoire de l’empereur Ashoka qui, en 280 av. J.-C., pour conquérir le royaume de Kalinga, livra une bataille qui se termina par un tel massacre que la rivière Daya ne charriait plus de l’eau mais du sang. Face à cette vision, Ashoka eut une révélation et se convertit au bouddhisme et à la non-violence. Nous espérons parfois de nos gouvernants cette prise de conscience du mal qu’ils commettent. J’avoue que, ce soir-là, j’ai espéré cette conversion d’Emmanuel Macron. J’ai souhaité que, constatant son impuissance face à un minuscule monstre qui attaque le corps et l’esprit des peuples, il remonte avec nous la chaîne des causalités, comprenne de quelle manière l’Histoire, les choix et les actes des dirigeants, de ses alliés politiques, ont mené à notre désarmement face à cette catastrophe. J’aurais aimé qu’il comprenne à quel point il est, lui-même, gouverné par des valeurs qui n’en sont pas. Ça aurait été extraordinaire. J’aimerais avoir de l’estime pour ce gouvernement. Cela me soulagerait. Je ne demanderais que ça. Au lieu de quoi je ne leur fais aucune confiance. On ne peut pas faire confiance à des gens qui, pas une seconde, ne nous ont fait confiance. Quand, permises ou pas, les manifestations vont reprendre le pavé, seront-elles de haine et de rage, n’aboutissant qu’à des violences et des répressions, avec en embuscade Marine Le Pen qui attend, impavide, ou seront-elles constructives, avec de vrais mouvements qui font des propositions ? Certains matins je pense que ça va être constructif. Et certains soirs, je pense l’inverse. Ce dont j’ai peur surtout, c’est de la haine. Parce que la haine ne choisit pas, elle arrose tout le monde.

Vous avez peur d’un déconfinement de la haine ?
Exactement ! Peur du déconfinement de la haine coléreuse. Est-ce que le peuple français va réussir à guérir, ou au moins à orienter sa rage, donc ses haines, vers des propositions et des actions novatrices et unificatrices ? Il serait temps. Car le pire est encore possible. Le pire, c’est-à-dire le Brésil, les États-Unis, etc. Nous n’en sommes pas là mais nous y parviendrons, à force de privatisations, à force d’exiger des directeurs d’hôpitaux qu’ils se comportent en chefs d’entreprises rentables. Heureusement Emmanuel Macron a eu la sagesse d’immédiatement mettre en œuvre un filet de sécurité — le chômage partiel — pour que la France ne laisse pas sur la paille treize millions de ses citoyens. C’était la seule chose à faire. Il l’a faite. Cela doit être salué. Mais cette sagesse n’a rien à voir avec une pseudo « générosité » du gouvernement, comme semble le penser un certain ministre. Elle est l’expression même de la fraternité qui est inscrite sur nos frontons. C’est la vraie France, celle qui fait encore parfois l’admiration et l’envie des pays qui nous entourent. Pour une fois, on a laissé l’économie derrière afin de protéger les gens. Encore heureux !

“Le virus nous assiège tous, mais, de fait, les arts vivants vont subir le plus long blocus”

Qu’attendez-vous pour les artistes, les intermittents  ?
Je viens d’entendre qu’Emmanuel Macron accède, heureusement, à la revendication des intermittents qui demandent une année blanche afin que tous ceux qui ne pourront pas travailler dans les mois qui viennent puissent tenir le coup. C’est déjà ça. Ici, au Soleil, nous pouvons travailler, nous avons une subvention, un lieu, un projet et des outils de travail. À nous de retrouver la force et l’élan nécessaires. Ce n’est pas le cas des intermittents et artistes qui, pour trouver du travail, dépendent d’entreprises elles-mêmes en difficulté. Même si, en attendant, certains vont réussir à répéter, il va falloir, pour jouer, attendre que les salles puissent ouvrir à plein régime. Cela peut durer de longs mois, jusqu’à l’arrivée d’un médicament. Ceux-là ne doivent pas être abandonnés, l’avenir de la création théâtrale française, riche entre toutes, peut-être unique au monde, dépend d’eux. Personne ne pardonnerait, ni artistes ni public, qu’on laisse revenir le désert. Lors d’une inondation, on envoie les pompiers et les hélicoptères pour hélitreuiller les gens réfugiés sur leurs toits. Quoi qu’il en coûte. Le virus nous assiège tous, mais, de fait, les arts vivants vont subir le plus long blocus. Donc, comme pendant le blocus de Berlin, il faut un pont aérien qui dure tant que le siège n’est pas levé, tant que le public ne peut pas revenir, rassuré et actif, avec enthousiasme. Avec masque, s’il est encore nécessaire. Mais la distance physique ne sera pas tenable au théâtre. Ni sur la scène, ni même dans la salle. C’est impossible. Pas seulement pour des raisons financières, mais parce que c’est le contraire de la joie.

N’est-il pas temps d’appeler à un nouveau pacte pour l’art et la culture ?
Pas seulement pour l’art et la culture. Nous faisons partie d’un tout.

PETROGLYPHES 3ème ETAPE : AMERIQUES

Connaissance & Partage

PETROGLYPHES 3ème ETAPE : AMERIQUES

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A l’occasion de plusieurs voyages en divers pays du continent américain, jai rencontrés plusieurs sites de pétroglyphes ce qui témoigne de l’universalité de ce type d’expression des communautés humaines. Au cours de cette étape je vais vous proposer 3 haltes :

* Aux Etats Unis, dans l’Utah, pour découvrir News Paper Rock ;

* Dans les Caraïbes, en Guadeloupe, pour découvrir l’ensemble des 3 Rivières ;

* Au Pérou, à Cajamarca pour découvrir le site de Cumbemayo ;

1 – NEWSPAPER ROCK

Il s’agit d’un site très facile d’accès du parc des Canyonlands dans sa section du Needle district. C’est une partie de l’immense plateau du Colorado constitué par une accumulation de roches sédimentaires subhorizontales profondément entaillées par le canyon du Colorado. La roche dominante dans le site est un grés fin, fortement cuirassé en surface par une patine ésertique mêlant fer et manganèse. C’est cette patine qui a servi de tableau noir aux autochtones dans un abri sous roche pour y exprimer, par la technique du piquetage du vernis, leur culture et leurs pratiques, bien difficiles à déchiffrer et encore plus à dater dans l’absolu.

Dénommé aujourd’hui dans la terminologie du parc « News Paper », il était baptisé par les Navajos comme « Tse Hane » .. le rocher qui raconte une histoire.

Falaise

Falaise

Abri

Abri

Panneau

Panneau

La première datation proposée remonte au 2ème millénaire avant notre ère, attribuant les premières gravures à des chasseurs-cueilleurs nomades ayant fréquenté la région sans y avoir laissé vraiment de sites d’habitat qui permettrait de confirmer cette proposition. On peut cependant remarquer que certains dessins sont assez fortement patinés, ce qui atteste de leur ancienneté. Comme ils sont surchargés par des tracés beaucoup plus clairs, on peut conclure que ce sont les plus anciennes figures du site.

Figure ancienne

Figure ancienne

Vers la fin du 1er millénaire avant notre ère, un nouveau peuple s’installe dans la région, les Anasazis (ce terme de la langue navajo signifie “les anciens”). A partir du début de notre ère, ils se sédentarisent laissant beaucoup de traces dans la région des Needles, mais sans jamais abandonner complètement la chasse et la cueillette pratiquées par leurs ancêtres. Cette sédentarisation témoigne de l’importance croissante de l’agriculture dans leur mode de vie. Cultivant des champs proches de leurs habitations, ils récoltent le maïs, base de leur alimentation, des haricots, des courges, des calebasses et du tabac. Une partie du grain était entreposée en prévision des mauvaises récoltes dans des greniers soigneusement camouflés dans des entrées de grottes. La présence de tels greniers, atteste de leur pratique de l’agriculture

Grenier

Grenier

Certaines de leurs maisons, en pierres et en adobe, comparables à ceux de Mesa Verde, sont bien conservées, mais les éléments de vie quotidienne (maitrise de la céramique et du tissage) et les outils utilisés ont été en grande partie emportés par des pillards, la protection des sites archéologiques des “Natives” étant très récente. Ce site n’est classé que depuis 1976 ce qui explique les nombreux graffitis du 20e siècle qui ont endommagé le panneau.

Pan centre

Pan centre

Parmi les figures que l’on peut observer sur l’ensemble du panneau, les empreintes de pieds (à 4 ou 5 doigts) ainsi que les tracés de piste (2 tirets parallèles suivis de 2 points) doivent être dans les premiers réalisés car ils sont souvent surchargés. La faune évoquée comporte des mouflons, des cerfs, des bisons (2 styles : corps plein clair ou corps en silhouette, l’intérieur comportant simplement quelques piquetages de points sur la patine à mon avis plus récents), un écureuil volant et un probablement un lézard. Les figures humaines sont de petites dimensions, filiformes, souvent groupées : famille ? Des signes circulaires emboités ou en spirales dont certaines atteignent 75 centimètres de diamètre, évoquent, selon les notices, le mouvement du soleil ou le temps qui passe.

Chamane

Chamane

Un grand personnage fait penser à un chamane : le bâton qu’il tient à la main évoque les nombreux bâtons de prière en bois, retrouvés par les archéologues, qui étaient offerts aux « esprits ». Les lignes ondulées qui en émane (il y en a d’autres sur le panneau) pourrait indiquer son rôle dans la maitrise de l’eau, élément essentiel dans cet espace semi-aride. Beaucoup de suppositions qui révèlent la puissance de ces images à introduire à l’espace du rêve que fréquente le chamane …

Par contre les scènes de chasses avec des cavaliers sont faciles à dater. Le cheval ayant été introduit sur le continent par les Espagnols, qui n’arrivent dans cette région qu’au 16e siècle, ces scènes sont donc postérieures à cette période. Elles accompagnent l’arrivée, sur ce territoire, du peuple Navajo.   

Déjà, depuis le 9e siècle d'autres peuples indiens, les Utes et les Paiutes s’étaient installés dans la région poussant les Anasazis, jusque là dispersés en petits villages, à se regrouper dans des cités difficiles d’accès et fortifiées (cas de Mesa Verde). Mais pour une raison inconnue, au 13e siècle, les Anasazis disparaissent, abandonnant leurs cités. On considère aujourd’hui que les Zuñis et les Hopis de l'Arizona et du Nouveau-Mexique sont leurs descendants, perpétuant certaines de leurs traditions.

Migrant depuis les plaines canadiennes, faisant parti du grand groupe de la nation Apache, les Navajos se taillent une place dans la région en attaquant Utes et Paiutes, se faisant une réputation de pillards. Car ils ne pratiquent pas alors l’agricultures. Devenus un peuple pastoral, avec une économie fondée en grande partie sur l'élevage et la chasse, ils héritent des Espagnols les chevaux, les moutons et les chèvres qui vont constituer la base de leurs ressources.

Chasse

Chasse

Deux silhouettes de chamanes peuvent leur être rattachées. Les personnages ont un corps épais, portant l’un des cornes de bison, l’autre des cornes de cerf, intercesseur nécessaire à pour une bonne chasse. Vu la position dans le haut du panneau et le dessin de la tête du cheval, je pense que c’est un des dessins les plus récents du panneau. Remarquons la présence insolite d’une roue (rayons et moyeux central), inconnue des “Natives” et à ma connaissance jamais utilisée par les Navajos jusqu’au 19e siècle au moins (aujourd’hui, dans leur réserve, le 4x4 leur est familier…).

De nombreux autres sites à pétroglyphes se trouvent en quantité dans l’Ouest, y compris dans la Vallée de la Mort, les Etats Unis en comptant un total de 42, reconnus et classés.

NOTE : comme les premiers chevaux capturés par les Indiens étaient le plus souvent des bêtes échappées et en état de liberté, les Indiens ont appris à les monter à cru, ce qui suppose un accord total entre l’homme et la monture pour que la charge du cavalier se distribue au mieux et sans à-coup, en l’absence d’une selle. [Merci, Lise !]

2 – LES 3 RIVIERES

S’ils les pétroglyphes sont présents dans toutes les iles des Antilles, leur inventaire est loin d’être achevé comme l’a montré en 2016 la découverte de pétroglyphes sur l’ile de Montserrat (voir mon chapitre 2 sur les volcans) qui ne semblait pas en être dotée. Pour l’heure, la Guadeloupe en offrent la plus forte concentration de tout l’arc caraïbe. Plus de 1200 gravures sont recensées sur 27 sites. La commune de Trois-Rivières en comprend cinq : l'Anse des Galets, la Vallée d'Or, l'Anse Duquery, la rivière du Petit Carbet et l'embouchure de la rivière la Coulisse. En 1975, un Parc archéologique a été créé, géré depuis la loi de décentralisation par le conseil général de la Guadeloupe. Il présente, sur un hectare, une vingtaine de roches présentant au total plus de 230 gravures et des polissoirs. Dégradé par un éboulement lié au tremblement de terre de 2004, il a été l’objet d’une importante rénovation.

            La technique la plus fréquemment utilisée est la gravure par incision assez profonde (probablement amorcée par piquetage), car dans les conditions subtropicales de l’ile il n’y a pas eu formation de patine sur les roches utilisées comme support. La conséquence en est une moins bonne lisibilité : c’est en éclairage rasant que l’on peut le mieux voir les figures gravées.

 A la différence de la situation des pétroglyphes de l’Amérique du nord, on dispose pour la Caraïbe d’un document fondamental qui nous éclaire sur le sens des représentations réalisées. Il s’agit de la relation du moine Ramon Pane réalisée à la demande de Colomb en 1493 sur l’ile d’Hispaniola, concernant la religion des indigènes rencontrés et du lien qu’ils entretenaient avec les grottes peintes. Ses remarques nous imposent une attention particulière au site : les roches gravées sont des œuvres « in situ » qui dialoguent avec le paysage et les éléments qui le constitue, grotte, source, végétation, etc.

            Un 3e préalable est de tenir compte de la chronologie du peuplement des iles. Là encore l’ile de Monserrat peut nous fournir un pivot. Lorsque Colomb l’explore, l’ile est inhabitée. Or les trouvailles archéologiques au 20e siècle ont montré qu’elle avait été habitée auparavant. La première culture insulaire est celles des Taino dont les premiers vestiges datent d’au moins 150 av. JC. (“arawak saladoïde” pour les archéologues). Cette culture se développe jusque vers 1100 de notre ère, période où une population provenant de la cote du continent, entre les fleuves Maroni et Orénoque, les Kalina (= caraïbes)  lance des incursions sur les iles et occupent, au cours des 3 siècles suivant, les iles des petites Antilles. Malgré des raids sur les grandes Antilles, ils ne parviennent pas à y prendre pied, et la culture taino s’y conserve (c’est elle que découvre Colomb). A la limite entre ces 2 espaces en conflit, entre Taino et Kalina, une forme de no mans land va s’établir, se vidant de sa population soit vers le nord soit vers le sud. Les pétroglyphes de la Guadeloupe sont rattachés à la culture taino et datée, à partir d’un tesson de poterie proche du site central, du 4e ou 5e siècles de notre ère.

La majeure partie d’entre eux sont anthropomorphe. Mais l’expression peut en être extrêmement schématique : une paire d’yeux, cerclés ou non

Yeux cerclés

Yeux cerclés

Sur un autre rocher on retrouve ces yeux sur certaines gravures mais aussi la représentation plus complète des visages. Les yeux et la bouche sont toujours indiqués par des cupules bien creusées. Sur ce rocher on peut aussi repérer des figures un peu plus complexes, comportant une ébauche de corps. Il ne s’agit pas de "bébé emmailloté" comme cela avait été suggéré parfois, mais bien du corps d’un défunt enveloppé dans un linceul hamac.  Sur la tête d’un personnage on remarque une coiffe probablement de plumes indiquant un statut élevé dans la

société. Symboliquement, il s’agit ici d’honorer des ancêtres dont on cherche à se concilier la bienveillance. Une autre gravure avance dans la représentation plus réaliste du visage : le visage est rond, les yeux sont cerclés (selon certains archéologues, corrélant cette figuration avec des poteries, il s’agirait d’évoquer le crane d’un défunt, aux orbites creuses cernées par un gros bourrelet circulaire) la bouche et le nez sont placés et les oreilles sont représentées. Mais le corps emmailloté indique bien qu’il s’agit là encore d’un fardeau funéraire.

Multi gravures

Multi gravures

Tête ronde

Tête ronde

Sur cet autre rocher, la partie supérieure comporte une tête bien dessinée accompagnée de visages schématiques. En dessous, l’axe central est occupé par un grand personnages souriant doté d’une coiffe de plumes incurvées. A gauche et à droite figurent aussi des personnages coiffés. Celui de gauche (j’ai éliminé celui de droite peu visible su mon cliché en raison de l’ombre) présente un corps d’un dessin complexe : le centre du corps est un carré dans lequel s’inscrit une croix diagonale qui se prolonge aux extrémités basses par une volute. Dans le document pédagogique du parc il est indiqué comme étant un cacique (?). Mais si la description du rocher est bien menée (on apprend en outre que la partie supérieure du rocher voisin a été emporté aux Etats Unis en 1901 et se trouve désormais  au Musée d’histoire naturelle de New-York), aucune explication n’est proposée. La proximité́ entre deux gravures n’implique pas qu’il existe une relation de sens entre elles, car elles ont pu être exécutées à des époques différentes. Mais ici la parenté de style et l’organisation du panneau plaide plutôt pour une réalisation en un seul épisode. Alors je me lance : le grand ancêtre central serait en connexion avec le cacique, source d’inspiration pour conduire la communauté des vivants.

Cacique

Cacique

Schéma

Schéma

Une autre figure m’a intriguée : il ne s’agit vraisemblablement pas d’un visage car les “yeux” et la “bouche” ne sont pas creusés et le long appendice qui surmonte la figure ne semble pas évoquer une coiffe. Ce pétroglyphe m’a fait pense aux « idoles violons » qui sont parmi les plus archaïques de l’archipel des Cyclades en Méditerranée (3ème millénaire avant notre ère). Ces idoles sont en fait la représentation totalement épurée d’un corps féminin.

Corps (grand image)

Corps (grand image)

Idole (petite image)

Idole (petite image)

Rassurez vous : je ne vais pas vous proposer la découverte de l’Amérique par les Egéens en ces temps reculés. Mais j’y vois une convergence de représentation (fait que j’ai pu constater entre diverses civilisations sur la planète) du corps humain qui est le même quel que soit le continent. Si je retiens cette hypothèse, le long appendice serait un cou, le premier élargissement arrondi avec les 2 cercles un buste avec des seins et après l’étrécissement d’une taille, le nouvel arrondi et son cercle serait un bassin et un nombril ? ou un sexe ? Cette figuration aurait donc à voir avec la maternité et avec la continuation de la vie pour le groupe concerné.

Un autre rocher, près d’une source présente une figure plus explicite de la continuité des générations.

Accouchement

Accouchement

Ce rocher est le plus souvent à moitié immergé. Mais en très basses eaux la scène se dévoile dans sa totalité : il s’agit d’un accouchement. La femme bras levé, buste évoqué par le carré à mi-corps, jambes pliées et relevées, expulse de son sexe un bébé (le visage est renversé par rapport à celui de la mère). Le rapport à la source semble à priori évident, la naissance s’annonçant par la perte des eaux. Je vais revenir sur la signification symbolique de ceci. Mais il faut encore préciser qu’un rocher toujours hors d’eau porte la gravure d’un corps masculin.

Dispositif

Dispositif

J’ai pu voir ce type de représentation d’un accouchement en Colombie, sur le site archéologique de San Agustin : une immense dalle gravée – près de 4 m de haut - comporte dans sa partie basse (coloration ocre due à l’oxyde de fer) la représentation de la parturiente tête renversée ; dans la moitié haute l’accoucheur a récupéré le bébé qu’il tient tête en bas. Sa bouche muni de crocs pourrait faire penser qu’il va dévorer le nouveau né. Mais il s’agit en fait d’un chamane ou d’un dieu jaguar protecteur accueillant le nouveau né dans le monde des vivants.

Dalle col.

Dalle col.

L’interprétation de toutes ces figures renvoient aux mythes qui structurent la pensée des Tainos dans leur rapport au monde. Les hommes y sont associés aux chauve-souris et les femmes aux grenouilles (notez dans la scène d’accouchement les jambes repliées en “grenouille”). Le monde de la femme est l’humide, l’intériorité, le calme de la grotte. Celui des hommes est le sec, l’extérieur, l’agitation des éléments au grand air. Cette dichotomie se retrouve dans les pratiques : la poterie et sa décoration symétrique et méticuleuse est le champ de la femme ; la gravure de la pierre, aléatoire, supposant l’affrontement avec une matière qui résiste dans la percussion puis l’incision, est le champ des hommes. Les pétroglyphes sont donc l’expression symbolique du macrocosme mais en cherchant à en éviter les excès. Leur positionnement est point de rencontre des contraires : à proximité des points d’eau, ou aux marges de deux mondes la forêt humide et la plage sèche, la montagne phallique et riche en grottes et la mer vaste étendue stérile où naissent les cyclones révèlent le souci premier de ces populations entre le pas assez et le trop d’eau. Le pas assez, c’est la sècheresse, c’est la disparition des vivres et du gibier, c’est la famine et le triomphe de la mort. Mais le trop, c’est le cyclone, des pluies ravageuses, l’inondation destructrice et la menace toujours présente d’un déluge anéantissant les iles.

Les pétroglyphes ont donc pour fonction de faire appel à l’intercession des ancêtres pour protéger la communauté des excès du macrocosme.

Me reste une interrogation : les mythes tainos ont été enregistrés à Hispaniola, qui comme l’ensemble des Grandes Antilles est sismique mais non volcanique. Par contre les Petites Antilles sont toutes nées du volcanisme. Or je n’ai rien trouvé concernant l’expression de l’intense activité de ce “macrocosme” dans les mythes ou les pétroglyphes. Et si la représentation de l’arc-en-ciel (pétroglyphe de Yanbou sur l’ile de St Vincent) était plutôt à associer à une éruption ? Car j’ai retrouvé un glyphe très similaire en Colombie (site de Chaquira, en face de l’extrémité d’une vaste coulée pyroclastique qui est franchie en cascade par le fleuve Magdalena, à proximité de son origine). Rien dans la définition de l’arc-en-ciel dans le mythe n’interdit cette assimilation : « un grand serpent qui porte toutes les couleurs du monde sur sa peau »  qui « vu à terre, c’est un chemeen maléfique qui cherche à tuer quelqu’un où à le rendre malade » (Henry Petitjean Roget)

Arc en ciel

Arc en ciel

Colombie

Colombie

Cascade

Cascade

Gardien

Gardien

POUR CEUX QUI VOUDRAIENT EN SAVOIR PLUS : Une excellente entrée en matière téléchargeable en pdf : Henry PETITJEAN ROGET - Contribution à l’étude de l'art rupestre des Antilles. Vers une tentative d'identification des représentations gravées Pour les plus ambitieux : Henry PETITJEAN ROGET - Archéologie des Petites Antilles

Archéologie HPR

Archéologie HPR

3 – CUMBE MAYO

Le dernier site que je veux vous présenter est situé au Pérou, à environ 20 km de la ville de Cajamarca.

La ville est célèbre car elle est le lieu de la capture de l’Inca Atahualpa par Pizarre au terme d’une embuscade qui extermine plusieurs milliers d’Indiens formant l’escorte de l’Inca (nov. 1532) Malgré le paiement d’une énorme rançon (plus de 12 tonnes d’or et d’argent !) et d’une conversion au christianisme imposé par la violence, Atahualpa est exécuté en août 1533.

Combe Mayo se trouve sur un haut plateau, à environ 3500 mètres d'altitude, dans un environnement isolé où pousse seulement une végétation basse, principalement formée d'ichus (une graminée typique des hauts plateaux andins). Le site s’inscrit dans un massif rocheux résultant du démantèlement d’un ancien volcan ce qui a créé une forêt de chicots de plusieurs dizaines de mètres de haut, les “Frailones” (“les grands moines”). Sa datation estimée – autour de 1000 av.JC – précède donc de plus de 2 millénaires l’instauration de l’empire Inca. L’élément le plus ancien du site est un canal aqueduc long de 9 kilomètres, de 35 à 50 cm de large et de 30 à 65 cm de profondeur avec des parois parfaitement planes. Il capte l'eau de la montagne pour alimenter la vallée de Cajamarca qui ne semble pourtant pas en manquer. Les archéologues pensent que la construction de cet aqueduc a plus un rôle religieux que pratique. La maitrise de l’ouvrage est impressionnante : souvent taillé directement dans la roche en place en utilisant des pierres plus dures que la roche présente sur le site, il est par endroit construit  et franchit un vallon sur un pont canal. La pente n’est que de 2 mm par mètre en moyenne et de loin en loin, le chenal franchit un système de chicanes en zig-zag qui sert à ralentir la vitesse d’écoulement de l’eau pour limiter l’érosion des parois du canal. Le captage permet de faire passer de l’eau qui aurait dû s’écouler vers le Pacifique sur le versant qui fait partie du bassin atlantique.

Canal creusé

Canal creusé

Canal construit

Canal construit

Pont canal

Pont canal

Chicane

Chicane

La signification religieuse de l’aqueduc s’exprime par des rochers taillés avec des formes particulières. Près du captage, un cylindre massif est considéré comme un autel de sacrifices réalisés pour assurer la pérennité de la source. Plus en aval, c’est un rocher taillé en forme de siège, à l’endroit où un ruisseau rejoint le canal, qui est peut-être un lieu de contrôle des écoulement où un lieu d’énonciation d’oracles à partir des débits respectifs constatés. On remarque que le “dossier” comporte un certain nombre de pétroglyphes.

Autel

Autel

Siège

Siège

Ceux-ci sont présents tout au long du canal, le plus souvent très dégradés. Les chicanes semblent un site privilégié de gravure mais sans exclusive. Même sur les endroits où ils sont les mieux conservés, il est impossible d’y repérer des signes qui pourraient permettre des identifications. Mais on peut aisément repérer 2 styles de gravures : les plus érodées sont constituées des signes divers qui ne semblent pas organisés sur le panneau. Sur d’autres, les incisions sont moins altérées et dessinent un véritable entrelacs qui surcharge des gravures moins profondes du premier style. Il y a là un indice de datation relative pour l’utilisation du site. Mais impossible, pour le visiteur que je suis, d’y discerner une ou des figures identifiables.

Pétro chic

Pétro chic

détail

détail

Mais le lieu le plus important du site est l’endroit baptisé El Santuaro. Il est en général considéré par les archéologues comme plus récent que l’aqueduc, d’environ ½ millénaire. L’âge retenu se situe autour de 600 av. JC, correspondant à l’apogée de la culture Chavin, considérée comme la matrice de toutes les cultures andines postérieures (équivalent de la culture Olmèque pour l’espace méso-américain)

Sanctuaire

Sanctuaire

Un des rochers, entaillé dans du matériel volcanique (probablement déposé dans une coulée pyroclastique) évoque le profil d’un visage humain. A l’emplacement de la “bouche”, un bassin circulaire de 3 m de diamètre a été excavé, venant renforcer l’illusion d’un profil humain. Les parois et le fond plat de ce bassin sont abondamment pourvus de pétroglyphes dont la gravure profonde les rattache au style de la seconde période rencontrée au long du canal. Mais ils sont tout aussi énigmatiques. En tous cas, cela n’a aucun rapport avec des glyphes d’écriture . A la différence des civilisations de l’espace mexicain – au sens très large – des Mayas aux Aztèques, l’Amérique du sud, même lors de l’empire Inca, n’a jamais connu d’écriture gravée ou tracé sur un support plan.

Dans cet empire la communication se faisait par des « quipus » un ingénieux système de communication faisant appel à des dispositifs mnémoniques. Sur un cordon principal, de nombreuses cordelettes pendantes de différentes couleurs comportent toute une série de nœuds, aux formes différentes, assurant le stockage de l’information. Seule une élite, les “quipukamayuq” ("maitres du quipu") était capables d’interpréter ces ligatures, qu’ils égrainaient entre leurs doigts à la façon d’un chapelet. Les quelques transcriptions effectuées par des moines au milieu du 16e siècle ont été systématiquement détruites par les conquistadors qui craignaient la diffusion par ce biais de messages incitant à la révolte.

Visage

Visage

Bassin

Bassin

Petro Sanct

Petro Sanct

En guise de conclusion provisoire, je retiendrai que « les glyphes n’étant pas un langage normé et codifié sémantiquement comme visuellement, leurs interprétations et lectures doivent se faire en tenant compte de élément du contexte pétroglyphique, environnemental et culturel » de chaque lieu.

            Pour ceux, hispanisant, qui voudrait en savoir plus sur Cumbemayo, peuvent   télécharger au format pdf la brochure 

            https://jaimedezar.files.wordpress.com/2016/10/cumbemayo.pdf

Mais sans surprise : « Querer interpretar su lectura hoy no es posible »

Jean BARROT

 








 

 


















 























TITIEN - ADAM ET ÈVE

Connaissance & Partage

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TITIEN - ADAM ET ÈVE

« Chaque vérité possède quatre coins : je montre un coin, à toi de trouver les trois autres ». Confucius

En plein débat sur les fondements religieux et moraux qui agite le Concile de Trente (1545-1563) dont va sortir la doctrine de la Contre Réforme catholique, la peinture à Venise connaît un âge d’or produisant à foison des tableaux de nus féminins dont la composante sensuelle voir érotisante est parfaitement assumée. Rien à voir avec des images à tendance pornographique qui circulent largement sous le manteau. Ces œuvres se légitiment par un recours à la culture mythologique gréco-romaine, dont seules les classes dominantes possèdent pleinement les codes et sont seules à les voir, dans leurs appartements et leurs palais.

De septembre 2009 à janvier 2010 s’est tenue une superbe exposition au musée du Louvre sous le titre : « Titien, Tintoret, Véronèse … rivalités à Venise ».Toute une étape du parcours était consacrée à La Femme désirée, articulée en 3 moments : “La femme offerte”, “La femme en péril”, “Petits tableaux décoratifs à   sujet féminin”. Dans cette production, Titien (1488-1576) tient une place importante.

Héritier d’une Renaissance marquée par le néoplatonisme, Titien se trouve désormais plongé dans les perturbations sociétales qu’engendre la crise religieuse ouverte par Luther. Le Catalogue de cette exposition note qu’une querelle d’interprétation s’est développée autour des nus de Titien. Certains critiques n’y voient « que de simples “pin up” avant la lettre » tandis que d’autres considèrent ses œuvres comme « des images complexes chargées de significations symboliques »

            Je vous propose donc de me suivre à la découverte d’une œuvre conservée au musée du Prado qui fut pour moi une révélation et un coup de cœur, il y a une trentaine d’année : Adam et Eve, élaboré par Titien vers 1550 pour le roi Philippe II. Comme je vous l’ai déjà indiqué c’est à peu près le seul thème religieux chrétien qui peut justifier la représentation de nus.

Titien

Titien

Rubens, venu en ambassade auprès du roi d’Espagne en 1629-30 pour tenter de trouver une issue à la Guerre des Gueux en Flandres (fortement influencée par l’indépendance des provinces du nord, devenue République des Pays Bas en 1580),   découvre l’œuvre de Titien et a lui aussi un choc émotionnel et esthétique. Il en fait    illico une copie en introduisant cependant quelques modifications qui, à mon point de vue, dénaturent le sens de l’œuvre. A vous de jouer : cherchez les « erreurs ».

Rubens

Rubens

BON, DIREZ-VOUS, ADAM ET EVE ON CONNAIT …

            Pas si sûr à mon avis. Un bref retour vers les 3 premiers chapitres de la Genèse dans la Bible s’impose. Il s’agit d’un récit qui tisse 2 sources différentes. Le 1er récit désigne Dieu sous le nom d’Elohim tandis que le 2e utilise la dénomination de Iahvé. Lorsqu’Elohim crée le monde, au 6ème jour il crée « l’homme à [son] image » (ch.1 verset 26 : homme est ici à entendre non comme genre mais comme espèce), les crée « mâle et femelle » (ch.1 verset 27), les invitant à fructifier et à se multiplier (ch.1 verset 28), en leur donnant pour nourriture tout ce qui se trouve « sur la surface de toute la terre et tout arbre qui a en lui fruit d’arbre » (ch.1 verset 29 ; c’est moi qui souligne). C’est alors que Iahvé entre en scène et « forma l’homme, poussière provenant du sol » (ch.2 verset 7), cette fois-ci homme valant pour genre. Puis il l’isole du reste du monde, dans un jardin, l’Eden, où se trouvent énoncés pour la 1ère fois 2 arbres spécifiques « l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la science du bien et du mal. » (ch.2 verset 7) avec interdiction d’y toucher. C’est alors qu’il s’avise de la solitude d’Adam « je vais lui faire une aide qui soit semblable à lui » (ch.2 verset 18).  Et pas à moi Iahvé : ce qui implique qu’il est genré masculin – l’homme est à son image – et qu’il doit trouver un subterfuge de création. Et nous voilà parvenu à l’épisode le plus vulgarisé par le christianisme : la création de la femme à partir d’une côte de l’homme, un produit dérivé en somme… (ch.2 versets 21, 22, 23). Et privée de ce « petit quelque chose » qui la laisse à l’écart du divin. Ce qu’exploite le serpent (ce « petit quelque chose » absent ?) qui entre alors en scène (ch.3 verset 1), incitant la femme à goûter le fruit de l’arbre interdit qu’elle partage avec l’homme (ch.3 verset 6). « Les écailles leur tombèrent des yeux, ils virent et surent qu’ils étaient nus » (ch.3 verset 7). Iahvé cherchant au jardin ses créatures, l’homme cafarde : « la femme que tu as mise auprès de moi, c’est elle qui m’a donné de l’arbre et j’ai mangé » (ch.3 verset 12). La malédiction de Iahvé tombe sur les protagonistes de cette affaire de désobéissance qui sont chassés du jardin d’Eden par les Chérubins et expédiés à l’orient d’Assur (ch.2 verset 14).

            La contradiction entre les 2 récits est flagrante : à l’égalité substantielle de l’homme et de la femme, à l’injonction « croissez et multipliez », sans restrictions sur les fruits des arbres de la Création d’Elohim, celle de Iahvé instaure l’inégalité de genre, des mesures d’interdit, et pour le devenir humain la douleur de l’enfantement et la malédiction de la mort. Il a tellement loupé sa copie qu’il passe par la case Déluge pour la refaire, sans mieux s’en sortir que la 1ère fois. Jésus devra en payer le prix.

Angoisse : la sortie du covid-19 se fera-t-elle en revenant au monde d’avant ?

 « Perseverare diabolicum ».

LE SCENARIO EST PLANTE. VOYONS MAINTENANT CE QU’EN FAIT TITIEN.

La disposition générale de la scène a été inspirée à Titien par une œuvre de Raphaël (achevée en 1511) dans la Chambre de la Signature, à l’origine cabinet de travail et bibliothèque du pape Jules II dans ses appartements du Vatican. L’œuvre de taille modeste décore une trompe d’angle de la pièce. La splendeur du jardin d’Eden est signifiée par l’or de la mosaïque.

Raphaël

Raphaël

L’adaptation par Titien introduit plusieurs modifications hautement significatives.

Les 4 protagonistes sont là, et puisqu’il faut les nommer, ce sont Adam, Eve, le serpent et le jardin d’Eden cadre de l’action.

            Je vais d’abord vous parler du serpent. Dans la plupart des tableaux du début du 16e siècle les artistes, tels Dürer, Cranach, Baldung Grien, etc. représentent un « vrai » serpent, tandis que vers la fin du siècle, le tentateur prend de plus en plus figure humaine. Anticipant sur cette problématique, celui de Hugo van der Goes dans Le péché originel (1470), est plutôt représenté comme un lézard en conformité avec la lettre du texte de la Genèse.

Van der Goes

Van der Goes

Ce n’est qu’après la consommation du fruit interdit, étape qui n’est pas encore réalisée, que la malédiction de Iahvé le prive de pattes, l’obligeant à ramper dans la poussière. Mais il est doté d’une tête humaine qui implique que dans ce monde hors de l’Eden, il faut se méfier des tentations proposée par les contemporains. Raphaël reprend cette veine, redoublant le visage d’Eve dans la figure du serpent. Ce que reluque Adam ce n’est pas Eve la pure mais la Femme lubrique que lui révèle le serpent.

            C’est cette option que retient Titien dans son tableau. Mais avec une différence de taille qui m’a tout de suite accrochée : la tête du serpent est celle d’un bébé. Il a certes des petites cornes qui émergent discrètement de sa chevelure pour pas qu’on se méprenne : c’est bien le Tentateur. Une autre particularité tranche avec la majeure partie des œuvres que j’avais vu sur ce thème : alors que dans pratiquement tous les cas, le serpent, qu’il soit réaliste ou à figure humaine, se tourne vers Eve à qui il propose le fruit défendu ou l’incite à le cueillir, dans ce tableau il regarde Adam, tandis qu’il tend le fruit défendu à Eve. Cette surprise m’a conduit à suivre le regard du serpent-bébé jusqu’au visage d’Adam.

            A cet endroit on peut remarquer un repentir important, que l’on observe aussi au niveau de l’épaule et du torse d’Adam. La version définitive qu’adopte Titien a consisté à incliner plus nettement vers l’arrière le visage pour que le regard d’Adam se porte sur la figure du bébé et non plus sur le fruit comme on peut le deviner sur la première version esquissée.

Titien détail1

Titien détail1

Ce qui a entrainé la reprise de la position de tout le buste, un peu plus basculé vers l’arrière, et un rétrécissement sensible du côté gauche de la cage thoracique par rapport au côté droit. Face au tableau – je reprends mes notes de 1988, car la reproduction utilisée n’est pas suffisamment précise – la direction du regard de l’œil droit est indiquée par une tache noir, l’iris, placé très haut, juste sous la paupière supérieure totalement relevée. Pris dans cet échange de regard, Adam n’en oublie pas pour autant Eve vers qui il tend sa main gauche, au contact avec l’épaule et la pointe du sein droit de celle-ci.

            Chez Raphaël, Eve est debout de face, en “contrapposto” qui entraine une légère bascule du buste, offrant un sein de face et l’autre de profil. Chez Titien Eve est en complet déséquilibre par la torsion qu’elle s’impose au niveau du torse pour saisir le fruit.

Titien s’est ici inspiré de la position de Dircé, au moment de son supplice, dans l’énorme bloc sculpté  à Rhodes au 2e siècle av. JC que l’on venait de découvrir en 1546, lors des fouilles archéologiques dans les ruines des thermes de Caracalla à Rome, ordonnées par le pape Paul III (ce groupe est connu sous le nom de Taureau Farnèse, du nom de famille du pape).

Dircé

Dircé

Elle le compense en prenant appui de sa main droite sur un petit tronc. Retenons ici le positionnement “curieux” de l’index et du majeur. Comme pour Adam, il y a disjonction entre le geste de la main gauche qui se saisit du fruit et son regard qui se porte vers le visage du bébé, les lèvres entrouvertes exprimant peut être un soupir. Un sourire ?

            Au centre du triangle que balise les 3 visages, se trouve la source de tous les emmerdements à venir pour l’humanité, le fruit défendu cause du péché originel.

MAIS DE QUEL PÉCHÉ S’AGIT-IL ?

Le fruit consommé est celui de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. La nudité dans laquelle les a créée Iahvé, lorsqu’elle est reconnue, serait donc un mal puisqu’engendrant de la honte ?  Iahvé panique : « Voici que l’homme est devenu comme nous, grâce à la science du bien et du mal. Maintenant il faut éviter qu’il étende sa main, prenne aussi de l’arbre de vie, en mange et vive à jamais » (ch.3 verset 22).  Ce nous est-il un pluriel de majesté (mais alors on attendrait une majuscule) ou est-il un vrai pluriel (mais qui sont ces nous en configuration monothéiste : les anges non déchus, les chérubins qui vont chasser Adam et Eve du jardin d’Eden ?)

            Pour les Vénitiens du 16e siècle, et pour Titien en particulier, la nudité ne semble pas un péché. Ce avec quoi, en fin de siècle, Tintoret prend ses distances : « quelle qu’ait été la beauté des œuvres de Titien elles tendaient à plaire plus qu’à émouvoir » et que « ce n’était pas ainsi qu’il convenait d’évoquer les grands sujets religieux ». Déjà à la fin du 15e siècle, Savonarole avait eu raison de Botticelli. A la fin du 16e siècle, la Contre Réforme fait triompher la pudibonderie et l’hypocrisie en instaurant la censure de l’Index en 1571.

Alors s’agit-il de l’union sexuelle de l’homme et de la femme, le “péché de chair” dans l’interprétation la plus couramment proposée. La gravure de Raimondi d’après une autre œuvre de Raphaël (dont je vous ai déjà présenté un détail – voir : L’ARBRE comme métaphore du CORPS SEXUE dans l’œuvre picturale) est particulièrement explicite.

Raimondi

Raimondi

Titien nous en propose une autre vision. Ce qui meut Adam comme Eve, et ce qui m’émeut à la découverte de cette œuvre, c’est un désir d’enfant. Un désir légitimé par Elohim dans la première partie de la Genèse « croissez et multipliez ». Le Tentateur ne s’y trompe pas : il cible Adam, faisant naitre en lui le désir d’enfant, amorçant à tâtons la démarche qui va le porter vers Eve. La dynamique du bas de son corps, bras et jambe droites, en appui replié, prêts à se détendre pour se redresser, indique qu’il ne va pas tarder à rejoindre le corps d’Eve.

Tout au long des siècles, le désir masculin d’engendrer un héritier mâle, garant de la continuité du lignage et de la perpétuation du nom va imposer des suites de grossesses parfois invraisemblables aux femmrs (16 enfants pour Marie-Thérèse d’Autriche ; 16 enfants aussi pour Marie Lafont, femme d’un métayer du Nord, en 23 ans de vie conjugale – elle meurtà 42 ans – et bénéficiaire du premier prix décernée par la Fondation Cognacq Jay en 1922) ou des répudiations et remariages (15 femmes pour Mahomet dont 11 reconnues par tous les musulmans ou Henri VIII qui “la joue petit bras” avec seulement 6 femmes, mais qui tous deux n’auront aucun garçon et fonderont une religion)

Eve sait-elle ce qui l’attend ? Titien lui en tous cas le sait et nous le signale métaphoriquement par l’écartement des doigts de la main droite d’Eve sur le tronc qui assure son équilibre.

Titien détail 2

Titien détail 2

Il convient donc d’aborder maintenant le 4e personnage, le jardin d’Eden où se déroule toute cette scène. Un vrai paysage loin de l’or abstrait du tableau de Raphaël.

            A gauche, l’arbre derrière Adam est un figuier, aisément identifiable à ses feuilles et aux figues qu’il porte sur ses branches. La Genèse signale expressément la présence de cet arbre au jardin d’Eden puisqu’Adam et Eve, découvrant qu’ils sont nus, se font des ceintures de ses feuilles (ch.3 verset 7). L’évocation de cet arbre semblait une évidence au Proche Orient où nait le monothéisme hébraïque car il y est cultivé et apprécié depuis les Sumériens. S’accrochant au moindre creux de rocher, à la moindre fissure capable d’aller chercher profondément l’eau nécessaire à sa survie, il symbolise en l’homme le courage, l’intelligence et la volonté qu’il est nécessaire de déployer pour vivre. Mais c’est aussi une figure porteuse d’un dualisme. Si la forme externe des figues évoque les testicules, l’apparence interne évoque le sexe féminin. Coupé, le pédoncule de la figue laisse couler un latex blanc évoquant aussi bien le sperme masculin que le lait féminin. Ce couplage exprime en fin de compte l’énergie vitale portée par la sexualité dès lors que le masculin s’investit dans le désir d’enfant. Ce qu’exprime puissamment Titien dans l’échange de regard entre Adam et le bébé-serpent.

            Au centre, l’arbre au tronc puissant sur lequel est installé le serpent est un pommier. Dans la Genèse les 2 arbres interdits ne sont pas nommés en terme d’espèces végétales. Ce n’est que très tardivement en Occident (autour du 11e siècle) que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est assimilé à un pommier. Titien illustre cette assimilation par le fruit, bien mis en valeur au milieu de la fourche des 2 queues du serpent, très fidèle dans sa représentation. Mais le travail pictural sur la recherche du volume de la pomme anticipe sur le travail des impressionnistes : devant le tableau, j’ai immédiatement pensé aux pommes de Cézanne…

L’hypothèse la plus souvent retenue est l’assimilation qui s’opère en latin, tant dans la graphie que dans l’homophonie entre le terme désignant le pommier et le mal, le mauvais : “malus”. A partir de la Renaissance la symbolique de la pomme s’enrichit de l’héritage de la mythologie antique : c’est le fruit que GaÏa offre à Hera lors de son union avec Zeus en promesse de fécondité ; c’est Dyonisos qui crée ce fruit pour l’offrir à Aphrodite qu’il convoite ; c’est Eris qui jette la « pomme de discorde » au sein de l’Olympe créant la zizanie entre Hera, Aphrodite et Athena que doit arbitrer le malheureux Pâris, les humains, Troyens et Grecs, payant un lourd tribut aux caprices des Dieux. Tout cela se retrouve dans la polysémie de la pomme chrétienne.   

Restons sur le côté d’Eve. L’arbre sur lequel elle prend appui semble bien d’une autre sorte. Plutôt un arbuste par sa souplesse qui cède au poids du corps d’Eve. Les feuilles sont différentes de celles du pommier (plutôt trapues et arrondies) : étroites et allongées elles sont feuilles d’un pêcher. Le fruit qu’il porte est nettement marqué par un léger sillon plus rouge, trait qu’on ne rencontre pas sur les pommes mais sur les pêches.

Pomme

Pomme

Pêche

Pêche

Si l’on énonce ce collage d’Eve à l’arbre, « le corps d’Eve et le pêcher », cela assone en français comme « le corps d’Eve est le péché » Mais qu’en est-il en Italien au 16e siècle ? La dérive du latin donne “pessica” au cours du Moyen Age puis “pesca” proche de “peccata”, les péchés. Mais là rien d’évident n’émerge.

Par contre au bord droit du tableau une fleur très aisément identifiable, juste en arrière des cuisses d’Eve, doit bien avoir une fonction symbolique : il s’agit d’une rose trémière.

Rose trémière

Rose trémière

Dans le monde des plantes, la rose trémière symbolise avant tout la fertilité. De manière plus nuancée elle représente la simplicité de l'amour tout en évoquant l'ambition féminine et sa puissance de création.

Certains ouvrages médiévaux vont plus loin et lui attribuent la propriété de reconstituer les virginités perdues. Au cas où vous seriez intéressées, lectrices fidèles, voici la recettes : brûler une belle rose trémière séchée, mêler ses cendres à de la rosée matinale et un peu de crottin de cheval. Laisser reposer ce mélange au soleil pendant au moins un mois afin d’obtenir une pommade restauratrice des vertus perdues ... Si vous y rajoutez un peu de pomme épineuse (datura) et de poudre de mouche cantharide, vous pouvez enfourcher votre balai car vous serez admises au grand sabbat des sorcières.

            Titien nous propose encore une clé de lecture. En arrière des pieds d’Eve, un renard allongé sur le sol pointe son museau. Dans la tradition populaire, alimentée initialement par la Bible, le renard incarne la ruse et la méchanceté, jamais en reste d’astuces perfides, et dont la couleur et l’odeur l’associe immédiatement à la figure du Diable, le “Malin”. Un contresens machiste serait d’en faire la nature profonde de la femme, ce qui serait contradictoire avec la symbolique de la rose trémière. Se tenant derrière Eve, il en est le manipulateur et renvoie à la figure du serpent-bébé tentateur.

            Mais c’est aussi lui qui par son regard vous invite à entrer dans la scène du tableau. Lorsque je l’ai découvert, ce regard sans agressivité, sans rictus du style « je vous ai bien eu » m’a mis sur une tout autre piste. A la Renaissance, celui qui vous convie dans l’œuvre par son regard est généralement un autoportrait du peintre : « voyez ce que j’ai su faire ». Mon hypothèse est qu’il s’agit de Titien lui-même, démontant le mythe du péché originel, véhiculé par l’Eglise qui peut imposer ainsi son intercession, pour restaurer la dignité de l’amour porté par le désir d’enfant.

Renard

Renard


TITIEN, un malin sans malignité ?

Et pour vous exercer au bonheur de l’exploration, maintenant que vous avez toutes les cartes en main, je vous “offre” en prime ces 2 tableaux que j’aime aussi beaucoup.

Ce tableau est tout juste postérieur à celui du Titien. Compte tenu des critiques de Tintoret à Titien plongez dans cette représentation « convenable d’un sujet religieux ».

Tintoret , Le péché originel (1551-52, 150 x 220 – Galerie de l’Académie, Venise)

Tintoret , Le péché originel (1551-52, 150 x 220 – Galerie de l’Académie, Venise)

Cornelis van Haarlem, La Chute de l'Homme (1592, huile sur toile, 273 × 220 cm - Rijksmuseum, Amsterdam)

Cornelis van Haarlem, La Chute de l'Homme (1592, huile sur toile, 273 × 220 cm - Rijksmuseum, Amsterdam)

Jean BARROT













CHATOUILLIS PHILOSOPHIQUE ET LITTÉRAIRE. SOPHIA ALAMI.

Connaissance & Partage

Par: SOPHIA ALAMI.

Bruno Latour (sociologue, et philosophe des sciences français, né en 1947)  est porteur  d’un message optimiste malgré la « rudesse » des temps qui courent et nous redonne l’énergie de l’action en tant que citoyen.nes. Lanceur d’alerte, il pointe la difficulté de la situation face à la crise mondiale actuelle, mais détricote la vision défaitiste qui mène à l’inaction et nous aide à identifier des leviers d’action.

A travers un questionnaire d’introspection,  il nous invite à « imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise[1] ». Il invoque Gaïa afin que la catastrophe écologique ne s’aggrave pas. Au-delà du nom mythologique, Gaïa est pour Latour un concept bien construit qui propose un cadre pour penser sans la dichotomie nature/culture. Elle serait la cause de notre inaction (« Face à Gaïa », La Découverte 2015).  Dans « Où atterrir » (La Découverte 2017), B. Latour met le doigt sur le malaise lié à aux problèmes de l’habitabilité de la terre face à la globalisation effrénée, qui ne tient pas compte des limites des ressources naturelles. « Est-ce que nous continuons à nourrir des rêves d’escapade ou est-ce que nous nous mettons en route pour chercher un territoire habitable pour nous et pour nos enfants ? »  « S’il n’y a plus de planète, de terre, de sol, de territoire pour y loger le Globe  de la globalisation vers lequel tous les pays prétendaient se diriger, alors plus personne n’a, comme on dit de « chez soi » assuré ». Il donne l’image du tapis qu’on nous tire sous les pieds. Il indique que les ex pays coloniaux « modernisateurs » qui avaient privé certaines populations de leurs territoires, sont en train de perdre à leur tour leur territoire. Il ajoute avec malice, et un brin de cynisme, qu’un nouveau sens émerge pour le « post-colonial » avec un nouveau lien qui se crée et qui déplace le conflit classique colonisés/ colonisateurs : « Comment avez-vous fait pour résister et survivre ?  voilà ce que nous avons besoin d’apprendre de vous nous aussi » et une réponse ironique  en sourdine : « Welcome to the club !». Il ajoute que la crise migratoire s’est généralisée, avec l’apparition de « migrants de l’intérieur » qui subissent en restant sur place le drame non pas de devoir quitter leur pays, mais de se voir « quittés » par leur pays !

Quelles actions possibles ? Le concept de territoire, est convoqué. Il est indissociable de celui du développement durable, car il offre l’opportunité d’intégrer les objectifs environnementaux, sociaux et économiques.  Peut-il nous aider dans notre lutte contre les méfaits de la globalisation alors même que ces deux concepts sont inextricables ? Nous avons aujourd’hui des dépendances vis-à-vis du global même si on essaie de se rattacher de plus en plus au local, est-ce qu’en se rattachant à ce local, au-delà du risque de repli et de dérives sectaires, (avec par exemple la peur des migrants , et la définition d’une identité « statique »  voire dangereusement et artificiellement ethnique de notre territoire), nous défendons indirectement notre planète des méfaits d’une globalisation totalement ancrée dans des logiques capitalistes et court-termistes ?  Force est de constater qu’on ne peut séparer ce qui relève purement du territoire, ni nier les inter-dépendances avec l’international et le global   qui prévalent aujourd’hui. Il est plus juste de considérer le territoire dans ses limites « virtuelles » et évolutives, et non dans une vision close et provinciale. B. Latour établit une distinction entre un « local-plus », ouvert sur le progrès et sur les autres cultures et un « local -moins » sur la défensive et le repli. Parallèlement, il défend l’idée qu’il existe une « mondialisation-plus » d’ouverture, de brassage culturels, et d’accueil de l’autre  par opposition à la « mondialisation-moins » uniformisante, clivante et discriminante.  B. Latour propose alors de revendiquer le besoin d’ « atterrissage sur un sol ». Il appelle à parler plutôt de « terrestre » que de « local », car, alors que le local dans sa conception courante est appelé à se différencier en se refermant, le Terrestre est fait pour se différencier en s’ouvrant et en cela il est novateur et contemporain. Le Terrestre est mondial en ce sens qu’il ne cadre avec aucune frontière, qu’il déborde toutes les identités.


L'OMS EN CRISE AIGÜE OU CHRONIQUE? PAR VINCENT FAUVEAU

Connaissance & Partage

Par Vincent Fauveau - Médecin, enseignant en santé publique, conseiller des Nations Unies pour la santé maternelle et génésique, collectionneur d’art.

L'OMS EN CRISE AIGÜE OU CHRONIQUE?

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QUELQUES RÉFLEXIONS À L'OCCASION DE LA DÉCISION DE M. TRUMP DE SUSPENDRE SA CONTRIBUTION.

Pendant trente ans j'ai travaillé aux côtés de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et pendant les quinze dernières années j'en ai été un observateur quasi quotidien. La récente décision de M. Trump de suspendre la contribution américaine à cette agence spécialisée ne m'a surpris qu'à moitié: la crise couvait déjà depuis plusieurs années, le besoin de réforme structurelle s'amplifiait, et l'anxiété de l'exécutif américain vis à vis des effets économiques et sociaux désastreux du coronavirus n'ont fait que précipiter cette décision. Mais il s'est trompé de cible!...

L'OMS a été créée en 1948 pour succéder au Bureau International d'Hygiène et joindre le nouveau système des Nations Unies qui s'organisait peu à peu à l'issue de la Deuxième Guerre Mondiale en testant le multilatéralisme positif, lequel devait succéder aux relations de pouvoir et d'agressivité qui avaient causé les deux guerres. L'objectif du système des Nations Unies était triple: --Surveiller et si possible prévenir les risques de conflits, --promouvoir le développement économique et social, et --garantir les droits humains.

Dès sa création, cependant, l'OMS s'est individualisée comme une agence technique des Nations Unies (comme la FAO et l'UNESCO) dotée d'une gouvernance propre, par opposition aux fonds et programmes comme le PNUD ou l'UNICEF qui dépendaient du Secrétaire Général.

Les deux caractéristiques essentielles qui différencient les agences techniques comme l'OMS sont 1) l'élection par les pays membres du Directeur Général (alors que les Directeurs des fonds et programmes sont nommés par le Secrétaire Général) et 2) l'éclatement de l'organisation en six régions à la gouvernance très autonome, dirigées par les tout-puissants Directeurs Régionaux. On voit immédiatement, et de nombreux observateurs ne se sont pas gênés pour le faire remarquer et demander des changements, que ces deux caractéristiques portent en elles les germes d'un dysfonctionnement profond. Et pourtant elles sont encore là!… Personne n'a eu le courage de réformer profondément l'institution.

Elles sont, entre autres, les sources de l'irritation du président américain, qui sent bien que depuis plusieurs années le contrôle de l'OMS échappe à son pays, lequel reste pourtant le bailleur le plus important (et de loin).

Le rôle primordial de l'OMS est le rôle "normatif": c'est à dire qu'elle fixe pour le monde entier le règlement sanitaire international, les normes des traitements médicaux, la validation des nouveaux médicaments, les règles de la recherche en santé, la classification des maladies, le statut des personnels de santé (c'est l'Année Internationale des Infirmières et Sages-femmes en 2020), et les protocoles de réponse aux crises et épidémies. Les états s'appuient sur ces normes pour mettre en place leurs programmes nationaux, et en contrepartie doivent faire leur déclaration des maladies transmissibles ou autres. L'OMS n'avait pas à son début de programmes d'action, si ce n'est de formation et de conseil. Petit à petit, elle s'est lancée dans des programmes de plus en plus vastes er de plus en plus coûteux, comme le programme mondial de vaccinations (en vue de l'éradication des maladies contagieuses), le programme de santé mère-enfants, le programme du Sida, les programmes de recherche vaccinales, les programmes des maladies non-transmissibles (diabète, cardio-vasculaires, cancer), etc… Ces programmes demandent de gros moyens.

Un coup d'œil sur les finances de l'organisation n'est pas inutile. Le budget est présenté pour deux ans tous les deux ans. Pour les deux années 2020 2021, le budget présenté sera voté en mai prochain à l'occasion de l'Assemblée Mondiale de la Santé (évènement annuel). Le budget demandé sera de 5,8 milliards de dollars US, ce qui est relativement modeste au regard du mandat et des besoins. Il n'augmente que peu par rapport aux années précédentes car la somme a du mal à être rassemblée par les nations et les bailleurs. Ce budget est fait pour 20% de contributions obligatoires des nations, calculé en fonction de leur population et de leur PIB, et pour 80% de contributions volontaires, offertes par les coopérations bilatérales (les états riches) et les sponsors et mécènes (par exemple la Fondation Bill et Melinda Gates, ou le Rotary). Si les contributions obligatoires peinent à couvrir les frais de fonctionnement et les salaires des fonctionnaires fixes, les contributions volontaires permettent de couvrir les programmes et les frais. Bien entendu, les plus gros contributeurs demandent en général à ce que leurs idées soient respectées, leurs ressources soient exploitées, leurs pays cibles soient privilégiés.

Petit tableau indicatif des contributeurs:

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A noter que la France ne brille pas par l'ampleur de ses contributions, d'autant que son "candidat" pour la Direction Générale à l'occasion de la campagne 2017, Philippe Douste-Blazy, a été sèchement éliminé dès le premier tour.

On voit que les Etats-Unis sont les plus gros contributeurs dans les deux catégories, mais c'est seulement la contribution volontaire que le Président va suspendre. L'autre n'est pas touchable (à ce stade). Malgré l'ampleur de la somme (environ 400 millions de dollars), elle peut être relativement vite compensée par les augmentations des autres contributeurs. Ce n'est pas la mort de l'OMS. Par contre le symbole est important.

Quels sont les griefs faits par M. Trump à l'OMS? Il faut d'abord préciser que ce sont des griefs formulés par les Républicains, principaux conseillers du Président, et connus pour leur haine du multilatéralisme.

--D'abord justement le multilatéralisme. Ce n'est pas nouveau. Depuis l'accession de M.Trump à la présidence, il s'agit de la cinquième suspension de contribution à des agences onusiennes, après l'UNESCO, l'UNFPA, L'UNWRA, l'ONUDI, sans compter le retrait de traités internationaux comme la COP21, l'AIEA pour l'Iran. Il y en aura d'autres car comme beaucoup de populistes, le Président privilégie le repli sur soi-même, la concentration de ses ressources sur sa population (ses électeurs prochains), la relance de son économie. Donc pas de surprise. La Chine en contrepartie favorise le multilatéralisme à sa manière, en prenant progressivement la tête de plusieurs agences onusiennes et en se servant de ces agences pour pousser ses nouvelles Routes de la Soie. Sujet d'irritation pour son grand rival économique.

--La mauvaise gestion de l'institution. Il est bien connu que le système même d'élection du Directeur Général de l'OMS est porteur de corruption, d'achats de votes par les grands, et de pressions énormes assorties de grosses enveloppes de coopération promises aux pays qui auront cédé aux pressions. C'est ce qui s'est passé avec l'élection du Dr Tedros en 2017, premier Africain élu à ce poste, très soutenu par la Chine. Rappelons que l'OMS a été dirigée de main de maîtresse par la Chinoise Margaret Chan de 2007 à 2017, qui recevait ses ordres du gouvernement chinois. Rien de nouveau donc. Et sujet d'irritation pour les Américains.

--Retard à la déclaration de statut de pandémie pour le Covid-19: En effet il y a eu du retard, mais pas plus de 7 ou 8 jours, entre la mise à disposition de la communauté scientifique mondiale des premiers éléments inquiétants et la proclamation du statut de pandémie en janvier 2020. L'OMS réunissait tous les jours son comité de vigilance international et s'inquiétait mais manquait de données précises puisque la Chine ne les publiait pas. On n'a pas besoin de rappeler ici les atermoiements et dissimulations avant que le monde entier réalise la gravité de l'épidémie en Chine. L'OMS n'a pas vraiment failli même si elle aurait pu réagir quelques jours plus tôt. Mais M. Trump avait besoin de désigner un "fautif" et n'en a pas trouvé d'autres. D'ailleurs M. Trump lui-même dans son briefing quotidien et ses tweets multi-quotidiens avait encensé l'OMS quelques semaines plus tôt (c'est documenté).

--Inutilité de l'OMS: Argument particulièrement mal venu de la part du pays qui dispose des universités les plus prestigieuses, les chercheurs et les laboratoires les plus performants, des budgets les plus importants. Il est clair que l'OMS n'a pas été créée pour soutenir ni éduquer ni conseiller les Etats-Unis (ni la Chine d'ailleurs). Encore une cible ratée.

En conclusion, aucun des griefs faits par M. Trump à l'OMS n'est vraiment convaincant, mais la mainmise de la Chine sur l'institution et le besoin de plus en plus crucial de réformer son mode de gouvernance devraient porter à réfléchir. En tous cas c'était le plus mauvais moment, au plus aigu de la pandémie, de décrier une institution indispensable, au service des pays les plus vulnérables. Il y aura un temps pour l'analyse des faiblesses des uns et des autres, et de tout le monde d'ailleurs, mais la coopération est en ce moment la ressource la plus cruciale. On ferait mieux de renforcer les institutions internationales plutôt que de les dénigrer. Comme l'a dit le Secrétaire Général de l'ONU, Antonio Gutierrez: "Un signal d'unité et de détermination signifierait beaucoup en cette période d'anxiété généralisée".

Vincent Fauveau


TRAITEMENTS DU COVID-19 ET CRISE SANITAIRE, OU EN EST-ON ?

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Dans le cadre des discussions confinées, nous allons prendre le temps de décortiquer les pistes de traitement contre le Covid-19. Arriverons-nous à traiter un jour cette maladie ? Mais qu’est-ce donc que cette « affaire Raoult » qui nous détourne des vraies questions ? « Urgence » et prudence sont-elles inconciliables ? Avons-nous à l’heure actuelle une piste sérieuse face au Covid-19 ? Où en sont les scientifiques ? Prenons les véritables données scientifiques et décortiquons ensemble le vrai du faux en compagnie du Dr. Gilles Roche. Il est médecin, a exercé et enseigné en CHU (pédiatre, interniste, infectiologue, tropicaliste). Il est également microbiologiste, pharmacologue et biostatisticien, et spécialiste des essais cliniques internationaux. Il a eu de longues années d'expérience dans l'industrie pharmaceutique en France et à l'international. La soirée est co-animée par Guillaume Bagnolini et Yann Guais.

Donnez vous vos sujets que vous aimeriez voir abordés dans nos discussions confinées en commentaire. On seras content ! Et merci à la Fondation pour la Recherche Médicale qui s'engage pour la recherche sur le Covid-19 : https://www.frm.org/ Bibliographie : Un article dans la recherche sur la piste thérapeutique du vaccin https://www.larecherche.fr/covid-19-b... Sur l'article du Dr. Raoult (un article plutôt critique) : http://curiologie.fr/2020/03/chloroqu... Sur la sortie du confinement : https://www.larecherche.fr/covid-19-c... Pour ceux qui aiment la phylogénie des virus (il y en a ) : http://virusmap.univ-lyon1.fr

DANGERS DU VOLCAN, TÉNACITÉ DES HOMMES

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DANGERS DU VOLCAN, TÉNACITÉ DES HOMMES

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3 – KRAKATAU

L’archipel indonésien est le territoire qui compte plus grande concentration au monde de volcans actifs (est considéré comme actif un volcan qui a connu une éruption au moins au cours des 10 deniers millénaires) et qui a connu la plus grande fréquence d’éruptions au cours des 4 derniers siècles. Ils sont 76 sur environ 1500 cônes aériens (ils sont probablement au moins 10 fois plus nombreux au sein des océans). Sur les 2 derniers siècles, pour lesquels on dispose de données assez fiables, ce sont 2 volcans Indonésiens qui ont provoqués le plus de victimes : l’explosion du Tambora en 1815 (près de 100.000 victimes, 50 km3 de matériaux éjectés !) et le Krakatau en 1883 (à l’époque on retient plutôt la transcription Krakatoa ; plus de 36.000 victimes).

C’est ce dernier, Anak Krakatau (“fils du Krakatau”), qu’avec des collègues géographes, sous la conduite de Jacques Durieux, nous avons pu explorer en 1987.

Volcanologue formé sur le terrain à l’école d’Haroun Tazieff et ami du couple Krafft, amoureux des volcans à en mourir dans l’éruption de l’Unzen au Japon en 1991, Jacques  faisant valoir   notre qualité de chercheurs scientifiques, obtint les autorisations nécessaires pour accéder à l’île et y bivouaquer, car elle était classée réserve naturelle et interdite de visite. Terrassé par un cancer, il est décédé loin des volcans, en 2009 à 60 ans. Il nous laisse en héritage un magnifique album réalisé avec son complice photographe Philippe Bourseiller « Des volcans et des hommes » (Editions de La Martinière - 2001)

C’est une petite île, centre d’un archipel de 3 îles disposées en couronne, qui sont les restes d’explosions antérieures d’un volcan qui se dressait au centre du détroit de la Sonde, entre Java et Sumatra. Pour ceux qui connaissent l’archipel de Santorin, c’est un dispositif identique que l’on trouve ici, un cône volcanique récent émergeant au centre d’une caldeira noyée par la mer.

Carte du détroit de la Sonde

Carte du détroit de la Sonde

l’Anak Krakatau au centre de la caldeira

l’Anak Krakatau au centre de la caldeira

LA MISE EN PLACE DE L’ARCHIPEL.

Le point de départ de ma présentation de l’ile sur laquelle nous allons bivouaquer est la formidable explosion de 1883. A cette date, Sertung et Kecil sont déjà les restes d’un volcan qui a explosé et dont la caldeira a été occupée par la mer.

            L'étude stratigraphique du Krakatau révèle cinq phases éruptives. La première phase correspond à la formation du Krakatau préhistorique, constitué d'un cône unique. La deuxième phase est un épisode destructif lié à l'éruption du 5e siècle, créant la caldeira, et dont les iles Sertung et Kecil (Verlaten et Lang, au temps de la colonisation hollandaise) sont les restes des flancs externes du cône détruit.  Au fil des siècles, une nouvelle ile de 9 km sur 5 km s’édifie à partir du plancher sous-marin de la caldeira. Elle résulte de la coalescence de 3 volcans qui constituent les sommets de cette ile : Rakata au sud, Danan au centre et Perboewatan au nord. Ils sont épisodiquement actifs, mais sans générer d’éruptions de grande ampleur.

            Il en va tout autrement avec la quatrième phase, violemment destructive, de 1883. La crise éruptive débute sur le cratère du Perboewatan au mois de mai et gagne en puissance, le magma s’ouvrant de nouvelles voies vers le sud : début août, 11 points d’éruption expédient des panaches de cendres qui créent une véritable nuit sur le détroit de la Sonde. Le paroxysme de la crise est atteint les 26-27 août. L’ile explose alors, expulsant 20 km3 de roches et de cendres. Totalement vidangée, la chambre magmatique s’effondre, générant la caldeira actuelle. Ne reste de la grande ile que le flanc externe du Rakata, l’actuelle ile de Krakatau.

La grande ile centrale avant l’explosion de 1883

La grande ile centrale avant l’explosion de 1883

Gravure évoquant le Rakata vers 1870

Gravure évoquant le Rakata vers 1870

Les manifestations de cette explosion sont planétaires.

            * Le son est entendu jusqu’à plus 4.000 km de là, en Australie et à Ceylan. L’onde de choc du son (pensez à l’effet du passage du mur du son par un avion) affecte toute la surface océanique du globe : les marégraphes du golfe de Gascogne enregistrent une oscillation significative du niveau de la mer antérieure au déclenchement du tsunami engendré par l’effondrement de la caldeira.

            * Plusieurs vagues de tsunami  d’une trentaine de mètres au moins ravagent les côtes de Java et de Sumatra, faisant l’essentiel des victimes du désastre. Toute l’extrémité sud-ouest de Java ne sera jamais repeuplée, devenant ultérieurement une réserve naturelle qui va assurer la survie du rhinocéros de Java.

            * des coulées pyroclastiques s’écoulent en direction du nord-est vers Sumatra où l’on retrouve des corps ensevelis sous 2 m de cendres brûlantes alors qu’on est à une cinquantaine de km de l’éruption.

            * la conséquence la plus durable de l’explosion, affectant toute la planète, est liée à l’altitude atteinte par le panache des éjectas : s’élevant jusqu’à plus de 50 km d’altitude, il injecte dans la stratosphère des poussières et des gaz en quantité considérables. Les poussières mettront au moins un an à retomber, arrosant toute la planète, et les gaz vont donner au ciel des couleurs anormalement rougeâtre pendant plusieurs années (certains y voit un effet dans les œuvres picturales fin de siècle en Occident). Le voilement temporaire du soleil et l’augmentation de l’albédo de la très haute atmosphère entraine une chute moyenne des températures dans le monde de ½° et de sérieuses perturbations dans le cycle saisonnier.

            Une cinquième phase s’amorce à partir de 1927. Les éruptions qui se sont poursuivies à partir du plancher noyé de la caldeira parviennent en surface, et en 3 ans commencent à édifier l’Anak Krakatau. Depuis, le volcan a connu une quarantaine d’éruptions qui ont fait croitre l’ile en 2 séquences.

* Jusque dans les années 50, sous l’effet de l’érosion marine et des précipitations violentes, le cône cendreux est disséqué et le cratère est périodiquement noyé.

Photo 1942. Des photos aériennes prisent au début des années 40 par les Hollandais, qui sont encore les maîtres de l’archipel, montrent qu’il s’agit encore d’une ile très modeste dont le centre du cratère reste encore sous l’eau. En arrière plan, on…

Photo 1942. Des photos aériennes prisent au début des années 40 par les Hollandais, qui sont encore les maîtres de l’archipel, montrent qu’il s’agit encore d’une ile très modeste dont le centre du cratère reste encore sous l’eau. En arrière plan, on aperçoit l’extrémité sud de Kecil.

* Mais à partir des années 60 un nouveau cône se forme en son centre. Les éruptions sont plus intenses et changent de nature (les émissions de cendres initiales sont remplacées par des coulées de lave qui finissent par combler le lac du cratère), rendant les flancs du volcan plus résistants à l'érosion. Son altitude progresse alors rapidement : au début de l’année 2018, il atteint 310 m pour un diamètre de l’ile d’environ 4 km.

L’ile vers le début des années 60

L’ile vers le début des années 60

ANAK KRAKATAU 1987
C’est un moment de la vie de l’ile que nous découvrons en 1987.  

La plage de débarquement et le bois du bivouac

La plage de débarquement et le bois du bivouac

Nous abordons l’ile sur la côte Est, face au demi-cône éventré du Rataka, où une large bande de terrain plat dans le prolongement d’une plage au sable très noir est couverte d’une végétation dense de Casuarina, arbres qui résistent bien à la salinisation des sols. Cette petite forêt va abriter notre bivouac. Une petite falaise morte de 3 m environ marque la limite de l’extension du boisement. Sur la pente du 1er cône (années 30-50), la végétation s’étiole très vite : des touffes de graminées assez denses font place à des rampantes en réseau. Quelques touffes de graminées apparaissent encore de ci, de là, mais vers le haut du versant la végétation disparaît totalement.

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Une première ligne de crête en arc marque le sommet de la première construction de l’ile. Le cône emboîté qui s’édifie à partir des années 60 présente une pente beaucoup plus raide, tapissée de blocs dont une grande partie s’est éboulée s’accumulant dans la dépression annulaire de la base.

Emboîtement du cratère actuel

Emboîtement du cratère actuel

Des blocs énormes de plusieurs tonnes sont observables de loin en loin bien calés dans la pente. Leur surface lisse indique un façonnement de la masse visqueuse encore très chaude pendant son trajet aérien, lors de l’éjection hors du cratère. Puis la détente des gaz contenus dans ces fragments de magma fissure la croute refroidie (bombes dites “en croûte de pain”).

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Le rebord du cratère culmine à cette date aux environs de 230 m. Sur certains points de sa partie interne les fumerolles sont abondantes. Emises par bouffées plus ou moins épaisses, on se retrouve par moment dans une brume très irritante dans laquelle l’odeur soufrée est intense. Les colorations sur les roches au sol signalent la dominante du gaz émis : blanc pour les chlorures, jaune pour les sulfures.

Bord interne du cratère actif

Bord interne du cratère actif

Dans le fond du cratère les sels minéraux lessivés par la pluie s’accumulent dessinant ce plancher blanchâtre

Dans le fond du cratère les sels minéraux lessivés par la pluie s’accumulent dessinant ce plancher blanchâtre

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Cristallisation des vapeurs soufrées sur les conduits de dégagement des fumerolles

Cristallisation des vapeurs soufrées sur les conduits de dégagement des fumerolles

Le flanc externe vers le S-SO domine une belle entaille dans le versant du premier cratère édifié à partir de 1927. Elle révèle, dans une stratification extrêmement régulière, l’accumulation des cendres et lapillis qui l’ont constituée. Des lits clairs de ponces s’intercalent dans ces séries. De cette coupure, une bouche adventice venait d’émettre récemment (quelque années ? car déjà de la végétation était implanté sur sa marge) une coulée de laves scoriacées jusqu’à la mer. La température  brûlante de l’eau et sa couleur ocre, conséquence du lessivage du fer de la coulée témoignait de cette activité à peu près permanente du volcan.

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Coulée de laves s’avançant en mer

Coulée de laves s’avançant en mer

CETTE ÎLE TELLE QUE NOUS L’AVONS DÉCOUVERTE N’EXISTE PLUS AUJOURD’HUI.

Les éruptions qui se sont succédées ont continué à faire progresser le cône. Au début de 2018, il dépassait 310 m d’altitude. De puissantes coulées de laves dévalées ses flancs depuis le cratère principal s’étaient étalées du nord au sud, après notre visite, principalement sur toute la face ouest de l’ile, agrandissant son territoire par une succession de lobes. Les coulées les plus foncées sont les plus récentes.

Anak Krakatau en 2005. Sur cette image satellite de 2005, j’ai indiqué par un losange clair l’emplacement approximatif de notre bivouac et en pointillé jaune la crête du premier cratère édifié par les cendres.

Anak Krakatau en 2005. Sur cette image satellite de 2005, j’ai indiqué par un losange clair l’emplacement approximatif de notre bivouac et en pointillé jaune la crête du premier cratère édifié par les cendres.

Mais à partir de l’été 2018, le volcan connaît une regain d’activité. Les éruptions gagnent en puissance jusqu’en décembre et finalement le 22, une violente explosion amorce la destruction du cône. Il s’effondre dans la mer, l’ile perdant environ 2 km2 sur tout son flanc ouest (vous pouvez revoir les images radar de cette catastrophe dans mon premier chapitre concernant Fogo). L'Agence indonésienne de vulcanologie estime le volume de matériaux engloutis entre 0,15 et 0,2 km3, ce qui déclenche un fort tsunami qui ravages les terres limitrophes du détroit de la Sonde. Ce risque était connu : en 2012 des scientifiques avaient publié une étude sur l'effondrement possible des flancs de l'Anak Krakatau en cas d'éruption pouvant entraîner la formation de tsunamis. Une vague de 7 à 10 m balaie les rives du détroit de la Sonde provoquant la mort ou la disparition de 600 personnes, faisant 15.000 blessés et environ 40.000 sinistrés, faute d’un système d’alerte spécifique. Le seul risque envisagé par les pouvoirs publics était celui d’une éruption « classique », et comme l’archipel était inhabité…

Extension du tsunami sur les côtes du détroit

Extension du tsunami sur les côtes du détroit

Car assez vite après le désastre de 1883, la population est revenue sur ces territoires en raison de la pression démographique sur Java et Sumatra mais aussi car les sols, enrichis en minéraux par les dépôts cendreux, se révèlent faciles à cultiver et extrêmement fertiles. Et depuis les années 70, la côte ouest de Java, très proche de la mégapole de Djakarta, est devenue une destination touristique pour la classe moyenne aisée indonésienne et le point de départ, depuis le port de Labuan et les stations balnéaires d'Anyer et Carita, des visites touristiques organisées à la journée sur l’ile de l’Anak Krakatau et une zone de plongée sous-marine réputée.

            L’éruption se calme début janvier 2019 et l’ile reprend alors à peu près la physionomie qu’elle avait dans les années 50 : un cratère noyé et un point culminant à 110 m.

L’Anak Krakatau janvier 2019 (image satellite)

L’Anak Krakatau janvier 2019 (image satellite)

Le cratère noyé.

Le cratère noyé.

Mais, comme on peut l’observer sur l’image radar (cf. chapitre I) le magma continue de remonter dans l'édifice volcanique alimentant une éruption sous-marine. Si l’année 2019 s’achève dans le calme, une activité plus intense reprend fin janvier 2020 et débouche sur une éruption le 10 avril 2020. Plutôt modérée, elle a quand même entraîné l'émission d'un panache de vapeurs sulfuriques et de cendres, monté à plusieurs kilomètres d’altitude. A la suite de 2 jours d’éruptions, de nouvelles images satellites révèlent que le cratère est désormais émergé, protégé de la mer par un lobe de laves. Les points rouges sur le cliché montrent la disposition de la lave en fusion à l’intérieur du cratère.

L’Anak Krakatau le 17 avril 2020

L’Anak Krakatau le 17 avril 2020

Pour l'instant, le risque reste limité, avec un niveau de menace maintenu à 2 (sur 4) : l'archipel de l'Anak Krakatau est toutefois interdit d'approche.

POUR COMPRENDRE : RETOUR SUR LA TECTONIQUE DES PLAQUES

L’archipel indonésien se trouve sur la marge sud de la plaque Sunda,  prise en étau entre la plaque des Philippines au nord et la plaque Indienne au sud. La plaque Indienne passe en subduction sous la plaque Sunda, cette plongée étant à l’origine d’une profonde fosse océanique qui  borde tout le flanc sud de l’archipel Indonésien. La compression de la croûte continentale de la plaque Sunda qui en résulte se traduit par un alignement montagneux parallèle à la fosse, jalonné 42 volcans actifs (soit les 3/5e  de l’lndonésie) parmi les plus dangereux du monde, le Krakatau s’inscrivant dans cette suite.

Distribution des plaques tectonique en Asie du SE.

Distribution des plaques tectonique en Asie du SE.

Coupe schématique de la zone de subduction au droit de Sumatra

Coupe schématique de la zone de subduction au droit de Sumatra

L’analyse des séismes qui se sont développés sur cette marge depuis 2000 révèle une perspective nouvelle pour comprendre la situation : la méga-plaque Indo-Australienne serait en cours de division en 2 plaques autonomes, le Krakatau se situant sur l’axe de cette fracturation. Alors que vers le N, la partie indienne plonge sous l'Himalaya, buttant contre la plaque eurasienne qui la freine (vitesse = 37 mm/an),  vers le N-E, sous l'Indonésie, la petite plaque Sunda offre une moindre résistance. La partie australienne progresse rapidement (vitesse = 56 mm/an). Matthias Delescluse, du laboratoire de géologie de l’Ecole Normale Supérieure propose une comparaison très “grand publique ” : « C'est un peu comme si l'Australie était une moto et l'Inde, son sidecar. Si le side-car percute un mur – l’Inde contre l'Eurasie - et que le pilote continue sa course avec la moto, l’Australie vers l’Indonésie, à terme, la structure qui relie les deux engins se fragilise jusqu'à céder. Et cela d'autant plus facilement que le lien faisant tenir l'ensemble est sollicité brutalement. Ce qui a été le cas en 2004 », [avec le méga-séïsme d’Aceh au nord de Sumatra]. « Le séisme de 2004 a libéré les contraintes sur la faille de Sumatra, tout en mettant davantage sous tension les failles intra-océaniques ». Les torsions subies par la plaque Indo-Australienne en son cœur se manifestent sous la forme de reliefs déformés et d'un réseau de failles coulissantes, orientées du nord au sud et réparties sur une zone très large, de l’ordre du millier de kilomètres au moins.

Le plancher océanique au large du détroit de la Sonde. Remarquez les nombreux accidents parallèles N-S dont celui bien marqué qui part de l’ile Christmas jusqu’au Krakatau.

Le plancher océanique au large du détroit de la Sonde. Remarquez les nombreux accidents parallèles N-S dont celui bien marqué qui part de l’ile Christmas jusqu’au Krakatau.

La double rupture majeure (séismes d'avril 2012 accompagnés d’une éruption du Mérapi – de celui-là aussi je vous reparlerai …) n'est qu'une étape préliminaire dans un processus appelé à durer des millions d’années. Où peut se faire cette fracture de la méga-plaque ? L’axe ile Christmas - détroit de la Sonde est potentiellement un candidat et pourrait être à l’origine des éruptions gigantesques du Krakatau, peu compatible avec le phréato-magmatisme invoqué parfois. Mais il s’inscrit dans une bande si large qu’il n’est pas le seul possible.

            Difficile donc, pour des raisons d’espace et de temps nécessaires au processus de cassure de la méga-plaque Indo-Australienne, de privilégier celui-ci plutôt qu’un des nombreux axe de cassure N-S repérés sur le plancher océanique indien. 

« Wait and see ».

Si le Covid 19 nous laisse les quelques millions d’années nécessaires pour conclure.

Jean BARROT

MAIS POURQUOI LE BOUDDHA A-T-IL UNE BOSSE SUR LA TETE ?

Connaissance & Partage

MAIS POURQUOI LE BOUDDHA A-T-IL UNE BOSSE SUR LA TETE ?

AUX ORIGINE DE L’ICONOGRAPHIE DU BOUDDHA.

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UN PEU D’HISTOIRE.

Pour bien aborder le problème du bouddhisme, il faut avant tout se souvenir qu’il émerge en Inde du Nord, dans un espace dominé par la croyance en la réincarnation dans des formes de vie qui dépendront du comportement que l’on a eu durant sa vie.

Ce cycle des réincarnations, qui peut s’étendre sur des milliers de millénaires, ne s’éteint que lors d’une réincarnation au sein d’une famille de brahmanes qui sont eux promis à une mort définitive. La réflexion et la pratique du Bouddha ont donc pour objet la recherche du moyen d’échapper à ce cycle sans passer par la case brahmane. Elle vise à permettre, en une vie bien conduite, à obtenir cette délivrance du monde et de ses misères dans un anéantissement total (le Nirvana).

            Historiquement, l’existence réelle de Siddhârta Gautama, prince du clan familial des Sakyas vivant aux marges du Népal, est acceptée par la grande masse des scientifiques. Mais la date de sa vie reste très approximative. Trois chronologies sont retenues selon le courant bouddhiste qui s’y réfère. Elles se sont élaborées assez tardivement, peu de temps avant notre ère, à partir de la date retenue pour sa mort et son accès au Nirvana. Sachant que toutes retiennent une durée de vie de 80 ans (sens de cet âge ? Une façon de dire qu’il est mort vieux ?), la date de sa mort est estimée à partir du temps écoulé entre celle-ci et le sacre d’Açoka, date elle-même soumise à hypothèses. Bref, on « botte en touche »…

 *La chronologie courte retient 368 av. J-C. : c’est celle qui est utilisée par les Japonais.

 *La chronologie médiane retient 486 av. J-C. : c’est la plus répandue, adoptée à quelques années près par les courants mahayanistes. Elle est acceptée par la plupart des chercheurs du 20e siècle même si depuis le début du 21e siècle, leur tendance est à rajeunir cette date (autour de 400-410 av. J-C.).

 *La chronologie longue retient 544 av J-C. Elle est issue de la tradition Théravada qui a pris forme au Sri Lanka, au cours du 1er siècle avant notre ère. C’est celle qui a cours en Asie du Sud-Est.

Ayant connu l’Eveil (bodhi), à l’âge de 40 ans, il passe le reste de sa vie à prêcher. La clé de sa prédication c'est que la racine de la souffrance se situe dans la relation à soi-même, dans l’écart entre monde perçu et monde pensé. C’est donc dans cette relation que gît, concomitante, la possible solution : par l’abolition du désir comme sortie du temps réel. La bodhi (« le suprême Éveil correct et complet », souvent traduit en Occident par « illumination ») n'a pas d'auteur : elle n'est promise par personne (dieu), elle est non conditionnelle et s'offre en un éclair vécu, aussi contingent dans l'instant que la vie même de celui qui l'éprouve. La méditation est la préparation à ce flash mais elle ne garantit en rien de l’obtenir.

            En 2-3 siècles son enseignement a suffisamment diffusé pour que la première tentative d’unification de l’Inde en un vaste empire menée par Açoka (273-232 av. JC) s’accompagne de l’adoption du bouddhisme comme culte d’Etat. Açoka, après avoir mené une conquête impitoyable de plus des 2/3 de l’Inde (guerre du Kalinga) se convertit au bouddhisme et jalonne les limites de son empire de stèles portant le message bouddhiste. Le principal monument bouddhiste qui se répand à cette époque dans l’empire est le stupa : dérivé de la tradition du tumulus funéraire, c’est un dôme circulaire qui commémore la mort du Bouddha. Très rapidement cette expression purement symbolique devient pour certains stupas les plus vénérés un véritable tombeau censé abriter une relique du Bouddha.

L’ÉMERGENCE D’UNE TRADITION ICONOGRAPHIQUE BOUDDHISTE

            En dépit d’une longue tradition figurative de l’art indien, elle se caractérise par une phase durant laquelle la personne du Bouddha est évoquée par des symboles. Cette première étape dans l’iconographie est une manière de bien faire distinguer l’enseignement du Bouddha de l’environnement religieux et son pullulement de dieux et de leurs avatars dans lequel baigne l’Inde à cette époque. Les symboles les plus couramment représentés sont :  

* le lion (que l’on retrouve de nos jours sur le drapeau et les monnaies  du pays), symbole de la royauté de Siddhârta Gautama « le lion des Shakyas » transféré après l’Eveil en royauté du Bouddha dans le champ de la conscience.

 * la roue du dharma (= la loi), symbole de son enseignement des « Quatre Nobles Vérités ».

 * l’empreinte de ses pieds (Buddhapada) attestant de la réalité de son passage sur terre, son enseignement marquant le monde.

 * le trône vide, exprimant son pouvoir non temporel mais spirituel, parfois encadré de flammes, symbole de sa disparition en ce monde et de son entrée dans le Nirvana.

On retrouve la même prévalence de l’expression symbolique dans le christianisme naissant : chrisme, poisson, croix. Cet « intellectualisme » de l’abstraction des religions naissantes se trouve supplanté par une figuration humaine vecteur d’un élargissement de leur audience dans la masse de la population qui « croit ce qu’elle voit » dans la pratique de sa vie quotidienne.

            La première manifestation que l’on possède de ce style d’iconographie se rencontre sur des panneaux sculptés des balustrades entourant les stupas de Bhārhut (dans le Madhya Pradesh - 1) et d’Amaravati (dans l’Andhra Pradesh -2) datés du 2e siècle av. JC. Ces 2 panneaux retenus pour illustration comportent une scène de fidèles en adoration devant 3 des symboles les plus utilisés : l’empreinte des pieds de Bouddha, un fauteuil vide et l’arbre de la bhodi. Cette représentation somptuaire dans un important monument nous permet de penser que ces signes étaient reconnus déjà de longue date.

            Une bascule s’opère à partir du début du 1er siècle av. JC : des frises sur les stupas comportent des représentations anthropomorphiques du Bouddha, qui sont fréquentes sur les tablettes votives, découvertes par les archéologues, en dépôts sur ces sites.

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MAIS QUE REPRÉSENTER ? ICONOGRAPHIE ET DOCTRINE.

A partir du 1er siècle de notre ère, sa doctrine s’est déjà largement diffusée par les routes commerciales vers l’Occident et vers la Chine. Mais elle s’est aussi profondément transformée. Au côté du Théravada bien implanté au Sri Laka et diffusé principalement en Asie du sud-est, la doctrine du Mahayana prend de plus en plus d’importance, finit par s’imposer en Inde et diffuse vers le monde sinisé de l’Asie de l’est. Quand le Theravada est soupçonné de ne chercher que le salut individuel – seul le moine est promis à la sortie du cycle des réincarnations –, le Mahayana se veut de portée universelle permettant aux hommes de rester actifs dans le monde en comptant sur leur dévotion aux bodhisattvas pour parvenir au même résultat. L’introduction des bodhisattvas ("être voué à l'Eveil"), est un point essentiel de la doctrine du Mahayana. Etre différant son propre Nirvana, il met en œuvre une intercession compassionnelle pour conduire à la délivrance de tous les êtres par la sortie du cycle des réincarnations.

Si l’on veut une comparaison avec le christianisme on voit que tout autour de la figure du Sauveur une prolifération d’intercesseurs, anges et saints, viennent soutenir la foi des fidèles. Si l’islam, dans sa version sunnite, rejette formellement le culte des intercesseurs, il n’en va pas de même dans le chiisme et dans la tradition populaire du culte des marabouts. Mon “mauvais esprit” ne résiste pas à un gag iconoclaste : Pétain « faisant don de sa personne à la France » était peut-être un bodhisattvas… Allez savoir…

            Le développement du Mahayana, le besoin chez les fidèles d’une matérialisation plus sensible de ce que fut le Bouddha enclenche le processus de la figuration. Sans que cela fasse problème pour la doctrine puisqu’une des notions de base du bouddhisme est que tout n’est qu’apparence. Aussi les images qui répondent à cette attente ne sont pas perçues comme une réalité profonde, « essentielle » (comme l’est l’icône dans la religion orthodoxe). Elles fournissent simplement un support de méditation clé d’une libération des illusions. Tous les courants du bouddhisme ont retenu cette vocation des images, et l’iconoclasme est inconnu dans le bouddhisme. Selon les courants, les images ne diffèrent que par leur contenu doctrinal. Dans le Theravada il n’y a un seul Bouddha, le Bouddha historique. Mais il a connu des incarnations antérieures que narrent et illustrent les « jatakas ». Dans le Mahayana, le Bouddha historique n’est que le maillon d’une longue chaine de Bouddhas, ce qui implique qu’à la fin du cycle historique présent, il y aura un Bouddha du futur.

LA FIXATION DES CARACTÈRES ARCHETYPAUX.

La culture grecque s’est répandue jusqu’au confins nord-ouest de l’Inde avec les conquêtes d'Alexandre le Grand en 332 av. JC. Elle imprègne encore fortement l'empire Kouchan, centré approximativement sur l’Afghanistan actuel mais le débordant très largement vers le plateau iranien à l’ouest et la plaine indo-gangétique à l’est.  C’est dans cet empire que le Bouddha prend définitivement figure humaine au cours du 1er siècle de notre ère. Les deux principaux centres de création sont Gandhara et Mathura, tous deux fonctionnant en étroite relation au sein de l’Empire. A Gandhara, sous l’influence de la culture grecque, la représentation du Bouddha exprime le concept d'homme-dieu inspiré de la mythologie : Bouddha apparaît assimilé à Apollon. Les cheveux ondulés, l'habit drapé couvrant les deux épaules, les chaussures et les sandales, des motifs décoratifs hellénistiques telles que les feuilles d'acanthe sont caractéristiques de l'école de sculpture de Gandhara. A Mathura il existe une longue tradition de sculpture fondée sur la représentation anthropomorphique des divinités de l’hindouisme. La figuration du Bouddha résulte donc d'une évolution intrinsèque de l'art indien à partir des modèles prébouddhiques : rondeur accusée des formes et contrapposto marqué. L'habit ne couvre que l'épaule gauche, le traitement des plis des robes donne une apparence de fine mousseline et les cheveux sont bouclés.

Mais dans les 2 écoles domine l’idée d’un « idéalisme réaliste » : combiner des représentations humaines réalistes (dans les proportions, les attitudes et les attributs) avec une idée de la perfection et de la sérénité conduisant au Nirvana, qui finit par dominer dans toutes les représentations. L'expression du Bouddha qui vise à exprimer cette dualité d’état devient le canon iconographique qui s’impose.

Et là se place la réponse à la question posée dans le titre. Mon “éveil” vient de la visite d’une    grande exposition consacrée aux figures du Bouddha au Musée National de Tokyo en 2008. Cette idée de réalisme va inciter les artistes à s’inspirer des hommes qu’ils côtoient et qui sont les      commanditaires des œuvres qu’ils réalisent. Un rapprochement était fait entre la physionomie des princes Kouchan, l’héritage hellénistique et la figuration du Bouddha

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Sur cette représentation du Bouddha du futur, Maitreya, le chignon reste parfaitement identifiable et il est doté de bien belles moustaches (statue conservée au Metropolitan Museum of Art, New York et  présentée dans l’exposition de Tokyo).

Sur cette représentation du Bouddha du futur, Maitreya, le chignon reste parfaitement identifiable et il est doté de bien belles moustaches (statue conservée au Metropolitan Museum of Art, New York et  présentée dans l’exposition de Tokyo).

Aucun doute n’était permis. Les princes kouchans portaient des cheveux longs qu’ils regroupaient en un chignon sur le haut de la tête. L’exigence de « l’idéalisme réaliste » imposait donc de prendre modèle sur eux pour une figuration du Bouddha, la forme du chignon s’épurant tandis que la béatitude issue de l’Eveil s’exprime par un sourire très doux dans le visage. Avec la dislocation de l’empire Kouchan et la diffusion du bouddhisme dans bien d’autres contrées, la signification du chignon se perd mais pas le signe identificatoire qu’il représente. Il faut donc inventer une raison à ce qui devient une excroissance du cerveau : ce sera l’Eveil. Par la sortie du monde de l’illusion et l’accès au Nirvana, la connaissance acquise s’exprime dans la dilatation crânienne. Le signe devient alors la norme de la représentation.

 Une forme abâtardie chez nous de cette supériorité intellectuelle qui vous donne « la grosse tête » est la « bosse des maths » qui exprime le sentiment du bon peuple confronté à la formalisation du langage des mathématiciens qui le rend hermétique et énigmatique.

STANDARDISATION DES FIGURES, VARIATION DES STYLES

             Avec la fin des Kouchans, c’est la fin d’un développement du bouddhisme vers l’ouest et son recentrage sur l’Asie où se formalise l’iconographie « pédagogique » du bouddhisme afin que la doctrine soit compréhensible dans une multitude de peuples, disposant chacun de sa propre langue, verrou à l’inter communicabilité.

ELLE COMPORTE 2 TYPES DE STANDARDS : LA POSITION DU CORPS ET LA POSITION DES MAINS.

* LE BOUDDHA PEUT ETRE REPRÉSENTE EN 3 POSITIONS DU CORPS

Debout : il est le sage en recherche de la Vérité qui parcours le monde. La position la plus fréquente est pieds joints, la position de marche effective est rare. Il en est de même de la représentation debout avec un corps décharné, évocation de sa pratique de l’ascétisme avant qu’il ne trouve la Voie Moyenne.

Cette statue, très hiératique, se rattache au style indien : toge sur une seule épaule et absence de sandale (musée de Colombo – Sri Lanka).    

Cette statue, très hiératique, se rattache au style indien : toge sur une seule épaule et absence de sandale (musée de Colombo – Sri Lanka).  

Une approche réaliste caractérise cette représentation : la position des pieds indique une marche effective, le plis de la toge indiquant le vent apparent lié au déplacement. Et notez l’appendice qui se développe sur la protubérance crânienne (voir …

Une approche réaliste caractérise cette représentation : la position des pieds indique une marche effective, le plis de la toge indiquant le vent apparent lié au déplacement. Et notez l’appendice qui se développe sur la protubérance crânienne (voir ci-après ; temple Doi Suthep, Chiang Mai – Thaïlande)

Assis : la posture la plus fréquente est l’assise en “tailleur”, mais plante des pieds tournée vers le ciel, sur une fleur de lotus. C’est le moment de la méditation ou de la transmission de son message aux disciples. Deux autres postures ne sont pas rares : celle du “repos” (assis sur un siège une ou 2 jambes pendante) et l’ “héroïque” (fesse à terre, jambes pliées avec écart du mollet par rapport à la cuisse – pas franchement bon pour les genoux !).

Ex-voto en bronze doré, période Ming (musée des grottes de Binglingsi – Chine)

Ex-voto en bronze doré, période Ming (musée des grottes de Binglingsi – Chine)

Bouddha sculpté dans la falaise du “Mont venu en volant”, période Song (grottes d’Hangzhou – Chine)

Bouddha sculpté dans la falaise du “Mont venu en volant”, période Song (grottes d’Hangzhou – Chine)

Couché : c’est la représentation du corps du Bouddha mort (les pieds sont disjoints) ou après l’Eveil, planant dans le Nirvana (les pieds sont alignés parallèlement – cf. image du titre)).

* LE REGISTRE DES POSITIONS DES MAINS (MUDRAS) EST CONSIDÉRABLE.

Je n’en retiendrai ici que les plus significatives, avec la position du corps la plus souvent associée.

La méditation : les deux mains reposent l'une sur l'autre, les paumes tournées vers le ciel. La main droite est posée sur la main gauche. La position est assise, jambes pliées en tailleur (position du lotus).

La prise de la terre à témoin : 
 la main droite posée sur la cuisse droite, paume en dedans, a les doigts dirigés vers la terre. La main gauche repose sur la cuisse gauche, paume tournée vers le ciel. C'est le geste de l'illumination. Le Bouddha prend la terre à témoin de sa lutte contre le démon Mara et indique que la méditation permet de vaincre l’illusion. C'est une des représentations les plus courantes en position assise.

L’argumentation : le bras droit est levé, main à demi ouverte, paume tournée vers le public, le pouce et l'index se joignent et forment un cercle. Ce cercle symbolise la roue de la Loi. La main gauche peut faire le même geste mais est le plus souvent au repos. Cette attitude est celle de la transmission du message, de l'enseignement des disciples. La position assise est plus fréquente que celle debout.

La prédication : les mains sont rapprochées devant la poitrine, la main droite, paume en dehors, pouce et index se touchant et l'autre main, paume en dedans, pouce et index se touchant et venant contre ceux de la main droite. Les doigts de la main droite présentent la roue de la Loi et ceux de la main gauche la mettent en mouvement. C’est le moment de la prédication. La position assise est plus fréquente que celle debout.

L’apaisement : la main droite est levée, la paume tournée en avant. C’est le geste de l’absence de crainte, du refus de la querelle. Le plus souvent debout.

Le don : La main droite pend vers le sol, paume tournée vers l’avant. Plus rarement les deux bras sont pendants le long du corps paumes tournées vers les cuisses. C’est le geste de la charité. Le plus souvent debout.

L’adoration : les mains sont jointes paume contre paume, en équerre par rapport à l’avant bras et collées contre la poitrine. C’est un geste très proche de la position de la prière chrétienne. Le plus souvent debout

L’union mystique : les cinq doigts de la main droite symbolisent les cinq éléments. Ils se referment autour de l'index de la main gauche qui est le sixième élément. Cette position représente l'union de la matière et du spirituel. La position assise est plus fréquente que celle debout.

temple de la Dent

temple de la Dent

Kandy

Kandy

Sri Lanka

Sri Lanka

Mais la standardisation de ces formes s’exprime dans des styles artistiques qui diffèrent selon les lieux et selon les époques, générant des esthétiques aussi variées que celles que l’on rencontre en Occident dans le christianisme (roman, gothique classique etc.) : « L’orthodoxie est une et l’hérésie est multiple »

Alors aux enfants sages du confinement, j’offre, pour terminer, ces quelques images.

 * QUELQUES BOUDDHAS DE LA VOIE DU THERAVADA EN ASIE DU SUD-EST

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La Birmanie,  “pays des 10.000 pagodes ”, véritable conservatoire du bouddhisme Theravada avec le Sri Lanka, a trouvé un moyen de faire rentrer des devises. Tout bouddhiste du monde peut faire dorer une statue du Bouddha ou restaurer un stupa qu’il adopte (un cartel avec son nom et son adresse le précise), au grand dam des archéologues qui y voient plus le saccage d’un patrimoine qu’un acte de foi (grottes de Pindaya – Birmanie)

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Le crâne du Bouddha s’orne de plus en plus fréquemment au fil du temps d’un attribut de majesté évoquant la flamme de l’illumination  (temple Nga Hpe, lac Inle – Birmanie ; musée de Colombo – Sri Lanka)

* QUELQUES BOUDDHAS DE LA VOIE DU MAHAYANA EN CHINE

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Les grottes de Binglingsi ont commencées à être creusées à partir de la fin du 3e siècle et ont été très fréquentées jusqu’au milieu du 9e siècle lorsque l’empereur Tang Wuzong proscrit cette religion et entame de grandes persécutions contre les bouddhistes. Le bouddhisme ne retrouvera jamais sa splendeur, n’étant plus désormais que toléré et toujours susceptible d’être persécuté à nouveau.

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Les grottes de Longmen sont le dernier grand moment du culte du Bouddha. Le style Tang se caractérise par une douce rondeur du visage.

            * DES HÉRITAGES MULTIPLES QUI S’ENTRECROISENT.

Ces 2 statues représentent un épisode particulier de la vie du Bouddha. Alors qu’il méditait au bord d'un lac,  un violent orage éclata et la pluie fit peu à peu monter dangereusement le niveau de l’eau. Mucilinda, le roi des nâgas (issu de la tradition mythologique indienne), sortit du lac, enroula ses anneaux sous le corps du Bouddha et déploya ses capuchons en éventail au-dessus de lui pour le protéger de la pluie durant tout le temps que dura l'orage, permettant au Bouddha de poursuivre sa méditation, ignorant du danger qui pouvait le guetter. Dans la sculpture d’Angkor Vat (Cambodge), le hiératisme du Théravada s’exprime pleinement. Dans celle du temple de 3 Pagodes à Dali (Chine), le kitsch l’emporte sans état d’âme…

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Jean BARROT